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Travaux publics et corvées en Lorraine au XVIIIe siècle (2/2)
(Notes renumérotées)

 

Annales de l'Est
1899

LES TRAVAUX PUBLICS ET LE RÉGIME DES CORVÉES EN LORRAINE AU XVIIIe SIÈCLE
(Suite et fin (1).)

CHAPITRE V (suite).

Pendant que La Galaizière érigeait ainsi l'arbitraire en loi et accumulait abus sur abus, quelle attitude avaient dans leurs provinces les autres intendants ? Sans doute, suivant en cela les instructions ministérielles, tous ordonnaient des corvées pour les ouvrages des Ponts et Chaussées. Mais ils s'efforçaient, d'ordinaire, de rendre ce fardeau moins lourd et sa répartition aussi équitable que possible.
Depuis 1742, nous les voyons successivement, dans plusieurs Généralités, régler par des ordonnances tous les détails de ces travaux. Ils tiennent à fixer le nombre et la durée des journées de corvée, l'alternance du travail et du repos. C'est l'intendant de Moulins, par exemple, qui s'occupe d'assurer dans les environs des ateliers des logements sains pour les corvéables (2), C'est l’ingénieur de Champagne qui, dans un long mémoire, se fait l'écho des travailleurs (3). C'est encore l’intendant de Caen qui ne commande plus que les communautés éloignées de moins de deux lieues (4). Tous se montrent de plus en plus soucieux d'alléger les populations d'une charge qu'elles jugent particulièrement odieuse.
La chaussée de Neuviller fut la grande faute du Chancelier. Impérieux toujours, dur souvent, jusqu'alors La Galaizière père était resté intègre. on se demande, après avoir étudié d'un peu près ce froid caractère, quelle orgueilleuse folie s'empara de lui pendant trois années. Vrai maitre des Duchés, il semble grisé par son pouvoir presque absolu. Les malédictions du pays ne contribuent qu'à l'exciter. Quelles qu'aient été les qualités administratives de l’Intendant, ce déplorable moment d'erreur les fera en grande partie méconnaître. L'histoire de La Galaizière est restée inséparable de celle des corvées. Les Lorrains ne pardonnèrent pas. Le Chancelier demeure pour la Province celui que nos pères flétrirent d'un simple mot : l'homme de Neuviller.
Les penseurs, les écrivains qui vécurent en Lorraine au temps des corvées n'en oublièrent jamais le lamentable spectacle. Saint-Lambert le décrira dans son poème des Saisons, esquissé déjà à cette époque. Du sein d'une existence toute de plaisirs et de galanteries, le poète n'avait pu rester sourd aux gémissements de ses compatriotes, Le seul passage vraiment ému de son long pastiche, publié en 1769, est consacré à ce souvenir. L'idylliste se fait alors presque justicier. J'ai vu, s'écrie- t-il,
J'ai vu le magistrat qui régit ma province (5),
L'esclave de la cour et l'ennemi du prince,
Commander la corvée à de tristes cantons,
Où Cérès et la faim commandaient les moissons.
On avait consumé les grains de l’autre année;
Et je crois voir encor la veuve infortunée,
Le débile orphelin, le vieillard épuisé,
Se traîner, en pleurant, au travail imposé.
Si quelques malheureux, languissants, hors d’haleine,
Cherchaient un gazon frais, le bord de la fontaine,
Le piqueur inhumain qui préside aux travaux,
Leur vendait à prix d'or un moment de repos (6)

Saint-Lambert nous montre alors, au milieu de l' « atelier », une jeune épouse qui, penchée sur son nourrisson malade, est bientôt obligée de s'arracher a ces tendres soins:
Elle entend du piqueur la voix triste et cruelle
Et retourne au travail où ce tyran rappelle ....
Puis, pour insister davantage, pour bien nous montrer que ce ne sont pas là de vaines peintures sentimentales, que c'est réellement lui qui, par la bouche de cette mère, maudit le « travail funeste », le poète tient il accompagner ses vers d'un commentaire significatif: «Je savais sans doute », dit-il, « que la loi n'ordonnait pas aux femmes d'aller à la corvée, mais je savais aussi qu'on oblige quelquefois les paysans de construire dans quinze jours un chemin qu'ils ne peuvent construire que dans un mois, et alors les femmes travaillent avec eux. Je sais encore qu'on commande souvent des corvées dans un temps près de celui des moissons, on d'autres récoltes. Ces abus ne sont pas du législateur mais de ceux qu'il emploie. » Que cette sombre peinture du poète est encore loin pourtant de la vérité! J'ouvre les archives et je cherche an hasard parmi les victimes des fatales corvées: j'y vois que, pour la seule année 1756, « au mois de mai, deux jeunes femmes » sont relevées « étouffées et écrasées dans la carrière du Val du ban de Flavigny, arrachant de la pierre pour les travaux du Roy à Pont-Saint-Vincent » ; et que le 8 octobre suivant, c'est le tour de « la nommée Parmentier, écrasée dans les travaux des fonds de Toul pour le Roy (7) ».
Durival, composant sa Description de la lorraine, déclare que ce système meurtrier des corvées mettait le pauvre au-dessous de l’animal domestique, « Le maître qui fait travailler son âne et son cheval les nourrit », ajoute-t-il. Il réprouve « ce travail de larmes qui est mal fait et coûte trois fois plus (8)». Et le même auteur, en 1783, se permettant une évocation plus directe de la conduite de son ancien chef, rappelle l'empereur Valentinien qui « fit trembler à leur tour ces administrateurs qui abusent de l’autorité que leur donnent leurs fonctions pour se faire craindre du peuple et l'assujettir à des servitudes onéreuses. Il leur défendit, sous peine de mort et de confiscation de tous leurs biens, d'imposer aucune corvée aux habitants de la campagne, pour leur service particulier (9) »

CHAPITRE VI
Troisième période (1759-1787). - L'œuvre réparatrice de La Galaizière fils. - Adoucissements dans le régime des corvées. - Travaux commandés aux Lorrains en terre évêchoise. - Lutte de l'intendant avec ses chefs.

