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Marthe Richard, espionne dénoncée par la presse (2)
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Vu : journal de la semaine
29 novembre 1933


Les secrets de l’arrière
Par Paul Allard

LE COMPLOT DES PANOPLIES : POURQUOI LÉON DAUDET FUT ARRÊTÉ


Le cabinet de M. Marins Plateau, alors secrétaire général de L'Action Française. Les murs de son bureau étaient ornés de panoplies qui devaient être saisies parla police en octobre 1917.


Marthe Richard dite l'Alouette, alias de Richer, chargée par le 2me bureau de missions secrètes en Espagne pendant la guerre et qui fut «brûlée» par une indiscrétion de L'Action Française. A droite M. Léon Daudet.


Car M. Léon Daudet fut, pendant la guerre, mis en état d’arrestation.
... Oh ! pas pour longtemps ! Pour vingt- quatre heures seulement !...
Le 30 octobre 1917, M. Poincaré reçut une lettre par laquelle M. Charles Maurras lui révélait qu’à la suite de deux articles publiés par Léon Daudet dans l’Action Française, ils avaient été, tous les deux, mis pendant vingt-quatre heures, aux arrêts par la police.
« Ne pas parler d’arrestations possibles à l’Action Française. » Telle est la consigne que nous reçûmes, à la censure, à ce moment-là. Et, à l’époque, nous avons tous cru qu’il s’agissait de cette ridicule histoire de complot contre la sûreté de l’Etat connue sous le nom d’« Affaire des Panoplies ».
Mais il y avait autre chose !
Lorsque M. Malvy comparut en Haute-Cour, un sénateur juge interpella soudain, en ces termes, un témoin important : M. le colonel Goubet, ancien chef du Deuxième Bureau :
- A la Commission d’enquête, M. le colonel Goubet a déclaré qu’il avait demandé l’arrestation de M. Léon Daudet. Je voudrais qu’il nous dise dans quelles circonstances et pour quelles causes. »
M. le colonel Goubet, soudain très embarrassé :
- Nous avions remarqué...
Puis, s’arrêtant brusquement :
- Messieurs, je vais être obligé de parler d’une affaire dont je ne puis pas parler publiquement...
Alors, un grand nombre de sénateurs demandèrent le huis clos. Il fut prononcé.
C'était le 23 juillet 1918. M. Léon Daudet, rappelant cette audience secrète, ironisa en ces termes : « C’est Painlevé qui, flanqué de son Goubet, a communiqué ce délire au Sénat, dans une séance à huis clos. »
Que fut-il dit ? Pourquoi ces secrets ? Quelle est cette énigme ?

