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Réponse du Directoire de la Meurthe aux réquisitions de Saint-Just et Lebas
21 décembre 1793


LE DIRECTOIRE DESTITUÉ DU DÉPARTEMENT DE LA MEURTHE A LA CONVENTION NATIONALE.

Les représentans du peuple Saint-Just et Lebas, envoyés extraordinairement par la convention nationale aux années du Rhin et de la Mozelle, ont accusé l’administration du département de la Meurthe de mollesse et de mauvaise foi dans la fourniture du contingent des subsistances militaires ; ils ont ajouté qu’il existoit entre quelques départemens une coalition pour affamer l’armée du Rhin. C’est d’après ces motifs qu’ils ont cassé l’administration de la Meurthe, et traduit son directoire au comité de sûreté générale pour y rendre compte de sa conduite.
Depuis plus d’un mois nous sommes détenus ; sans doute l’importance et la multiplicité des opérations du comité ne lui ont pas permis jusqu’à présent de nous entendre.
L’inculpation dirigée contre nous paroît grave, tant par la nature du délit qu’elle poursuit, que par le caractère et la réputation des dénonciateurs. On n’a pas encore, il est vrai, précisé les faits qui ont pu servir de bases à l’arrêté des représentans Saint-Just et Lebas; et nonobstant cela nous restons enveloppés dans une mesure sévère et flétrissante, sans en connoître le principe et la cause : cependant, quelque vague que soit l’inculpation qui pèse sur nous, nous allons essayer d’y répondre par l’exposition simple et franche de notre conduite.
Heureusement nous ne sommes pas réduits à étayer notre justification sur la subtilité et les efforts du raisonnement ; nous dirons ce que nous avons fait. Ce sera notre seule défense, c’est celle qui convient le mieux à la vertu et au patriotisme.
Saint-Just et Lebas ont dû être rigides contre nous, quand ils croyoient appercevoir des vices ou de la tiédeur dans nos opérations administratives : mais quand ils sauront que nous ayons parcouru une carrière orageuse et pénible, avec tout le zèle et toute la fermeté dont nous étions capables ; quand ils sauront qu’il n’est peut-être pas d’administration dans la république qui ait suivi de plus près que nous le char révolutionnaire dans sa course rapide et majestueuse, alors sans doute ils seront les premiers à nous venger de l’erreur qu’ils ont commise envers nous.
Le directoire du département dénoncé par Saint-Just et Lebas, doit son existence aux représentans du peuple Soubrani, Ehrmann et Richaud, qu’un décret du 31 juillet avoit chargés de la recomposition de ce corps administratif ; il succédoit à une administration provisoire, qui avoit remplacé l’ancienne, suspendue par le décret du 27 juin précèdent. Dans quel état a-t-il donc trouvé les choses à l’époque de son installation ? qu’a-t-il fait depuis ? et que lui restoit-il à faire ?
L’approvisionnement des armées en vivres et fourrages étoit alors encore exclusivement confiée à une administration particulière, établie pour les subsistances militaires ; elle ressortissoit immédiatement au conseil exécutif. Les administrations de département et de district n’étoient chargées que de la fourniture des voitures nécessaires aux transports et aux versemens.
Les magasins de la république ne présentoient presque par-tout qu’un vuide effrayant : les places fortes étoient dépourvues, les armées ne vivaient qu’au jour la journée. La rareté réelle ou factice des grains présageoit une détresse générale ; leur cherté progressive élevoit cette denrée à un taux énorme qui rompit toute proportion entre la valeur des autres denrées nécessaires à la vie.
Les abus nombreux qui entravoient le service des subsistances, abus qui provenoient la plupart du défaut de concert ou de l’inexpérience de quelques agens subalternes employés dans cette partie, excitoient toute la sollicitude du département : il observa, il approfondit cette branche si essentielle de l’administration publique ; le premier peut-être il souleva le voile qui couvroit les ressorts de son organisation; le premier il sonda le gouffre où le ressources en ce genre alloient quelquefois s’engloutir. Un arrêté du 10 août dernier (vieux style) fut le résultat de ses recherches et de ses méditations ; cet arrêté, dont les dispositions sont combinées dans l’intérêt public et dans l’intérêt particulier des administrés du département, substitua provisoirement à l’ancien mode d’approvisionnement un système plus simple, plus économique. La liberté des achats, sans accélérer l’approvisionnement des armées, ouvroit une porte trop facile aux déprédations ; elle entretenoît le prix des denrées dans une cherté désespérante pour les pauvres et les ouvriers. Enfin, elle occasionnoit souvent des alarmes et des mouvemens populaires, qui ne pouvoient que ralentir et même compromettre la subsistance des armées.
