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Août 1914 - Récit d’un artilleur


Le journal Le Républicain de Chinon va publier à compter de décembre 1915 le récit d’un artilleur, parti de Joigny début août, affecté sur le front nord du Blâmontois jusqu’à la défaite de Lagarde, puis replié vers le front du Grand-Couronné de Nancy.
Nous ne publions ici que ces 5 premiers épisodes de cet artilleur du 3e Régiment d’artllerie Lourde (« Rimailho ») à Joigny (Yonne), peut-être de la seconde batterie.


Le Républicain de Chinon
16 décembre 1915

Un de nos amis a bien voulu réserver pour les lecteurs du Républicain, les intéressants faits de guerre écrits par son fils, sur le front depuis le début de la guerre.
Ces « Notes d’an canonnier », dont nous poursuivrons la publication chaque numéro, ne manqueront pas de les intéresser.

Simples notes d’un canonnier
Enfant de l'arrondissement de Chinon

Dimanche 2 août. - Mobilisation générale.
Dimanche 9 août. - Départ de Joigny. Je suis de devant au canon de la 2e pièce avec ma vieille Ganache et un cheval de réquisition que je baptise Philippe (en souvenir d’un Alsacien connu à Strasbourg). Etape de 28 kilomètres. Nous passons à Laroche où tout le monde nous acclame et nous offre des bouquets, des drapeaux, des rubans tricolores. Les jeunes filles et les femmes coupent sans pitié toutes les fleurs des jardins et toutes nos voitures et tous nos chevaux sont décorés et parés comme pour un carnaval de Nice.
Chacun compte sur le retour triomphal dans quelques semaines et cette guerre semble une promenade magnifique dans la beauté d’un splendide été. A Avrolles, les verres de vin circulent, les bouteilles sont prises par les conducteurs adroits. Nous arrivons à Saint Florentin, nos chevaux logent à l’hôtel du Lion d’Or et nous avons des billets de logement. Avec mon camarade Maillard, un philosophe tourangeau, sommes très bien reçus par Mme ' Guyard. Longue promenade dans la petite ville pittoresque, excellent souper et bon lit. Le philosophe était fou de voir mes deux pieds sortir du lit pas assez long.
Lundi 10 août. - Partons dès 6 heures et faisons une longue étape de 42 kilomètres, presque toujours au pas. Nous traversons Tonnerre, animé comme pour une grande fête, pour arriver à 2 heures et demie à Lézinnes. L’accueil est inouï. Nous faisons la cuisine dans les prés, les chevaux à la corde, mais le cantonnement est envahi. De tous les côtés on nous offre des seaux de vin et la jeunesse vient voir les artilleurs. Bientôt les bons chanteurs du 3e (artillerie lourde), le gosier copieusement arrosé, entonnent leur répertoire. Ce ne sont que groupes joyeux, peut-être même un peu emballés. A 7 heures, nous partons avec regret, après un dernier : « Au revoir, à bientôt » et nous allons jusqu’au Port de Passy, quai d’embarquement militaire à la sortie du tunnel. Nous restons à la belle étoile dans l’herbe douce jusqu’à 11 heures. Le train arrive, nous embarquons les chevaux et es lourds canons. A 2 heures du matin le train part et nous allons... Où ?
Mardi 11 août. - Je suis garde d’écurie, avec les chevaux nous dormons jusqu’au matin. Alors, la porte ouverte toute grande, nous sommes assis sur le rebord du wagon et nos pieds pendent sur la voie. Nous faisons un long voyage d’agrément par Dijon, où nous sautons sur les journaux, Is-sur-Tille où nous prenons de l’eau pour nos chevaux et pour nous, le tunnel de Chaleindrey effraye notre cavalerie. A Contrexéville et Vittel de gentilles jeunes filles nous offrent des fleurs, des cartes postales, à boire. .. Nous passons à Mirecourt et filons jusqu’à Vézelise où nous arrivons dans le soleil couchant. Nous débarquons et attelons et nous vivons une longue nuit errante. Nous voyons des lueurs, nous entendons des grondements lointains, nous prenons des dispositions de combat, nous avons des arrêts fréquents. Dans la fraîcheur de la matinée, nous sommes de nouveau à Vézelise. (Il paraît que cette nuit mystérieuse nous voulions dérouter un Zeppelin qui nous surveillait ?)
Mercredi 12 août. - Avec quelques pipes je chasse l’envie de dormir et nous allons jusqu’à Bayon où nous arrivons vers 10 heures. Le parc est formé à la sortie du pays dans l’herbe épaisse. Nos chevaux sont mis à la corde sous des pommiers. Les servants cuisinent et je mange sous un caisson car le soleil est brûlant. Mon logis instructeur d'Orléans, Chevalier, m’a demandé à des camarades car il est au groupe des rimailhos de Gien. Je ne puis le retrouver, ils partent trop tôt. Nous faisons l’abreuvoir dans la jolie rivière. Quelle belle journée d’été. La bière est excellente et nous trouvons du tabac de zone. Après de vieilles pipes nous couchons à la belle étoile près de nos chevaux. Le Bray est de milieu pour remplacer Maillard qui a démoli un de ses bourins en débarquant à Vézelise. Nous bricolons au clair de lune pour partir à 2 heures du matin. (A suivre).


