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Eglise
Saint-Jacques d'Avricourt - 1888
En 1915, le bulletin
paroissial de Corcieux relate l'épisode de la construction
de l'église d'Avricourt par le curé Eugène Blumstein
(1851-1921).
Le Ban de Corcieux :
bulletin religieux mensuel des paroisses de Corcieux, La Chapelle,
La Houssière, Gerbépal et Saint-Jacques-du-Stat
Edition : Saint-Dié 1915
[Octobre 1915]
Pourquoi j'aime aussi Saint-Jacques
Historique de Saint-Jacques d'Igney-Avricourt
Le nom de Saint-Jacques évoque en mon âme les plus purs souvenirs de
ma jeunesse cléricale, en même temps qu'il fait passer devant moi
les sombres tableaux de l'année terrible 1870.
Mais d'abord, faisons sommairement connaissance avec la jeune
paroisse d'Igney-Avricourt en lisant attentivement la notice qui
suit :
NOTICE SUR L'ŒUVRE D'AVRICOURT-FRANÇAIS
L'Œuvre paroissiale de la frontière, à Igney-Avricourt, a été
entreprise, en 1887, par M. le curé d'Amenont, l'abbé Blumstein,
autorisée et recommandée par Mgr Turinaz, évêque de Nancy, bénie par
Sa Sainteté le Pape Léon XIII, à l'audience du 5 février 1888.
Tout le monde sait combien ont été fréquents et douloureux les
incidents de frontière entre Français et Allemands. Sur la fin de
1887, le gouvernement d'Alsace-Lorraine expulsait de Deutsch-Avricourt
environ deux cents Français. Ces expulsés et leurs familles, joints
aux employés de la Douane française et de la Compagnie de l'Est, à
Avricourt, formaient dès lors une population de sept cents âmes,
privées de tout secours religieux. (Lettre d'autorisation de
l'Evêché de Nancy).
C'était l'heure ou jamais de s'occuper de cette colonie, de bâtir
sur le sol français, pour cette nombreuse population
d'Alsaciens-Lorrains pratiquants, une église assez vaste pour
faciliter aux adultes l'accomplissement de leurs devoirs religieux,
et une salle de catéchisme pour une centaine d'enfants.
L'église et la salle de catéchisme furent bâties en six mois.
Le service paroissial, avec grand'messe et vêpres, se fait les
dimanches et fêtes ; de plus, une messe spéciale est dite le jeudi
pour les enfants de la Gare. Dès le début, l'Œuvre a été appréciée
par cette population d'honnêtes employés et de commerçants qui
viennent régulièrement et nombreux aux offices de la nouvelle
paroisse.
[Novembre 1915]
Pourquoi j'aime aussi Saint-Jacques-du-Stat (suite)
La Situation
Ce qui va suivre ne sera qu'une explication de cette notice.
Reportons-nous donc à la date funeste de 1870 et sur la grande ligne
du chemin de fer de Paris à Strasbourg.
Comme conséquence immédiate du traité de Francfort, la frontière
franco-allemande fut tracée à travers la Lorraine, de manière à
couper la principale ligne de l'Est le plus loin possible du massif
des Vosges et le plus près possible de Lunéville, afin d'ouvrir à
l'Allemagne une large trouée dans une plaine favorable aux invasions
futures.
C'est ainsi que la ligne d'intersection tomba sur Avricourt et coupa
d'un seul coup et le chemin de fer de Paris à Avricourt, et le canal
de la Marne au Rhin, et la route de Nancy-Lunéville-Strasbourg, et
enfin la paroisse d'Avricourt, et donna à ce lieu, inconnu
jusqu'alors du public et de si peu d'importance en lui-même, un
renom européen. L'importance qu'Avricourt reçut par le tracé de la
nouvelle frontière obligeait les administrations à construire, dans
le plus bref délai, de nouvelles routes et deux grandes gares, à
établir des deux côtés de la frontière des postes de douanes et de
gendarmerie, à amener là plusieurs centaines d'employés pour
desservir les gares de transit, et à construire des écoles pour une
centaine d'enfants.
Ce qui arrive partout ailleurs en semblables circonstances arriva
ici : le commerce de gros et de détail s'établit de lui-même sur
place, fonda des comptoirs et exploita fructueusement la situation
nouvelle. Bref, on pensa à tout, excepté aux âmes : d'église, il ne
fut jamais question. Et, le dirai-je ? dans la nouvelle délimitation
des diocèses de Metz et de Nancy, le tronçon de l'ancienne paroisse
d'Avricourt, qui fit retour à la France, fut totalement oublié.