L’arreté du 10 août au contraire assuroit à la fois et avec moins d’inconvénient l’approvisionnement des armées et l’approvisionnement des communes de la Meurthe ; chaque arpent de terre ensemencé de grains ou de légumes, chaque fauchée de pré devoit fournir dans une proportion donnée un certain contingent aux magasins de la république.
Cette mesure fut accueillie avec joie dans tout le département. L’arrêté fut adressé à la convention nationale, à ses comités militaires, des subsistances et de salut public. Le comité de salut public en approuva les principes ; et dans une lettre qu’il écrivit à cette occasion, il annonça qu’il les croyoit trop utiles pour ne pas en étendre l’application à toute la république.
Peu de temps après intervint une loi générale dont les dispositions ont la même base que l’arrêté du département de la Meurthe. L’administration des vivres fut réduite aux soins et aux devoirs de la simple manutention et du paiement des subsistances.
Il est bon de rappeller aussi que, quelque temps avant l’installation du directoire dénoncé, les représentans du peuple près l’armée de la Mozelle, Meignet, Soubrani et Levasseur de Sarrebourg, s’ouvrirent à Harlant, qui remplissoit alors provisoirement les fonctions de procureur-général- syndic sur les besoins de cette armée ; ils réclamoient des secours pressans.
On leur fit connoitre sur le champ l’état des grains qui existoient dans le département, l’apperçu de ce qu’on pouvoit en extraire, et les moyens d’en effectuer rapidement la levée et le transport. Dans l’espace de huit jours, environ 35,000 quintaux dévoient être versés dans les magasins militaires de la Mozelle. Les besoins de cette armée étoient si urgens, qu’on fut obligé de mettre simultanément en réquisition les moulins, les farines et les fours particuliers dans les districts de Nancy, Toul, Pont-à-Mousson, Salins-Libre, ci-devant Château-Salins, et Dieuze. On dépouilla ces districts de subsistances pour en assurer aux soldats de !a liberté ; mais les administrateurs de la Meurthe et leurs concitoyens ne savoient calculer ni regretter aucune privation, quand il s’agissoit du salut des armées et conséquemment de celui de la patrie. Nous invoquons ici avec confiance le témoignage des représentans Meignet, Levasseur et Soubrani, sur les efforts et l’activité que le département a déployés dans cette occasion.
La moisson n’étoit pas encore ouverte et malgré cela, il falloit encore pourvoir aux besoins des différentes garnisons qui existoient dans le département, des dépôts nombreux qui dévoient s’y organiser, et sur-tout des passages continuels que les mouvemens des troupes, et la défense des deux importantes frontières qui l’avoisinent, occasionnoient.
Dans le même temps arriva l’armée de Mayence ; elle n’étoit ni annoncée, ni attendue ; elle devoit prendre pendant quelques jours des cantonnemens dans la Meurthe, avant de porter le fer exterminateur dans l’infâme pays de la Vendée. Les cantonnemens sont distribués, et nous achevons de nous épuiser pour alimenter cette armée, pour alimenter une partie de nos frères du département de la Meuse qui n’avoient pas encore récolté, pour alimenter ceux des Vosges, dont des députations fréquentes venoient nous retracer la misère et la pénurie.
Pendant leur séjour à Nancy, les représentans Soubrani, Ehrmann et Richaud, désirèrent de connoître les ressources en grains du département, pour fixer d’une manière invariable le contingent qu’il pourrolt fournir à l’armée de la Mozelle ; ils provoquèrent à cet effet en leur présence, une conférence entre le directoire et quelques agens principaux de l’administration des vivres. Ceux ci témoignoient beaucoup d’embarras sur les approvisionnemens ; ils en attribuoient la cause à l’arrêté du 10 août. Le directoire n’eut pas de peine à convaincre les représentans que cet arrêté meme prévenoît les embarras dont on se plalgnoît, et il annonça que l’apperçu de la récolte faisoit espérer que le département pourroit fournir 150,000 quintaux de grains. La possibilité d’une extraction aussi considérable détermina les représentans à régler leurs requisitions, et le contingent de la Meurthe pour l’armée de la Mozelle fut arrêté peu de temps après à 150,000 quintaux de bled, 119,000 sacs d’avoine et 200,000 quintaux de foin.
