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L’héritage de Scholastique Descharmes - 1838
 


C’est principalement la presse allemande qui s’est fait l’écho de l’incroyable histoire de Scolastique Descharmes, reprises par divers journaux (Frankfurter Konversationsblatt, Der Sammler, Allgemeine Theaterzeitung, Regensburger Conversations-Blatt...).

La presse française semble n’avoir pas reproduit l’information que très tardivement, hormis l’Illustration, dont la version reproduite ci-dessous dissimule même le vrai prénom sous celui de «  Jeanne ».

Fille d’un charpentier de Blâmont selon la presse allemande, Scholastique Descharles arrive à Paris en 1810 comme domestique, et entre au service de Pierre-Auguste Forestier.
Maître bronzier et sculpteur-décorateur français, Pierre-Auguste Forestier est né à Paris le 25 septembre 1755 au sein d'une grande famille de joailliers parisiens. Son père, Etienne Forestier (1712-1768), fondeur et bijoutier, avait créé en 1737 un atelier de fonderie de bronze à Paris. Après son décès, ses fils Etienne-Jean et Pierre-Auguste, avaient poursuivi l'entreprise familiale, en fabriquant des vases, des candélabres, des garnitures de meubles en bronze de style «  néoclassicisme français », avec des commandes du roi Louis XVI et Marie Antoinette, et dans les années 1778-1780 du Prince de Condé. Au début du XIXe siècle, Pierre-Auguste Forestier avait commencé à travailler dans le style Empire, collaboré avec le sculpteur Pierre-Philippe Tomir (1751-1843), et ouvert à Paris une grande boutique d'objets en bronze, dont certains réalisés d’après les dessins des architectes-décorateurs Charles Persier (1764-1838) et Pierre Fontaine (1762-1853).
Il décède le 3 février 1838. Sur sa tombe dans la 43ème division du père Lachaise, se dresse une statue de jeune femme d’un mètre en marbre blanc, réalisée par François-Christophe-Armand Toussaint en 1839, sur le tombeau est gravée l’inscription : «  À son bienfaiteur. Scholastique Descharmes. »

Car c’est effectivement un héritage considérable d’une valeur de plus de 700 000 francs que l’artiste lègue à sa domestique Scholastique Descharmes, restée à son service pendant 28 ans.

Mais dès 1841 se déroule un premier jugement, «  M. et Mme d'Aigremont, demandant l'interdiction de mademoiselle Scholastique Descharmes, leur parente, à raison de l'existence d'un état d'aliénation mentale durant depuis sept ans, et rendant cette demoiselle incapable d'administrer ses biens et de gouverner sa personne ». A en croire cette demande, Scholastique Descharmes n’aurait plus été en état de gérer sa vie depuis au moins 1834 (soit au moins quatre années pendant lesquels elle était encore au service de Pierre-Auguste-Forestier), mais il n’y aurait eu aucune nécessité de conseil de famille pour l’assister... jusqu’à ce qu’elle devienne riche ! (on notera que l’«  avide héritier » qu’évoque l’Illustration, n’est pas un réclamant de la famille Forestier, mais un futur héritier de Scholastique Descharmes, puisque «  Mme d'Aigremont », ou d’Egremont, est en effet sa nièce).

Hélas, cet article ne devrait pas figurer sur ce site : car ainsi que le dit le Journal de la Meurthe et des Vosges, des recherches étendues prouvent que Scholastique n’est pas née à Blâmont ainsi que l'affirmait la presse allemande, mais à Saint Nicolas de Port, le 8 septembre 1786, fille de Joseph Descharmes, charpentier, et Anne Henry.


Seltsame Fügung.
Décembre 1843

Wie Leute aus Armuth zu großem Reichthum gelangen können, davon gibt die kürzlich verstorbene Pariser Kartenschlägerin Lenormand einen Beweis. Sie hinterläßt nicht weniger als S00,000 Franken, welche reiche Narren ihr nach und nach haben zufließen lassen. Größer noch ist dass Vermögen, welches Scholastica Descharmes besitzt, und sonderbar ist der Zufall, welchem sie mittelbar dies Vermögen verdankt. Sie hatte an der unrechten Thür geklopft. Jungfer Descharmes, die Tochter eines Zimmermanns zu Blamont in Lothringen, kam im Jahr 1810 nach Paris und verdingte sich als Magd bei einem Advokaten. Nach einiger Zeit sah sie sich nach einem andern Dienst um, und klopfte in einem Haus, welches man ihr bezeichnet hatte, an einer Thür an. Ein junger Mensch trat heraus und fragte nach ihrem Begehr. Sie antwortete und ward nach der Thür gegenüber gewiesen. In demselben Augenblicke trat ein Mann auf den Vorplatz und fragte, was sie wollte. Sie antwortet, sie suche einen Dienst als Köchin oder Haushälterin, und entschuldigte sich wegen ihres Zerthums. „Hat nichts zu sagen," entgegnete der Mann; „ich brauche gerade Jemand; ich will mich wegen Ihrer befragen; kommen Sie morgen wieder." Scholastika kam wieder, und der Maler Forestier - dies war der Mann - nahm sie in Dienst, zunächst um seiner Haushälterin, einer sechzigjärigen Verwandten, an die Hand zu gehen. Scholaftica gewann durch, Fleiß und Sparsamkeit die Liebe der alten Haushälterin, welche nach einigen Jahren starb, und wurde dann dem bejahrten Maler unentbehrlich. Im Jahre 1838 starb Forestier und setzte seine Magd zur Erbin seines Vermögens von über 700,000 Franken ein. Die 51 jährige Jungfer ist somit seit fünf Jahren im Besitz eines Vermögens, welches ihr jetzt 21,000 Fr. jährlich einbringt. Von dieser Summe verbraucht sie nur einen kleinen Theil. Sie lebt, wie sie bei Forestier gelebt hat, näht und verrichtet Hausarbeit. „Ich bediene selbst meine Haushälterin," sagt sie; „ich esse wenn ich Hunger habe - stehend und wie ein Soldat. Daraus möchte wohl jeder abnehmen, diese Person habe für nichts anderes Sinn, als für das Geschäft, welches sie an dreißig Jahre lang getrieben; sie sev mit Leib und Seele eine Magd. Dem ist aber nicht so. Ihr Haus ist ihrem Vermögen entsprechend eingerichtet; sie besitzt eine Bibliothek, Gemälde und andere Kunstwerke. Ihre Verwandten haben sogar gemehnt, sie wäre verrückt, und haben vom Gericht verlangt, daß ihr ein Curator gesetzt werde. Es wurden Ärzte zu geschickt, um ihren Zustand zu untersuchen, und aus den Gesprächen, welche sie mit diesen geführt hat, geht hervor, daß sie weder stumpf noch wahnfinnig ist. Sie sagte unter anderm : “Abend arbeite und lese ich ; Ich lese am liebsten Andachtebücher. Ich habe Marmontel und Telemach gelesen. Voltaire ist nach meinem Geschmack; er ist revolutionär. Den Rousseau sind ich zu schwach gegen die Weiber; sein Styl aber gefällt mir." Bei einer andern Gelegenheit sagt sie: “Ich finde Voltaire zu trocken und zu spottsüchtig. Rousseau steckt immer in den Röcken der Weiber und läßt sich von ihnen täuschen." Das find freilich keine Orakel; allein diese Worte beweisen doch, daß die Person liest und denkt. Wenn die medicinischen Inquirenten die Sprache aufs Ausgehen brachten, dann redete sie abenteuerliches Zeug von bösartigen Wesen, die sie verfolgten, von Assen, die sle in Wurstbrühe verwandelten, sie auf den Kirchhof schleppten und Leichen fressen ließen u. f. w." Allein bei näherer Untersuchung hat ficherklärt, sie habe die Aerzte zum Besten gehabt; und das Gericht hat entschieden, daß sie keines Vormundes bedürfe.


