Annales de
l'Est
Juillet 1899
Les travaux publics et le régime des corvées en Lorraine au
XVIIIe siècle
CHAPITRE PREMIER
Les routes de Lorraine et l'œuvre de Léopold. - Modifications
apportées, à partir de 1737, dans l'administration des Ponts et
Chaussées de la nouvelle province, jusqu'à complète assimilation
avec le système français. - Personnel et divisions
territoriales. - L'imposition dite des « Ponts et Chaussées ». -
L'intendant juge du contentieux en premier et dernier ressort.
Une branche de l’administration pour
laquelle, après la Cession, le Gouvernement de Louis XV ne
pouvait manquer de demander à l'intendant de Lorraine une
attention toute particulière, était celle des Ponts et
Chaussées. La situation de la nouvelle province donnait aux
voies qui la traversaient une importance stratégique et
commerciale des plus considérables. Entretenir et multiplier les
routes dans l’étendue des Duchés, ce n'était pas seulement faire
œuvre d'utilité locale, procurer un écoulement facile aux
produits du sol, à ceux des salines surtout. C'était encore
relier les différentes enclaves évêchoises, établir une prompte
communication entre le Royaume et les pays étrangers, la
Lorraine et le Barrois étant appelés à supporter, pour une très
forte part, le roulage nécessaire à l'importation et à
l'exportation françaises.
Les choses avaient bien changé depuis l'occupation de la
Province au XVIIe siècle et l'intendance de M. de Vaubourg. Le
règne de Léopold avait été fécond. Ne trouvant, à son arrivée
dans ses États, qu'un petit nombre de routes, presque toutes
impraticables et peu sûres, le Duc avait pris à cœur d'y
remédier. Les anciens chemins restaurés, puis plus soigneusement
entretenus, avaient été rendus moins dangereux aux voyageurs.
Futaies et taillis avaient été abattus à 30 toises de chaque
côté des routes qui les traversaient. Les broussailles avaient
de même été essartées, afin d'enlever aux vagabonds et aux
voleurs, répandus en nombre jusqu'aux abords des villes, un
moyen facile d'embuscade. Un personnel des Ponts et Chaussées
avait été institué. Léopold s'était adjoint dans sa tâche un
homme de valeur, le comte Maximilien du Hautoy; il lui avait
confié, par lettres patentes du 15 janvier 1715 (2), la charge
nouvelle de surintendant des Ponts et Chaussées. Puis, à la
période d'amélioration, pendant laquelle le Prince avait rendu
plusieurs sages ordonnances (2), avait succédé celle de
création. Dans l'espace de quelques années, à partir de 1724, on
avait pu voir maintes nouvelles chaussées sillonner la Lorraine.
Des constructions d'art avaient été exécutées sur les points les
plus accidentés du pays (3). Ces travaux étaient même devenus,
et à juste titre, un des thèmes préférés des panégyristes du
Duc. Dom Calmet déclare que ces ponts et ces chaussées « sont
d'un dessein si vaste, si magnifique, d'une exécution si
difficile et d'une si grande dépense, qu'il est étonnant qu'un
prince, dont les revenus ne sont pas immenses, ait formé une
résolution de cette importance, et encore plus qu'il en soit
venu à bout en si peu de temps (4) ».
En moins de trois ans, en effet, 400 ponts avaient été
construits; près de 800 kilomètres de routes; tracés (5). « On
n'a travaillé avec activité aux chemins dans le Royaume que
depuis 1750, c'est-a-dire environ deux ans après la fondation de
l'école des Ponts et Chaussées », déclarera plus tard un habile
ingénieur. « Avant ce temps, on ne portait ses soins que sur les
plus grandes traverses du Royaume qui étaient même fort
mauvaises. Il n'y avait guère que la Lorraine, la Franche-Comté
et Montauban qui eussent, avant cette époque, des communications
traitées, quoiqu'à la manière de ce temps (6). ».