Mais les obligations et les efforts du département ne furent pas bornés à cela : les ressources disponibles, venoient d’être affectées à l’entretien des troupes de la Mozelle, lorsque les besoins de l’armée du Rhin l’avoient encore fait comprendre dans les réquisitions des représentans attachés à cette division, pour un contingent de 50,000 quintaux de bled, 100,000 sacs d’avoine, et 100,000 quintaux de foin.
Une quantité aussi prodigieuse de denrées ne pouvoit être puisée dans le territoire de la Meurthe, sans compromettre la subsistance d’une partie de ses habitans. Les administrateurs ne dévoient pas moins veiller sur les besoins de leurs communes, que sur ceux des armées ; maïs ces derniers ne pouvoient être ajournés sans crime et sans danger, tandis qu’on pouvoit entamer l’approvisionnement annuel des citoyens, en le faisant completter ensuite par des reversemens des départemens de l’intérieur sur le notre.
Nous nous attachâmes à ce dernier parti, et nous en fîmes la règle de notre conduite. C’étoit aussi le seul que la prudence pouvoit autoriser, puisqu’il concilioit tout ce que nous devions aux armées et à nos concitoyens.
Les premiers états de recensemens que les districts nous adressèrent, ne pouvoient que déconcerter nos mesures, si l’expérience ne nous avoit averti que l’égoisme, la crainte et l’inexactitude exagéroient souvent dans les campagnes les besoins, et rabaissoient presque toujours le produit des ressources locales ; ces états ne présentoient pas moins qu’un déficit de 300,000 quintaux de grains pour la propre subsistance des communes; mais en réduisant ce tableau au tiers de son apperçu, c’étoît toujours un vuide énorme qu’il falloit réparer par les reversemens de l’intérieur : ces reversemens formoient notre unîque espoir, nous fîmes des démarches près du conseil exécutif pour le réaliser.
La récolte des bleds fut assez bonne ; celle des avoines n’avoit pas produit le tiers de l’année précédente ; celle des foins étoit médiocre ; les longues et brûlantes sécheresses de l’été avoient détruit les regains, les légumes secs et les pommes de terre.
Telle étoit la situation de notre département. Nous avions à nourrir en même temps les armées, les communes, les établissemens publics, les étapiers, les maîtres de poste.
La récolte étoit à peine achevée, que des cris de disette frappoient déjà nos oreilles et retentissoient dans nos cœurs : des pétitions individuelles et innombrables sembloient nous annoncer l’hideuse perspective de la famine : des députations de départemens voisins, de districts, de municipalités se succédoient journellement à nos séances.
La matière des subsistances absorba pendant long-temps toutes nos idées, toute notre attention ; jour et nuit elle fut l’objet de notre plus vive sollicitude. Le directoire suffisoit à peine à tous les soins, à toutes les demandes.
Les réquisitions pour l’approvisionnement des deux armées ne comportoient pas le moindre délai ; et cependant il falloit encore garnir les marchés publics.
Les battages des grains étoient devenus quelque temps moins actifs par la levée en masse, que les représentans du peuple venoient de requérir.
Le féroce autrichien menaçoit les lignes de Weissembourg ; les défenseurs de la république soutenoient depuis plusieurs jours le choc d’une armée supérieure, à qui des trahisons préparoient le succès momentané qu’elle obtint sur cette frontière. A peine le cri de la patrie en danger se fait-il entendre sur les bords de la Meurthe, dix superbes bataillons volent sur les bords du Rhin ; ces forces sont levées, organisées et rendues à l’armée avec des pièces d’artillerie dans l’espace de [] jours. Jamais l'ardeur patriotique et martiale de nos concitoyens ne s’étoit montrée avec autant d’énergie. Ils avoient été devancés par la masse entière du district de Sarrebourg.