De là, il y eut toujours quelque chose de flottant dans le service
religieux pendant de longues années, et ce ne fut qu'en 1888, au
moment de me donner juridiction sur ma nouvelle paroisse, que l'on
s'aperçut de l'oubli d'autrefois et que tout rentra dans l'ordre
voulu. En résumé, dès que la nouvelle frontière était tracée, il
existait, en projet du moins, trois Avricourt indépendants l'un de
l'autre. Du côté allemand, se forma une colonie qui comprenait la
gare et la douane allemande et fut dès lors appelée : Deutsch-Avricourt.
Il en fut de même du côté français par la construction des bâtiments
de la douane et de la gare, et l'on appela le tout : Avricourt-Français
ou la gare d'Igney-Avricourt, ou simplement la Gare. Entre les deux
nouveaux établissements, se trouvait, comme par le passé, l'ancien
Avricourt, désigné dès lors sous le nom de « Village d'Avricourt ».
Préparation
Pendant que se prolongeait la situation anormale des catholiques de
la gare d'Igney-Avricourt, deux prêtres pensaient à eux et
cherchaient, l'un à l'insu de l'autre, le moyen de remédier à cette
triste situation.
Dans la petite paroisse d'Amenoncourt, à trois kilomètres de la
Gare, vivait un prêtre déjà avancé en âge. Il venait presque tous
les jours à Avricourt-Français, pour ses provisions d'abord et,
ensuite, pour cultiver ses relations d'amitié avec les meilleures
personnes de la colonie française. Le bon curé connut de la sorte
les besoins et les aspirations de cette nouvelle population,
composée en grande partie d'Alsaciens-Lorrains. En rentrant dans sa
paroisse, ce prêtre gémissait sur l'abandon de nombreuses âmes, et
il se demandait ce qu'il pourrait bien faire pour le grand bien de
cette population si intéressante. Cette affaire trottait toujours
dans son cerveau : sa solution lui tenait tant au cœur ! Son cœur de
prêtre zélé se soulageait quelque peu dans les réunions de
confrères. Alors, après avoir dépeint au vif la triste situation de
la colonie française, il ajoutait : « Tenez, Messieurs, l'état
d'abandon religieux de ces bons Alsaciens-Lorrains me touche
tellement que je ferais volontiers le sacrifice de ma paroisse en
faveur du jeune prêtre qui leur bâtirait une église et qui la
desservirait. Ce prêtre aurait mon Amenoncourt comme paroisse et
comme résidence et la Gare comme annexe ». Le vieux curé parlait
ainsi maintes fois au milieu de ses confrères. Chacun louait ce zèle
et ce désintéressement, mais aucun ne relevait ce beau défi. Le
geste du vieux pasteur était admirable, mais les difficultés de
l'entreprise faisaient reculer les plus hardis. Et ainsi le temps
passait et rien n'avançait.
Cependant j'avais été quelquefois du nombre des auditeurs du vieux
curé, et la difficulté même de l'entreprise me séduisait. Je me
disais : Puisque jusqu'alors personne ne s'est sérieusement occupé
de la colonie française d'Avricourt, personne ne pourra m'en vouloir
de m'en occuper un jour et de bâtir cette église tant désirée. Cette
œuvre de la frontière me souriait d'autant plus qu'elle cadrait
parfaitement avec le plan que je m'étais tracé en venant dans le
diocèse frontière de Nancy.
Mon plan était, en effet, d'occuper toujours un poste frontière,
afin de suivre mieux les nombreux Alsaciens-Lorrains, qui avaient
comme moi, opté pour la France, et qui se trouvaient, en grand
nombre, établis dans les cantons de Blâmont, de Cirey et de
Badonviller. Depuis longtemps j'étais leur missionnaire ; j'allais
les visiter, les consoler, les instruire, les confesser, et les
préparer à la mort. Dans ce but j'allais par monts et par vaux, dans
une trentaine de paroisses ; dans chacune j'avais une douzaine de
compatriotes, mais nulle part je n'avais une paroisse
d'Alsaciens-Lorrains. Ici, à Igney-Avricourt, l'agglomération des
annexés était considérable et pourrait fournir d'excellents éléments
dans une paroisse nouvelle.
On en était alors en 1887 ; malgré l'urgence d'une église à la gare,
j'en remettais l'exécution à plus tard : car, d'abord, j'étais en
train de restaurer ma troisième église, et ensuite je venais d'être
victime d'une faillite à Blâmont.
J'en étais là, quand un évènement international me fit tressaillir
avec tous les Français et me fit prendre une résolution aussi hardie
que définitive.
L'évènement le voici : Sur la fin de 1887, les Allemands cherchaient
querelle à la France pour trouver un casus belli ; pour aboutir, ils
attirèrent dans un guet-apens M. Schnæbelé, un commissaire spécial
du gouvernement français. La France sut éviter la guerre en cédant
devant la force et l'hypocrisie ; mais l'Allemagne ne put se
consoler d'avoir manqué l'occasion, et se vengea de son échec en
fermant la frontière. La frontière se ferma si bien que les pauvres
habitants d'Igney-Avricourt ne purent plus aller aux offices du
village d'Avricourt.