Il était impossible au nouveau régime de méconnaitre l'œuvre
considérable de Léopold. Dès le 7 décembre 1737, un arrêt du
Conseil des finances, portant règlement pour les Ponts et
Chaussées, payait son tribut d'éloges, un peu mince, il est
vrai, à ces réformes du Prince. Il esquissait surtout le
programme tracé par l’intendant de La Galaizière et adaptait
l'ancien système à la situation nouvelle. Le Commissaire départi
recevait dans ses attributions « la police et économie générale
sans exception desdits chemins, ponts et. chaussées..., avec la
connaissance de toutes les difficultés nées et à naitre dans les
communautés, de même qu'entre les habitants d'icelles,
entrepreneurs d'ouvrages, préposés, ouvriers et autres employés
auxdits travaux, pour l'exécution desdites ordonnances et des
présentes, circonstances et dépendances d'icelles (7) ».
La charge de surintendant ou grand voyer de Lorraine se trouvait
par là même abolie. Le comte du Hautoy dut se retirer avec une
pension. La haute direction des Ponts et Chaussées incombait
désormais au seul intendant français.
La carte itinéraire des Duchés demeura provisoirement divisée en
quatre sections qui comprenaient respectivement: le Barrois; la
montagne ou la Vôge; la Seille, le Bassigny et une partie de la
Lorraine allemande; l’autre portion de la Lorraine allemande et
la Woëvre. Un ingénieur resta placé à la tête de chacun de ces
départements ; mais le directeur général, dont ces quatre
fonctionnaires dépendaient et qui était dit « directeur des
quatre départements », fut remplacé par trois inspecteurs qui se
partagèrent la Province (8).
Cette hiérarchie fut encore modifiée, sur la proposition de
l’Intendant, par l'arrêt du Conseil du 17 juin 1750 (9). Une
place d’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées de Lorraine et
Barrois était créée, et la Province divisée, pour ce service, en
cinq arrondissements : ceux de Nancy (Lorraine propre); du
Barrois (Barrois et Woëvre); de la Lorraine allemande; de
Neufchâteau (Barrois et Bassigny); de la Vôge. A chacun de ces
arrondissements correspondaient les charges de sous-ingénieur et
d'inspecteur.
Le bureau des Ponts et Chaussées, où siégeait l’ingénieur en
chef, se trouvait à Lunéville; il ne fut transféré à Nancy qu'en
1757 (10). L'ingénieur recevait 2,400 # de France (3,100 de
Lorraine); chaque sous-ingénieur, 1,500 # (2,044); les
inspecteurs, 775 # seulement. Ce titre d'inspecteur ne
correspond point, en effet, à celui que portaient certains
fonctionnaires du Royaume. Les nouveaux inspecteurs de la
Province ne sont point du nombre des employés des Ponts et
Chaussés qui peuvent, comme en France, parvenir aux grades
supérieurs, L'intendant général des finances remarque qu'ils «
ne sont même presque connus qu'en Lorraine et en Champagne (11)
». En réalité, ils faisaient plutôt partie, avec les conducteurs
et les piqueurs, du personnel subalterne dit des corvées.
Le premier titulaire de l'office d'ingénieur en chef fut
Jean-Jacques Baligand, grand praticien et, de plus, excellent
dessinateur. Baligand avait fait autrefois ses preuves dans les
travaux des canaux du Loing et de Picardie. Il était venu en
Lorraine, en 1737, en qualité d'inspecteur. Il y fut
successivement nommé : ingénieur ordinaire du roi, inspecteur
des bâtiments et usines du Domaine) inspecteur des sources
salées, inspecteur et architecte des bâtiments des salines (12).
Les noms de quelques-uns de ses sous-ingénieurs méritent
également d'être conservés. Durant la plus grande partie de la
période d'activité, nous trouvons préposés: à l'arrondissement
de Nancy le sieur Jacquier ; à celui de la Lorraine allemande,
de Klier de l'Isle; à celui de Neufchâteau, Delille (13). C'est
encore Montluisant pour le Barrois et Richard Mique pour la Vôge.
Tous cinq, après les Broutin, les Chaix et les Le Pan, rendirent
en Lorraine de précieux services, Deux d'entre eux devaient
particulièrement se signaler. A la mort de Baligand, Mique, plus
célèbre aujourd'hui comme architecte (14), le remplaça, le 7
février 1763, dans les fonctions d'ingénieur en chef, tandis que
Montluisant recevait, le 4 avril suivant, le second emploi du
défunt, celui d'inspecteur général des bâtiments et usines du
Domaine.