Ce mouvement sublime venoit d’être précédé par une première levée de douze cents hommes d’infanterie, destinés à renforcer l’armée de la Mozelle, et par une autre de trois cents hommes de cavalerie.
Enfin le departement de la Meurthe comptoit déjà avec gloire dix autres bataillons qui servoient depuis le commencement de la guerre dans les armées de la république.
Dans le même temps nous poursuivions vivement les aristocrates et les malveillans de toute espèce ; nous faisions arrêter les gens suspects, les prêtres dangereux et turbulens.
Le fanatisme expiroît sous nos coups, et sa chute réparoit aussi dans notre contrée le triomphe et le culte de la raison.
Le mouvement révolutionnaire fut imprime avec succès à notre département : des mesures de sûreté générales furent exécutées avec énergie ; mais sans arbitraire et sans exagération.
Quelques individus patriotiquement contre-révolutionnaires, selon l’idée profonde et vraie de Roberspierre, voulurent profiter de cet instant pour agiter la commune de Nancy, pour avilir les autorités constituées. Nous combattîmes ces intrigans avec fermeté; les représentans du peuple Lacoste et Faure achevèrent de les démasquer et d'en purger notre cité.
La consommation excessive des subsistances nous suggéra différentes mesures économiques. La faciende de la bière fut interdite, hormis à ceux qui avoient l’entreprise des étapes militaires ; encore la fabrication ne put elle s’étendre que jusqu’à concurrence des besoins du service.
Il fut enjoint aux boulangers de ne faire qu’un pain, le pain de l’égalité : les citoyens furent invités à mêler de l’orge ou du seigle avec le froment. Il ne fut permis aux meuniers d’extraire que quinze livres de son par quintal.
Les rations en foin et avoines des troupes de passage et de garnison furent diminuées, on y suppléa par l’usage du son et de la paille.
Toute nouvelle plantation de vignes dans la plaine fut provisoirement prohibée : et le département sollicita de la convention une loi salutaire, qui restituât à l’agriculture des terreins que la nature sembloit lui avoir spécialement réservés.
Les représentans du peuple Ruamps, Borie et Milhaud venoient de créer à Strasbourg une commission centrale de subsistances, qui devoit être composée de membres pris dans le sein des dëpartemens affectés à rapprovisionnement de l’armée du Rhin : sur l’ordre des représentans, nous y déléguâmes l’un de nos collègues. Cette réunion de commissaires de diférens départemens auroit-elle induit Saint-Just et Lebas à imaginer, ainsi qu’ils l’ont fait pressentir, qu’elle a été le germe d’une coalition formée pour affamer l’armée ? Mais cette commission centrale étoit l’ouvrage de la sollicitude et de la prévoyance des autres représentans ; les départemens ont dû respecter les intentions de ceux ci, et exécuter leurs arrêtés, à peine de rébellion ; et le département de la Meurthe n’a jamais eu avec aucun autre des relations, qui puissent élever la moindre conjecture de coalition.
Il a établi une commission de citoyens éclairés, qui dévoient s’occuper des moyens de perfectionner l’art de la meunerie et de la boulangerie.
Les sécheresses trop prolongées qui ont régné l’été dernier, avoient singuliérement ralenti la mouture et l’expédition, des farines ; les fortes gelées pouvoient reproduire le même accident ; cette prévoyance nous détermina à autoriser les administrations de districts de faire construire des moulins à vent, qui dans tous les temps et dans tous les cas sont moins dispendieux que les usines à eau et qui peuvent utilement les remplacer : le département leur permit de prélever les fonds nécessaires sur les sols additionnels de leurs districts.
Il éclairoit le peuple sur ses devoirs, par des arrêtés et des proclamations ; il le prémunissoit contre les effets désastreux de l’agiotage et des accaparemens : il avoit pressenti la nécessité d’adopter trois gradations dans la fixation du maximum des marchandises ; il faisoit exécuter ponctuellement la loi du 11 septembre dernier. Des poids et des balances furent établis dans tous les moulins : la mouture payée en monnoie courante, aux prix arrêtés d’après l’avis des districts.