23 décembre 1915
Simples notes d’un canonnier
Enfant de l'arrondissement de Chinon (Suite)

Jeudi 13 août 1914. - Nous arrivons dans la matinée à Lunéville.
Nous traversons une partie de la ville, l’on nous offre des verres de vin. Nous couchons dans la caserne des chasseurs. Les chambrées du 17e sont dans un désordre incroyable. Ils sont partis en quelques heures, ils ont laissé des gamelles de viande, ils ont démoli leurs boîtes individuelles ; les lettres, les cartes postales se balladent. Les lits sont culbutés, les tables, les bancs cassés, des cartes d’Allemagne se promènent, ça sent la guerre.
Je vais au fourrage, nous passons devant le château des ducs de Lorraine transformé en caserne. Sur la place, une statue de Lassalle, l'un des entraîneurs de la cavalerie. Je sors avec X... à 7 heures, nous faisons un billard, à 8 heures on ferme tous les volets. Les lumières doivent être masquées pour éviter les Zeppelins. Nous manquons de nous perdre en revenant par les rues noires à 9 heures. Nous couchons habillés sur les lits, les derniers que nous ayons eus.
Vendredi 14 août. - Partons de Lunéville assez tard ; nous rencontrons de nombreux dragons et apprenons que les boches sont encore dans la forêt de Parroy que l’on voit au nord de Lunéville et qui s’étend très loin. Nous filons jusqu’à 1 kilomètre d’Emberménil et nous nous arrêtons pour préparer le café. Un cavalier, sans doute un éclaireur boche, file à toute vitesse et bientôt quelques coups tonnent.
Une demi-douzaine de petits nuages blancs s’amènent dans notre direction. Nous tournons les arrière-trains sur la route et revenons à Morainviller. Dans le vidage, un officier boche entre deux gendarmes. Abreuvoir, distribution. Nous campons dans une boucle de la rivière, au milieu des prés; grand bivouac fantastique au clair de lune. De tous les côtés les feux brillent et nous faisons une cuisine réussie jusqu’à 11 heures : bifteck, frites, salade, café. Roulés dans nos manteaux, nous couchons près des chevaux. Réveil à 2 heures du matin pour partir peu après. Le ciel commence à s’éclaircir du côté de l’Est, le jour approche et nous prend en route.
Samedi 15 août. - Traversons Emberménil, on nous donne des prunes. Nous voyons trois chevaux boches, premières victimes de la guerre. A travers les prés et fossés nous nous mettons en batterie à l’abri d’une crête. Nous ne lirons que quelques coups (c’est notre début) mais 75 et 155 canonnent sans arrêt. Nous buvons l’eau du fossé, chaleur accablante. Nous partons bien tard. Une pluie d’orage nous tombe sur le dos et plus trempés que des canards nous arrivons dans la nuit la plus noire à Emberménil. A l’aide de vagues lanternes nous parvenons à placer nos voitures, la boue est plus haute que la cheville. Nous mettons les chevaux à la corde ; je cherche, sans succès, des pruniers. Beaucoup se couchent autour de quelques grands feux et n’ont pas le courage de cuisiner. Avec bien du mal nous réussissons notre repas et prenons le jus à une heure du matin. Court repos, car nous partons à trois heures et demie.
Dimanche 16 août. - Nous nous mettons en batterie à la place d’hier, les boches reculent et à travers champs nous avançons jusqu’au dernier village de Remoncourt occupé pendant neuf jours par l’ennemi. Les boches se sont signalés en bouffant de nombreux cochons qu’ils faisaient cuire dans les lessiveuses. Les chevaux à la corde, nous sommes installés dans un beau verger où les pruniers ne manquent pas. Je suis garde d’écurie (en plein air), orage et pluie violente. Mon mince abri de branches ne me garantit guère. Je fais du jus pour la pièce le lendemain et j’ai le toupet, vers minuit, de faire cuire et de manger une pleine gamelle de compote de prunes Je ne dors guère.
Lundi 17 août. - Nous traversons la frontière, le poteau boche est culbuté.Le lieutenant P. tout fier, tire sa montre : il est neuf heures moins dix. Alors un tourangeau, tête folle, de sa grosse voix dit : vous pouvez bien mettre 9 heures. Passons à Moussey, Avricourt qui me rappelle mon voyage et la douane allemande (en 1912) et allons jusqu’à Ygney (frontière française). Nous restons toute la journée en batterie. Des aéros passent, les connaisseurs disent : un français, et cet animal de boche jette une bombe qui ne tombe pas loin de nous. Je rigole encore en revoyant la tête de tous ceux qui cavalaient à toute vitesse, un « logis » plus fort que les autres. La bombe siffle et éclate, c’est pour rire. Je me moque du « logis », c'est honteux, dit-il, d’avoir peur comme çà. Deux autres bombes tombent sans éclater, l’une frôle un canon et le maître pointeur. De tous les côtés la fusillade éclate et le boche disparaît. Nous couchons à Igney.
(A suivre).