Dans la lutte ardente contre les corvées, entreprise par les philosophes et les économistes de la France entière, aux approches de la Révolution, une voix s'élève, et non des moins éloquentes, que l'on hésite un instant à reconnaître. C'est celle d'un La Galaizière.
Le successeur du Chancelier à l'intendance de Lorraine, devenu intendant d'Alsace, publia en 1785 deux Mémoires sur les Corvées. Ce n'est pas sans quelque embarras que le fils vient blâmer une institution dont le père a fait un si étrange abus; mais l'auteur ne se propose pas moins dans cette œuvre de montrer très nettement « que la corvée en nature est injuste », et que « cette contribution est la plus fâcheuse peut-être de celles qu'acquittent les sujets du Roi (10) ». Ce n'était point là langage de circonstance, dicté par le désir de se mettre à l'unisson des idées nouvelles. Le passé de l'auteur de ces Mémoires atteste qu'il est sincère.
Bien avant qu'il les exposât en belles phrases, La Galaizière fils, en effet, avait eu à cœur de mettre en pratique ces principes, Son arrivée à l’intendance de Lorraine avait inauguré pour le pays une période nouvelle dans le régime des corvées. Son administration en cette matière semble avoir été avant tout une œuvre de réparation.
En décembre 1758, le fils du Chancelier quitte Montauban pour Lunéville. Il arrive au moment où le désespoir des populations est à son comble. Est-ce au- caractère plus doux, aux idées naturellement plus humanitaires du second intendant qu'i] faut attribuer le changement de système dont la Province a de suite à se féliciter (11) ? Le fils fut-il plutôt effrayé des excès commis, voulut-il soustraire le nom de sa famille à la réprobation qui le poursuivait déjà dans la contrée ? Quoi qu'il en soit, de grandes modifications furent introduites dans l’administration des Ponts .et Chaussées. Les registres de 1759 nous fournissent des surprises successives. Sans doute, on continue encore, cette année-là, sur la fameuse chaussée de Nancy à Charmes, les travaux qu'il est indispensable de parfaire; mais, désormais, il y a un compte ouvert des compensations à accorder aux particuliers. Non seulement les expropriations, mais, tout dommage dans les récoltes, toute non-jouissance temporaire, fût-ce d'une simple haie, sont l'objet de larges indemnités. Les travaux les plus difficiles vont être effectués partout à prix d'argent. Les ouvrages d'art reviennent plus cher à l'administration, car on n'y emploie plus qu'exceptionnellement les corvéables. La mention: « les communautés n'ont travaillé au comblement des grands bois de Haye qu'à la première saison », se lit maintenant, chaque année, avec satisfaction, sur les états de l'ingénieur. A maintes reprises, ce sont des salariés que l'on occupe sur les routes, « M. l’Intendant n'ayant pas jugé à propos de distraire les corvéables de leurs travaux de la campagne ». Je vois que des gens qu'il a été indispensable de commander pendant les temps précieux à l'agriculture ont été amplement récompensés. Luxe inouï, presque incroyable, on va parfois chercher en voiture certains travailleurs trop éloignés des ateliers. En 1760, l’administration consacre 2,210 # « pour gratifications en forme d'aumône aux personnes estropiées en travaillant. à corvée». Enfin, et surtout, les exactions des agents subalternes des Ponts et Chaussées sont de nouveau sévèrement réprimées. En mai 1765, un conducteur du bailliage de Neufchâteau, ayant fait appréhender par un cavalier de la maréchaussée un corvéable insoumis, fut condamné par l’Intendant à deux mois de prison. Dans plusieurs cas analogues, de grands placards, reproduisant la sentence, apprirent à chaque communauté de Lorraine et Barrois que l'ère des abus était définitivement close (12).
Il y a plus. Le fils ne craignit pas d'entrer en lutte ouverte avec ses chefs, afin de défendre les intérêts de ces mêmes corvéables, persécutés naguère par le père. Ce côté est curieux en ce qu'il nous permet de compléter le tableau que nous avons esquissé des infortunes des communautés lorraines sous l'administration du Chancelier, et qu'il nous révèle un des secrets motifs pour lesquels la France avait si volontairement fermé les yeux.
Le Gouvernement avait laissé La Galaizière oublier toute modération; mais c'était sous la- condition qu'à son tour, le Commissaire départi trouvât bon que les populations de la Province contribuassent à soulager, au besoin, les autres sujets du roi. C'est ainsi que l’intendant de Metz avait pris l’habitude de commander sans façon les habitants des Duchés pour des corvées concernant uniquement sa Généralité. Le cardinal de Fleury, chez qui nous avons déjà remarqué une certaine bienveillance pour la Lorraine, avait reproché, il est vrai, au Chancelier qu'il tolérât de telles choses. « Les aides que la nécessité du service ma fait accorder pour les chemins dans les Evêchés qui servent à nos communications (sans quoi ils n'auraient jamais été faits) », avait répondu évasivement :M. de La Galaizière, « ont donné lieu à quelques murmures de la part des peuples de cette province que l'on y a fait servir; mais ce n'est pour ainsi dire qu'une charge momentanée dont ils tireront eux-mêmes des avantages considérables par le débit de leurs denrées (13) » Et derechef', régulièrement, les communautés lorraines avaient été envoyées aux ateliers des différentes enclaves, particulièrement sur les routes de Nancy à Dieuze, de Dieuze à Saint-Avold ou à Phalsbourg, de Fénétrange à Boucquenom. Ces chaussées, importantes pour le service de la Ferme générale et le débit des sels à l'étranger, étaient fort fatiguées par la gabelle; elles exigeaient de continuelles réparations.
Mais voici qu'au printemps de 1759, sur la décision du nouvel intendant, les corvéables lorrains n'allèrent point travailler dans les Evêchés. Cette abstention surprit, On trouva le fonctionnaire bien audacieux. Les plaintes affinèrent à la cour de Lorraine et à Paris. Les fermiers généraux dressèrent de longs mémoires où ils déclaraient la vente des sels devenue impossible. Le duc de Deux-Ponts, Christian II, se plaignit de ce que l’on négligeât ainsi la chaussée de Dieuze à Saint-Avold. L'évêque de Bâle l’imita. Le cardinal de Bernis fut chargé de répondre au prince qu'il aurait satisfaction et qu'il pouvait considérer les travaux comme terminés, Choiseul, Trudaine correspondirent avec le bureau de Lunéville (14). Fort de son droit, La Galaizière tint bon. Les fermiers généraux de se répandre en nouvelles doléances ; les ministres de réitérer leurs demandes. Pour terminer le début, le Gouvernement proposa un moyen terme ; la France voulait bien faire une concession aux corvéables lorrains : on ne leur demandait plus qu’un minimum « de 28,345 journées de main-d'œuvre pendant deux ans » ! Mais il fallait que les communautés distantes de trois ou quatre lieues des territoires évêchois aidassent leurs voisines. Très blessé du retard, Christian de Deux-Ponts écrivit à M. de La Galaizière. Il pensait qu'il allait enfin obéir aux ordres de ses chefs.