La moitié des impositions de 1792 se payoit par anticipation et en à-compte de celles de 1793, dont le montant n’étoit pas encore décrété ; et cet empressement de l’administration et des citoyens du département de la Meurthe à venir au secours de l’état, fut honorablement mentionne à la convention nationale.
L’ordre commençoit à s’établir ; des commissaires ëtoient envoyés dans les communes pour surveiller et presser la fourniture et le transport des subsistances, lorsque les représentans Saint-Just et Lebas envoyés extraordinairement à l’armée du Rhin, nous firent transmettre, le 5 brumaire, leur arrêté du 3. Par cet arrêté, ils nous ordonnoient de completter, dans le délai de douze jours, la livraison du contingent qui nous avoit été demandé pour l’approvisionnement de cette armée.
On a déjà observe que la dernière levée d’hommes, en dépeuplant subitement les communes et les campagnes, avoit nécessairement retardé le versement ; les convois multipliés auxquels le voisinage des deux armées assujettissoit les voituriers et les cultivateurs du département, ralentissoient d’un autre côté le battage des grains : enfin, les labours et la semaille produisirent encore une entrave inévitable pendant plus de quinze jours.
Ces circonstances font aisément présumer qu’il restoit encore à fournir par le département une grande partie du contingent qui lui avoit été assigné dans l’origine.
Ainsi, on ne pouvoit guère, prévoir la possibilité de satisfaire aux ordres de Saint-Just et Lebas dans un aussi bref délai.
Cependant le conseil général du département, qui étoit alors en permanence, crut ne devoir pas perdre à délibérer sur cette possibilité un temps trop précieux pour l’exécution. Il falloit agir sur le champ ; il falloit donner une impulsion nouvelle aux communes ; les moyens les plus expéditifs étoient les meilleurs : le conseil général du département arrêta en conséquence, que de nouveaux commissaires, pris dans son sein, se rendroient à l’instant dans les districts, avec des pouvoirs puisés dans l’arrêté même des représéntans du peuple ; qu’une force armée les accompagneroit dans leur mission, tant pour en imposer aux malveillans que pour suppléer au défaut de bras dans les lieux qui en manqueroient ; qu’enfîn, ces commissaires seroient autorisés à employer toutes les mesures qu’ils jugeroient convenables et nécéssaires pour effectuer dans le délai prescrlt la livraison totale du contingent.
Les commissaires du département se rendirent à leurs différentes destinations ; tous les ouvriers, toutes les voitures furent mis en réquisition et en activité, il ne resta pas une grange qui ne fut convertie en atelier ; le département et ses commissaires eurent besoin de tout leur zèle et de toute leur fermeté, pour dissiper les obstacles que l’inertie des propriétaires et les manœuvres secrettes des ennemis de la révolution leur suscitèrent quelquefois dans le cours de leur mission. Tantôt il suffisoit de mouvoir les ressorts de la persuasion ; tantôt il falloit déployer l’appareil de la sévérité et de l’autorité publique.
Les chevaux employés dans le département de la Meurthe, sont la plupart d’une espèce chétive : la levée qu’on y fît pour la cavalerie, opération grande et salutaire en elle-même, enleva aux campagnes prés de 500 chevaux; elle occasionna donc encore du ralentissement dans le transport des subsistances ; beaucoup de laboureurs avoient monté leur train en bœufs, à cause de l’extrême cherté des avoines, et l’on sait que la lenteur de ces animaux les rend moins propres aux convois que les chevaux, et qu’ils fréquentent les grandes routes bien plus difficilement.
On sait aussi que les battages ne commencent qu’après les semailles ; qu’ils continuent pendant l’hiver ; que ce travail procure du pain aux journaliers des campagnes, jusqu’au retour de la saison printanière ; que la paille du bled battu se gâte et se perd, et que les cultivateurs qui en font la nourriture de leurs bestiaux dans cette saison, avoient d’autant plus d’intérêt à l’économiser, que la récolte en foin avoit été très-médiocre, et qu’on avoit été totalement privé de la ressource des regains.
Il a donc fallu faire taire la voix de cet intérêt ; il a fallu déterminer les cultivateurs à ce sacrifice, et les attacher exclusivement à l’obligation impérieuse et sacrée d’anticiper, de hâter leurs battages, pour assurer les approvisionnemens des armées.