L’alouette brûlée

Le 31 juillet 1917, l’Action Française publia - seule dans toute la presse - un article daté de Saint-Sébastien et intitulé : « Un accident intéressant. »
« Il nous revient d’Espagne une nouvelle qui paraît jeter une vive lumière sur le fonctionnement de l’espionnage allemand entre Paris, Saint-Sébastien et Carthagène...
« Nous lisons, en effet, dans le Heraldo de Madrid, daté du 8 juillet, que, dans un récent accident d’automobile, survenu près de la frontière franco-espagnole, il y a eu quatre blessés graves.
« Ce sont MM. Hans von Krohn, capitaine de corvette de l’état-major allemand ; Davoicheny Joseph, propriétaire, né à Gori (Russie) et naturalisé en France ; Ernest Reny, chauffeur, et, enfin, Mme veuve de Richer, née Marthe Betenfeld, originaire de Blamont (France).
« Apprenez maintenant - continuait l’Action Française - que M. Von Krohn est le grand maître de l'espionnage allemand en Espagne. C’est lui qui organise les torpillages sur les côtes d’Espagne. On ne sera pas étonné de mon insistance à m’enquérir des personnalités des trois compagnons du chef d’espionnage allemand. Il n’est pas impossible de savoir qui sont exactement MM. Davoicheny Joseph et Reny Ernest.
« Et Mme veuve de Richer, née Betenfeld ? Est-il impossible de savoir quel était le but du voyage en Espagne de cette femme et de ces trois hommes ?... »
Ce premier article, qui n’attira pas spécialement l’attention de la censure, fut suivi d'un second, daté du 11 août 1917, où Léon Daudet déclarait :
« La Sûreté générale n’a pas répondu à mes questions concernant von Krohn et Mme de Richer. Pourtant, on me signale que le commissaire du Boulou, où la veuve de Richer se fit fortement remarquer, pourrait donner des renseignements sur cette mystérieuse personne qui se recommande de M. Maunoury, directeur du Cabinet du Préfet de police
« Que fait à Madrid cette femme au visage dur et qui porte des habits d’homme ? Elle s’est fait remarquer à Madrid de l’Allemand von Krohn, puis survint Davoicheny. Ces trois personnages sont restés enfermés des heures entières. Les journaux madrilènes ne parlent pas de cette affaire, mais un Français curieux a appris que Mme de Richer a traversé la frontière en fraude, qu’elle a reçu un télégramme de Davoicheny : « Je suis sans nouvelles. Que faire ? Venez ! »
« Et le commissaire du Boulou a été intimidé par la menace des puissants amis de Mme de Richer... »
Les « puissants amis » de Mme de Richer - alias Mme Marthe Richard, l’ « espionne au service de la France » dont le commandant Ladoux a retracé toute la carrière, couronnée par le ruban rouge de la Légion d’honneur - n’étaient autres que ses chefs du Deuxième Bureau...
« Cette indiscrétion - note le commandant Ladoux - et cette indignation, d’ailleurs compréhensible, nous a alors fortement gênés ! Je me demandais moi-même, à quoi correspondait cette expédition nocturne, sur les suites de laquelle la presse espagnole et les journaux français se turent avec un parfait ensemble, exception faite pour l’Action Française. »
Quant à Mme Marthe Richard, elle m’a raconté qu’ayant eu récemment, l’occasion de rencontrer dans un salon M. Léon Daudet, elle lui déclara à brûle-pourpoint : « Si je suis aujourd'hui en vie, avouez que ce n’est pas votre faute !... »

L’affaire Ratibor

Le 2 octobre de cette année, éclata, de la même façon, une affaire qui provoqua une émotion dont le général Cartier, et son successeur, le colonel de France, n’ont pas perdu le souvenir : l’affaire Ratibor.
M. le général Cartier m’a raconté comment les cryptogrammes allemands captés par nous - militaires, diplomatiques, navals, aériens, etc... - étaient, immédiatement traduits et recopiés dans les conditions de secret les plus minutieuses.
Quatre copies seulement en étaient faites. Une pour le Président de la République qui, ponctuellement, anxieusement, chaque matin, les étudiait, les confrontait, les annotait (c’est en grande partie, grâce à elles, que M. Poincaré peut aujourd’hui publier ses Mémoires). Une, pour le président du Conseil ; une pour le ministre des Affaires étrangères ; une pour le Grand Quartier général.
Or, un jour, Mandel téléphona au général Cartier, directeur du Chiffre :
- Etes-vous sûr, mon général, d’avoir bien distribué vos quatre copies ?
- Mais oui, comme à l’ordinaire !
- Il en manque une. Savez-vous où elle est ?
- Non.
- A l’Action Française !
On fit une enquête. C’était exact. Elle avait été communiquée à l’Action Française par un secrétaire, membre de ce parti, qui fut durement frappé.
Que n’avait-on agi plus tôt !
Je signale, ici, d'après les déclarations de M. Georges Lafenestre, directeur à la Préfecture de police, qui appartint au Deuxième Bureau, que M. Léon Daudet a demandé, à plusieurs reprises, à faire partie du service du contre-espionnage, mais que cet honneur lui fut refusé, en raison de sa qualité d’homme politique.

Imprudences...