Devant une telle insistance, l'intendant de Lorraine résolut de s'exprimer franchement. A Trudaine, il déclara qu'Il ne souffrirait point que la Province fût « victime de sa bonne volonté et de l’indolence des Evêchés pour un travail qui lui était étranger ... Il n'est pas possible d'exiger d'autres secours de la Lorraine déjà trop chargée par une multitude de travaux extraordinaires et par tin entretien immense ». « Toutes les parties lorraines sont achevées », disait-il à propos de la chaussée de Dieuze à Phalsbourg ; « celles des Évêchés restent à faire. On a même eu la complaisance de se charger de 300 toises dans un terrain marécageux; mais cette marque de zèle n'a pu exciter celui des communautés évêchoises qui demeurent constamment dans l'inaction sur un ouvrage qui les regarde uniquement... Les Lorrains murmurent d'être employés sur une province étrangère, tandis que les sujets n'y font rien (15) » Comme réponse aux mémoires des fermiers généraux mécontents, le Commissaire départi traçait, à la hâte, ces lignes qui sont vraiment réconfortantes : « La Lorraine est plus chargée de corvées que toute autre province de France; elle ne peut donner de secours aux Évêchés sans causer un murmure qui serait fondé; elle travaille depuis trente-cinq à trente-six ans aux ponts et chaussées; elle commence à se féliciter de se voir bientôt au moment de finir cette grande entreprise, et d'être bornée au seul entretien de ses ouvrages, qui sont immenses, Ne semblerait-il pas que ce serait commettre envers elle une injustice de l’assujettir à aller davantage à la décharge des Evêchés, après le secours considérable qu'elle leur a donné depuis le changement d'Etat ? on laisse à réfléchir ! » Et le fils du Chancelier terminait ainsi: « Après tous ces secours qu'on ne vienne donc plus à la charge, il semble que c'est assez (16). » En vain La Galaizière suppliait-il en faveur des Lorrains : on ne sut point comprendre à Paris ce grave langage.
Plusieurs habitants se sentant soutenus refusent d'aller opérer des rechargements sur le territoire évêchois. L'ingénieur en chef explique que ces gens « ont mieux aimé se cotiser pour payer l'amende de 20 #, imposée au syndic, plutôt que d'y aller travailler ». Baligand, converti, excuse cette mutinerie; il trouve inique que dans la généralité de Metz les nombreux villages des subdélégations de Sarrebourg et de Phalsbourg restent oisifs pendant qu'on charge de leur travail les corvéables des Duchés. « Comment, s'écrie-t-il, les habitants des communautés évêchoises iraient (comme ils ont déjà fait) narguer les Lorrains de travailler à leur décharge tandis qu'ils ne feraient rien (17) ! » Mais Choiseul, Trudaine, Bertin, d'insister tour à tour. A Versailles on se montre tellement effrayé de la colère du duc de Deux-Ponts, qu'il faut céder. Et, de nouveau, nous voyons, en 1762, les populations de la Lorraine allemande astreintes à exécuter de nombreux et importants travaux :
Nombre de mois :
Pour construire un grand pont sur la rivière d'Albe, près de Sarralbe 6
Achever la route de Boucquenom à Fénétrange, de Fénétrange à Lixheim 4
Entretien de différentes routes partant de Bitche 3
Continuer la chaussée neuve de la route de Dieuze à Saint-Avold 4
Baisser la montagne près de Sarreguemines (route de Nancy). 2
Nouveaux ouvrages pour les chaussées des environs de Saint-Avold, Boulay, Bouzonville, Sarrelouis 3
Pendant ce temps, les communautés des quatre autres départements des Ponts et Chaussées ne sont, au contraire, employées qu'à des travaux peu considérables, comme ceux de l'entretien et du rechargement (18).
Un autre incident survint bientôt. On construisait en 1763 la chaussée de Longwy à Arlon. Cette voie ne traversait la subdélégation de Longwy (19) que sur un parcours d'une demi-lieue; mais cette circonscription était si petite, les travaux d'art nécessaires si considérables, que l'on reconnut qu'il faudrait huit ans pour terminer l'entreprise. on pensa alors à la Lorraine, dont on avait si souvent abusé. Le marquis de Mézières, lieutenant-général et gouverneur de Longwy, invoquant l'utilité de cette route pour le commerce des vins de Bourgogne, de Champagne et de Bar, ainsi que le débouché facile qu'elle devait ouvrir jusqu'à Liège, demanda à l’Intendant l'aide des Duchés, Confiant dans une réponse favorable, il joignait même déjà à sa requête un état des localités lorraines dont il avait besoin. Il en fallait 21 du bailliage de Viller-la-Montagne, 3 du bailliage de Longuyon, La Galaizière fils refusa. Alors, détail typique, le marquis pensa qu'il serait plus heureux avec le père. « Monseigneur », lui écrivait-il, « je réclame votre protection pour cette frontière auprès de Monsieur votre Fils: soyez notre ange tutélaire et déterminez-le à accorder le secours des communautés que je lui demande... Vous avez, Monseigneur, fait faire la partie qui se trouve sur la Lorraine avec toute la célérité d'un véritable patriote... Vous nous ferez accorder ce secours absolument nécessaire pour l’avantage de deux nations qui n'en font plus qu'une (20). » Le Chancelier ne put convaincre l’Intendant (21). Une fois de plus, pourtant, mais après une résistance de deux ans, La Galaizière dut à regret se soumettre. Il lui fallut envoyer à Longwy les corvéables des bailliages voisins, de même qu'il eut, sur l’ordre du duc de Choiseul, à en faire partir d’autres pour le Verdunois, où ils tracèrent, de Jametz à Arrancy, une nouvelle route destinée à éviter une étape aux troupes françaises.
La conduite du second intendant de Lorraine fut loin d'être appréciée à Versailles. Sa fermeté lui valut la méfiance de ses chefs. La Galaizière fils avait rendu la répartition des corvées plus équitable. Il avait décidé que si les communautés étaient encore employées à la seconde saison, ce ne serait plus que pour des travaux d'entretien, « le rechargement de l’automne étant essentiel pour mettre les chaussées en état de tenir contre les mauvais temps de l'hiver ». Il avait apporté plusieurs améliorations incontestables dans l’administration des Ponts et Chaussées de sa Généralité. II n'obtint en retour que d'incessants reproches.
Chose curieuse, pendant ses pires exactions le père n'avait guère reçu qu'éloges et encouragements. On n'avait point voulu entendre les doléances du pays. Maintenant on saisissait, pour blâmer le fils, la moindre occasion. Il n'osait faire effectuer sur la route de Nancy à Charmes, désormais suivie par la poste, les moindres ouvrages d'entretien, sans qu'aussitôt on ne criât aux abus. Le Contrôleur général se fait le consciencieux écho des plaintes les moins fondées. Bertin adressait, par exemple, à l'intendant, cette missive qui est en contradiction flagrante avec la teneur de celles mentionnées plus haut: « Je ne puis m'empêcher, Monsieur, d'insister de nouveau sur ce qui concerne les corvées des chemins de votre département, parce que de nouvelles lettres que je reçois de Lorraine, me présentent encore, comme les faits les plus certains, que l'on oblige les communautés à venir de très loin et à passer jusqu'à quinze jours de suite sur les ouvrages ; que l’on ouvre encore de nouvelles chaussées, que l'on assure être très inutiles, et entre autres une qui conduit à un château qui nous appartient. Je vous ai prévenu des intentions du Roi sur l'objet des corvées. Sa Majesté, sensible à tout ce que les besoins de la guerre obligent à demander à ses sujets, veut absolument qu'ils soient ménagés pendant la guerre sur ce qui concerne les corvées des chemins, et que l'on s'en tienne exactement aux entretiens des routes déjà faites. Je vous crois trop sage pour donner lieu aux plaintes qu'excite un chemin entrepris dans les circonstances actuelles, auquel on pourrait penser que votre utilité personnelle aurait pu vous déterminer (22) » Or nous sommes en 1760, et les registres des Ponts et Chaussées nous montrent que, précisément, pour la première fois depuis quatre ans, les corvéables n'avaient point été employés cette année-là aux environs de Neuviller. Vraiment, on avait mis du temps à Paris pour apprendre la création de la fameuse chaussée !
Les trop faciles récriminations d'aujourd'hui sont non moins significatives que le bienveillant silence de naguère. C’était à qui critiquerait davantage le nouveau commissaire départi. Quelques jours avant la mort de Stanislas, le 27 janvier 1766, La Galaizière reçut encore une lettre fort sèche de Trudaine qui trouvait, disait-il, le temps enfin venu « de commencer à mettre de la règle dans cette matière ». Sans se décourager, le fils du Chancelier poursuivit son but. Une seule fois, il s'indigne et, après avoir résumé son système, fier de ses réformes humanitaires, il se croit en droit de s'écrier: « Voilà comme on en use en Lorraine, premier modèle de l'Europe (23) ! »