[Décembre 1915]
Pourquoi j'aime aussi Saint-Jacques-du-Stat (suite et fin)
Du mal, sortit le bien. La brutale fermeture de la frontière rendit
absolument nécessaire et urgente la construction d'une église sur le
sol français.
Pour moi, j'étais atteint moi-même au cœur par le coup porté contre
mes compatriotes ; je sursautais à cet affront et à cet ostracisme
édicté contre nous tous par la vengeance de la Prusse, et je me
décidais sur-le-champ à construire une église sur la terre de
France, à trois cents mètres de la frontière fermée.
Le jour même, j'allais trouver le vénérable curé d'Amenoncourt, lui
poser la question, comme dans un ultimatum, s'il était toujours dans
la résolution de céder sa cure au prêtre qui bâtirait une église à
la gare d'Avricourt. En cas d'hésitation, je me serais permis de lui
rappeler ses propres paroles, si souvent redites dans nos réunions,
et qu'enfin la construction de cette église était le comble de ses
vœux.
Le bon vieillard se recueillit un instant, puis me répondit que ses
vœux et ses désirs sur ce point sont toujours les mêmes et que la
fermeture de la frontière imposait une église pour les habitants de
la Gare, plutôt aujourd'hui que demain.
J'étais moi-même au comble de mes désirs. -
Eh ! bien, dis-je au
vieillard, aujourd'hui même vos vœux les plus ardents sont enfin
exaucés. Le prêtre qui bâtira une église à la Gare est trouvé. Il
est devant vous. C'est moi-même.
A ces paroles, le bon curé me sauta au cou et m'embrassa longtemps,
en pleurant de joie et de bonheur. Puis il ajouta : -
Et maintenant,
comme le vieillard Sirnéon, je puis chanter mon nunc dimittis,
puisque mes yeux ont vu le salut d'Avricourt.
Mais le temps n'était plus à faire du sentiment. Il fallait agir, et
j'insinuai à mon curé de rédiger aussitôt une lettre à Mgr de Nancy,
pour faire connaître à Sa Grandeur notre résolution. La lettre
partit le même jour. La réponse revint vite et bonne.
Je n'avais plus qu'à marcher : Alea jacta est.
Difficultés et vaincre. - Les préparatifs de l'entreprise furent
longs et ardus. Il fallait avant tout me mettre en rapport et tomber
d'accord avec M. le Curé de Repaix-Igney, dont la juridiction
s'étendait à la Gare. J'y parvins en rappelant à ce prêtre que
lui-même désirait depuis longtemps une église à Avricourt, qu'il en
aurait tout l'honneur et la moitié de nos mérites.
Ensuite, il fallait amener à mon sentiment le Conseil municipal d'Igney-Avricourt,
dont le maire était un mangeur de curé et de plus un franc-maçon, et
dont plusieurs membres étaient protestants, Ceux-ci souscrivaient
bien pour un temple ou pour une église mixte, mais pas pour une
église catholique. Je les gagnais à ma cause en leur montrant que la
construction nouvelle sera toute à ma charge, que le Conseil en aura
tout l'honneur, que l'église, une fois construite, sera le premier
pas fait pour arriver à la séparation des deux sections de la
commune, et qu'enfin les frères séparés pourront, à leur loisir,
venir prier avec les catholiques.
Après le Conseil municipal d'Igney-Avricourt, il y avait le Conseil
de fabrique de l'église de Repaix qu'il fallait décider à me laisser
faire. Repaix était l'église-mère dont devait dépendre ma nouvelle
église, mais de telle façon à n'être nullement une charge pour
l'église-mère. Je donnais à la Fabrique de Repaix toutes les
garanties voulues et elle rédigea son rapport pour la préfecture en
ma faveur.
M. le chef de la gare était aussi un personnage important à mettre
dans mes intérêts, ainsi que la dame directrice de l'école
maternelle, tous les deux protestants. Je les convertis à ma cause.
Ainsi, tout le monde était tombé d'accord, et l'on se mit à l'œuvre
matérielle pour trouver des ressources. Pendant que se poursuivaient
toutes ces négociations, je faisais de mon côté un voyage ad limina,
c'est-à-dire à Rome, aux pieds du Pape. Je vis Pierre en la personne
de Sa Sainteté Léon XIII. Je lui demandai la bénédiction apostolique
pour ma pieuse entreprise.
Si la bénédiction d'un sage vieillard est déjà une faveur et un gage
de succès, que ne sera pas la bénédiction du Souverain Pontife ?
