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Maître d'école de campagne en Lorraine avant le révolution
 


Revue alsacienne
1879-1880
Ed. Berger-Levrault et Cie Paris


LE MAITRE D'ÉCOLE DE CAMPAGNE EN LORRAINE
IL Y A CENT ANS

La physionomie du maître d'école sous la Restauration nous a été rendue d'une façon aussi exacte qu'originale dans l'Histoire d'un sous-maître, d'Erkmann-Chatrian, qui parut en 1871.
C'était une histoire vieille de cinquante-cinq ans, que celle des tribulations de ce malheureux Jean-Baptiste Renaud qui, à dix-sept ans, avec une lettre du chanoine promoteur de Briqueville au curé de Chêne-Fendu, près Lorquin, partait de Saint-Nicolas-du-Port, et s'en allait à pied solliciter la place de sous-maître du père Guillaume; et pourtant, à chaque instant, en la lisant, on était tenté de s'arrêter et de se demander si elle n'était pas d'hier, si nous n'avions pas connu et Jean-Baptiste, et le maître Guillaume, et le curé Bernard, et le pharmacien de Lorquin, ce brave patriote lorrain, qui s'indigne de voir un sous-maître capable, de bonne conduite et remplissant bien ses devoirs, payé comme un barbier de village; qui ne se serait cru au lendemain de la guerre de 1870 quand on l'entendait ajouter : « L'ignorance du peuple est pourtant ce qu'il y a de pire au monde... Si le peuple avait su lire, écrire et raisonner un peu ses intérêts, jamais il n'aurait accepté la constitution par laquelle Bonaparte confisquait à son profit tout ce que la nation avait gagné depuis 1789. Cette malheureuse constitution lui a permis de tailler, de rogner, de tout faire à sa guise, sans aucun contrôle, et finalement de laisser la France vaincue, ruinée, humiliée, amoindrie et occupée par cent cinquante mille soldats étrangers, qu'il faut subir et nourrir jusqu'au paiement des indemnités de guerre. Voilà les résultats de l'ignorance. Voilà ce que rapporte un plébiscite arraché par deux ou trois filous à des millions d'imbéciles qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez ! »
Mais quand, d'autre part, on voit le maître d'école dépendre aussi complètement du bon vouloir du curé, quand on le voit accepter un sous-maître les yeux fermés « parce qu'il convient à M. le curé » et énumérer ainsi la tâche qui lui incombe : « sonner les offices, balayer l'église et la sacristie tous les lundis et l'école tous les jours, aider à faire la classe, tenir tout propre, etc... »; quand on voit la chambre de l'instituteur transformée en séchoir pour le linge d'église, quand le pauvre Renaud arrive aux Roches, où l'usage l'oblige à aller prendre ses repas chez les parents de ses élèves, on est consterné comme lui et l'on se demande si telle était réellement la position de l'instituteur de campagne en Lorraine, dans la première moitié du XIXe siècle; on se demande s'il y a là autre chose qu'un lourd héritage du passé, pesant fatalement sur le présent, et on voudrait pouvoir se rendre compte de ce qu'était sa situation à la fin du XVIIIe siècle, avant la Révolution.
A ce désir légitime nous pouvons répondre d'une manière précise, grâce à une enquête faite en 1779 par l'intendant de Lorraine, M. de la Porte, et dont les résultats se trouvent consignés dans un dossier volumineux déposé aux archives de Nancy. Ce dossier renferme les réponses des subdélégués de la province, espèce de sous-préfets disséminés dans les petites villes comme Bitche, Blâmont, Château-Salins, Dieuze, Sarreguemines, etc... il s'y trouve même quelques lettres de curés, à qui les subdélégués s'étaient généralement adressés, pour avoir les renseignements les plus complets et les plus authentiques. La connaissance de ces documents sera indispensable à celui qui, un jour, voudra écrire l'histoire de l'instruction primaire avant 1789; pour nous, nous ne leur demanderons en ce moment que le moyen de répondre à la question qui se présentait à nous tout à l'heure, et nous sommes persuadé qu'entre toutes les sources d'information il en est peu d'aussi sûres et d'aussi riches.
Si l'entrée dans la carrière de l'instruction n'était pas libre en Lorraine à l'époque de la Restauration, elle ne l'était pas davantage en 1779; c'était l'autorité ecclésiastique qui s'en était attribué la garde et qui la détenait avec un soin jaloux : nul ne pouvait se présenter pour remplir la charge d'instituteur de la jeunesse, s'il n'était muni d'une licence délivrée par ce qu'on nommait l'ordinaire.
