Correspondance diocésaine
des patronages de garçons
Éd. Paris
1er octobre 1911
Ostracisme : l'incident de Nancy
Les catholiques sont-ils des citoyens de
deuxième catégorie, ou, si vous préférez, de « deuxième zone » ? Nous serions de
plus en plus tentés de le croire. Vous entendez bien que, s'il s'agit de payer
l'impôt, le catholique est admis à verser, comme tout autre, son obligatoire
contribution. Une loi « sociale », telle que celle des retraites ouvrières et
paysannes, est-elle en souffrance, par suite de la juste et invincible défiance
qu'inspirent à l'ouvrier et au paysan les politiciens qui escamotèrent si
prestement le « milliard des Congrégations » ? Vite, qu'on fasse bon visage aux
mutualités et aux groupements sociaux catholiques qui s'emploient à montrer les
avantages réels de la nouvelle législation, et en faciliter l'exécution.
Mais s'il est question des œuvres d'enseignement ou d'éducation,
particulièrement des œuvres postscolaires, il n'est point de brimades qu'on nous
épargne. Il y a deux ans, plusieurs Sociétés catholiques ont été exclues sans
motif de la fédération officielle. Journellement, l'agrément gouvernemental qui
favoriserait le prêt des armes et des munitions et l'usage des stands de tir est
refusé à nos Sociétés de préparation militaire. Pendant les dernières vacances,
un incident plus grave encore s'est produit à Nancy, au cours de la grande
manifestation gymnastique et sportive qui groupa, le premier dimanche d'août,
sous la présidence du Dr Michaux et du maire de la ville, 8.000 membres de la
F.G.S.P.F. Cet incident est dans toutes les mémoires. Mais pour que le souvenir
ne s'en abolisse jamais, nous tenons à ce que nos lecteurs aient sous les yeux
le dossier complet de cette lamentable affaire.
Le préfet de Meurthe-et-Moselle défendit tout d'abord aux militaires de la
garnison de Nancy de prendre part à la fête. Plusieurs jeunes soldats, ayant été
signalés dans la foule qui acclamait les gymnastes, furent punis de prison; l'un
d'entre eux avait reconnu les garçons de son village et serré la main d'un
camarade, deux autres avaient causé au chef de musique d'une société.
Cet acte inouï, en face de tant de complaisances inverses, a soulevé une
légitime émotion.
Le gouvernement a pensé y couper court par la note suivante :
De l'enquête à laquelle s'est livrée l'autorité militaire et dont les résultats
ont été transmis au ministère de l'Intérieur, il ressort que seuls ont été punis
les soldats qui, malgré l'interdiction formelle de leurs chefs, avaient pris
part aux manifestations et concours des gymnastes catholiques.
Mais aucune enquête ne peut infirmer des faits qui se sont produits
publiquement. L'Eclair de l'Est maintient les affirmations suivantes :
Nous avons cité : 1° Le caporal de la 23e section d'ouvriers d'administration,
arrêté rue de la Constitution, lors du défilé des gymnastes, après avoir
simplement serré la main des gymnastes de sa connaissance ;
2° Les musiciens Remy et Perrin, du 37e d'infanterie, punis pour avoir causé au
chef de musique d'une Société ;
3° Deux sous-officiers du même régiment, punis pour n'avoir signalé personne,
étant de service de ville ;
4° Le soldat Antoine de la 6e compagnie du 79e ;
5° Le caporal infirmier du 109e, à Chaumont ;
6e Le soldat Frey, de la 11e compagnie du 26e d'infanterie.
Aucun de ces militaires n'a participé aux fêtes, aucun ne « s'y est mêlé ».
Voilà l'exacte vérité.
En conséquence, M. le commandant Driant, député de Meurthe-et-Moselle, a annoncé
par la lettre suivante qu'il interpellerait à la rentrée le chef du
gouvernement.
Monsieur le président du Conseil,
Puisque le ministre de la Guerre maintient en prison pour trente jours des
caporaux et des soldats uniquement coupables, comme je le prouverai à la
Chambre, d'avoir serré la main à des gymnastes catholiques, sans prendre
aucunement part à leurs exercices, j'ai l'honneur de vous faire connaître que je
vous interpellerai à la rentrée sur les agissements du préfet de
Meurthe-et-Moselle, dont la pression sur l'autorité militaire a provoqué ces
scandaleuses punitions. - Vous expliquerez en même temps au Parlement comment,
huit jours après les ordres rigoureux interdisant aux militaires de Nancy de se
mêler aux gymnastes des patronages catholiques, on a pu lire au rapport d'un
régiment de cette même garnison que, contrairement aux instructions précédemment
données, les militaires étaient autorisés à participer au concours des
patronages laïques de Blamont, le 13 août; comment aussi des officiers ont pu,
l'un d'eux même comme rapporteur, assister au congrès des jeunesses laïques de
Verdun, le 6 août dernier, comment enfin ces tolérances, si nettement prohibées
ailleurs, se concilient avec les prescriptions des 8 février 1889 (vol. 31, page
79), 27 décembre 1890 (D.M. n° 69 confidentielle), 3 février 1903 (D.M. 1.762
cabinet) et 23 août 1910 (B.O., page 1.643), prescriptions interdisant
formellement aux militaires de prendre part aux manifestations politiques, de
quelque nature qu'elles soient.