L’Illustration
1er juillet 1843

- On s'extasie devant les inventions des romans et des comédies; comédies et romans n'ont jamais autant d'imagination que la réalité. Je n'en veux pour preuve qu'une aventure merveilleuse, dont la vérité vient d'être récemment certifiée par un double procès en première instance et en Cour royale; l'héroïne s'appelle mademoiselle Descharmes. Malgré les allures aristocratiques de son nom, mademoiselle Descharmes est un enfant du village : son père, simple paysan, vivait à grand'peine du produit de son labeur. Un jour, la pauvre fille, voulant soulager cette rude vie, se décide à venir à Paris pour y chercher du travail et du pain. Elle part seule du fond de sa Lorraine, en gros jupon, en gros souliers, portant toute sa fortune sous le bras. Arrivée dans la ville immense, elle va, vient, cherche, espère, attend et souffre; enfin quelqu'un lui propose une place de servante ! Quelle fortune ! Je vous demande si elle accepte avec joie ! La voici parée de son cotillon des dimanches et de son bonnet le plus blanc gagnant, non sans peur, la rue habitée par son futur maître, et frappant à la porte de sa maison. - Au troisième ! lui dit le portier. - Notre Lorraine monte lentement l'escalier, le trouble dans le cœur, le feu au visage ; les marches crient sous son pas pesant. Inquiète, haletante, ahurie, elle rencontre un cordon de sonnette, s'en empare et sonne à tour de bras. «  Que voulez-vous ? lui demande un homme d'un âge mûr. - N'est-ce pas ici chez M. Valentin? répond-elle - Non! - Je venais pour être sa servante.- Eh bien ! entrez : j'ai aussi besoin de quelqu'un; vous ou une autre, peu importe ! »
Elle entra en effet, et ne sortit plus de cette demeure qui venait de s'ouvrir pour elle si singulièrement. - Son maître était bon au fond de l'âme, mais exigeant et fantasque : il l'accablait de soins sans relâche et de travaux pénibles. Cette sévère autorité pesa sur la servante pendant vingt-huit ans, sans qu'elle cherchât à s'y soustraire, sans qu'elle fit entendre une plainte; quelquefois cependant il lui disait : «  Jeanne, tu es une bonne fille ; je ne t'oublierai pas; sois tranquille, tu auras quelque chose ! »
Au bout de ces vingt-huit années, notre homme meurt vieux garçon ; et collatéraux d'accourir bouche béante. On ouvre le testament : le testament déclare Jeanne Descharmes légataire universelle ! La pauvre fille, naguère venue à pied de son village, la pauvre servante si rudement traitée, est transformée tout à coup en riche héritière. Elle a 800,000 fr. en maisons et en rentes, item bibliothèque magnifique et magnifique galerie de tableaux. Voyez ce qu'on gagne en ce monde à sonner plutôt à cette sonnette-ci qu'à cette sonnette-là !
On l’appelait Jeanne tout court; on l'appelle maintenant mademoiselle Descharmes gros comme le bras; et les plus huppés lui ôtent leur chapeau en passant. Mais mademoiselle Descharmes est restée Jeanne comme devant : en changeant de fortune elle n'a pu changer de caractère ni d'habitudes. Les débats de l'audience ont révélé les détails curieux de cette immobilité : Jeanne est embarrassée des richesses de mademoiselle Descharmes; à peine lui faut-il par an 1,500 fr. pour vivre. Vous croyez que mademoiselle Descharmes va se parer et courir par la ville ? non pas. Jeanne a gardé ses simples vêtements; Jeanne ne sort pas du logis, pas plus que du temps de son maître qui se fâchait si par hasard elle mettait le pied dehors. - «  Que faites-vous de vos journées? demande M. le président Séguier à mademoiselle Descharmes. - Je frotte mes appartements, répond Jeanne, et souvent je sers ma servante. Enfin, M. le président, je fais ce que je faisais du vivant de Monsieur; je vis comme s'il n'était pas mort. »
Un avide héritier a eu l'esprit de trouver matière à procès dans cette fidélité de mademoiselle Descharmes au passé de Jeanne; il a intenté contre l'honnête fille une demande en interdiction, affirmant qu'une femme pourvue de quarante mille livres de rentes, qui ne sort jamais de chez elle et frotte elle­même son appartement, est évidemment atteinte d'incapacité et de monomanie. Les juges ont donné tort à l'héritier, [...] et mademoiselle Descharmes peut rester Jeanne, puisque tel est son bon plaisir [...].


Journal de la Meurthe et des Vosges
16 septembre 1848

- La cour d’appel de Paris vient de s’occuper d’une affaire qui ressemble à un petit roman. Il s’agit d’une dame riche, dont la famille demandait l’interdiction. L’avocat de ladite famille plaidant que c'est par pur intérêt pour elle qu’il l’accuse de folie, l’avocat de la partie adverse, plaidant que c'est pour jouir tout de suite d’un bel héritage qu'on craint d’attendre trop longtemps. Mais voici l'histoire, qui prend son intérêt à Nancy de ce que l’héroïne est Lorraine.
Il y a quarante ans environ, une pauvre fille, Scolastique Descharmes, quitta Saint-Nicolas-de-Port, où elle était née, et s’en alla à Paris pour être domestique. Elle avait des lettres de recommandation ; mais perdue dans la grande ville, elle ne put découvrir les personnes qu’elle cherchait. Elle entra au hasard chez un marchand de bronzes, M Forestier. Elle plut à la maîtresse de la maison, qui la garda. Puis sa maîtresse mourut ; elle resta avec M. Forestier, s’occupa de ses intérêts avec un soin, un zèle, un dévouement admirables. Après trente ans de cette belle conduite, Scolastique en fut récompensée : son maître, en mourant, lui laissa 30,000 fr. de rente.
Mlle Descharmes ne changea rien à la simplicité de sa vie, elle continua à tenir sa maison comme si son maître existait encore. Elle fit cependant rechercher ses parens, qui la croyaient morte, et leur fit du bien ; elle appela même deux nièces près d’elle ; mais quelques jours après, elle paya leur voyage et les renvoya. Alors commença l’accusation portée contre la raison de Mlle Descharmes ; les
rapports des médecins constatèrent qu’elle avait d’étranges hallucinations : elle vivait isolée, ne recevant personne que son notaire et un ancien ami de son maître ; elle ne sortait jamais et prétendait qu’elle ne le pouvait pas, qu’elle était en butte aux tracasseries d’êtres invisibles,
qu’elle nommait artificiels, des hommes et des singes qui, la nuit, venaient la tourmenter, la tiraient hors de son lit, la mettaient dans une bière, la portaient au cimetière et lui faisaient manger des morts.
Des enquêtes furent ordonnées : on trouva Mlle Descharmes parfaitement lucide, raisonnant sur toutes choses, et notamment sur les oeuvres de Voltaire et sur celles de Jean-Jacques, d’une façon remarquable. Trois fois le tribunal appelé à statuer dut rendre un arrêt de non lieu. Enfin, sur les demandes de Mme d’Egremont, nièce de Mlle Descharmes, une nouvelle enquête de médecins ayant reconnu que la folie existait, mais sans grande intensité et sans danger pour personne, le tribunal avait déclaré qu'il y avait lieu à surseoir pendant un an. Mme d’Egremont en a rappelé. A une nouvelle descente de justice, Mlle Descharmes, irritée, excitée, a divagué à plaisir ; elle a mêlé ses artificiels au préfet, à Henri IV et à Voltaire, mais cependant, sur la plaidoirie de Me Paillet, avocat de
Mlle Descharmes, la cour d’appel a conclu au sursis prononcé par les premiers juges.