Ce n'est point que des ordonnances spéciales réglassent alors en Lorraine le choix des maîtres d'école de village; dès longtemps le pouvoir civil s'était préoccupé des universités et des collèges: « On s'occupait à faire des savants, comme dit le subdélégué de Villers-la-Montagne, mais on paraissait négliger les mœurs de tous ceux qui n'étaient pas destinés à le devenir; peut-être, ajoute-t-il, que la puissance souveraine croyait pouvoir se reposer tranquillement sur les dispositions de quelques conciles qui s'étaient occupés de l'éducation de la jeunesse. » Toujours est-il que si, en France, à la fin du XVe siècle, on avait fait des règlements concernant l'établissement et la police des petites écoles, il n'y en avait point encore en Lorraine en 1779.
Ici l'usage faisait loi, et, comme s'exprimait le même fonctionnaire, « quoique la discipline des écoles intéresse la police séculière, comme les instructions chrétiennes, qui se font dans les écoles, en sont regardées comme l'objet le plus important, et que cet objet est de la puissance ecclésiastique, les ordonnances et arrêts ont donné aux évêques, aux curés et autres personnes ecclésiastiques, la connaissance de ces matières. » Et il termine en disant : « Il est constant qu'en Lorraine le choix des maîtres d'école, leur examen, le soin de les surveiller, dépend des évêques, curés et autres personnes ecclésiastiques. »
Non-seulement le clergé les examinait, mais encore, en certains endroits, comme à Toul, il les formait dans une école spéciale, « espèce de séminaire pour les maîtres d'école ». Toutefois, il semble que cette préparation n'était pas toujours suffisante ni intelligemment conduite, car tel délégué se plaint « de ce que les jeunes gens qui y entrent se contraignent et que, l'hypocrisie faisant une de leurs premières attentions, ils paraissent tout autres qu'ils ne sont réellement. »
Ce n'était pas cependant que l'examen auquel les futurs maîtres d'école de campagne étaient astreints fût bien difficile et étendu, autrement nous ne rencontrerions pas aussi souvent, dans l'enquête, les plaintes qu'elle renferme sur leur ignorance ici c'est le subdélégué de Saint-Dié qui se plaint de ce que « presque tous les maîtres d'école ignorent l'orthographe »; là, celui de Boulay voudrait que partout ils fussent formés dans des écoles spéciales, car alors « ils seraient plus instruits sur l'art d'apprendre aux enfants « à lire, écrire et chiffrer»; ailleurs encore, celui de Darney déplore les brigues qui président à la nomination des maîtres d'école et se demande « comment, sans les connaissances de la religion, des règles de l'écriture et de l'arithmétique, ils pourront « enseigner ! »
De fait cet examen, ou pour me servir des termes du subdélégué de Villers-la-Montagne, « cette approbation tombait uniquement sur les mœurs et la doctrine », et cela dans les trois évêchés, comme dans celui de Trèves, pour la partie française et lorraine; il en résultait que,« pour être maître de ces petites écoles, il ne fallait qu'une saine doctrine et de bonnes mœurs ». Encore arrivait-il que, pour les écarts et les hameaux, on était moins exigeant, on prenait, comme dit le subdélégué de Darney, « des espèces de sous-maîtres ou clercs, mais pour la plupart des hommes inconnus, sans aveu, les premiers venus, sans mœurs, sans religion, sans capacité, et qui, par les mauvais exemples qu'ils donnent, corrompent le cœur de la jeunesse au lieu de la diriger à la vertu ».
Le maître d'école restait soumis à l'inspection de l'autorité ecclésiastique qui, en cas d'inconduite, retirait l'approbation. Dès l'année 1700, le Rituel de Toul avait réglé les détails de cette inspection; il stipulait que les évêques, dans leur tournée, devaient interroger publiquement le curé sur le maître d'école.