Vous voudrez bien dire surtout au pays, qui ne comprend pas de pareilles
différences de traitement, si c'est ainsi qu'en République il faut concevoir la
liberté d'opinion et l'égalité des citoyens devant la loi. Veuillez agréer...
D'autre part, mis en cause au cours des polémiques suscitées par l'incident, Mgr
l'évêque de Nancy a répondu par la lettre suivante adressée au commandant Driant
:
Je suis profondément reconnaissant de l'interpellation que vous annoncez à M. le
ministre de l'Intérieur, au sujet du mois de prison infligé à plusieurs soldats
faussement accusés d'avoir pris part, le 30 juillet, au défilé des gymnastes
catholiques.
Je vous prie de vouloir bien insister le plus énergiquement possible contre
cette accusation que ce concours était une manifestation politique.
Je suis ici le représentant de l'Eglise catholique, je suis le fondateur et le
directeur de tous les patronages catholiques de ce diocèse et de toutes les
associations et les œuvres qui en dépendent. J'en revendique hautement toute la
responsabilité. C'est à Nancy et autour de nos patronages constituant une part
considérable de ce concours que s'est fait le groupement national et
international.
Or, jamais dans aucun de nos patronages nous n'avons admis de manifestations
politiques. Les prêtres qui les dirigent, et au prix de quelles fatigues et de
quels sacrifices, sont, comme leur évêque, en dehors et au-dessus de tous les
partis. Ils sont prêtres et Français : c'est assez. Ils écartent de ces jeunes
gens bien des périls; ils éclairent leurs intelligences, élèvent leurs âmes,
fortifient les corps par des exercices physiques, trempent les cœurs dans la
virilité et font de ces jeunes gens les serviteurs dévoués et les vaillants
défenseurs de la France. Quelle œuvre est plus belle, plus noble et plus digne
de la reconnaissance de tous ?
La Fédération gymnastique et sportive des patronages de France, fondée et
dirigée par l'admirable docteur Paul Michaux, n'a pas d'autre ambition et
d'autre but. Les gymnastes venus de l'étranger se sont conformés très exactement
à la direction générale du concours.
D'ailleurs, je porte, à ceux qui nous accusent, le public et solennel défi de
démontrer que des actes ou des paroles justifient leurs accusations.
Les manifestations de la foule à l'égard des gymnastes, ses manifestations
exceptionnelles et éclatantes à l'égard des évêques sont ici une confirmation.
L'âme du peuple est droite ; elle ne nie pas l'évidence.
Ces fêtes ont été si belles ! Pourquoi en troubler le souvenir par des calomnies
et des mesures odieuses ?
Hélas ! Voilà trente ans que, sur ces frontières et partout où j'ai pu faire
entendre ma voix, j'ai supplié les vrais Français de s'unir dans la justice,
dans la vraie liberté, dans le respect de tous les droits et les ardeurs du
patriotisme.
Que ceux qui nous accusent et qui ont en abondance des ressources de tout genre
qui ne leur coûtent rien et dont nous payons notre part, tandis que nous ne
pouvons compter que sur la charité du clergé et des catholiques ; que ceux qui
nous accusent fassent plus et mieux que nous. Nous nous efforcerons de les
suivre; nous applaudirons à leur dévouement et à leurs succès.
C'est sur ce terrain que nous les appelons.
Honneur à ceux qui feront plus et qui feront mieux pour la jeunesse, pour le
peuple et pour la France.
Agréez, Monsieur le député, l'assurance de ma haute considération,
+Charles-François, évêque de Nancy et de Tout.
En publiant cette lettre, la Croix (17 août) ajoute fort justement :
On annonce que la punition de trente jours de prison infligée à deux- soldats
pour avoir pris part, malgré une défense formelle et réitérée de leurs chefs, au
concours des patronages catholiques, a été réduite à quinze jours.
On peut être surpris de cette réduction de peine, car ce n'était pas la durée de
la punition qui était en cause, mais bien son motif même. |