CHAPITRE VII.
Troisième période (suite). - Tentatives de suppression des corvées. - La Galaizière fils fut un des plus zélés partisans de cette réforme. - Bon successeur. - L'abolition de la contribution en nature fut trop tardive pour être favorablement accueillie. - Les chaussées de Lorraine à la veille de la Révolution. - Évaluation du travail imposé aux corvéables.

A la disparition du roi de Pologne, l'Intendant prit plus de soins encore pour ménager les corvéables lorrains. Sans cesser d'être lourd, le fardeau continua à être de beaucoup allégé. La Galaizière fils fut même un des premiers à demander instamment au pouvoir la suppression de l'impôt en nature et sen rachat en argent. Son nom doit être associé à celui de son collègue de Caen, Orceau de Fontette. Comme l’intendant de Limoges, le futur ministre Turgot, il a mené contre les corvées une campagne persévérante.
Trudaine lui écrivait, dès le 5 mai 1769: « Je vous prie de donner vos ordres pour que ce travail et celui de l’entretien des autres chemins de la Lorraine et du Barrois soient continués par corvées, le tout comme cela s'est pratiqué jusqu'à présent, en attendant que le projet dont vous m’avez fait part puisse être mis à exécution (24) » M. Bignon veut bien lui avouer, à la même époque, que l'ordonnance qu'il vient de faire rendre relativement à l'entretien des chaussées de son département « est très sage et bien rédigée, et qu'elle mérite d'être conservée à la bibliothèque du Roi (25) ». Mais c'est tout. Quand l’Intendant s'attardait sur les bienfaits d'un changement, vite on s'efforçait de refroidir son zèle.
L'abbé Terray fut le premier à l’écouter. Il l'autorisa, en 1770, à permettre, dans des cas exceptionnels, le rachat des corvées par les communautés ou les particuliers. « C'est pour rendre aux paroisses la corvée moins onéreuse », lui disait le Contrôleur général, «: que Sa Majesté vous permet de vous prêter aux moyens qu'elles trouveront les moins à charge de remplir leurs tâches ; mais en les laissant jouir de cette liberté, il faut que le service de la corvée ne soit pas dénaturé... Vous devez partir de ce principe pour ne pas convertir de vous-même, dans l'étendue de votre Généralité, la corvée en imposition, ce qui serait absolument contraire aux principes de la corvée et aux intentions du Roi (26) ».
C'était une demi-victoire. La Galaizière la voulut complète. Mais à d'autres instances, Trudaine de Montigny (27), quelques mois plus tard, opposa un refus formel : « J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l’honneur de m'écrire le 15 du mois dernier, à l'occasion de la suspension des corvées dans la Lorraine. La misère qui règne dans ce pays est une raison pour suspendre les corvées des nouveaux chemins, mais on ne doit pas, dans aucune circonstance, dispenser de la corvée pour les chemins qui sont à l'entretien des communautés ; ce serait d'un dangereux exemple. » L'Intendant des finances appuyait ses recommandations sur ces spécieuses raisons : « J'avoue que la cherté du pain rend les journaliers plus misérables; mais les fermiers et laboureurs sur lesquels tombe le principal ouvrage de l'entretien des chemins n'en ont que plus d'aisance par le prix auquel le blé est monté depuis plusieurs années (28). »
Lorsque Turgot, enfin, devenu contrôleur général (août 1774), résolut de mettre en pratique les idées qu'il avait depuis si longtemps préconisées, non seulement cette innovation n'excita aucun enthousiasme en Lorraine, mais même elle n'y rencontra qu'une très faible approbation. Le remède, en effet, venait trop tard (29). Les populations épuisées, habituées par une longue expérience à ne trouver dans chaque réforme du Gouvernement qu'un surcroit à leurs charges, manquant, du reste, d'argent, préférèrent supporter ces corvées telles qu'elles les avaient si longtemps connues. De même, précédemment, dans ses tentatives personnelles, lorsque dès 1770 il avait proposé le rachat en argent, La Galaizière avait eu peu de succès. Les Lorrains ne le comprirent guère mieux que l'avait fait le ministère. Les assemblées, ainsi qu'il l'écrivit plus tard à Turgot, « presque toujours conduites par un esprit de cabale et de méfiance pour tout ce qui est présenté par le Gouvernement », ne profitèrent pas pour le dixième de la faculté qui leur était offerte (30).
Après la chute de l’ancien intendant de Limoges, les travaux des corvées purent donc être rétablis sans murmure dans la Province (31). En vain La Galaizière essayera-t-il alors de faire connaître a ses administrés, par la voie d'une large publicité, les précieux avantages de l'option qu'il avait eu naguère tant de peine à obtenir pour eux (32), Le résultat sera médiocre. L'ingénieur en chef Lecreulx écrivait à l’Intendant que son ordonnance de 1777, « conforme à l’esprit de l’instruction et avantageusement modifiée pour le pays.», lui avait paru réussir dans tous les esprits. Mais, à la même époque, sur 2,400 communautés, 240 seulement votaient pour la contribution en argent et traitaient directement avec les entrepreneurs ; les autres préféraient toujours la corvée en nature (33).
Le troisième et dernier intendant de Lorraine, M. de La Porte (34), tint à compléter l’œuvre de La Galaizière fils. Il se montra bien veillant et attentif. La plupart des intendants répartissaient alors les corvées soit en raison des forces (bras et bêtes) des communautés, soit en raison des facultés, c'est-à-dire au marc la livre de la Subvention. M. de La Porte jugea cette méthode peu équitable. Tous les ans il faisait partager l'entretien des routes entre communautés riveraines, proportionnellement, tout à la fois, à l'importance de leur population, au nombre de leurs laboureurs, manoeuvres et bestiaux, à leur distance de la route et même des matériaux à employer. Ce travail exigeait de longs et minutieux calculs, mais il mit les corvéables a l'abri de tout arbitraire. L'intendant des Ponts et Chaussées, Chaumont de La Millière, passant en revue les différents systèmes pratiqués dans les Généralités, trouvait celui de Lorraine des plus compliqués, mais donnant de fort bons résultats, grâce aux soins et à l'intelligence de ceux qui en faisaient usage (35). Les paroisses ayant voté pour le rachat employaient alors (1782) leurs fonds communs aux: travaux des chemins.
Lorsque la déclaration du 27 juin 1787 vint définitivement abolir l'impôt en nature pour le remplacer par une prestation en argent, l'opinion des populations lorraines n'avait pas varié. « La loi qui a prononcé l’abolition de la corvée n'a pas été généralement applaudie dans cette province ; la plupart des contribuables ont paru regretter le régime antérieur et préférer les travaux qu'ils faisaient à l'obligation de payer cette nouvelle imposition. L'Assemblée provinciale a paru douter que cette conversion fût avantageuse. » Cette dernière phrase d'un membre de la Commission intermédiaire est un euphémisme. L'Assemblée provinciale de Lorraine avait déclaré, tout simplement, qu'il « serait inhumain et barbare de demander aux malheureux l'argent qu'ils n'ont pas, et de refuser leurs bras qu’ils offrent, et de ne pas leur accorder du moins dans le choix de leurs peines le frêle et misérable avantage de préférer du moins celle qui s'adoucit a leurs yeux (36) ». Ce cri de détresse est l'indice le plus certain de la pauvreté à laquelle la Lorraine restait encore réduite. Il nous est impossible de nous ranger à l’opinion d'un auteur estimable qui a cru voir dans ces protestations le regret de la Province pour une charge qu'elle jugeait légère au point de ne pouvoir être, sans aggravation; remplacée par quelque équivalent (37).
Peu après la réorganisation de l'administration des Ponts et Chaussées en Lorraine, vers 1752, on comptait dans les Duchés environ 360 lieues de routes à l'entretien des communautés, sans comprendre les portions de ces routes traversant les enclaves des Evêchés, de la Champagne et des différentes terres d'Empire (38). Deux grandes voies se croisant à Nancy divisaient la Province en quatre parties: l'une allait de Thionville à Bains, par Metz et Mirecourt ; l'autre conduisait de Saint-Dizier à Phalsbourg après avoir traversé Toul et Blâmont. Les nouvelles routes de Saint-Dié à Colmar par le Bonhomme, de Dieuze à Fénétrange, de Neufchâteau à Mirecourt ou à Ligny venaient d'être ouvertes (39). La liste très complète des chaussées sillonnant la Lorraine en 1756, dressée par l’ingénieur en chef, nous montre avec quelle ardeur on avait continué à multiplier ces travaux de création (40). Mais de 1759 à la mort de Stanislas, cette activité, ainsi que nous l’avons vu, s'était ralentie de plus en plus. Il en avait été de même après 1766. Quelque dix ans plus tard, La Galaizière comptait que sur 573 lieues de routes, le minimum à entretenir était de 474 lieues (41). En 1783 il existe 581 lieues de chemins; on ne trace que trois nouvelles lieues (42). Le syndic général Coster, prenant la parole, le 27 novembre 1787, à l'Assemblée provinciale de Lorraine, et recherchant l’étendue des voies « cimentées », dit-il, « des sueurs de trois générations », arrivait au chiffre de 624 lieues. Aussi « n'existe-t-il aucune province », pouvait déclarer le même jour un des commissaires du Bureau des travaux publics, « je ne dis pas dans le Royaume, en exceptant seulement les environs de Paris, mais dans toute l'Europe, qui, sur une pareille surface, renferme une aussi grande quantité de chemins (43) ». On comptait alors sur le territoire des anciens Duchés 2,847 ponts, arches et travées (44).
Si aucune statistique ne nous permet d'établir le nombre exact des corvéables employés chaque année à la construction et à l’entretien de ces ouvrages, sous le règne de Stanislas, des documents postérieurs nous fournissent, du moins, des points de comparaison précieux. La Commission intermédiaire, compulsant les pièces originales déposées dans les bureaux de l'Ingénieur en chef, trouvait qu’à la mort du roi de Pologne la Province entretenait par année 460 lieues de routes ; que 115,000 corvéables étaient employés à cet entretien pendant 4 jours et 125,000 bêtes de trait pendant 3 jours. En fixant à 15 sols la journée d'un homme et à 20 sols celle d'une bête, elle arrivait à cette opinion que la contribution en nature fournie par les Duchés pouvait s'évaluer à 720,000 #. Et encore le résultat atteint ne répondait-il pas à cette charge énorme. Certaines chaussées restaient mal entretenues; la périodicité des travaux en était la cause. En effet, « toutes les matières étaient répandues à profusion dans le même instant; il n'en restait plus pour les autres temps de l’année ; les ornières profondes, les dégradations causées par les orages ne pouvaient être réparées ; les pierres roulaient, les vides s'établissaient, les flaques d'eau se formaient ; elles attaquaient le fond même de la route; les matériaux se dissolvaient et l'empierrement se trouvait détruit (45) ».
En 1777, d'après les calculs mêmes de M. de La Galaizière, il était nécessaire, pour entretenir les chemins de la Généralité, d'employer 110,000 corvéables - soit le huitième des habitants - 4 jours par an, et 130,000 bêtes de trait pendant 3 jours. Pour les routes à construire ou à prolonger, il était besoin de recourir à 50,000 corvéables pendant 3 jours 1/2 et à 40,000 bêtes de trait pendant 2 jours, Soit un total de 615,000 journées d'hommes et de 470,000 journées de bêtes de trait (46).
Si l'on songe qu'à cette époque l'arbitraire avait cessé dans les répartitions, que les nouveaux travaux étaient exceptionnels, que les routes à la charge des communautés avaient été considérablement réduites; si, d'autre part, on se reporte à certaines années, entre 1750 et 1759, une comparaison se fait d'elle-même et de tels chiffres se passent de tout commentaire. Voilà au prix de quel labeur et de quels sacrifices la Lorraine pouvait être considérée comme plus amplement parcourue qu'aucun autre pays par ces belles routes à la manière du XVIIIe siècle dont, d’ailleurs, elle avait donné l'exemple, et que le poète ne dédaigna point de chanter, par
... ces vastes chemins, en tous lieux départis,
Où l'étranger, à l'aise achevant son voyage,
Pense au nom des Trudaine, et bénit leur ouvrage (47)...

CHAPITRE VIII.
Les communications par eau. - Les intendants de Lorraine négligèrent cette partie. - Projets divers de canaux. - Incurie du Gouvernement. - Abandon des rivières et déclin de la navigation dans les Duchés.