Annales médico psychologiques
Juillet 1864

Médecine légale.
QUESTION D'INTERDICTION

RAPPORT
DE M. PARCHAPPE.
En vertu d'un jugement du tribunal civil de première instance du département de la Seine, en date du 30 juin 1858, qui ordonne :
«  Que par le docteur Parchappe, que le tribunal commet à cet effet et qui prêtera serment entre les mains du président du tribunal, Scholastique Descharmes sera vue et visitée à plusieurs reprises, à l'effet de rechercher et constater par tous les moyens qui seront jugés utiles par ledit docteur Parchappe, quel est actuellement l'état mental de ladite fille Descharmes et particulièrement si elle se trouve dans un état d'imbécillité, de démence ou de fureur qui la rende incapable de gouverner sa personne et d'administrer ses biens; »
Je soussigné Jean-Baptiste-Maximien Parchappe, docteur en médecine, inspecteur général de première classe des établissements d'aliénés, officier de l'ordre impérial de la Légion d'honneur, demeurant à Paris, après avoir prêté serment entre les mains de M. le président du tribunal civil, après avoir visité mademoiselle Descharmes, les 23 juillet et 12 novembre 1858, et avoir pris connaissance de divers documents. authentiques ci-dessous énumérés, ai rédigé, ainsi qu'il suit, mon rapport en réponse aux questions posées par le tribunal.

Documents.
1° Jugement du tribunal civil du 9 octobre 1841;
2° Interrogatoire de mademoiselle Scholastique Descharmes des 22 et 25 janvier 1842;
3° Certificat de M. le docteur Mitivié du 9 mars 1842;
4° Rapport de M. le docteur Trélat du 4 avril 1842;
5° Rapport de MM. les docteurs Andral, Bleynie et Ferrus du 13 avril 1843;
6° Rapport de M. le docteur Leuret du 17 juillet 1846;
7° Procès-verbal d'enquête du commissaire du 16 juillet 1846;
8° Délibération du conseil de famille du 11 janvier 1848;
9° Interrogatoire de mademoiselle Descharmes du 15 février 1848.