L'unification avec le système français ne fut complètement
opérée que longtemps après le décès de Stanislas. En 1766,
Daniel Trudaine (15) déclarait à l'Intendant qu'il y avait
encore beaucoup à faire « pour ramener l'administration des
Ponts et Chaussées de Lorraine aux formes usitées dans le
Royaume (16) ». Un arrêt du Conseil d'Etat du 29 septembre 1770
réunit, en principe, les Ponts et Chaussées de Lorraine à ceux
du Royaume (17). Richard Mique avait reçu, le 22 août précédent,
le grade d'lngénieur des Ponts et Chaussées de France. Tout
occupé à surveiller les embellissements de Versailles et du
Trianon, Mique se contentait de faire de courtes apparitions en
Lorraine, quand il fut. nommé, en 1775, premier architecte de
Marie-Antoinette. Sa charge d'ingénieur fut alors donnée à M.
Lecreulx (18) et le grade nouveau d'inspecteur des Ponts et
Chaussées, système français, à Montluisant. On profita de ces
changements pour étudier une dernière modification de la carte
itinéraire. A partir de 1777, elle comprit sept arrondissements:
ceux de Nancy, de Neufchâteau, de Lunéville, de Dieuze,
d'Épinal, de Bar et de Saint-Avold (19).
Enfin, les places d'inspecteurs des travaux ayant été supprimées
au fur et à mesure des vacances, sous l’ingénieur prirent
désormais rang un inspecteur, trois sous-ingénieurs et trois
sous-inspecteurs.
En 1724, le duc Léopold avait renforcé la Subvention d'un impôt
spécial de 100,000 #, destiné aux travaux des routes. Cette
somme forma, jusqu'à la Cession, la seule contribution
accessoire à la charge de la Lorraine. Elle avait reçu le nom de
Ponts et Chaussées. Sous le régime français; cette désignation
fut étendue, dans le langage courant d'abord, bientôt
officiellement dans les mandements, a toutes les impositions
supplémentaires multipliées dès lors par le fisc. Les ministres
de Louis XV se gardèrent de supprimer les Ponts et Chaussées
proprement dits. Ils les augmentèrent d'un sol par livre, comme
frais de répartition, soit 105,000 #. Cet impôt se levait sur le
pied de Subvention, au sol la livre. Un second brevet était
toutefois nécessaire, cette charge s'étendant à de nombreux
privilégiés exempts de la contribution principale (20).
En raison de ce budget spécial, la Lorraine ne participa pas aux
taxes supplémentaires imposées chaque année sur les vingt
Généralités des pays d'élection, les Trois-Évêchés et plusieurs
autres régions (21). On ne lui demanda rien pour les grands
travaux extraordinaires, tels que ceux du pont d’Orléans ou des
turcies de la Loire, qui grevèrent lourdement la plupart des
provinces. C'est seulement lorsque l'arrêt du Conseil d'Etat du
29 septembre 1770 ordonna le versement de ces 100,000 # entre
les mains des trésoriers généraux des Ponts et Chaussées de
France, que les anciens Duchés furent compris, sur ce point,
dans le système financier du Royaume (22).
L'attribution de juridiction en premier et dernier ressort que
l’arrêt du Conseil des finances du 7 décembre 1737 donna à
l’intendant de Lorraine, en la matière des Ponts et Chaussées,
était d'une portée singulière. Elle suscita un grave incident.
En se contentant de déclarer que la Chambre des comptés perdait
le droit qu'elle avait, depuis une lettre de cachet du 25
février 1716, de connaître des conflits survenus au sujet des
Ponts et Chaussées à la charge du Domaine, et en défendant aux
juges ordinaires de s'occuper des causes de ce genre qui, sauf
appel à la Cour souveraine, pourraient être portées devant eux,
l'administration française feignait d'ignorer l’autorité
exclusive dont avait joui jusqu'alors la Chambre. Mais, en
réalité, elle savait fort bien que, seule, cette Compagnie avait
pouvoir de« connaître et de juger, tant au civil qu'au criminel,
toutes les affaires contentieuses concernant le fait des
chemins, ponts et chaussées, circonstances et dépendances ».