Tandis que sur chaque point de la Province les travaux des routes étaient poussés avec une activité étonnante, on négligeait les communications par eau, qui eussent singulièrement facilité les transports à bon marché. Les intendants de Lorraine n'eurent aucun souci de la navigation.
Cette partie, pourtant, avait autrefois intéressé les Ducs; même le Gouvernement français, durant les années de l'occupation. A maintes reprises, des esprits distingués avaient songé à remédier à la disposition naturelle qui dirigeait vers le Nord tous les cours d'eau navigables de la Lorraine, et à ouvrir au commerce, pat le moyen de canaux, des débouchés dans d'autres directions.
N'était-ce point en lisant un passage de Tacite où il est dit que, sous Néron, Lucius Vetus eût, sans la jalousie d’Aelius Gracilis, fait creuser un canal de jonction entre la Moselle et la Saône, afin de relier l’Océan à la Méditerranée et d'aider au transport des armées romaines (48), que Léopold avait, après quelques-uns de ses prédécesseurs, pensé, mais plus sérieusement, à réaliser ce vaste projet ? En 1718, le prince avait entretenu le duc d'Orléans de cette entreprise. Au désir du Régent, le célèbre ingénieur Truchet, plus connu sous le nom de Père Sébastien (49), et le mathématicien Bavillier se rendirent sur les lieux. Leurs travaux ne furent point infructueux. Sans doute, ils firent entrevoir au Père Sébastien de sérieuses difficultés; mais ils permirent à Bavillier de proposer un plan plus commode. La Meuse serait unie à la Saône; la rivière du Vair qui se jette dans la Meuse près de Domrémy, le ruisseau de Vivier-le-Gras qui se rend dans la Saône, non loin de Monthureux, eussent fourni leurs eaux et leurs vallées. Dans le mémoire qui fut remis à Léopold, le 10 octobre 1720, le devis se montait à 4,025,400 #. Bavillier fut envoyé pour porter lui-même ces renseignements au Régent. Le duc de Lorraine espérait que la France consentirait à se charger du creusement du canal sur la partie de l’enclave évêchoise, proche de Dombrot, qu'il devait couper. Après quelques objections d'ordre stratégique, le beau-frère de Léopold s'était montré enfin tout disposé à cette construction. Sa mort seule, s'il faut en croire d'Audiffret, fit avorter l’entreprise (50).
Un autre tracé avait semble préférable encore à celui que Bavillier adopta. Au lieu du Vair le canal eût emprunté le cours du Mouzon. Cette combinaison avait été suggérée par Bresson, substitut de la prévôté de La Marche. Après un voyage que Bavillier avait fait avec ce dernier, l'ingénieur avait reconnu la justesse de la remarque, mais il avait renoncé à ce plan parce que les grands travaux, ceux que nécessitait la réunion des eaux sur la ligne de partage, eussent dû être effectués en territoire français (51).
La différence de souveraineté et, avec elle, l'obstacle qui avait été constamment regardé comme un des plus considérables, disparaissaient en 1737. Dès lors rien ne semblait plus entraver l'exécution d'un dessein qui promettait plus d'avantage encore au reste du Royaume qu’à la Province. Chacun en était si convaincu qu'aussitôt diverses offres furent faites au Gouvernement.
En 1738, Bresson remit à l’Intendant un mémoire détaillé, où il développait le plan qu'avait autrefois approuvé Bavillier et auquel, depuis, il n'avait cessé de travailler. Mais ses instances n'aboutirent pas. A peine reçut-il une vague réponse.
Ce fut le sort de plusieurs autres propositions. Une compagnie, en 1751, se présenta à son tour. Elle s'engageait à mener à bien la construction du canal. On la remercia avant d'avoir entendu ses explications.
Le maréchal de Belle-Isle, partisan zélé de l'entreprise, voyait avec peine cette indifférence. Il résolut, la même année, de prendre l'initiative de la réussite. Sur ses conseils, le gouverneur du Toulois, le comte de Tressan, à qui la traduction des romans de chevalerie laissait encore des loisirs pour l'examen des questions scientifiques, s'était adjoint le mathématicien Brandts et avait parcouru le pays, Ses recherches ne contribuèrent qu'à faire souhaiter plus vivement l'établissement du canal, le terrain et les divers cours d'eau fournissant des facilités spéciales. Non seulement la jonction de la Saône à la Meuse était possible - Tressan indiquait les étangs de l'abbaye de Morimont comme pouvant servir de bassin pour un canal qui aboutirait à Châtillon-sur-Saône, - mais aussi celle de la Meuse à la Marne, par une autre branche qui partirait de Neufchâteau, passerait par Liffol-le-Grand et ne nécessiterait que sept écluses. On pourrait encore emprunter le cours de I'Ornain, ou bien à la fois ceux de la Saulx et de l’Ornain. Il y aurait dès lors communication commode entre la Province et Paris. La Lorraine bénéficierait d'une nouvelle activité dans son commerce. La capitale trouverait des ressources pour son approvisionnement.
Tressan n'avait reculé devant aucune dépense pour assurer aux opérations de Brandts une scrupuleuse exactitude (52). Le rapport avait reçu la pleine approbation du maréchal, qui s'occupa de le faire valoir. Mais d’autres avis avaient devancé à Paris ceux du gouverneur. Un jésuite, le Père Lagrange, s'était rencontré avec Brandts dans la région que celui-ci visitait; il s'était joint pendant quelque temps au mathématicien, l'avait quitté, puis s'était empressé d'adresser au ministère un mémoire défavorable. Le rôle du Père Lagrange parait bien singulier, surtout lorsque l'on sait que c'est à la demande du Père de Menoux que le Révérend était venu lever ses plans en Lorraine. Le fameux confident de Stanislas servit souvent secrètement les vues du ministère français (53). Or, le Gouvernement était, dans l'occurrence, fort aise de pouvoir accompagner d'un prétexte sa réponse négative.
Quelque pressantes que furent dès lors les démarches de Belle-Isle, on y opposa constamment, en haut lieu, l'opinion du Père Lagrange. Le maréchal se heurta à tant de mauvaise volonté, qu'il dut renoncer à faire accepter le projet qui lui était si cher. Détail topique et bien digne des ministres de Louis XV: tandis qu'alléguant une impossibilité matérielle, on répondait à Belle-Isle par une fin de non-recevoir, d'autre part, dans les bureaux du Contrôleur général, on résumait les annotations secrètes ajoutées au rapport du comte de Tressan par cet aveu: « Rien n'est plus à désirer, ni plus pratique que la réalisation d'un tel projet (54) ! »
En vain, des tracés pour la réunion de la Seille à la Sarre, par le moyen de leurs grands étangs - ce qui eût en quelque sorte été une réduction du Canal des Salines actuel - furent-ils également soumis au ministère. Ce canal eût facilité l'exploitation de l'immense forêt de Bitche; il eût pu rendre de grands services pour le transport des bois de la marine (55).
En 1658-1659, Vauban, alors capitaine d’infanterie, avait ses quartiers d'hiver dans la prévôté de Foug. Tantôt en visitant sa compagnie, tantôt en chassant, il avait eu l'occasion d'étudier cette contrée. Il fut si frappé de la répartition de ses cours d'eau qu'aussitôt l'idée d'un canal s'était présentée à son esprit. Il entrevoyait déjà la jonction de la Moselle à la Meuse entre Toul et Pagny, à l'aide des ruisseaux de Lay-Saint-Remy et de l’Ingressin, et sur un trajet identique à celui donné de nos jours à une portion du canal de la Marne au Rhin. Aussi ne manqua-t-il pas plus tard d'y faire lever des plans et niveler des pentes. « Je tiens ce que j'avance pour très sûr, écrivait-il à ce propos, parce que j'ai vu la disposition qui est admirable et le terrain bon partout et fac ile à remuer (56). » Les tentatives faites sous Stanislas pour ressusciter le projet de l'illustre stratégiste, projet qui eût été réalisé sous Louis XIV si l'occupation française n'avait point cessé, n'eurent pas plus de succès que les précédentes. L'argent manquait alors pour ces belles entreprises.
Comment d'ailleurs les La Galaizière eussent-ils encouragé les propositions même les plus intéressantes, et se fussent-ils employés à les faire aboutir, lorsqu'ils montraient une profonde insouciance pour les moindres travaux que nécessitait l'entretien des rivières navigables ?
Lorsque, après avoir rappelé quelques règlements destinés à assurer le flottage des bois des salines, nous citerons deux arrêts ordonnant des travaux que l'insalubrité des rives de la Seille réclamait impérieusement, nous aurons épuisé l'énumération de toutes les mesures prises, durant plus de trente années, au sujet des cours d'eau de Lorraine.