Faits.
Le 9 octobre 1841, sur les conclusions de M. et Mme d'Aigremont, demandant l'interdiction de mademoiselle Scholastique Descharmes, leur parente, à raison de l'existence d'un état d'aliénation mentale durant depuis sept ans, et rendant cette demoiselle incapable d'administrer ses biens et de gouverner sa personne, le tribunal civil de première instance de la Seine ordonna que le conseil de famille de mademoiselle Descharmes serait convoqué et assemblé pour donner son avis sur la situation mentale de cette demoiselle et qu'elle serait ensuite interrogée en la chambre du conseil.
Dans la délibération du conseil de famille, à la date du 14 décembre 1841, à la majorité de quatre voix contre trois, il a été conclu à la convenance de l'interdiction.
De l'interrogatoire subi par mademoiselle Descharmes, le 22 janvier 1842, devant M. Duret d'Archiac, il résulte que toutes les réponses de cette demoiselle ont été raisonnables et pertinentes, et qu'elle a expressément repoussé et nié, comme absurdes et inventés par des fous, les motifs donnés à sa réclusion volontaire dans sa maison, notamment la crainte de quelque chose dans l'air qui pourrait lui nuire, d'ennemis surnaturels, tels que génies, dragons ailés, amour armé de
traits.
La seule réponse qui ait paru s'écarter de la raison, est celle relative à des membres de sa famille... En rendant compte des relations qu'elle a eues avec une nièce, qu'elle avait désiré élever chez elle, elle a dit :
«  La petite que je désirais avoir est la fille de la paysanne représentée dans le tableau que je vous désigne, revêtue d'un costume rouge; l'homme à côté d'elle est Paul Tardif, mon cousin. »
Dans un second interrogatoire, le 25 janvier 1842, elle s'est exprimée à ce sujet ainsi qu'il suit :
«  Je ne puis pas affirmer que le personnage, que je crois représenter ma nièce dans ce tableau, soit réellement ma nièce... Tous les jours on croit voir, dans un tableau, qu'on croit ressembler à quelques-uns de nos parents. C'est pourquoi je n'ose pas affirmer que ce soit réellement le portrait de ma nièce ; mais je me rappelle parfaitement, que lorsque M. Forestier a acheté ce tableau, trois mois avant sa mort, il me fit appeler pour me le montrer, comme il le faisait habituellement. Je m'écriai: Il ressemble beaucoup à un de mes parents nommé Tardif, et à ma nièce Descharmes. »
Sur la demande de M. et Mme d'Aigremont, MM. les docteurs Mitivié et Trélat, médecins des aliénées de la Salpêtrière, ont visité mademoiselle Descharmes en mars et avril 1842.
Dans un certificat du 9 mars 1842, M. le docteur Mitivié, après avoir constaté que mademoiselle Descharmes lui a dit :
«  Qu'elle avait été toute sa vie fort tourmentée par les hommes ; qu'ils lui avaient, dans toutes les situations, suscité toute sorte de tracas de maladie; qu'ils lui avaient ravi la liberté ; que depuis quatre ans ils la tiennent à la chaîne, l'accablent d'un lourd fardeau ; que, par des moyens secrets, ils lui font éprouver une multitude de sensations, de malaises; ils influencent tout ce qui l'entoure ; ils maîtrisent toutes ses volontés, l'obligent à rester isolée, à ne recevoir personne ; l'empêchent de s'occuper de ses affaires; qu'ils exercent sur elle une machination diabolique dont elle voudrait bien être débarrassée. On lui fait espérer que cela finira au mois d'avril, lorsque sera terminée la collection de gravures des galeries de Versailles... »
Conclut en ces termes :
«  Ces préoccupations, ces illusions, cette manière d'être de mademoiselle Descharmes la tiennent dans une étreinte morale maladive, qui constitue une véritable aliénation mentale partielle. »
Dans un rapport du 4 avril 1842, M. le docteur Trélat a constaté que, durant le cours d'un long interrogatoire, mademoiselle Descharmes a fait à quelques-unes de ses questions les réponses suivantes :
«  Il ne dépend pas de moi de sortir, puisque les hommes ne le veulent pas. Les hommes ont été méchants pour moi. Je sortirai quand cela sera fini. Ma santé ! oh oui! elle est belle, ma santé ! après toutes les douleurs que j'ai éprouvées, après vingt-huit ans de martyre et tous les supplices que j'ai soufferts. »
» On me tirait les membres, on me martyrisait la tête et l'on m'avait fait devenir, à force de m'empêcher de manger et de dormir, comme un véritable squelette.
» Eh bien ! oui... les singes! voilà un beau spectacle, que les singes! Ils m'ont causé assez de mal, pour que je ne cherche pas à les voir, quand ils venaient me faire continuellement des grimaces et des insultes, quand ils m'allongeaient les jambes, quand ils m'ouvraient la bouche à me déchirer, quand ils m'écartaient les os du crâne, quand ils m'écrasaient la tête et m'adressaient mille injures..
» Je les voyais comme je vous vois.
» Ils me disaient et prétendaient exiger de moi les choses les plus horribles. Ils voulaient me forcer à me livrer à eux, et, sur mon refus, me jetaient à bas de mon lit, me réduisaient en eau de boudin, me plaçaient dans un corbillard, puis me conduisaient au cimetière où ils me faisaient manger des morts.
» - Entendiez-vous leurs voix ? - Comme je vous entends.
» - Pouviez-vous les voir? - Comme je vous vois.
» - N'avez-vous eu à vous plaindre que des singes? - Des singes et des hommes, qui ne valent pas mieux et qui m'accablaient de sottises et d'injures.
» Dominée par des influences physiques et magnétiques, elle ne peut s'y soustraire.
» - Pour qui conservez-vous donc ? - Moi, je ne conserve rien, je n'ai rien, je donne tout parce que je n'ai besoin de rien.
» - A qui donnez-vous donc ? - Je donne à M. ... pour qu'il en fasse un bon usage.» (M. le docteur Trélat a oublié le nom.)
M. le docteur Trélat a résumé son rapport en ces termes :
«  Séquestration absolue, bizarrerie de faire tout elle-même dans son grand appartement et de n'avoir, pour les commissions du dehors seulement, qu'une femme de ménage dont la présence n'est pas constante; abandon presque complet de ses affaires, de la surveillance qu'exige la propriété des biens et du bon ordre auquel l'ont toujours disposée ses goûts et ses habitudes; idées tout à fait déraisonnables; éloignement prononcé pour les liens qui ont le plus de force au fond du cœur de l'homme, ceux de la famille ; illusions et hallucination des sens tels sont les signes certains auxquels il n'est pas permis de méconnaître l'état d'aliénation de mademoiselle Descharmes. »
Un jugement du tribunal de première instance, à la date du 29 avril 1842, repoussa purement et simplement la demande en interdiction.
Sur l'appel, la cour ayant ordonné, par arrêt du 25 juilet 1842, que mademoiselle Descharmes serait examinée par trois médecins. MM. les docteurs Andral, Bleynie et Ferrus, désignés par la cour, ont consigné, dans un rapport du 13 avril 1843, leurs conclusions sous la forme de réponses à plusieurs questions qu'ils se sont posées.
A cette première question: Mademoiselle Descharmes est-elle atteinte d'une aliénation mentale parfaitement caractérisée et cette maladie est-elle de nature à enlever nécessairement à cette demoiselle le libre exercice de ses facultés intellectuelles? les experts ont donné la réponse suivante :
«  Mademoiselle Descharmes, âgée de cinquante-six ans, est d'une constitution forte et robuste même; mais elle est plus irritable que ne le sont pour l'ordinaire les gens de sa profession. Son esprit, d'une portée ordinaire, paraît naturellement droit, mais enclin à l'exaltation. Son caractère est honorable, juste, mais un peu bizarre. Sa conduite semble avoir été irréprochable, mais nous ne pensons pas que ce ne sera pas sans avoir éprouvé des combats assez vifs. Les soussignés ont reconnu, chez mademoiselle Descharmes, l'existence de quelques hallucinations qui datent de fort loin; peut-être même, ainsi que les discours de cette demoiselle pourraient le faire croire, ces hallucinations remontent-elles à la plus grande jeunesse de la malade. Mademoiselle Descharmes est persuadée que des individus malveillants, des enchanteurs même, agissent sur elle au moyen de l'électricité, quand elle quitte son domicile, et qu'ils apostent des gens pour lui faire des grimaces ou lui adresser des propositions déshonnêtes. Elle dit que, lorsqu'elle pense à sortir, elle éprouve à l'estomac un malaise, une sensation bien pénible, qui lui donne mal à la tête et qui fait disparaître sa résolution.