De ce qui précède, il ne faudrait pourtant pas conclure que le clergé seul eût part à la nomination des maîtres d'école en Lorraine avant 1789, et le droit de nomination, que revendiqua plus tard le pouvoir civil et que, de nos jours, il a fini par exercer à l'exclusion de tout autre, ce droit se trouve déjà impliqué dans la coutume lorraine, qui réservait cette nomination aux intéressés eux-mêmes, à la communauté, non pas seulement dans la personne de ses représentants légaux, mais dans celle du corps électoral tout entier, formé, comme de nos jours de suffrage universel, par tous les habitants de la commune. « Dans l'état actuel, écrit le subdélégué de Boulay, ce sont les communautés qui choisissent leurs maîtres d'école: elles font seules les traités et à peine y appellent-elles les curés, qui prétendent devoir y concourir. La communauté, écrit encore le subdélégué de Blâmont, paraît devoir être la maîtresse de choisir un maître d'école qu'elle salarie. » La communauté choisissait donc entre les divers candidats munis de l'approbation ecclésiastique, le curé se réservant d'approuver ensuite ce choix, pour autant que le nouvel élu devait remplir les fonctions de chantre et de marguillier, intimement liées à celles de maître d'école.
On ne peut nier que la nomination directe par les habitants de la commune, comme nous disons de nos jours, n'entrainât le plus souvent de graves abus et même de véritables scandales. Ils se trouvaient déjà signalés dans la lettre de l'évêque de Saint-Dié, qui provoqua l'enquête, et ils sont pleinement confirmés par tous les correspondants de l'intendant. Cette nomination d'abord n'était valable que pour un temps fort limité, pour une année seulement, et elle devait être renouvelée généralement à la Saint-Georges; ensuite elle amenait, comme disent les subdélégués et les curés dont nous avons les lettres, « des cabales (1) et flatteries à ceux de la communauté qui ont le plus d'autorité, et souvent des buvettes pour apaiser les mauvais et les mécontents; à la parration ou rédaction, le maître d'école paye vin et eau-de-vie. » Le subdélégué du Schambourg écrit (2) : « La préférence est toujours accordée à ceux qui offrent leurs services aux moindres prix et qui, lors de la convention, payent le plus à boire à la communauté, souvent sans s'informer de sa conduite ni de sa capacité.-Les conditions des traités, dit encore le curé de Montigny, ne se font jamais sans cabales et sans des dépenses de boissons dispendieuses et scandaleuses. »
On manquerait à la vérité si l'on méconnaissait qu'en certains endroits, des régents se maintenaient en place nombre d'années; toutefois, « le caprice et l'humeur des habitants rendaient cette place peu stable. - Elle dépendait du caprice, de la fantaisie et de la passion mal entendue d'une certaine portion, toujours prédominante, des habitants. (3) - Les habitants de la campagne, dit le subdélégué d'Étain, choisissent ou révoquent légèrement les maîtres d'école. Depuis la Toussaint jusqu'au Carême, dit le subdélégué de Saint-Mihiel, il n'y a pas de cabale, parce que les parents craignent que leurs enfants ne soient maltraités ; mais alors et très-souvent plus tard se forment des brigues, par toutes sortes de motifs, dans lesquels la gourmandise est presque toujours de la partie; ces brigues sont suivies de contestations, qui souvent ne peuvent être vidées pour le terme de l'année, ce qui cause du trouble dans les paroisses et des scandales, à l'occasion des débats des prétendants. -Souvent quelques particuliers d'une communauté protègent le maître de la communauté voisine, qui n'en était pas contente, pour le faire entrer dans la leur, et presque chaque année les maîtres changent de paroisse; c'est une navette presque continuelle, parce qu'il est rare qu'il n'y ait deux partis dans chaque communauté, et que, jusqu'à présent, l'on s'est déterminé pour le choix par le plus grand nombre des voix des paroissiens (4). »
Ici les divisions naissaient entre les membres mêmes de la paroisse, là entre la communauté et le curé, de telle sorte qu'un subdélégué écrit : « J'ai vu des maîtres, dont les curés étaient contents (5), être obligés de quitter leurs paroisses, par le caprice de quelques habitants; j'en ai vu d'autres que tous les habitants avaient bien de la peine à soutenir contre les attaques d'un curé à qui ils avaient eu le malheur de déplaire. »
De quelque côté donc que le maître d'école se tournât, il était en présence de personnes dont son avenir dépendait et qu'il fallait ménager à tout instant; ici les parents des élèves, dont le subdélégué de Bourmont (6) dit que « les habitants de la campagne regardent les maîtres d'école comme des espèces de valets à leurs gages, et qu'ils n'ont pour eux presque aucun égard » ; là le curé, pour qui le maître d'école, dit le subdélégué de Gondrecourt (7), « n'est, à parler net, qu'un valet. Le témoignage du curé est assuré au maître d'école s'il le sert vilement; s'il lui est utile, il exerce ses autres défauts et peut-être que la jeunesse ne reçoit pas l'instruction que l'on en attend. » - « Un curé, dit le subdélégué de Saint-Mihiel, ne sera pas content de son maître d'école, souvent pour des choses tout à fait étrangères à ses fonctions, peut-être pour s'être refusé à lui rendre des services particuliers que la plupart exigent d'eux, ce sera un motif suffisant à ce curé de lui refuser son certificat, malgré son mérite et son aptitude.