30 décembre 1915
Simples notes d’un canonnier
Enfant de l’arrondissement de Chinon (Suite)

Mardi 18 août 1914. - Même mise en batterie que la veille, nous faisons la cuisine aux avant-trains. Dans l’après-midi nous partons et repassons à Avricourt. Le long de la route nous rencontrons le groupe lourd de Gien. Ils ont dévalisé une manufacture boche de cigarettes ; ils en ont de pleins sacs à avoine et nous font une distribution généreuse dans les képis, Tout le monde fume des bouts d’or. En plus un wagon de lanternes d’écurie à l'aigle impérial a été pillé en gare d’Avricourt et toutes les voitures en ont deux ou trois. Dans la nuit noire nous traversons Mézières, on ne voit pas à dix mètres devant soi et la conduite est difficile. Nous filons jusqu’au village d'Azondange. InstalIons nos chevaux et allons pour nous coucher. Nous avons une soif terrible mais nous ne pouvons trouver un seul verre de vin, nous buvons une eau détestable. Nous logeons dans une grange où les uhlans nous ont précédé voici quelques jours. Ils se vantaient, paraît-il d’être à Paris dans quinze jours, un mois. Dans la nuit, les mitrailleuses marchent sur une crête, les moulins à café tournent. Pas d’alerte cependant.
Mercredi 19 août. - Lever à trois heures. Allons jusqu'à Dieuze par une matinée ensoleillée. Curieux ce voyage en Alsace où nous entrons sans peine et où rien n'est détruit. Nous traversons de jolis bois qui bordent des étangs remplis de poules d’eau et de canards. Canonnade dans le lointain, nuages de fumée noire, il paraît que la lutte est dure vers Morhange mais nous sommes pleins de confiance. Nous abandonnons un cheval fourbu et le remplaçons par celui du chef de pièce. Avec ma vieille Ganache nous faisons un fameux temps de galop pour rattraper la colonne. Nous formons le parc à un kilomètre de Dieuze à l’abri d’une crête. Je revois mon « logis » X. et parlons d’Orléans. Après la soupe, à la nuit, cela me tente beaucoup d’aller à Dieuze, Nous avons besoin de tabac et crevons de soif après une journée à la poussière. Avec J. nous descendons vers la jolie petite ville. Les cafés sont pleins d’artilleurs, malgré la défense. ; Tout le monde est gai et la monnaie française roule. Le tabac n’est pas cher. Comme nous rentrons, un monsieur... nous invite avec deux autres artilleurs à venir prendre le thé chez lui. Mme... qui a des parents officiers chez nous et qui parle un .français rare nous offre, en guise de thé, un solide repas avec bon potage, viande ; et légumes, dessert, café