Le peu de pente de la Seille, les marais qui l'environnaient, rendaient, dans plusieurs cantons, ses bords très malsains et provoquaient de fréquentes épidémies. Un arrêt du Conseil, du 11 septembre 1742, décida le curage du lit de la rivière entre Dieuze et Marsal. L'ouvrage fut exécuté l'année suivante par adjudication. En 1755, une opération analogue fut ordonnée par le contrôleur général de Séchelles et poursuivie, par les soins du maréchal de Belle-Isle, entre Dieuze et Moyenvic, sur une longueur de 5,052 toises. Ces travaux eurent lieu aux frais des riverains. Les deux tiers des dépenses furent demandés aux propriétaires des prés et marais inondés, l’autre tiers prélevé sur la totalité des habitants de Dieuze, Kerprich, Mulcey, Blanche-Église, etc., au marc la livre de l’imposition au rôle des Ponts et Chaussées.
Il n'y avait pas, en effet, dans le département des Ponts et Chaussées de Lorraine, de fonds spéciaux affectés aux ouvrages des cours d'eau, et jamais, à partir de 1737, on n'employa pour cet objet la plus minime partie de l'imposition des 100,000 #. Aussi le règne de Stanislas est-il l'époque du complet déclin de la navigation lorraine. Les lits s'ensablent et les rives se détériorent, Chaque année les communications par eau éprouvent plus d'embarras.
Les bateaux qui, au temps de Vauban, remontaient la Meuse jusqu'à Saint-Mihiel et même Commercy, n’y arrivent plus que jusqu'à Verdun, et avec de nombreuses difficultés,
La Sarre, malgré bien des obstacles, offrait encore plus de ressources. C'était d'ailleurs la rivière la moins fermée par les péages et les bureaux. Mais elle ne servait guère qu'aux Hollandais. Ce peuple tirait par cette voie des poutres de la plus grande beauté, qu'il avait l'art de débiter, dans ses moulins à scie, d'une façon qui les rendait plus propres à être travaillées. La plus grande partie des bois lorrains, ainsi détaillés, était revendue aux menuisiers français, particulièrement à Paris.
La Meurthe n'était pas navigable avant Nancy. Elle n'amenait devant la capitale lorraine que les bois des Vosges. Il était impossible au plus petit bateau de circuler entre Nancy et Saint-Nicolas-de-Port. Le vieux nom de cette cité n'avait plus aucun sens (57).Les flottes, même, pour parvenir jusqu'à Nancy avaient à traverser de multiples vicissitudes et les vannes des moulins étaient pour elles d'une gêne extrême. Aux Grands-Moulins de Nancy, par exemple, elles devaient être rigoureusement ajustées en hauteur et en largeur. L'opération du passage n'avait jamais lieu sans péril. « On lève un renard pour faire couler l’eau, nous explique un témoin oculaire. Les bateliers doivent se baisser et presque se coucher sur le ventre pour n'être pas pressés par la traverse du renard. En même temps ils doivent travailler de toutes leurs forces pour donner à la flotte une direction, au sortir du torrent, qui lui fait faire un saut de 10 à 12 pieds; la tête de la flotte s'élance, le milieu plie et le tout fait comme le saut de carpe. Les bateliers se trouvent souvent couverts d'eau qui s'élève à gros bouillons (58). » Les bois étaient tirés de la Meurthe, un peu plus loin, au port de Nancy, ou bien ils continuaient jusqu'à Pont-à-Mousson. De là, à travers un pays très accidenté, ils étaient conduits par voiture jusqu'à Saint-Dizier, où on les déchargeait pour les embarquer sur la Marne, dans la direction de Paris.
La Moselle ne portait de bateaux qu'après avoir reçu la Meurthe à Frouard. En mars 1751, une société proposa de rendre cette rivière navigable jusqu'à Épinal. Elle s'obligeait à fixer le lit de la Moselle et à le canaliser en cinq ans. Pour venir à bout de cette œuvre, elle demandait que les communautés voisines pussent être employées par corvées aux déblais et remblais nécessaires, suivant la même règle que pour les routes. Pendant quinze années, une taxe de vingt sols par arpent eût été perçue sur les terrains bordant la Moselle et exposés à être submergés. Les travaux, en effet, les auraient soustraits à cet inconvénient. Soit un total de 62,000 arpents de Lorraine regagnés sur les eaux. La compagnie devait supprimer 17 moulins qui encombraient le trajet de cette portion de la rivière; elle les eût remplacés par des moulins à vent que, pour conserver les droits des propriétaires, elle s'engageait à prendre à bail pendant neuf ans, au taux des fermages en cours. Elle se déclarait, enfin, absolument sûre de l'efficacité de ses procédés. Malgré des instances réitérées, La Galaizière père ne daigna point faire mettre cette question à l’étude (59),
Du port de Nancy - appelé Crône, du nom allemand de la grue ou Krahn qui y était dressée -partaient des bateaux: conduisant les marchandises a Pont-à-Mousson, à Metz et jusqu'en Hollande. On y embarquait surtout les vins, les grains et les fourrages. On y recevait tous les produits importés par les Pays-Bas (60). A Custines, le batelier payait par composition un droit au seigneur. Il acquittait de plus la foraine à Pagny ou à Corny. Entre Metz et Coblentz les péages devenaient innombrables. Mais le lit changeant de la Moselle qui n'était plus contenue, les chenaux qui s'ensablaient, rendaient cette voie chaque année plus périlleuse. Les coches d'eau ne parcouraient déjà plus la Moselle comme à. la fin du siècle précédent, entre Nancy et Metz. Sous le régime français, ce furent les bateaux marchands eux-mêmes qui commencèrent à s'y montrer de moins en moins fréquemment. Dès les dernières années du règne de Stanislas, les anciens étonnaient leurs fils en leur contant qu'en 1737, ils avaient vu partir du Crône pour Anvers les 58 bateaux emportant l'orangerie de Lunéville et les effets les plus précieux de la maison de Lorraine (61). Le Crône, qui à cette époque était affermé pour 2,000 # (62), n'en rapportait plus au Domaine, trente ans plus tard, que 930 (63).
Le commerce et l'industrie réclamaient instamment qu'à défaut de grands ouvrages d'art, on accordât tout au moins à l'ancienne navigation l’attention que les Ducs lui avaient toujours donnée. Ils demandaient que l'on ne hâtât pas, par une incurie impardonnable, cette chute définitive que Coster constatera en 1791 (64). Déjà commençait, par la plume de plusieurs écrivains, cette campagne que poursuivirent les divers ingénieurs en chef de la Province. Dans son Essai de navigation lorraine (65), composé de 1757 à 1762, Andreu de Bilistein, entrainé par sa vive imagination, ne se bornait pas à, traiter de la navigation dans les anciens Duchés ; mais, après avoir exposé ses vues sur les moyens de rendre la Meuse, la Moselle et la Meurthe navigables le plus près possible de leurs sources, de faire communiquer ces rivières entre elles et de les joindre au Rhin et a la Saône, il établissait, sur l’exécution de ces plans, un immense système de relations internationales dont la Lorraine eût été le centre. En son enthousiasme, l’auteur allait jusqu'à entrevoir ce qu'il appelait pompeusement la marine lorraine ! Puériles chimères assurément, mais parmi lesquelles on trouve quelques idées justes et des conceptions sérieuses. Elles nous révèlent les préoccupations de l'époque. Elles contrastent d'une façon caractéristique avec l'inertie des intendants et l'insouciance des ministres.
Ce ne fut qu'après 1770, alors que L'administration des Ponts et Chaussées de Lorraine eut été réunie à celle du Royaume, qu'une somme de 6,000 # fut spécialement affectée aux ouvrages concernant la navigation. On commença par consacrer ces fonds, bien insuffisants après une si longue négligence, à la canalisation de la Sarre. Ce travail se poursuivait encore en 1788 (66). En même temps, à l'aide d'une imposition annuelle de 15,000 # sur le pays, on s'occupa, pendant huit années, de contenir la Moselle par des bordages et des jetées de pierre le long de ses rives (67). En 1773, enfin, pour donner satisfaction à l'opinion, que passionnait de nouveau le projet primitif de jonction de la Moselle à la Saône, M. de La Galaizière fils demandera à l'administration deux jeunes ingénieurs ; il leur fera niveler les deux pentes de l'étang de Cône sur une étendue de 12,700 toises. Les documents de cette étude furent, en 1775, remis à l’ingénieur en chef : « pour les examiner et donner de la suite à ces opérations, si les circonstances le permettaient (68) ».
Mais lorsque la Révolution éclatera, aucune décision n'aura encore été prise.