Que d'occasions n'avait-il pas, en effet, où il risquait de s'attirer les mécontentements de son curé, dans l'exercice de fonctions qui étaient doubles; d'abord comme directeur de l'école, ensuite comme chantre, marguillier et sonneur! Voici, en effet, comment le subdélégué de Mirecourt énumère et classe les principales fonctions du maître d'école : « assister le curé dans tout ce que son ministère exige, messes, vêpres, catéchismes, enterrements, baptêmes, services, tout est indispensablement lié avec les fonctions pastorales, mais indépendamment de ces objets, à remplir avec décence et édification, il faut encore apprendre à lire, à écrire à la jeunesse, ainsi que les principes de la religion » ; et quant à celui d'Étain, il les appelle indifféremment : « maîtres d'école ou chantres de leur paroisse ». Ces dernières fonctions semblent même avoir eu le pas sur les premières, car le subdélégué de Nomeny écrit que : « lors des concours, la préférence est quelquefois donnée au mérite, mais plus souvent d'autres considérations, une bonne voix, une figure avantageuse, des services rendus au curé, l'emportent »; en faut-il davantage pour justifier cette peinture presque grotesque d'un concours que nous trouvons dans la notice historique de la ville de Gerbéviller, de M. Piérot-Olry ? « Dans toute commune où il s'agissait de pourvoir au remplacement de l'instituteur, chaque conseiller municipal présentait son protégé. Après quelques épreuves insignifiantes, on faisait un choix préalable plus ou moins bon. L'épreuve décisive devait avoir lieu en présence de tous les habitants. Le beffroi du village appelait les fidèles à l'église, non cette fois pour prier Dieu, mais afin d'ouïr chanter les candidats. On ouvrait donc gravement le missel du lutrin, et hommes, femmes, enfants, montés sur les bancs, l'oreille tendue, écoutaient les postulants s'escrimer à pleins poumons. Enfin la couronne était décernée; elle devenait toujours le partage de la plus grosse voix. On faisait peu de cas de l'harmonie et de la justesse. »
Il fallait donc chanter au lutrin, balayer l'église, nettoyer le linge; il fallait aussi sonner les cloches, et ce n'était pas là une sinécure, car nous lisons dans la lettre du subdélégué de Rambervillers « C'est malgré moi que je consens à astreindre les maîtres d'école à sonner pour les orages; mais c'est un usage si enraciné parmi le peuple de cette province, qu'il jetterait les hauts cris si l'autorité le supprimait. Il se porterait peut-être à des excès de désespoir si, comme cela ne manque presque aucune année d'arriver dans un canton ou un autre, il survenait quelque accident de grêle. Je n'en ai parlé que pour les soulager de sonner pendant la nuit, que la plupart des paroisses leur imposent et qui ne leur laisse aucun repos pendant deux ou trois mois. »
Les malheureux qui acceptaient de telles fonctions trouvaient-ils un dédommagement dans une rétribution large et vraiment rémunératrice ? Nullement; qu'on en juge : le gros du traitement payé en argent s'élevait à cent cinquante livres de France en moyenne, conformément à la déclaration de Louis XV, en date du 14 mai 1724, mais il arrivait souvent que les gens de campagne, « intéressés à saisir ce qui coûte le moins », cédaient à la tentation de renvoyer un bon maître d'école, pour en prendre un moins digne qui se présentait à moindre prix.