Aussi, mon pèlerinage fut heureux et fécond en résultats. Je puis
dire que c'est le Pape qui me paya la pierre angulaire de mon église
de Saint-Jacques de la Gare. Jugez-en plutôt :
A peine rentré dans ma maison de cure, ma digne servante me dit : «
Vous allez être content. Voici une lettre arrivée d'hier ; elle est
chargée et je crois quelle est lourdement chargée ». Je l'ouvre.
Elle m'apportait, de la part d'une personne inconnue de Bordeaux,
cinq billets de cent francs.
Exécution du projet
C'était la première mise de fonds de la Providence, c'était toute ma
fortune pour la nouvelle église, car j'ai commencé avec rien.
J'étais plus qu'encouragé. Je marchais sous les auspices de mon
Evêque et avec la bénédiction du Souverain Pontife. Je me sentais
pénétré d'une foi à transporter des montagnes, à faire des miracles,
avec le bras de Dieu, bien entendu, et, au dire d'un spécialiste en
construction, j'ai fait le miracle d'Avricourt. Quand l'église
s'achevait, cet homme expert s'approchait de moi sur le chantier et
me dit en souriant : « M. le Curé, permettez-moi de vous dire que
vous venez de faire un vrai miracle devant nous. Vous ne deviez pas
réussir à construire votre église, car vous aviez tout contre vous.
»
C'est vrai, tout était contre mon entreprise et néanmoins tout
allait au mieux. C'est grâce à la bénédiction du Saint-Père, grâce
aussi aux prières des bonnes âmes, que l'église fut bâtie en six
mois et que la première messe y fut célébrée le jour de la fête de
la Gare, en octobre 1888.
J'étais réellement heureux. Tout était arrivé à point nommé.
Il me fallait une épreuve. Elle vint et elle fut grande au-delà de
toute expression.
J'avais toujours espéré avoir à la bénédiction de mon église la
présence de ma famille. Or, j'y fus seul avec ma profonde douleur,
car, trois jours avant ma grande fête, je reçus une dépêche
m'annonçant la mort de ma sainte mère.
Que faire ? Devais-je plonger dans le deuil toute ma paroisse à
cause de moi ? Reculer la fête si longtemps attendue était chose
impossible. Ne pas profiter pour cela de la fête de la Gare, c'était
échouer au port et perdre tout le fruit du travail d'une année.
J'allais donc de l'avant et la cérémonie de la bénédiction se fit au
jour indiqué avec un succès complet. Plus de mille personnes se
pressèrent dans le nouveau sanctuaire : Tout mon peuple était
conquis.
Cependant, je ne pouvais garder pour moi seul le deuil qui
m'oppressait. Aussi, j'en fis part à mes nouveaux paroissiens, en
guise de joyeux avènement et comme première annonce dans la nouvelle
église (tant la douleur est au fond de toute chose), et je demandai
à tous l'aumône d'une sainte prière pour l'âme de ma mère, en retour
de l'aumône que je leur faisais ce jour-là, en leur ouvrant l'église
de Saint-Jacques.
Nos prières ont dû toucher le cœur de Dieu, et le premier sacrifice
de la Sainte-Messe, qui consacra ma nouvelle église, a dû être
agréable à la Sainte-Trinité, car, au dire de mon vénérable père,
favorisé ce jour-là d'une consolante vision, l'âme de ma défunte
mère a été délivrée du Purgatoire et s'en est allée radieuse au
ciel, en laissant à mon père la suprême consolation de la savoir
bienheureuse.
Dieu avait mis comme rançon, pour le salut de ma mère, la
construction de l'église d'Avricourt. Le Seigneur avait compté tous
mes pas, pesé toutes mes épreuves, estimé toutes mes fatigues, mes
veilles et mes sacrifices, pour tout unir au sacrifice de son divin
Fils et, par lui, tout sanctifier. La délivrance de l'âme d'une mère
vaut bien tous les sacrifices d'un enfant.
Conclusion
De ce qui précède, on peut dire qu'il m'en a coûté de créer la
paroisse de la gare d'Avricourt, en l'honneur de Saint-Jacques.
Aujourd'hui, Saint-Jacques d'Avricourt est détruit ou, du moins, il
n'a plus sa raison d'être. Au fait, il n'avait qu'une existence
transitoire, une durée limitée à la durée de la frontière. factice
du traité de Francfort, et je suis ravi du changement qui va se
produire. Comme le général Maunoury et avec lui, je dis : C'est ce
que j'attendais depuis quarante-quatre ans, la revanche de 1870, la
frontière, tracée par la force brutale à Avricourt, transportée à
nouveau sur les bords du Rhin.
Si le rôle de Saint-Jacques d'Avricourt est terminé, son souvenir
est impérissable pour moi, et, pour ma consolation, je le retrouve
dans Saint-Jacques-du-Stat, qui est, lui, inébranlable comme le roc,
sur lequel ce sanctuaire est assis :
Bene fundata est supra firmam petram.
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