» Les hallucinations peuvent être considérées sans doute comme l'un des phénomènes les plus saillants et les plus caractéristiques de l'aliénation mentale; mais elles ne constituent pas par elles-mêmes une aliénation mentale incontestable et n'entraînent pas toujours le délire. Parfois, au contraire, les malades qui en sont atteints, conservent la conscience de leur état et reconnaissent eux-mêmes leur erreur. Ils ne sont pas tous dominés par leurs fausses impressions, au point d'agir conséquemment aux hallucinations qu'ils éprouvent, et quand d'autre part les déterminations auxquelles ils s'abandonnent ne nuisent à personne et ne les poussent à aucun acte nuisible, ils ne doivent pas, suivant les soussignés, être considérés comme de véritables aliénés, c'est-à-dire comme des individus qui ont perdu toute liberté morale et qui ne peuvent manquer de nuire à eux ou à la société. »
C'est en s'appuyant sur les faits par eux constatés et en leur appliquant cette doctrine sur les hallucinations, que les experts ont été conduits à conclure, en réponse aux autres questions par eux posées :
2° Qu'ils n'y avait pas lieu de considérer mademoiselle Descharmes «  comme une aliénée envers laquelle la société a des précautions à prendre ; »
3° Qu'ils ne pensent pas que la maladie de mademoiselle Descharmes puisse la porter à troubler la tranquillité publique ;
4° Qu'ils regardent la séquestration, ayant pour but le traitement de la maladie, comme inutile, à raison de son incurabilité, et comme pouvant être nuisible à la malade;
5° Qu'ils ne pensent pas que mademoiselle Descharmes «  puisse compromettre sa fortune par des prodigalités ou céder à des tentatives de captation; mais qu'ils conçoivent toutefois qu'un état semblable à celui dans lequel elle se trouve puisse inspirer, sous ce rapport, des inquiétudes; »
Enfin 6° qu'ils pensent «  que l'interdiction serait une mesure complètement superflue et dès lors beaucoup trop rigoureuse, qu'elle pourrait même entraîner des inconvénients graves par
l'affliction qu'elle causerait à mademoiselle Descharmes, et que la seule mesure qu'ils puissent regarder comme applicable serait la nomination d'un conseil judiciaire. »
Le jugement de première instance, repoussant l'interdiction, fut confirmé par un arrêt de la cour d'appel à la date du 26 juin 1843.
En exécution d'un réquisitoire du procureur du roi à la date du 26 juin 1846, le commissaire de police du quartier du Mont-de-Piété et M. le docteur Leuret, médecin de la Salpêtrière, ont dû visiter mademoiselle Descharmes et rechercher les causes de l'état de séquestration dans lequel se trouvait cette demoiselle.
Dans un rapport à la date du 17 juillet 1846, M. le docteur Leuret a constaté, en ce qui concerne l'état mental de mademoiselle Descharmes, les faits suivants, qui se trouvent aussi attestés par le procès-verbal d'enquête du commissaire de police, à la date du 16 juillet 1846:
«  La demoiselle Descharmes est une personne forte, bien » constituée, physiquement bien portante; elle est âgée de cinquante-huit ans et paraît en avoir au plus quarante-cinq... Elle n'a pour l'aider qu'une femme chargée seulement de quelques gros ouvrages et de commissions.
» C'est presque à regret qu'elle a cette femme et elle voudrait bien faire elle-même ses commissions, mais on l'en empêche.
» Interrogée sur cet empêchement, elle répond avec un calme parfait, mais d'une manière tout à fait déraisonnable. Elle serait heureuse de sortir, mais elle n'ose pas. Depuis l'âge de huit ans, elle est persécutée. Ce sont des mystères du gouvernement. Elle aime beaucoup le monde; elle aurait voulu être mariée, mais on a détourné d'elle tous ceux qui auraient pu se présenter. On a beau faire, on ne la lassera qu'en l'égorgeant. Ceux qui la tourmentent ne sont pas des » personnes déterminées, c'est tout un peuple.
» A l'âge de seize ans, persécutée comme elle l'est encore aujourd'hui, elle s'est jetée à l'eau. Alors elle était déjà et n'a pas cessé d'être la reine martyre.
» La maison qu'elle habite est remplie de gens artificiels et invisibles qui lui disent des horreurs. Quand quelqu'un vient la voir, les artificiels entendent tout ce qui se dit chez elle, dénaturent tout, et, quand ensuite elle est seule, ils lui reprochent tant d'horreurs qu'elle n'ose plus recevoir personne.
» On lui donne de l'insouciance, du dégoût, de l'ennui; on l'oblige à crier. Quand elle se met à la croisée, on lui fait des signes et on siffle pour la forcer à rentrer. Si elle sort pour acheter quelque chose, les invisibles la suivent et la persécutent.
» Pendant le récit de ses peines, elle s'interrompt à différentes reprises pour répondre aux invisibles qui, malgré notre » présence, l'interrogent, l'insultent. »
Les conclusions du rapport de M. le docteur Leuret sont les suivantes :
«  Oui, la demoiselle Descharmes est atteinte d'aliénation mentale.
» Non, elle n'a pas l'intelligence complète de sa position; mais cette position lui est imposée seulement par la maladie. »
Et il ajoute :
« Je devrais m'arrêter ici; mais, dans le cours de mon rapport, j'ai parlé de la possibilité d'un homicide, d'un incendie. J'ai parlé d'une maladie pour le traitement de laquelle le placement dans un établissement spécial est ordinairement recommandé. Que faire contre la maladie? que faire pour prévenir des malheurs reconnus possibles?
» Contre la maladie, rien; elle est très-ancienne, elle est incurable.
» Contre les malheurs reconnus possibles, une surveillance affectueuse et éclairée. La folie, longtemps stationnaire, peut tout à coup prendre de l'intensité. Si cela arrivait, c'est alors seulement qu'il faudrait y pourvoir.
Le 26 novembre 1847, sur une nouvelle demande en interdiction, le tribunal civil a ordonné que le conseil de famille serait appelé à donner son avis sur l'état mental de mademoiselle Descharmes, et qu'il serait procédé à l'interrogatoire de cette demoiselle.
Le conseil de famille, convoqué le 11 janvier 1848, a été d'avis, à la majorité de quatre voix contre trois, «  qu'il n'y a pas lieu de prononcer l'interdiction de la demoiselle Descharmes, et, aussi à la majorité de quatre voix contre trois, qu'il y aurait lieu au moins de lui nommer un conseil judiciaire. »
L'interrogatoire, subi le 15 février 1848 par mademoiselle Descharmes devant M. Louis Pasquier, juge, et M. Asse, substitut du procureur du roi, constate les faits suivants :
«  D. Quels sont vos nom, prénoms, âge, profession et domicile ?
» R. Demoiselle Descharmes Scolastique.. Juste ciel ! qu'il est difficile de sortir de la plume volante... M. Denormandie avait bien raison de le dire: Il est plus facile de gagner son bien que de le garder... Quant à mon âge, je n'en sais rien. Donnez plus qu'il y a ; mon extrait de baptême, je n'ai pas pu le lire.
» D. Êtes-vous seule ici ?
» R. Pourquoi aurais-je quelqu'un avec moi ? A l'âge de dix-neuf ou vingt ans, j'aurais pu me marier; mais des esprits invisibles m'en ont empêchée.
» D. Connaissez-vous M. de Bénazé ?
» R. Je ne sais ce que vous voulez me dire. C'est un beau protecteur, sacré matin !... Je mourrais bien de faim avec ces messieurs. Je suis une grande bête. Je voudrais que les procès se jugeassent en place publique, en présence de l'univers. Vous venez pour me tâter. Oh! justice divine! peux-tu laisser de pareils crimes s'accomplir sur la terre. Il y a dix ans que M. Forestier est mort, le 3 février. Ce mois-ci, nous allons entrer dans le printemps. Il y a longtemps que l'on me chantait Joli mois de mai, quand reviendras-tu, pour torcher le ... Et l'on ne m'a jamais rien torché.
» M. le préfet, en passant, m'a dit : Voilà une jolie affaire. Ce sont des escamoteurs. Une voix me disait : Pauvre innocente! il faut chasser tout cela. Henri IV qui tient l'épée de la paix dans les mains. Il y a trois ans que je suis seule, par économie pour mes bourreaux. Je sors avec une fille dont je suis la servante. La plus belle sainteté, ce sont les mœurs. Ce n'est pas le tout de faire des images, il faut être honnête homme.
» Il y a deux bourreaux qu'on ne voit pas. Ils sont mis là par le gouvernement. Et, comme dit M. Fontaine, tout ce qui est mystérieux est mauvais. La nuit, mes bourreaux me poursuivent encore. Je ne peux pas trouver un coin. J'ai traîné mon lit partout. C'est un mystère du gouvernement pour nous enrichir tous. C'est un nouvel arrachement de cœur pour enrichir les bourreaux.
» Si ma fortune était bien administrée, j'aurais 30 000 livres de rente. J'ai 5000 francs sur le grand livre, une maison rue de Richelieu. Je n'amasse rien, parce qu'il y a des escamoteurs.
» Quand je vois des hommes, je crains toujours de les offenser, parce qu'il ne faut pas donner la main à personne.
» Partout où j'ai été, j'ai eu la confiance de tout le monde. Je ne tiens pas d'écritures. On ne veut pas me laisser de plumes. Dès l'âge de six ans, on m'enlevait toutes les bonnes.
» On a mis mon père en prison. On a fait engager mon frère avant qu'il n'ait l'âge, et on l'a fait insulter par le curé.