Dans d’autres occasions, nous avons eu à surmonter de nouveaux obstacles, dans la personne même des agens subalternes de l’administration des subsistances ; il existoit souvent dans leurs mesures une telle confusion qu’elle ne pouvoit qu’augmenter la crise des armées ; ceux qui étoient chargés de l’approvisionnement de telle armée, entravoient, croisoient, aneantissoient les espérances et les opérations de leurs collègues attachés à l’autre armée.
Ils s’arrachoient mutuellement les vivres et les fourrages, comme s’ils eussent servi des troupes ennemies. Ce qui étoit destiné, affecté à l’armée du Rhin, étoit enlevé pour l’armée de la Mozelie.
Ces variations, ces incertitudes, ces déplacemens nous désespéroient, et pouvoient devenir extrêmement préjudiciables aux armées.
Nous dénonçâmes cet abus aux agens des subsistances eux-mêmes, aux représentans du peuple, au comité de salut public, au comité militaire, et à celui des subsistances.
L administration des subsistances, pénétrée de ces inconvéniens, fit arrêter, par les représentans du peuple près les deux armées, un plan de démarcation, d ’après lequel les denrées de tel ou tel district demeureroient invariablement affectées à l’approvisionnement de telle ou telle armée.
En conséquence il fut réglé que les districts de Sarrebourg et de Blamont seuls seroient annexés à la division du Rhin ; et que les sept autres districts verseroient exclusivement dans les magasins militaires de la Mozelle.
C’est ici le cas de faire une observation, d’une importance majeure, qui seule décideroit du sort et du degré de valeur de l’inculpation qui nous a été faite.
Le contingent primitif en grains demandé au département de la Meurthe pour l’armée du Rhin, avoit été fixé à 50,000 quintaux : depuis l’époque de la démarcation dont on vient de parler, il est incontestable que le contingent primitif devoit faire place à un contingent indéfini, et que la fourniture à faire désormais, uniquement par les deux districts de Sarrebourg et de Blamont, demeureroit subordonnée à la capacité, à la fécondité de leurs territoires, à la proportion des subsistances qu’ils pouvoient produire.
La réquisition de Saint Just et Lebas, n’etoit donc plus exécutable pour le contingent de 50,000 quintaux de grains imposé originairement sur la totalité du département ; mais simplement jusqu’à la concurrence de ce qui existoit dans les districts de Blamont et de Sarrebourg.
Or, il est certain, il est de notoriété que quoique plusieurs préposés et manutentionnaires des magasins de la république, nous aient laissé ignorer la quotité et les progrès des versemens faits sur l’armée du Rhin, il est certain qu’il a été fourni bien au-delà de ce qui étoit exigible, des arrondissemens de Sarrebourg et Blamont.
Le district de Sarrebourg, le moins agricole du département de la Meurthe, ne fournit pas dans les meilleures années, pour six mois de nourriture à ses habitans. Celui de Blamont plus fertile, alimentoit de tout temps la partie des Vosges qui l’avoisine, et le pays de la ci-devant principauté de Salm, réuni depuis cette année à la république. Dans les deux districts, la culture se fait principalement avec des bœufs ; les chevaux y sont rares, et les charrois lents et pénibles, à cause des montagnes qui couvrent une partie de leurs territoires.
Comment donc a-t-on pu nous faire un crime de n’avoir pas completté dans un délai de douze jours la fourniture du contingent primitif demandé pour l’armée du Rhin, tandis qu’il est démontré, 1°. qu’il y a voit impossibilité physique et absolue d’exécuter dans un espace de temps aussi court,
une réquisition aussi forte et aussi étendue ; 2°. que les entraves et les retards que les versemens avoient éprouvés antérieurement à cette réquisition n’étoient pas l’effet de l’apathie ou de la négligence, mais d’une foule de circonstances impérieuses qu’il n’étoit pas au pouvoir des administrateurs du département et des districts d’empêcher? Et en effet de voient-ils paralyser cet élan civique qui, à la voix des représentans du peuple, précipita une masse de républicains courageux sur la frontière du Rhin, et leur fit abandonner leurs foyers, leurs travaux champêtres, pour repousser les hordes sanguinaires du despotisme qui menaçoient encore une fois de se déborder sur la terre de la liberté ?