et cigares. Ces Alsaciens à la bonne manière ne craignent qu’une chose, le retour des damnés boches. Ils ont vu des prisonniers français à la Garde où le combat a été très chaud. Ils ont assisté à la fuite, dans la nuit, de tous les Allemands du pays qui partaient à notre approche, les uns en voiture, les autres à pied, certains moitié vêtus, des enfants sur les bras. Nous célébrons les mérites de notre 75 et assurons que nous avons pénétré, sans combat, jusqu’ici et qu’il sera difficile de nous déloger. Je lis des journaux allemands où l’on voit des nouvelles fantastiques. Nous rentrons au bivouac à une heure du matin et couchons dans nos manteaux près des chevaux.
Jeudi 20 août. - Première journée sous le feu. - Partons de Dieuze dans la matinée et faisons une dizaine de kilomètres vers la ligne de feu. Par nos éclaireurs, la nouvelle de luttes terribles nous parvient, nous rencontrons des chasseurs à pied qui ont beaucoup souffert, mais ils paraissent impassibles. Nous entendons une très violente canonnade et nous nous mettons en batterie derrière une crête. Les pièces sont masquées par des buissons que nous coupons. Le soleil est terrible, nous cherchons un peu d’ombre sous le ventre de nos chevaux. Les pauvres bêtes n’ont pas bu un seau d’eau depuis deux jours et nous allons ramasser de l’avoine dans les champs pour les nourrir. Nous tirons beaucoup.
Vers 4 heures, débouchent de tous les petits bois longues files de fantassins, on dirait des fourmis qui sortent de partout mais ils reculent en vitesse et c’est en colère que nous allons chercher nos canons. La manoeuvre n’est pas rapide avec notre lourd 120. Sur la route nous avons de fréquents arrêts car l’encombrement est fantastique, il y a parfois trois voitures côte à côte.
A la traversée d’un village, Impie attelé au caisson de ma pièce tombe frappé d’un coup de sang. La voiture reste avec mon chef de pièce C., les servants et les conducteurs. Nous voyons des obus dans le lointain, en l’air, des blancs, des noirs percutent dans la terre, un pont saute et une gerbe de fumée orange monte. Puis les premiers obus au-dessus de nos têtes ; avec un bruit métallique, de déchirement d’acier, les gerbes de balles arrosent la route. C’est mal tiré, un seul cheval de blessé. Le premier coup cause une impression de surprise, d'inconnu ; cela ne ressemble à aucun des bruits auxquels notre oreille est habituée. (A suivre).


6 janvier 1916
Simples notes d’un canonnier
Enfant de l’arrondissement de Chinon (Suite)