» J'ai entendu dire qu'il y avait eu dans la noblesse des gens qui nous avaient pris notre bien.
» L'hôpital, les pensions, les couvents: je ne puis supporter tout cela. J'aime la liberté.
» Nous devons constater que, pendant toute la durée de l'interrogatoire, la demoiselle Descharmes a montré une grande exaltation. A chaque instant, elle se levait et se promenait dans son appartement. Elle parlait très-haut, et quelquefois semblait excitée par la colère. Quand nous sommes arrivés, elle nous a dit que nous étions des voleurs. Et ce n'est qu'après des explications assez longues que nous sommes parvenus à lui faire entendre que nous étions délégués par la justice et qu'elle devait nous répondre. Sa conversation est très-décousue : elle passe d'une idée à l'autre sans transition. Ce qui paraît la dominer, c'est la crainte des esprits invisibles et des bourreaux, qui la tourmentent continuellement. Elle parle aussi d'artificiels et nous a même donné ce nom à plusieurs reprises, et nous a dit aussi que, s'il y avait une justice, nous serions tous pendus; et a répété aussi plusieurs fois qu'elle aurait bien voulu se marier, mais que ses bourreaux ne le lui ont jamais permis; que ce sont des arrachements de cœur. Comme aussi, qu'on lui faisait dire, malgré elle, une foule de cochonneries; qu'elle est très-bonne, mais que d'un agneau on fait souvent un tigre. »
Par jugement du 5 mai 1848, le tribunal de première instance a sursis à statuer pendant un an sur la demande en interdiction, et a nommé le sieur Debiche administrateur des biens et affaires de ladite demoiselle.
Enfin, c'est par suite d'un jugement du 30 juin 1858 que j'ai dû visiter mademoiselle Descharmes, et constater son état mental actuel.
Voici en fait les résultats de l'examen que j'ai fait de cette demoiselle, à deux reprises et à un intervalle suffisamment considérable, le 23 juillet et le 12 novembre 1858.
Le 23 juillet 1858, j'ai visité, pour la première fois, mademoiselle Descharmes à son domicile, rue Vieille-du-Temple, n° 75.
Je l'ai trouvée tenant à la main un plumeau dont elle ne s'est pas dessaisie pendant toute la durée de ma visite, et dont elle se servait, en passant d'un appartement à un autre, pour épousseter, tout en causant, ses meubles ou ses tableaux.
J'étais accompagné de M. Debiche, son administrateur provisoire.
Elle ne s'est nullement enquise de l'objet de notre visite. Et, sans qu'il ait été nécessaire de la provoquer, elle s'est mise à parler presque sans interruption. A peine était-il nécessaire de placer de temps en temps un mot dans la conversation, pour entretenir ce qui était chez elle plutôt un monologue qu'une causerie.
Il y a généralement très-peu de suite dans les discours de mademoiselle Descharmes. Elle passe sans transition d'un sujet à un autre. Constamment ses paroles se rapportent à elle-même, à ses intérêts, aux événements de sa vie passée et présente.
Ce qui domine dans ses idées et dans ses paroles, c'est la préoccupation incessante d'une action fâcheuse exercée sur elle par un invisible, qui habite en haut le troisième étage. Cet invisible dont elle ne sait pas le nom, les occupations, et dont elle ne comprend pas les motifs, lui parle surtout par le tuyau de la cheminée et agit sur elle à chaque instant du jour et de la nuit.
Cet invisible lui dit et lui fait des saletés, des cochonneries. La nuit, il lui introduit dans les parties des instruments comme ceux dont se servent les médecins.
Mais ce n'est pas seulement la nuit que l'invisible agit ainsi sur elle; au moment même où elle me parle, elle sent qu'il est là.
Sur la demande que je lui fais de m'indiquer comment elle s'aperçoit de sa présence, si elle le sent par l'odorat, ou par le toucher, elle me répond brusquement: «  Faut-il donc vous dire comment je le sens. Eh bien! il me déchire le cul. » Elle n'a jamais pu parvenir à le voir. Souvent elle l'a poursuivi sans pouvoir l'atteindre.
Elle ne sait pas qui il est. C'est sans doute un Normand, un Dauphinois ou un juif. Peut-être bien aussi est-ce un Auvergnat ou un frère coupe-choux.
Il y a bien longtemps que cet invisible la persécute. Il agissait sur elle déjà avant d'entrer dans la maison où elle est. C'est lui qui a fait mourir toutes les personnes qu'elle a connues ; la parente de M. Forestier, M. Forestier lui-même et beaucoup d'autres personnes dont elle cite les noms.
C'est à son action que sont dus les arrachements de cœur qu'elle a plusieurs fois éprouvés.
C'est lui qui lui a donné sa maladie du mois de janvier dernier. Elle a été prise, dans le voisinage des lieux d'aisance, par un frisson qui revenait sans cesse. Elle souffrait dans le corps. Elle ne pouvait plus manger. L'invisible la dégraissait. C'est ainsi qu'il agit pour rendre malade : il dégraisse.
Si elle ne sort pas de sa maison, c'est à cause de l'invisible qui la cerne. Ce n'est pas la crainte d'être volée pendant son absence. On la vole très-bien malgré qu'elle soit présente.
Elle n'est pas heureuse. On la vole de tous les côtés. Elle n'a pu jouir de sa fortune, ni se marier. C'est l'invisible qui l'en a empêchée.
Tous ses tableaux, qu'on vante tant, ne valent pas la peine qu'ils lui donnent pour les tenir propres. Au reste, ces tableaux sont une comédie. Il y en a un, qu'elle montre, et dont le sujet est une présentation d'enfants de paysans par leurs parents à un vieillard assis, qui est une vraie plaisanterie. On prétend que ce sont les portraits de ses parents.
Du reste, elle se porte assez bien maintenant; elle mange avec appétit et ne dort pas trop mal, quand l'invisible cesse de la tourmenter.
Le 12 novembre 1858, j'ai visité, pour la seconde fois, mademoiselle Descharmes. MM. Debiche, notaire, et Quillet, avoué, étaient présents.
Je l'ai trouvée occupée à essuyer ses meubles avec un torchon qu'elle n'a pas abandonné, et dont elle a continué à se servir de temps en temps, pendant toute la durée de ma visite.
Elle a paru soupçonner de m'avoir vu précédemmment, sans pouvoir préciser l'époque. Elle m'a demandé si je venais la délivrer. Elle a prétendu que j'étais un de ceux qui l'empêchaient de sortir, de concert avec l'homme de là-haut. L'homme de là-haut se dit mouchard et voleur. Il est mouchard du gouvernement. C'est un Auvergnat, un Normand et un juif. Ils sont plusieurs. C'est lui qui la tourmente. Il lui parle par la cheminée. Il lui introduit des instruments dans les parties. C'est ainsi qu'on l'a dégraissée, en lui mettant quelque chose dans le derrière, comme le font les tortues.
Elle voudrait bien sortir et s'amuser comme les autres, aller à l'Opéra. Mais on lui a fait perdre ses charmes. On la tourmente et on la vole. Si on faisait bonne justice, on pendrait tout ce monde-là, et nous-mêmes qui la tourmentons, elle ne sait pourquoi.
Je trouve mademoiselle Decharmes plus excitée et plus continuellement délirante que dans ma visite précédente. Ses mouvements sont plus brusques, sa parole plus saccadée, ses pommettes sont sensiblement colorées. Elle ne cesse de parler, même sans qu'on la provoque. Sa conversation fort décousue, fort incohérente, tourne néanmoins toujours autour du même sujet principal, les tourments que l'homme de là-haut lui fait subir. Je lui demande si elle a vu quelquefois cet homme; elle me répond que non ; qu'on ne veut pas qu'elle puisse le voir; que c'est pour elle seule qu'il est invisible. Elle prétend que je pourrais le voir, puisque je pourrais aller là-haut.
Je lui rappelle qu'elle m'a dit avoir cherché à voir cet homme et l'avoir même poursuivi. «  Oui, dit-elle, j'ai été frapper deux fois à sa porte et je lui ai offert toute une fortune, s'il voulait me laisser en repos. »
Je lui demande comment elle conçoit que cet homme qu'elle ne voit pas puisse agir sur elle; elle me répond : «  Ne le savez vous pas, c'est par le magnatisme. Tous ces médecins ne magnatisent-ils pas leurs malades, ceux des hôpitaux surtout; il en est venu un chez moi. »
Je lui demande s'il est vrai qu'on l'ait volée : «  Mais oui, on me vole sans cesse »; si on n'a pas réclamé d'elle une somme importante qu'elle a consenti à donner: «  Oui, on a voulu mon argent, et je l'ai donné »; à combien s'élevait cette somme «  Est-ce que je sais, de 40 à 50 000 francs. »
En définitive, pendant toute la durée de ma visite, mademoiselle Descharmes n'a pas cessé de manifester le trouble le plus complet de la raison, offrant principalement et d'une manière spéciale les symptômes suivants : hallucinations de l'ouïe et de la vue, illusions des sens, conceptions délirantes, instabilité dans les idées, associations bizarres d'idées hétérogènes, incohérence dans les discours, affaiblissement des facultés intellectuelles, notamment de l'attention et du jugement.