C'est pour cela, précisément, que le Chancelier-Intendant
s'était gardé d'envoyer l'arrêt à la Chambre, la principale
intéressée, afin qu'elle l'enregistrât.
Par la publicité qui suivit l’insinuation à la Cour souveraine,
la Chambre des comptes apprit l’atteinte portée à ses
prérogatives. De tout temps, la direction des Ponts et Chaussées
lui avait été confiée, jusqu'au jour où la grande extension que
Léopold donna aux travaux des routes, avait rendu ces
attributions trop onéreuses et embarrassantes pour une compagnie
de justice, et nécessité la création de la charge de
surintendant. Mais si tout ce qui regardait la construction, les
réparations et l’entretien des chaussées avait été, dès lors, du
ressort du grand voyer, les membres de la Chambre n'avaient
point renoncé à leur droit de juridiction. C'est précisément
pour qu'il n'y eût aucun doute à cet égard que le Prince leur
avait adressé cette lettre de cachet à laquelle l'arrêt faisait
allusion. Léopold y déclarait que son intention était de
conserver la connaissance de toutes les difficultés relatives
aux Ponts et Chaussées « comme d'ancienneté à sa Chambre des
comptes de Lorraine pour y être jugé et décidé souverainement et
en dernier ressort ».
Aussi, à la fin de 1737, l'émotion fut-elle très vive à la
Chambre. Il en résulta le premier conflit sérieux entre une cour
supérieure lorraine et le nouveau Gouvernement. Après une longue
et mûre délibération, la Compagnie résolut, en effet, de faire
des remontrances au roi. Les conseillers MailIiart et Bagard,
ainsi que l’avocat général Le Febvre, furent chargés d'en réunir
les motifs. Bagard les groupa dans une rédaction définitive.
Puis l'avocat général s'étant rendu à Lunéville et ayant obtenu
pour la Chambre l'autorisation de présenter les remontrances,
ces dernières furent remises au Chancelier. Bien différentes de
celles qui devaient suivre, elles étaient encore empreintes du
plus profond respect, non seulement pour le roi, mais pour M. de
La Galaizière dont elles ne parlaient qu'en termes très mesurés
et même élogieux. Elles reflétaient toutefois l'alarme des
magistrats qui ne pouvaient se résigner, disaient-elles, à cette
chose impossible qu'on les privât d'une prérogative remontant
«jusqu'à la naissance de leur Compagnie ». Jamais, en Lorraine,
les affaires de voirie n'avaient été portées ailleurs que devant
la Chambre, à laquelle on ne saurait retirer cette juridiction «
sans ébranler et sans altérer les premiers principes de sa
constitution ». Si elle se prêtait à cet amoindrissement, elle «
ne serait bientôt plus qu'un fantôme et qu'une ombre ».
Évidemment, la religion de Sa Majesté, celle aussi de
l’Intendant, avait été surprise. En recevant les remontrances,
le Chancelier déclara « qu'il serait fait réponse en son temps à
la Chambre ». Toutefois, sa résolution était prise; ce n'était
point à la légère qu'il avait évoqué à lui toute la juridiction
des Ponts et Chaussées ! La Chambre des comptes dut enfin céder
(23).
Mais la réunion sur une même tête de tous les pouvoirs
administratifs et judiciaires allait causer des maux cuisants à
la Lorraine. « N'est-il pas, Sire, de l'intérêt du repos public
que ces sortes de crimes soient poursuivis et jugés suivant les
lois, ce qui ne peut que difficilement avoir lieu dans une
commission destituée du secours essentiel du ministère public »,
avait déclaré M. Bagard, en faisant allusion aux exactions,
toujours possibles. Cette sorte de prophétie du zélé rapporteur
ne se réalisera que trop.
CHAPITRE II
Etat des routes lorraines au milieu du dix-huitième siècle. -
Leur entretien. - Plantations d'arbres. - Construction de
nouvelles chaussées et travaux d'art. - Adjudication,
entreprises et dépenses. - La corvée.