Le 11 avril 1917. Léon Daudet parla, à mots couverts, dans l’Action Française, de « certains échanges de correspondance dont ont eu vent, comme moi, ceux qui sont chargés de la défense nationale ».
Cette allusion - sans danger à condition qu’elle n’aille pas plus loin - était faite à propos de l’affaire Gaston Routier.
En Espagne, près du prince Ratibor et près de l’attaché naval allemand von Krohn, évoluait, à cette époque, un Français (très probablement, un agent double), Gaston Routier, qui proposait aux représentants de l’Allemagne de fonder, avec leur participation, un journal pacifiste : Le Journal de la Paix.
Le Chiffre vient de « décrypter » un radio allemand secret d’où il ressort que Routier va venir en France, à Hendaye, visiter sa femme, infirmière- major à l’hôpital. Léon Daudet, qui l’a su - on devine grâce à quelles complicités - saisit l’occasion de sommer les autorités d’arrêter ce misérable Routier lors de son passage en France.
Se figure-t-on bien le tracas que peut donner un article pareil à la malheureuse censure ?
L’échopper ? C’est faire hurler Daudet que nous sommes de mèche avec le « traître Malvy ».
Le laisser passer ? C’est apprendre aux Allemands que nous lisons leurs télégrammes confidentiels !
Le Bureau de la Presse, entre deux maux, choisit le moindre. Artistement « découpé », le papier en question paraît. Il ne contient plus d’allusions à Routier, à ses agissements, ni à des déplacements. Peut-être que s’ils l’épluchaient de plus près, les Allemands se trouveraient alertés plus qu’il ne le faudrait sur l’Espagne. Ils ne le font pas : ils ne le sont pas. Daudet, naturellement, nous traite de « malfaisants complices ». L’essentiel, c’est que, pour quelque temps, nous lui faisons lâcher son dada.
Pourquoi le renfourche-t-il trois mois après ? Quelle mouche l’a piqué ? En août, il « remet ça » en des termes aventureux.
« On se demande comment et pourquoi M. Malvy, ministre de l’Intérieur, et la Sûreté générale, dûment avertis de ce que trament de concert Gaston Routier et von Krohn (ici, cinq lignes censurées) ne font rien. J’ai averti Maginot. J’ai signalé au ministre patriote l’extraordinaire impunité dont jouit Gaston Routier ».
Cette expression « extraordinaire impunité » - que la censure laisse subsister - était, déjà, une bourde signalée. Des gens avertis ne pouvaient-ils pas supposer que cette impunité extraordinaire provenait du fait que Routier était notre agent, ce qui le livrait immédiatement aux représailles de von Krohn ?
Du moins, était échoppée l’allusion - qui tenait cinq lignes - au fait que nous connaissions les allées et venues de Gaston Routier grâce aux radios allemands.
Ce soir-là, le Bureau de la Presse a encore fait son devoir. Mais ce devoir, de semaine en semaine, va devenir de plus en plus difficile.

30 Septembre 1917

Echopper Daudet ? C’est l’ordre d’un Bonifas tremblant ou d'un Painlevé énervé ! Mais on comprend que, à l’occasion, un censeur hésite, que Buloz - de l'équipe Mercier - se sente des responsabilités en supprimant, le 29 septembre, tout le papier de Daudet sur Routier.
D’autant que l’hypothèse « agent double » n’effleure même pas notre esprit.
Le malheur, c’est qu’à Daudet lui-même, personne. semble-t-il, ne la suggère. Imaginez donc sa colère devant un échoppage si brutal.
D’où cette idée folle de frapper un coup, de mettre les points sur les i. Voici le texte qui nous parvient dans la nuit du 30 septembre (mais non pas signé Daudet, ce qui aurait attiré l’attention) et très tard, après minuit, et dont on réclame le visa comme d’un filet de peu d’importance, et qu’on est peut-être décidé à publier, en tout cas !
Voici, dis-je, les lignes capitales d’un article : « Crimes contre la Patrie » (titre bien trouvé) que, par une aberration inouïe, un de nos camarades laisse passer.
« Des télégrammes échangés entre le gouvernement allemand et le prince de Ratibor, ambassadeur d’Allemagne à Madrid, ont été saisis. L’ambassadeur y indique au chancelier qu’il a accepté les propositions qui lui ont été faites par Gaston Routier. Le marché de trahison est conclu et l’apparition du Journal de la Paix est imminente.
« Le prince de Ratibor est autorisé à assurer trois mille pesetas par mois à Routier, à condition que son journal puisse passer en France et y être distribué. »
Vous avez bien lu ! Ces phrases sont, en elles- mêmes, d’une précision qui confond. Que sera-ce pour ceux qui constatent qu’elles sont empruntées mot par mot au radio allemand secret de la veille ! Emotion du Grand Quartier ! Stupeur des Affaires étrangères ! Painlevé est assailli, au lit, par de terrifiants coups de téléphone. Lui-même met en branle le Bureau, la Préfecture de police. On fait saisir, dans tous les kiosques, les numéros de l’Action Française : on avise toutes les régions, on tente l’impossible, par la bonhomie et la menace, dont Nusillard alterne en maître, pour empêcher la reproduction de ce passage. Le capitaine Schoell, chef de l’équipe montante, va consacrer sa journée à repérer, à éliminer les lignes dangereuses. Il a gain de cause. Celles-ci n’auront paru, en résumé, que dans un petit nombre de numéros de l’Action Française, ceux qui ont été achetés ou servis aux abonnés avant huit heures. Hélas ! cela aura suffi. Le 2 octobre - le lendemain - les postes d’écoute rendent tous compte que le langage radiographique allemand a cessé d’être intelligible.