Discussion.
De l'ensemble de ces faits il résulte évidemment non pas seulement que mademoiselle Descharmes est actuellement atteinte d'aliénation mentale, mais encore que cette maladie remonte, dans son existence certaine, au moins jusqu'à l'époque où elle a été positivement constatée et parfaitement caractérisée, pour la première fois, en mars et avril 1842, par MM. les docteurs Mitivié et Trélat, qui ont signalé, comme symptômes dominants, des conceptions délirantes relatives à des persécutions, à des tourments imaginaires, appuyées sur des illusions et des hallucinations.
En effet, les éléments les plus saillants du délire constaté par ces médecins se retrouvent dans la mention succincte faite par MM. les docteurs Andral, Bleynie et Ferrus, de ce fait par eux constaté en avril 1843, que mademoiselle Descharmes, qui a des hallucinations, est persuadée que des individus malveillants, des enchanteurs même, agissent sur elle au moyen de l'électricité quand elle quitte son domicile et qu'ils apostent des gens pour lui faire des grimaces ou lui adresser des propositions déshonnêtes.
Les mêmes éléments de délire ont été signalés, avec des détails caractéristiques, en 1846, par le docteur Leuret, qui s'est appuyé sur leur existence pour conclure positivement à l'existence de l'aliénation mentale. Ils se retrouvent associés à un trouble plus étendu de la raison, dans les paroles recueillies et les faits constatés par l'interrogatoire du 15 février 1848.
Enfin, ce sont encore les mêmes symptômes, aggravés par leur association à l'affaiblissement de l'intelligence et à l'incohérence, qui constituent la partie active du délire par moi-même constaté dans mes visites du 23 juillet et du 12 novembre 1858.
Il résulte aussi de l'ensemble de ces faits que l'aliénation mentale, dont mademoiselle Descharmes était atteinte dès 1842, s'est graduellement aggravée depuis cette époque jusqu'à l'époque actuelle, et qu'elle avait déjà, dès le 15 février 1848, pris en étendue et en intensité les caractères qui appartiennent à la démence confirmée.
En effet, en janvier 1842, mademoiselle Descharmes pouvait soutenir un interrogatoire sans laisser percer les symptômes de la maladie dont elle était atteinte, et elle était encore capable de dissimuler ses conceptions délirantes et même de les nier.
En mars 1842, M. Mitivié signale seulement des préoccupations et des illusions, et ne conclut qu'à une aliénation mentale partielle.
En avril 1842, M. le docteur Trélat ne parvient qu'à l'aide d'un long interrogatoire à obtenir de mademoiselle Descharmes des détails circonstanciés sur les données de son délire.
En avril 1843, MM. Andral, Bleynie et Ferrus constatent que mademoiselle Descharmes raisonne parfaitement juste sur tout autre sujet que celui de ses hallucinations, que ses habitudes ainsi que son maintien sont celles d'une personne pleine de sens et de convenance..., qu'elle montre des égards et de la politesse envers les personnes avec lesquelles elle conserve des rapports...
Dans le procès-verbal d'enquête du commissaire de police, à la date du 16 juillet 1848, ce fonctionnaire constate qu'en ce qui se rapporte à sa fortune, mademoiselle Descharmes est entrée dans des détails fort explicites, qu'elle s'est expliquée d'une manière fort claire et fort précise, et comme quelqu'un qui aurait joui de toute la plénitude de sa raison.
Néanmoins, dès les premières questions, contrairement à ce qui a été observé en 1842 par M. le docteur Trélat, mademoiselle Descharmes a manifesté avec la plus entière évidence les conceptions délirantes qui troublent sa raison. Et M. Leuret a reconnu qu'interrogée sur l'empêchement qui existe à ses sorties, elle répond avec un calme parfait, mais d'une manière tout à fait déraisonnable.
En 1848, l'interrogatoire de mademoiselle Descharmes la montre dominée par ses conceptions délirantes au point d'en faire le sujet unique et continuel de ses conversations, et de plus incapable de lier entre elles ses idées dans des raisonnements suivis, et de réprimer ses tendances à la grossièreté dans les propos et à l'injustice injurieuse dans ses accusations. Ainsi elle traite de voleurs les magistrats qui se présentent chez elle pour l'interroger, et dit que si l'on faisait bonne justice ils seraient pendus.
A un intervalle de dix ans, je retrouve mademoiselle Descharmes dans le même état. Il n'est pas besoin de la presser pour obtenir par la parole les manifestations de son délire. Au premier mot qu'on lui adresse, elle se met d'elle-même à délirer et déraisonner. Les questions qu'on lui fait ne sont qu'un prétexte pour des monologues sans fin, dans lesquels dominent toujours des conceptions délirantes sur ses persécuteurs invisibles et sur les horribles effets de leur action surnaturelle, mais dans lesquels se trouvent rapprochées, sans suite et sans liaison, les idées les plus disparates, les propositions les plus bizarres. Au milieu des divagations incohérentes de mademoiselle Descharmes, j'ai retrouvé aussi la grossièreté des propos, l'exaltation et la brusquerie allant jusqu'à la colère et les accusations injurieuses dirigées contre les personnes présentes.
Ainsi, nous avons été rangés par elle, comme elle l'avait fait pour les magistrats de 1848, au nombre de ces persécuteurs qui mériteraient d'être pendus s'il y avait de la justice.
C'est sans doute parce que la maladie n'avait pas atteint dès 1842 et 1843, en étendue et en intensité, toute la gravité qui s'est révélée depuis, dès 1846 et surtout en 1848, que les experts désignés en 1842 par la cour d'appel pour apprécier l'état de mademoiselle Descharmes, se rencontrant d'ailleurs très-probablement, au moment de leur examen, avec une de ces périodes de rémission qui ne sont pas rares dans le cours de la folie, n'ont pas reconnu, dans la maladie dont ils ont trouvé mademoiselle Descharmes atteinte, une aliénation mentale parfaitement caractérisée.
Mais si ces experts, malgré leur savante expérience et leur incontestable compétence, ont pu se trouver conduits à une appréciation évidemment erronée, et s'ils ont été surtout amenés à formuler les conclusions qui ont déterminé chez les magistrats la conviction qui a motivé le rejet absolu de la demande d'interdiction par l'arrêt de 1843, et le doute qui a motivé l'ordre d'un sursis d'un an dans le jugement de 1848, c'est principalement parce que les experts ont étudié, apprécié et interprété les faits offerts à leur observation par mademoiselle Descharmes, à l'aide d'une doctrine sur les hallucinations qui, manquant de précision et d'exactitude, rend l'erreur possible et même facile.
Bien que l'état actuel de mademoiselle Descharmes, à cause de l'intensité et de l'étendue du trouble de sa raison et de l'existence incontestable de tous les symptômes caractéristiques de la démence, rende désormais inutile, en ce qui la concerne, toute appréciation qui se fonderait exclusivement sur la valeur des hallucinations qu'elle éprouve, considérées comme signes absolus de l'existence de l'aliénation mentale, je pense qu'il est de mon devoir, dans l'intérêt des principes qui doivent assurer une bonne administration de la justice, de substituer ici à la doctrine inexacte et incomplète, impliquée dans les propositions formulées par les experts sur les hallucinations, une doctrine qui, fondée sur l'observation et sur une interprétation saine des faits qu'elle révèle, me paraît destinée à prévaloir dans la jurisprudence aussi bien que dans la science.
Il est vrai, comme l'ont fort instamment dit les experts, que les hallucinations ne constituent pas par elles-mêmes une aliénation mentale incontestable et n'entraînent pas toujours le délire. C'est précisément pour cela qu'il est nécessaire de déterminer rigoureusement à quels caractères on peut distinguer l'hallucination, qui est un symptôme d'aliénation mentale, de celle qui est compatible avec la santé d'esprit.
«  Parfois, ajoutent les experts, au contraire, les malades qui en sont atteints conservent la conscience de leur état et reconnaissent eux-mêmes leur erreur. Ils ne sont pas tous dominés par leurs fausses impressions au point d'agir conséquemment aux hallucinations qu'ils éprouvent; et quand, d'autre part, les déterminations auxquelles ils s'abandonnent ne nuisent à personne et ne les poussent à aucun acte nuisible, ils ne doivent pas, suivant les soussignés, être considérés comme de véritables aliénés, c'est-à-dire comme des individus qui ont perdu toute liberté morale et qui ne peuvent manquer de nuire à eux ou à la société. »
Aucune des circonstances auxquelles il est fait allusion dans ces propositions, ne peut être légitimement considérée comme fournissant un caractère certain de la nature délirante ou non délirante des hallucinations et de leur dépendance ou de leur indépendance, par rapport à l'existence de l'aliénation mentale. J'ai eu plusieurs fois l'occasion de constater, dans ma pratique, que des individus atteints d'aliénation mentale hésitaient à ajouter foi pleine et entière aux hallucinations qui faisaient partie de leur délire, et se montraient même disposés à reconnaître leur erreur. Ils n'en étaient pas moins parfaitement aliénés au moment même où ils reconnaissaient cette erreur, ainsi que le prouvait la persistance d'autres symptômes positifs de folie. C'est surtout au début de l'aliénation mentale que j'ai observé ce fait.
Chez beaucoup d'aliénés, les hallucinations qu'ils éprouvent ne sont les motifs d'aucune action qui puisse être considérée comme la conséquence immédiate et certaine de leurs hallucinations. La nature inoffensive des actions auxquelles les aliénés sont déterminés par leurs hallucinations, ne prouve rien en faveur de l'intégrité de leur raison et de la conservation de leur liberté morale.
Il doit être très-rare, et il est pour moi sans exemple, que dans l'aliénation mentale le phénomène auquel on a donné le nom d'hallucination se produise seul et sans qu'il soit possible, à l'aide d'un examen approfondi, de saisir d'autres troubles caractéristiques de l'existence de l'aliénation mentale.
Mais, quand il arrive qu'on soit obligé de se prononcer absolument et exclusivement sur la valeur à attribuer, comme signe de l'existence de l'aliénation mentale, à un fait d'hallucination positivement constaté et suffisamment circonstancié, voici à quels caractères il est permis et nécessaire de reconnaître, dans les hallucinations, un symptôme positif et certain d'aliénation mentale.
Si les hallucinations impliquent des faits et entraînent, quand il y est ajouté foi, des conceptions et des croyances contraires à ce qui constitue le sens commun, la raison commune, dans le temps et dans le pays où vit l'halluciné, et à plus forte raison si ces faits, ces conceptions et ces croyances ont, pour tous les temps et pour tous les pays, les caractères d'absurdité qui n'appartiennent qu'au rêve ou au délire, l'hallucination a, dans ce cas, l'un des caractères essentiels qui autorisent à la rapporter comme symptôme à un trouble actuel de la raison, elle est une hallucination délirante.
Si les hallucinations qui impliquent ainsi des conceptions délirantes, entraînent, chez celui qui en est atteint, une croyance ferme et persévérante à la réalité des faits impossibles et absurdes, suivant la raison commune, que ces hallucinations supposent, la croyance ferme et persévérante, prêtée à la réalité des objets d'une hallucination délirante, exprime un trouble absolu et persévérant de la raison, et est un symptôme absolu d'aliénation mentale chez tout individu qui n'est pas actuellement dans un état accidentel de fièvre ou d'intoxication alcoolique ou narcotique.
Le plus ordinairement, dans ces cas d'hallucinations délirantes avec croyance à la réalité de leurs objets impossibles et absurdes, les aliénés qui en sont atteints, admettent les données insensées de ces hallucinations comme mobiles et comme motifs dans leurs actions, et cette subordination des habitudes et des actions de la vie aux données impossibles et absurdes d'hallucinations délirantes, auxquelles on ajoute foi, est un troisième caractère des hallucinations de la folie qui renforce et corrobore les deux caractères essentiels qui suffisent à la constituer.
Dans l'espèce, les hallucinations chez mademoiselle Descharmes ont offert à toutes les époques ces trois caractères.
Ainsi ces hallucinations impliquaient, d'après les observations de MM. Trélat, Leuret, Andral, Bleynie et Ferrus, d'après l'enquête du commissaire de police et l'interrogatoire de 1848, et d'après mes propres observations, des actions impossibles et absurdes, attribuées à des agents imaginaires ou surnaturels, des singes, des invisibles, des artificiels, des enchanteurs, et expliquées, contrairement au sens commun, par des influences incapables de les produire.
Mademoiselle Descharmes a eu constamment des hallucinations délirantes. D'après tous les documents qui me sont connus à partir du 9 mars 1842 jusqu'à ce jour, elle a constamment ajouté foi pleine et entière à la réalité des faits impliqués par ses hallucinations et les conceptions délirantes qui s'y rattachent.
Constamment aussi, depuis cette époque, ces hallucinations et les conceptions délirantes, qui y sont inhérentes, ont influencé comme mobiles et comme motifs ses habitudes et ses actions.
C'est dans ces hallucinations et les conceptions délirantes, qui en font partie, qu'elle a trouvé les motifs de son isolement et de sa séquestration volontaires pendant un si grand nombre d'années. C'est au moyen des conceptions délirantes, entées sur ces hallucinations, qu'elle explique tous les faits de sa vie privée.
Il est difficile de croire que ces conceptions délirantes aient pu constamment demeurer sans influence sur beaucoup de faits de sa vie, qui ne sont pas exactement connus, et notamment sur ceux qui se rapportent à l'emploi de ses revenus.
Elle m'a dit avoir offert toute sa fortune, au travers de la porte de l'appartement où elle allait le chercher, à l'invisible qui la persécute, pour obtenir qu'il cessât de la tourmenter.
Les hallucinations auxquelles mademoiselle Descharmes est habituellement sujette depuis 1842, ont offert constamment, depuis cette époque jusqu'à ce moment, les caractères de symptômes positifs et évidents d'un état maladif appartenant à l'aliénation mentale.