Soigneusement entretenues, à partir de
1738, les routes des Duchés sont, en général, recouvertes de
bons et solides matériaux, Les substances terreuses avec
lesquelles on les exhaussait auparavant, ont été remplacées. Les
pierres, qui rendaient jusqu'alors les chemins « extrêmement
durs et pénibles aux voyageurs », sont concassées avant le
rechargement. Chaque communauté est tenue de posséder, à cet
effet, autant de masses de fer, d'un poids minimum de 12 livres,
qu'elle paie de fois 200 # de Subvention. Pour faciliter
l'entretien, des tas de pierres, dont le volume en toises cubes
est proportionné, lui aussi, aux forces des populations
voisines, sont disposés le long des bermes, de dix toises en dix
toises.
Outre les grands travaux qui se font deux fois chaque année,
jusqu'à parfait achèvement, les réparations urgentes doivent
être effectuées en tout temps par les communautés qui sont
tenues de visiter, au moins tous les quinze jours, les portions
confiées à leurs soins. Les préposés de l’administration
parcourent incessamment les chaussées et dressent des
procès-verbaux en cas de négligence ou de contraventions. Des
poteaux portant une lame de fer-blanc gravée indiquent, enfin,
les portions respectives à la charge des localités (24).
On peut classer ces routes en plusieurs catégories. Les plus
importantes, les meilleures, sont les routes dites en chaussée.
Les unes, construites en moellons et rechargées de cailloux et
graviers, mesurent de sept à cinq toises environ de largeur.
D'autres, simplement formées de pierrailles et de graviers,
n'ont le plus souvent que quatre toises. Viennent ensuite les
routes non en chaussée .ou chemins ordinaires, dont les
dimensions sont très variables (25). Les grandes voies sont
d'habitude bordées par des fossés,
Il n'y a toutefois pas encore de rangées d'arbres le long de ces
routes lorraines. Un arrêt du Conseil des finances du 4
septembre 1741 avait bien ordonné qu'il y serait planté, avant
le 1er octobre suivant, par les propriétaires riverains et à un
intervalle de trois toises, des noyers; châtaigniers, ormes ou
frênes, délivrés gratuitement, au besoin, par les officiers des
grueries: L'administration voyait dans ces plantations un
ornement des routes et un moyen de multiplier certaines essences
peu abondantes dans les forêts. Mais l'exécution de cet arrêt
rencontra la plus vive résistance. Peu de communautés s'y
soumirent. Un second arrêt, du 11 septembre de l'année suivante,
renouvela en vain l'ordre, en établissant un ensemble sévère de
sanctions (2). Les laboureurs ne voulurent point comprendre
qu'il y aurait là une indication précieuse pour les voyageurs
pendant les nuits sombres ou par les temps de neige. Comme ces
arbres devaient être plantés dans les champs voisins, non sur le
sol même de la route, ils furent déclarés nuisibles à
l'agriculture. Le peu qu'on en planta fut en partie arraché ou
mutilé. Paysans et voituriers se plurent à les endommager.
Bientôt, les convois qui traversèrent sans trêve le pays, durant
la guerre de la Succession d'Autriche, en achevèrent la
destruction. L'administration resta impuissante devant le
mauvais vouloir et la routine. Quelques grands arbres, au tronc
volumineux, que l'on rencontre encore isolés, à côté des
vieilles routes de la Province, sont, pour la plupart, les rares
survivants de cet infructueux essai. C'est seulement après
l'arrêt du Conseil royal du 6 février 1776, généralisant la
prescription des plantations pour tout le Royaume, que les
routes de Lorraine furent, peu à peu, ornées de ces alignements
d'arbres si répandus de nos jours.
L'amélioration des anciens chemins est peu de chose en
proportion du grand développement que les La Galaizière
donnèrent à la construction des chaussées neuves et à
l'exécution des travaux d'art. Le règne nominal de Stanislas
correspond, d'ailleurs, presque exactement, à la belle époque de
l'ancienne administration des Ponts et Chaussées de France,
époque qui s'étend depuis la suppression de la direction
générale, en octobre 1736, jusqu'à l'année 1769, et au cours de
laquelle acquirent, entre plusieurs, un si juste renom
l’administrateur Trudaine et l'ingénieur Perronet (26).