P. BOYÉ.

(1). Cf. Annales de l'Est, juillet 1899, p. 380.
(2). Ordonnance de l'intendant de Moulins portant règlement pour la réparation des chemins et le service des corvées ; 25 février 1746. (Archives du ministère des Travaux publics.)
(3). Mémoires sur la conduite des corvées pour les routes publiques, par Toffier, ingénieur en Champagne ; 24 août 1754. (lbid.)
(4). Ordonnance de l'intendant de Caen sur les travaux des grands chemins par corvée; 30 janvier 1755. (Archives du ministère des Travaux publics.)
(5). L'allusion était trop directe. Le texte primitif fut ainsi adouci:
J'ai vu le magistrat qui régit la province ...
(6). Il se pourrait fort bien que ces derniers vers aient été inspirés à Saint-Lambert par les cruautés du fameux piqueur Robin. L'auteur modifia d'ailleurs plus tard ce passage, qui se lit ainsi dans presque toutes les éditions :
Un piqueur inhumain les ramène aux travaux,
Ou leur vend à prix d'or un moment de repos.
Enfin, la note explicative des vers :
Il avait arraché du sein de son ménage
D'un jeune agriculteur l'épouse jeune et sage...
note que nous commentons ci-dessus, fut également supprimée. Tout ce morceau perdit, par suite, une grande partie de son intérêt.
(7). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1785.
(8). Description de la Lorraine et dit Barrois, I, 345.
(9). Durival, Description de la Lorraine et du Barrois, IV, 67.
(10). Mémoire sur les Corvées, par M. de La Galaizière, conseiller d'État, intendant d'Alsace. S.I.n.n., 1785, in-8° de 52 pp.; et Second mémoire sur les Corvées. ld., 24 pp. - Si La Galaizière fils croit devoir avancer que « le duc Léopold en donna l'exemple en Lorraine... », le passage suivant: « Il n'est pas un administrateur qui ne convienne qu'il fera exécuter pour une somme de quatre cent mille livres, et peut-être à beaucoup moins, un ouvrage qui coûterait un million en corvées évaluées »,a été, par contre, évidemment inspiré par cette phrase du rapporteur de la Cour souveraine, en 1758 : « Si on évaluait..., on trouverait que ces ouvrages coûtent à la Province plus d'un million ». (Éclaircissemens ..., j. cit.)
(11). Cf. lnstruction sur les corvées, par Le sieur de La Galaizière, intendant de la généralité de Montauban : du 20 août 1757 [imprimée].
(12) Archives communales diverses, série ff.
(13). Lettre du 9 avril 1740 (Archives du ministère des .Affaires étrangères, Lorraine; vol. n° 138, fol. 134.)
(14). Lettres de Choiseul à l’Intendant, 5 juillet 1759; de Trudaine au même, 24 juin, 18 juillet, etc. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.)
(15). Lettres de La Galaizière à Trudaine, 24 juin 1759, et sq. (Ibid.)
(16). « Réponse au Mémoire de MM. les fermiers généraux concernant les routes de Nancy à Dieuze, etc ... » (Ibid.)
(17). Lettre de 1762. (Ibid.)
(18). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
(19). Longwy avait cessé, depuis le traité de paris de 1718, de faire partie de la Lorraine.
(20). Lettre du 15 janvier 176 4. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.)
(21). La Galaizière fils épingla sur la lettre du marquis de Mézières la note suivante : « Mon père m'a renvoyé cette lettre à luy écrite par M. le marquis de Méziéres, commandant à Longwy. Il faut que je luy marque que mon père m'a fait ce renvoy, que j'ai le plus grand désir de concourir à des vues aussy avantageuses pour le bien public, mais que les communautés lorraines écrasées par les ouvrages qu'elles ont faits pour leur propre compte et ayant déjà supporté une grande partie des charges que les évêchoises auraient dû naturellement remplir, ont besoin des plus grands ménagemens… » (Ibid.)
(22). Lettre du 22 juillet 1760. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.)
(23). Réponse au Mémoire de MM. les fermiers généraux..., j. cit.
(24). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.
(25). Lettre du 1er mai 1769. (Ibid.)
(26). Lettre de l'abbé Terray à La Galaizière fils, du 26 juin 1770. (lbid.)
(27). Fils de Daniel Trudaine, il avait été adjoint à son père comme intendant général des finances dès 1757, puis l'avait rem placé dans ces fonctions en 1769.
(28). Lettre du 25 février 1771. (Ibid.)
(29). Cf. Édit du Roi portant suppression. de la. Corvée, donné au mois de février 1776 et enregistré au Parlement le 12 mars suivant.
(30). Lettre du 26 septembre 1775. (Archives du ministère des Travaux publics.)
(31). Cf. Déclaration du Roi qui rétablit, par provision, l'ancien usage observé pour les réparations des grands chemins ; donnée à Versailles le 11 août 1776. Registrée en Parlement lesdits mois et an. - Instruction générale pour les intendants, sur la forme que le Roi veut être observée pour la construction et entretien des routes de son Royaume; octobre 1776.
(32). « Les avantages que plusieurs communautés, et particulièrement celles qui ont des deniers communaux, ont trouvés ci-devant à faire faire leurs tâches à prix d'argent et le succès que ce moyen a déjà eu dans cette province, tant pour l'avantage de l'agriculture que pour la perfection des travaux des routes, ayant déterminé S. M. à continuer la même facilité aux contribuables, nous avons autorisé et autorisons les communautés de notre département à traiter à prix d'argent de la tâche qui leur sera imposée, si elles le jugent plus convenable à leurs intérêts. » ( Article 1er de l’Ordonnance de l'intendant de Lorraine du 3 avril 1177; pièce imprimée.]
(33). Réponse de La Galaizière à la. circulaire de Necker du s septembre 1777. (Archives du ministère des Travaux publics.)
(34). C'est par erreur que la plupart des historiens lorrains donnent pour successeur à La Galaizière fils, lors de sa nomination à l'intendance d’Alsace (septembre 1777), l’intendant de Rouen, Thiroux de Crosne, et font de M. de La Porte le quatrième intendant des anciens Duchés. Thiroux de Crosne avait été officiellement désigné pour Nancy, mais il ne prit pas possession de ce poste, qu'occupa, dès juillet 1778, M. de La Porte, qui administrait auparavant la Généralité de Perpignan.
(35). Mémoire sur les corvées, par Chaumont de La Millière; mars 1782. (Archives du ministère des Travaux publics.)
(36). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 107. - V. aussi: Procès-verbal des séances de l'Assemblée provinciale des Duchés de Lorraine et de Bar. Nancy, 1788, in-4°.
(37). « On jouissait en Lorraine d'une aisance très supérieure à celle des provinces plus anciennement réunies; la modicité des impôts y avait produit un ban marché général. La corvée y avait, comme tous les impôts, un tel caractère de douceur que lorsqu'il fut question d'exécuter l'édit qui la supprimait, un cri s'éleva de toutes parts pour demander au moins la liberté d'option. » (Léonce de Lavergne, Les Assemblées provinciales sous Louis XVI. Paris, 1879, in-8°.)
L'imposition représentative de la corvée fut fixée pour la Province au sixième de la Subvention et des impôts accessoires, et monta à environ 460,000 #. - V. entre autres : « Arrêt du Conseil d'État autorisant la contribution de 465,625 # 18 s, 7 d, pour les routes de la Généralité de Lorraine: janvier 1787. - Arrêt du Conseil d'Etat du Roi qui ordonne l'imposition sur les villes et communautés des Duchés de Lorraine et de Bar, des sommes nécessaires à l'entretien et à la confection des routes de la Province pendant l'année 1788. » [13 avril 1788 - on demande 463,899 # 6 s. 10 d., dont 1,899 # 6 s. 10 d. formant la contribution des Juifs.] (Archives nationales, série E, passim ; Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 543.)
(38). C'est le chiffre approximatif donné par dom. Calmet dans sa Dissertation sur les grands chemins de Lorraine, j. cit., et conservé par Durival pour son Mémoire sur la Lorraine et le Barrois (1753). En août 1758, la Cour souveraine le reproduit encore dans le Mémoire servant d'éclaircissemens..., j. cit.
(39). Pour la nomenclature des routes de Lorraine à cette époque, voir Durival, op. cit., pp. 59 et sq.
(40). J. Baligand, Etat général des ponts et chaussées de lorraine et Barrois..., j. cit.
(41). Lettre de La Galaizière au Contrôleur général; septembre 1773. (Archives du ministère des Travaux publics.) On trouvera dans Durival (Description de la Lorraine et du Barrois, I, 347 et sq.) l'énumération des routes qui sillonnaient alors les anciens Duchés.
(42). Exactement: 581 lieues 967 toises et 3 lieues 1/4 161 toises (la lieue de 2,400 toises). La province qui possédait le plus de roules, après la Lorraine, était la Franche-Comté avec 518 lieues. (D'après un manuscrit de l'École des Ponts et Chaussées indiqué pur Vignon, op. cit.)
(43). Procès-verbal des séances de l'Assemblée provinciale des Duchés de Lorraine et de Bar, j. cit. - Les Mémoires de La Commission intermédiaire de 1788 nous fournissent, avec plus d’exactitude, les chiffres suivants : 621 lieues, dont 400 de grandes roules, 160 de routes de seconde classe et 30 de chemins d'utilité locale; le reste, ayant été accordé naguère par la faveur à quelques gentilshommes ou à des monastères, ne devait plus compter pour l’entretien. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 107.)