Conclusions.
De l'ensemble des faits que j'ai exposés et discutés dans ce rapport, je me crois en droit de conclure d'abord et d'une manière générale :
1° Que mademoiselle Descharmes est actuellement atteinte d'une aliénation mentale, qui remonte, dans son existence continue, d'après des constatations certaines, au moins jusqu'au 9 mars 1842;
2° Que cette maladie, qui n'a pas cessé d'être principalement caractérisée par des illusions, des hallucinations et des conceptions délirantes, s'est graduellement aggravée, et avait pris,
dès le mois de février 1848, tous les caractères qui appartiennent à la démence confirmée.
Puis et d'une manière spéciale, en ce qui concerne l'état actuel de mademoiselle Descharmes :
3° Que l'état, dans lequel j'ai trouvé mademoiselle Descharmes, les 23 juillet et 12 novembre 1858, offre avec la plus entière évidence tous les symptômes d'une folie mélancolique avec illusions, hallucinations et conceptions délirantes, parvenue, après une longue durée, à l'état chronique, et ayant revêtu, pour ne plus les perdre, à raison de l'association à ces symptômes de l'instabilité dans les idées, de l'incohérence dans les raisonnements, et de l'affaiblissement des facultés intellectuelles, surtout du jugement, les traits qui caractérisent essentiellement la démence ;
4° Que cet état de démence constitue une maladie incurable, qui a pour effet d'entraîner nécessairement d'une manière permanente, chez mademoiselle Descharmes, la perte de la liberté morale et l'incapacité absolue d'administrer sa fortune et de gouverner sa personne.
 

Rédaction : Thierry Meurant

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