L’entrevue Daudet-Painlevé

Quelles sanctions furent prises ? A notre profonde stupeur, le censeur fautif ne « sauta » pas. Taisons son nom. Il se cacha sous l'autorité de son chef d’équipe qui, de fait, avait eu sous les yeux - un quart de seconde - la morasse et que Nusillard s’opposa personnellement à voir frapper.
Léon Daudet fut convoqué ainsi que M. Charles Maurras par M. Painlevé, au ministère de la .Guerre, à six heures du soir.
Le lieutenant Priance était spécialement venu à l’Action Française de la part du président du Conseil. « Le président demande à MM. Daudet et Maurras de vouloir bien venir aussitôt le voir. »
Ils partirent en auto, furent reçus par le directeur du Cabinet, M. Pécaud, aujourd’hui directeur de l’Ecole Normale Supérieure de Saint-Cloud. Ils furent introduits dans le cabinet de M. Painlevé où étaient déjà MM. Steeg et Raoul Péret.
Quand tout le monde fut assis, le président, en proie à une vive émotion, se mit à déployer l’Action Française, et, du doigt, désigna les quatre lignes fatales, quatre lignes - précisa M. Painlevé - qui risquent de révéler le chiffre, et, par suite, un agent.
Voici ce que répondirent MM. Daudet et Maurras. 1° Ils firent remarquer que ces lignes n’avaient pas été remarquées ni visées par la censure ; 2° Elles parlaient d’un fait déjà antérieurement indiqué dans l’Action Française ; 3° Ils dirent que ce fait remontait au commencement de l’hiver ou au printemps dernier, que c’était de l’histoire ancienne qui ne pouvait révéler le chiffre, les chiffres étant changés fréquemment.
Et M. Léon Daudet précisa : « C’est à la suite d'un article du journal espagnol El Liberal et d’une démarche collective des commerçants et industriels français résidant en Espagne, que j'ai dénoncé Gaston Routier, dès le 20 avril. Il est absolument invraisemblable que les Allemands aient attendu d’avril à octobre pour changer leur chiffre. D’autre part, jamais les Allemands n’ont voulu croire que leur chiffre était connu de nous, tellement leur confiance et leur aveuglement dans le secret de leurs communications étaient extraordinaires. Ce qui a varié, ce n’est pas leur chiffre, mais les combinaisons du chiffre. Or, ces combinaisons étaient changées tous les six mois. Je répète que jamais les Allemands n’ont cru que leur chiffre était découvert. Ils ont simplement cru que quelques-unes de leurs dépêches leur avaient été volées dans un bureau. Et la preuve qu’ils n’avaient pas changé leur chiffre, c’est que nous avons continué à lire certains de leurs radios, notamment en 1918, ceux de l’attaché naval allemand. »
Devant ce raisonnement - que M. Painlevé eut le tort de ne pas vérifier - le Président parut un instant déconcerté. Et il déclara :
- Puisque le renseignement contenu dans ces quatre lignes à été déjà donné par vous, je ne puis vous suspendre pour huit jours comme j’en avais le projet, mais je vous incite à la plus grande prudence : il faut vous censurer vous-même !

Paul Allard

 

 

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