Aux gages venait s'ajouter l'écolage perçu par tête d'enfant, avec gratuité plus ou moins complète pour un nombre limité d'indigents. Cet écolage était, dans le Schambourg, de « 9 sous de France par enfant, quand le maître d'école était nourri, mangeant tour à tour chez les pères et mères des écoliers, ou de 48 sous de Lorraine pour le tout. » A l'ordinaire il devait être perçu proportionnellement à l'âge de l'enfant et suivant son degré d'instruction; le curé de Montigny voudrait une ordonnance qui le fixât uniformément à quatre sols par mois pour les petits enfants qui n'écrivent pas encore, à six pour ceux qui apprennent à écrire, et à huit pour ceux qui apprennent l'arithmétique et l'orthographe.
A cette portion du traitement perçue du chef de l'école, venaient s'ajouter, comme sacristain: 1º la redime, dîme de la troisième charrue, ou dîme de l'un des trois plus forts laboureurs : c'étaient quatre paires de rezeaux et demi de blé à Chavelot ou la valeur de soixante livres à Frénois-la-Montagne ; ou bien encore un préciput sur la dîme en général; 2° une quantité de grains variant, selon les localités, entre deux et sept rezeaux, s'élevant ailleurs à un bichet d'avoine et une gerbe de blé à la récolte par habitant; 3° dans quelques localités privilégiées, la jouissance de certaines fondations: jardins, prés, terres, maison; et, enfin, 4° des fondations obituaires, quatre ou cinq sols par habitant pour l'eau bénite et une certaine somme pour blanchir le linge d'église. Réunissant toutes ces sources de revenus, on arrive à une somme qui s'élevait en moyenne à deux cent cinquante ou trois cents livres, cours de Lorraine, et par exception à quatre cents livres dans une seule communauté du diocèse de Saint-Dié; c'était à peu près, comme le dit le subdélégué de Mirecourt, 20 sols par jour, et il ajoute : « un manœuvre en gagne au moins autant ».
Si encore la perception de cette somme avait été assurée au maître d'école ! Mais il n'en était rien, et c'était lui qui devait la faire : il devait aller de porte en porte recevoir, de la main à la main, ce que le contrat avec la communauté avait stipulé, et les lettres de l'enquête nous montrent combien peu les habitants s'empressaient de s'acquitter de leur dû. « Tant que les maires, dit le curé de Frénois, ne seront pas chargés de faire rentrer au maître d'école les bichets d'avoine, celui-ci est en grand danger d'en perdre une grande partie, par la difficulté qu'il trouve de s'en faire payer par nombre de particuliers. » - « Souvent, ajoute le curé de Montigny, pour récupérer un modique objet de 15 à 20 sols, il faut faire pour six, maime (sic) dix livres de frais, et souvent les habitants n'étant pas en état de les supporter, les maîtres d'écolle (sic) préfèrent de perdre leurs salaires. »
« Étonnons-nous après cela que le subdélégué de Bourmont ait écrit : « Un malheureux maître d'école, après avoir bien fait son devoir, souvent meurt de faim. »
C'est pour échapper à cette affreuse destinée que la plupart des maîtres d'école se livraient à une profession manuelle; le subdélégué d'Épinal écrit qu'il n'y a guère de maître d'école qui n'ait une profession ou qui ne cultive quelques terres pendant l'été, où il n'est pas obligé de tenir l'école. Les uns étaient laboureurs, d'autres journaliers et quelques-uns pauliers ou même cabaretiers, en sorte qu'il pouvait arriver que l'école fût tenue dans la salle où, la classe terminée, les parents des élèves venaient boire le vin que leur servait le maître d'école, devenu cabaretier le soir.
Nous ne poursuivrons pas plus loin une étude qui nous entraînerait au delà des bornes que cette Revue nous impose forcément, mais qui pourra trouver ailleurs une exposition plus étendue; qu'il nous suffise d'avoir montré que la pénible situation de l'instituteur, au commencement du XIXe siècle, était un triste héritage du passé, que si elle s'est améliorée, on le doit pour une bonne part à la substitution de l'autorité civile à l'autorité ecclésiastique, et que c'est en s'affranchissant de cette dernière que l'on a respecté davantage en lui la qualité d'éducateur de la jeunesse.

Édouard SCHMIDT.

(1). Lettre du curé d'Uguy du 12 mai 1779.
(2). Idem 25 août 1779.
(3). Lettre du curé de Montigny du 4 juin 1879.
(4). Lettre du 18 août 1780.
(5). Lettre du 27 mai 1779.
(6). Lettre du 30 juillet 1779.
(7). Lettre du 24 mai 1779.

 

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