Pouvoient ils entraver le service continuel des oonvois qui éloignoit sans interruption un grand nombre de cultivateurs de leur domicile, et privoit la campagne d’un grand nombre de bras nécessaires au battage ?
Pouvoient-ils reculer ou contrarier les travaux précieux de la semaille ? Pouvoient-ils toujours suppléer à l’inexpérience de quelques employés dont, le zèle mal réglé produisoit des tiraillemens, des contradictions funestes et réitérées ? Certes, à moins d’être doués d’une intelligence surnaturelle, à moins de commander aux événemens, les administrateurs de la Meurthe n’ont pu mettre plus de zèle, ni produire de plus grands efforts, pour seconder et soutenir un service aussi mal organisé que l’étoit alors celui des subsistances militaires.
Mais sur-tout comment a-t-on pu leur faire un crime de n’avoir pas fourni la totalité du premier contingent à l’armée du Rhin ; tandis que la ligne de démarcation, tracée postérieurement entre les districts de la Meurthe,ne permettoit plus de faire verser sur cette armée que les subsistances des deux districts de Sarrebourg et Blamont ; tandis que loin d’être au-dessous de cette dernière mesure ils l’ont évidemment outrepassée, en ajoutant au produit de Sarrebourg et Blâmont, une partie des grains et fourrage des districts de Lunéville, Salins-Libre et de Veselize, qu’ils ont fait écouler dans les magasins du Rhin, pour atteindre avec plus de célérité le terme fatal de la réquisition de Saint-Just et Lebas ; tandis qu’au moment de l’arrestation du directoire, tous les magasins militaires du département, et notamment les plus rapprochés de la frontière du Rhin, regorgeoient de denrées ; qu’un des inspecteurs principaux des subsistances écrivoit dans le même moment au directoire une lettre de félicitation sur l’activité et la promptitude des versemens; que les arrivages aux magasins étoient si abondans, que les préposés à leur réception ne savaient où les loger ; que même plusieurs d’entr’eux annoncèrent aux cultivateurs que les approvisionnemens étoient supérieurs aux besoins de l’armée ?
Nous venons de tracer avec fidélité le tableau de notre conduite : nous avons la fierté de croire que nous avons fait tout ce que l’amour de la patrie, et le cercle de nos lumières ont pu nous suggérer, pour servir utilement la chose publique. Au moment où les représentans Saint-Just et Lebas nous frappoîent, le comité de salut public nous écrivoit une lettre honorable et consolante pour des administrateurs intègres et dévoués à la république ; il approuvoit les mesures révolutionnaires que nous avons employées dans les différentes branches de notre administration.
Enfin, nous avons la douce satisfaction d’apprendre, qu’en sortant de nos foyers et de nos fonctions, le regret et l’estime des patriotes de notre département nous ont suivis dans notre disgrace : heureux les fonctionnaires qui peuvent allier au témoignage d’une conscience pure et honnête celui de l’opinion publique !
La convention nationale ne peut voir en nous, que des victimes de l’erreur de ses commissaires Saint-Just et Lebas : elle nous doit justice, nous l’attendons avec sécurité.
A Picpus, de la maison d’arrêt, le premier Nivôse, l’an deuxieme de la république Françoise, une et indivisible.

Signés SAULNIER, HARLAUT, ROLLIN le jeune, BILLECARD, BENARD, GRANDJEAN, CAROCEL, SONNINI, ROLLIN l’ainé et MOURER.

P.S. A l’instant où ce mémoire alloit être livré à l’impression, nous reçûmes un arrêté des représentans du peuple Lacoste et Lemann, qui complette notre justification. Les représentans reconnoissent dans cet arrêté deux faits importuns à saisir; 1”. les réquisitions dont notre département avoit été précédemment touché, n’avoient pas été calculées sur des bases justes et exactes ; 2°. les événemens survenus depuis l’assiette de ces réquisitions, en ont dérangé l’exécution. (tels que la levée en masse, les tiraillemens et les croisemens du service des vivres, etc.) Cette pièce, dont nous allons rapporter la teneur, dissipera tous les doutes sur notre conduite ; elle prélude la décision que nous sollicitons de la sagesse de la convention nationale.

 

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