(44). En voici le détail : 268 ponts et 2, 972 arches de pierre ; 121 ponts et 186 travées de bois. (Ibid., C, 111.) - Durival, dans sa Description de la Lorraine et du Barrois (1778, I, 351), mentionnait: « 196 grands ponts de pierre, 115 ponts de bois et plus de 2,000 arches, arceaux et aqueducs ».
V. la Carte itinéraire de la Généralité de Lorraine et Barrois, divisée en sept départements (j. cit.), dressée en 1786 par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées Lecreulx. Il est fort intéressant, pour se rendre compte de l'œuvre accomplie sous le régime français, de comparer ce document avec la carte routière de 1734. mentionnée plus haut. (Cf. p. 882 no te 3.)
(45) Archives de Meurthe-et-Moselle, C. 107.
(46). Réponse de La Galaizière à une circulaire de Necker du 8 septembre 1777. (Ibid.) En septembre 1775, l’intendant de Lorraine évaluait l'entretien annuel à 800,000 #; en 1777, à environ 750,000 #. Il demandait, en 1776, 180,000 # pour les nouveaux travaux et, en 1778, 270,000 #. (Archives du ministère des Travaux publics.)
Dès l'abolition définitive de la corvée, on lève sur les Duchés le sixième des impositions roturières. soit près de 465,000 #. Les adjudications sont faites par ordre de l’Intendant ; on les a limitées à l'entretien de 353 lieues et elles montent à la somme de 440,959 # 8 s. 3 d. On construit des ouvrages neufs pour 27,891 # 11 s. 9 d, (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 107.) Ces chiffres suffisent déjà pour montrer la supériorité incontestable du nouveau système.
(47). André Chénier, Hymne à la France.
(48). Vetus Mosellam atque Ararim facta inter utrumque fossa connectere parabat, ut copiae per mare, dein Rhodano et Arare subvectae per eam fossam, mox fluvio Mosella in Rhenum, exin Oceanum decurrerent. (Annales, XIII, 53.}
(49). Feu M. le duc de Lorraine, étant a Paris incognito, fit l'honneur au Père Sébastien de l'aller trouver dans son couvent, et il vit avec beaucoup de plaisir le cabinet curieux qu'il s'était fait. Dès qu'il rut de retour dans ses États où il voulait entreprendre différents ouvrages, il le demanda à M. le duc d'Orléans, régent du royaume, qui accorda avec joie au prince, son beau-frère, un homme qu'il aimait et dont il était bien aise de favoriser la gloire. Son voyage en Lorraine, l'accueil qu'on lui fit, renouvelèrent presque ce que l'histoire grecque raconte sur quelques poètes ou philosophes célèbres qui allèrent dans les cours… » (Eloge du P. Sébastien Truchet, carme, dans l'Histoire de l'Académie des sciences, année 1729; pp. 93 et sq.)
(50). D'Audiffret, Mémoire sur le duché de Lorraine, j. cit. - Cf. Baumont, op. cit., pp. 601 et sq. - Lecreulx, Mémoire sur les avantages de la navigation des canaux et rivières qui traversent les départements de la Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle..... Sur les obstacles qui se sont opposés à l'exécution. de ces ouvrages jusqu'à ce moment et les moyens de les lever; j. cit. [Ce travail avait été écrit en 1789.] - L. Viansson, Histoire du Canal de l'Est (1874-1882). Nancy, 1882, in-8°; pp. 16 et sq.
Les copies, de la main même de Bavillier, des mémoires remis à Léopold sur ces deux projets et des devis d'exécution, ainsi que de magnifiques cartes à l’appui, faisaient partie de la collection de M. Noël. (Cf. Catalogue raisonné, n° 3422.) Nous ne savons ce que sont devenus ces précieux documents.
(51). Lecreulx, op. cit.
(52). « J'ai vu un mémoire du ci-devant comte de Tressant, adressé à un homme eu place, par lequel il déclare avoir fait pour deux cents louis de dépenses pour les opérations relatives à ce projet ». (Lecreulx, op. cit., p. 91.) - Archives nationales, K, 1190.
(53). Il est curieux de rapprocher de ces faits la mention suivante qui figure au chapitre des dépenses des Ponts et Chaussées pour 1749 : « Par ordonnance du roi du 1er novembre, ordre du chancelier du 22 novembre : le R.P. de Menoux: 1,463 # 9 s. » (Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1766.)
(54). Archives nationales, K. 1184, 1190 et 1192.
L'abbé Huel, curé de Rouceux, examina de nouveau. en 1762, le projet d'un canal de jonction de la Meuse à la Saône. Il plaçait le point de partage à Monthureux-le-Sec. Ce plan sera encore repris et étudié en 1838 par une société formée à Neufchâteau sous le nom de Communauté des intérêts du bassin de la Meuse.
(55). Ibid.
(56). Mémoire sur le moyen de joindre par un canal la Moselle à la Meuse. L'auteur évaluait la dépense à 300,000 # : « Ce serait, à. mon avis, bien le tout », déclarait-il.
(57). « Il est permis de croire que Io nom de Portus. donné à cette localité, doit être antérieur à la chute de l'Empire, et il est probable que le rivage de la Meurthe servait de débarcadère aux marchandises que l'on amenait de Metz et de Trèves au moyen de bateaux, pour les répandre ensuite dans les nombreuses bourgades et les mansiones qui couvraient le pays jusqu'aux forêts inhabitées des Vosges. » (Lepage, Les Communes de la Meurthe, Il, 476.)
(58). De Bilistein, Essai de navigation lorraine, traitée relativement à la politique, au militaire, au commerce intérieur et extérieur, à la marine et aux colonies de la France .... Par lequel plan, on établit la jonction de la Méditerranée à l’Océan par le centre du royaume et par la capitale, et ensuite la communication entre ces deux mers et la mer Noire par la lorraine, l’Alsace, etc. Amsterdam, 1764, petit in-8°. [Cet ouvrage aval été terminé en août 1762.]
(59). Archives nationales, loc. cit. - Lecreulx, op. cit, - Ce n'est qu'en 1828 que l'idée fut reprise en partie. Grâce à une habile canalisation, les deux frères Dulac reconquirent, en moins de vingt ans, sur la Moselle dont le lit fut resserré, et dans un parcours de 36 kilomètres, 750 hectares de prairies. 1,150,000 fr. furent dépensés pour les premiers travaux de cette grande entreprise.
(60). Sur l'activité de ce commerce, voir notre élude La Lorraine commerçante sous le règne nominal de Stanislas (1737-1766). Nancy, 1899, in-8° ; pp. 14. et sq.
(61). Cf. notre ouvrage Stanislas Leszczynski et le troisième traité de Vienne. Paris, 1898, in-8° ; p. 479, note 3.
(62). D'Audiffret, Mémoire sur le duché de Lorraine, j. cit,
(63). Manuscrit n° 395 de la Bibliothèque de Nancy.
Parmi les diverses causes qui amenèrent une notable diminution de la partie navigable de ces rivières, il faut placer, en première ligne, les déboisements. De plus, aux époques ou la navigation était moins active, voire interrompue, les riverains avaient sans cesse cherché a utiliser la force motrice pour l’installation de moulins et autres usines, entravant ainsi, de plus en plus, la liberté des cours d'eau.
(64). Mémoire sur différents moyens de donner la plus grande activité au commerce et aux manufactures des villes de Nancy, Metz et de leurs alentours. Nancy, 1791, in-8°.
(65). Cf. supra, [p. 556, note 1.] note 58.
(66). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 172 et 174.
(67). Arrêt du Conseil d'Etat du 14 décembre 1769. (Archives nationales, E, 2, 465.)
(68). Pour plus de détails sur ces opérations, voir Lecreulx, op. cit. 41 et sq, Dans son discours de réception à l'Académie de Nancy, en 1776, l’ingénieur en chef de Lorraine s'exprimait en ces termes : « La nature semble avoir indiqué cette communication ; il existe un étang nommé le Void-de-Cone, qui fournit à la fois des eaux pour la Saône et pour la Moselle et dont les poissons peuvent se rendre à l’Océan ou à la Méditerranée ; d'un côté il en sort un ruisseau qui forme la rivière de Corre, où l'on commence à faire flotter les bois au-dessous des forges d'Uzemain, à trois lieues de sa source, et qui se jette dans la Saône au-dessous de Corre, entre Châtillon et VauvilIier. Le même étang se décharge à l'orient dans un ruisseau qui est grossi par plusieurs sources, et va deux lieues plus loin se jeter dans la Moselle à Arches, au-dessous de Remirernont. » - « On dit qu'on veut examiner la facilité et les obstacles qu'il y a dans cet établissement, afin de balancer la dépense avec les avantages. Mais tout calcul devient inutile pour une opération de cette nature », déclarait, trois ans plus lard, un autre spécialiste. « On évalue la dépense à 7 ou 8 millions, mais fût-elle de trente, les avantages qu'on en retirerait seraient fort au-dessus, et même inappréciables relativement au commerce, aux convois militaires et à l’approvisionnement de la marine. » (Allemand, Traité des péages... et plan d’administration de la navigation intérieure .... Paris, 1779, in-4°.) - En 1789, Lecreulx revenait de son premier enthousiasme. La dépense ne serait que de 7,080,000 #, mais il faudrait 177 écluses, plus qu'on en comptait sur toute la longueur du canal du Languedoc. Les bateaux mettraient ainsi huit jours pour faire un trajet qui, par terre, n'en demandait qu'un seul. L'ingénieur concluait : « C'est pourquoi l'on pense que tous ces motifs réunis sont plus que suffisants pour faire renoncer au projet de la jonction d'un canal non interrompu par l'étang de Cône dont on a tant parlé. » (Mémoire sur les avantages de la navigation des canaux et rivières..., j. cit., p. 75.) - On trouvera dans l’Histoire du canal de l'Est..., j. cit., pp. 24: et sq., des explications techniques sur ce projet et surtout sur les travaux entrepris après 1789.

 

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