On fait demi-tour sur la route pour se mettre en batterie, puis contre ordre ; les servants sont électrisés, à deux, ils tournent et accrochent le canon qu’ils avaient du mal à manoeuvrer à 5 ou 6 en temps ordinaire. Nous partons au trop et bon trop, car ce n’est guère l’instant de moisir. Sur la route, le désordre est complet, des fantassins débandés filent rapidement, beaucoup abandonnent leur sac et même leur fusil pour courir plus vite, quelques-uns grimpent sur nos voitures. Un peu à l’abri, nous arrêtons, notre caisson perdu ne revient pas. Nous repartons et la marche est lente. Dans la nuit, nous avons des arrêts interminables, où l’on fait charger les mousquetons des servants et où l’on parle de uhlans qui sont dans le voisinage. X incorrigible s’endort dans un fossé, il ne ratrappe notre voiture que 500 mètres plus loin. Il est défendu de fumer et il fait si noir que l’on me dit : maréchal des logis, le capitaine vous recommande de ne pas faire de feu. J’avais le rire. Bientôt je ne remarque plus où nous passons, je m’endors sur ma bonne ganache (affaire d’habitude) et aux arrêts, aux secousses, j’ouvre à moitié les yeux et le ciel me fait l’effet d’un mur très haut, bordant la route, et où il y aurait des lumières, des fenêtres éclairées (par les étoiles).
Nous n’avons rien à manger, enfin, vers le matin, nous ratrappons le canal de la Marne au Rhin qui passe à Beuzemont, Einville.... Ce qui me réveille, se sont les pruniers chargés de mirabelles d’or qui garnissent la route, nous cassons les basses branches. A un arrêt, nous ramassons de pleins képis de ces prunes sucrées qui nourrissent et rafraîchissent.
Nous traversons Dombasle, Varangéville et vers 11 heures et demie nous arrivons à Saint-Nicolas-du-Port, jolie petite ville et nous voilà de bonne humeur. Nous bivouaquons tout en haut de la ville et sommes libres. Nous sautons chez les charcutiers, épiciers.... Nous touchons des provisions pour 15 ; 15 litres de bière.... (Nous attendons toujours notre caisson disparu) et nous ne sommes plus que cinq à la pièce. J’ai du tabac de Dieuze, la bière est bonne et nous prenons un repos bien gagné. Les chevaux ne l’ont pas volé non plus.
Vendredi 21 août. - Restons à Saint-Nicolas. Je vais en ville aux provisions. Sur le marché il y a une folle animation, tous semblent revivre après cette pénible retraite. Nous nous reposons avec plaisir et allons chercher du fourrage en quantité pour nos chevaux. Le soir, je suis garde d’écurie et je ne puis arriver à retrouver mes bourins au milieu des trois batteries. Le cantonnement est curieux dans ce pré avec tous les petits feux allumés.
Samedi 22 août. - Nous sommes en batterie près de Saint-Nicolas, à côté de la ferme des Xoudailles, nous tirons. Les Allemands reculent et incendient Maixe sur le canal de la Marne au Rhin ; une lueur sinistre éclaire la nuit. Chaque fois que nous verrons un incendie ce sera le signe certain que les boches évacuent un village. Nous couchons dans un grenier à fourrage. Toujours pas de nouvelles de notre caisson.
Dimanche 23 août. - Lever à cinq heures, temps magnifique. Les avant trains sont dans la prairie, le long du ruisseau. Nous passons une bonne journée à cuisiner, faire des frites, car nous allons aux pommes de terre dans les champs et cueillons aussi quelques képis de mirabelles.
Lundi 2k août. - Passons encore toute la journée aux Xoudailles.
Mardi 25 août. - Même mise en batterie pour la matinée. L’après-midi nous traversons Saint-Nicolas, Varangéville, Dombasle. Au-dessus des salines, nous voyons les petits nuages blancs des 77 qui arrivent par salves, puis quelques petits noirs. Les Allemands reculent cependant. Nous mettons en batterie sur un coteau très raide, tout près de la route de Lunéville, les chevaux ont peine à monter les canons. Le 60e d’artillerie en position tout à côté à quelques morts et blessés (ce sont les premiers artilleurs que nous voyons atteints, impression désagréable, des vestes entaillées pour permettre de placer les pansements ou encore des têtes enveloppées de linges sanglants). Des éclats viennent tomber dans les pruniers où nous sommes. Nous les ramassons curieusement. A la nuit, long, très long retour aux Xoudailles, je dors sur Ganache pendant la route. Nous couchons au hasard et le matin je suis réveillé par un cheval, j’ai dormi toute la nuit sous son nez (peu de nourriture, ravitaillement rare).
(A suivre).


13 janvier 1916
Simples notes d’un canonnier
Enfant de l’arrondissement de Chinon (Suite)

Mercredi, 26 août. - Même voyage que la veille pour coller la batterie au même endroit. L’après-midi, nous nous déplaçons pour arriver derrière Vitrimont. Nous sommes très près des Allemands, mais ils prennent quelque chose avec notre 120 court, il paraît que nous empêchons plusieurs batteries de pouvoir se mettre en position ; notre Commandant monté dans le clocher les fait canonner avant qu’elles soient placées. Il félicite nos pointeurs. Le Commandant est casse-cou, mais très sympathique avec sa grande barbe noire. Un culot d’obus tombe sur le timon de la voiture. N. caché sous l’avant-train, fait une vilaine grimace qui amuse beaucoup L. qui discute avec moi, car nous sommes couchés tous deux au soleil derrière des gerbes de blé. Les éclats passent avec un bruit léger, on dirait le vol d’un pigeon. La canonnade est violente, Nous partons à la nuit pour aller coucher à Dombasle.
Jeudi, 27 août. - Même mise en batterie à la pointe du jour mais nous sommes seuls ; les 7e et 8e batteries sont en position ailleurs. L’après-midi, nous prenons quelque chose, les obus tombent tout près et nous devons emmener les avant-trains derrière un bois à travers une plaine balayée par les percutants et les fusants, les noirs et les blancs. Nous menons nos chevaux à la main et devons sauter des fossés. Chacun va de son côté. Je tiens d'une main Impératrice et de l’autre Ganache ; Impératrice souffle, je crois qu’elle a peur. N. dit : « j’ai une balle dans la cuisse » N. répond tu blagues et nous faisons plus de 500 mètres, à l’abri du bois, N. défait son houzeau, voit le trou et crie : « mais j’ai une balle » Alors il ne peut plus marcher et va à cheval à l’échelon se faire soigner. Je vois qu’Impératrice a reçu une balle dans la poitrine, nous devons abandonner cette jolie bête, sans elle j’étais certainement atteint. A la voiture, le porteur de L,. et celui de N. sont blessés. La moitié des voitures et des conducteurs sont disparus dans le bois, quelques-uns ont abandonné leurs chevaux. Avec bien du mal, le chef a donné l’exemple de la rapidité, rassemble quelques voitures. Il faut revemr près de Vitrimont où nous serons bien mieux à l’abri à côté de nos pièces. Le chef commande : au trop et pour donner 'exemple file au grand galop sans plus s’occuper de nous. Les voitures vont le plus vite possible. Avec nos deux blessés sur six chevaux L. et moi devons aller au pas et nous servons de cible aux pointeurs boches qui ne tirent pas mal, car les obus tombent tout près. Un ballon captif ennemi nous observait et au début, ils ne ménageaient pas leurs munitions, tirant souvent sur un unique cavalier. Nous passons à travers les éclatements. J'entends les balles qui atteignent les chevaux avec un bruit mat et celles qui sifflent entre nos jambes et à côté de nos oreilles. A la batterie, le Lieutenant pense que nous sommes fichus. Nous arrivons pourtant à l’abri de la crête. Résultat : deux autres chevaux blessés et sur les quatre, certains ont plusieurs blessures. Seuls, nos deux chevaux n’ont pas une écorchure. J’en suis ahuri et heureux. Nous devons changer les bourrins. A la nuit nous rentrons à Dombasle.
Vendredi, 28 août. - Nous sommes à peine couchés dans le foin, la cuisine faite, que nous avons alerte à 1 h. 1/2 du matin. Dans la nuit noire, ma vieille Ganache a été prise par je ne sais qui. Je trouve un autre cheval tout arnaché et nous partons. L. est resté endormi dans un coin. Nous traversons Dombasle et nous nous retirons derrière la Meurthe. En route, nous abandonnons un cheval fourbu. Par bonheur, au petit jour, à l’arrêt, je retrouve Ganache et nos six chevaux sont complets. L. est revenu et nous dévalisons les pruniers, car nous avons faim et soif. Nous retournons mettre en batterie à Vitrimont ; en traversant Varanguéville, nous voyons une quarantaine de prisonniers boches. Les obus nous saluent, les avant-trains filent au grand trot, seule ma voiture attend un quart d’heure, puis nous allons au pas vers Hudiviller. Couchés dans l’herbe, nous attendons le chef qui ne dit rien, mais semble comprendre l’exemple, L. se moque absolument du danger et cela me plaît beaucoup, car le courage est d’une extrême rareté, surtout le courage de l’artilleur qui n’a que son sabre et ses deux chevaux. Près d’Hudiviller, tirs magnifiques des 120 longs, les 4 pièces à la fois, on n’entendrait pas le tonnerre, un aéro règle le tir et vient très bas pour lancer un pli. Nous rentrons à Dombasle à la nuit.
Samedi, 29 août. - Toujours même mise en batterie le matin. Les boches reculent et nous avançons par Anthelupt pour nous placer près du Lioment où sont de nombreux morts français et boches. Notre artillerie a fauché toute la région. Il passe de pleines charrettes de cartouches, sacs, ceinturons, livrets individuels, bouquins de prière boches ; sur une voiture un sous-off. d’artillerie tué. C’est le premier champ de bataille que nous voyons de près. (A suivre).

 

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