Le comblement des gouffres de la forêt de Haye, le tracé de la
route de Saint-Dié à Colmar par le Bonhomme, pourraient, à eux
seuls, fournir une idée de l'importance et des difficultés que
présentèrent certains de ces ouvrages. Chaque année, de
nouvelles grandes voies vont parcourir la Province et relier,
par l'emprunt de son territoire, les enclaves évêchoises et les
contrées limitrophes. Toul communiquera désormais avec Verdun
par Ménil-la-Tour, Noviant et Beney; avec Troyes par la route de
Vaucouleurs et de Houdelaincourt vers Joinville. Les relations
entre Paris et Besançon sont facilitées par la chaussée de Ligny
à Neufchâteau; celles entre Nancy et la capitale comtoise par le
chemin de Mirecourt à Conflans-en-Bassigny. La route de
Pont-à-Mousson à Commercy va être continuée vers Saint-Dizier
par Ligny, Stainville et Ancerville; celle de Metz à Dieulouard,
jusqu'à Toul. Une communication commode est ménagée entre
Pont-à-Mousson et Nomeny. La grande et belle voie de Neufchâteau
à Saint-Dié, par Mirecourt, Charmes et Rambervillers, formera le
passage de Champagne en Alsace. Schlestadt n'avait de relations
avec la Lorraine que par Sainte-Marie-aux-Mines : voici les
routes de Raon à Senones ou à Saales. De Saint-Maurice, une
magnifique chaussée, franchissant le Ballon, descend sur
Giromagny et Belfort. Une autre, par le Donon, conduit de Raon à
Strasbourg. La Lorraine allemande, si déshéritée jusqu'alors,
n'aura plus rien à envier aux autres districts : ce sont les
routes de Dieuze à Phalsbourg, par Fénétrange ; de Phalsbourg à
Sarrelouis, par Boucquenom, Sarralbe et Forbach; de Bitche à
Sarreguemines, à Deux-Ponts, à Wissembourg ou à Fénétrange; de
Sarreguemines à Saarbrück ; celle encore de Morhange à
Saint-Avold. Là passe la nouvelle voie de Metz à Francfort, et à
Bouzonville celle de Thionville à Sarrelouis.
Il serait fastidieux d'énumérer toutes les routes de moindre
importance qui faciliteront les transactions de l'intérieur. On
ira de Mirecourt à Epinal par Dompaire; de Neufchâteau à
Commercy par Vaucouleurs, et à Darney par Bulgnéville. D'Epinal
à Bains par Xertigny; de Rambervillers à Anould par Bruyères.
Malzéville est reliée à Art-sur-Meurthe par une belle chaussée
qui longe la rive droite de la rivière et dessert la Chartreuse
de Bosserville. Rosières-aux-Salines ne sera plus isolée de
Dombasle, de Crévéchamps et de Damelevières. De Vézelise,
oubliée au cœur même du pays, vont rayonner plusieurs routes :
pour Ceintrey, pour Toul par Crépey, pour Vaucouleurs par
Colombey, et pour Charmes par Gripport (27).
Parmi les nombreux travaux d'art, il faut citer tout
particulièrement le pont de Saint-Nicolas qui, en 1740-1741, fut
reconstruit sur la Meurthe, en voûtes surbaissées : le premier
de cette sorte, paraît-il, que l'on eût vu dans la contrée (28)
Deux ans après, c'est le pont de Tannois qui est jeté sur
I'Ornain. Puis celui de Ligny (1746); bientôt celui d'Essey,
près de Nancy, commencé au printemps de 1749 (29); ceux de
Salonne (1753) et de Fénétrange (1757); ou ceux, encore, de
Bouxières-aux-Dames, de Boucquenom, de Sarralbe, etc. N'oublions
pas le superbe pont de neuf arches construit sur la Moselle à
Pont-Saint-Vincent (1752-1757). Les plans et matériaux coûtèrent
plus de 284,000 #. Un voyageur, venant de Dijon et passant par
cet endroit, en 1753, donne sur cette entreprise d'intéressants
détails. « Ce pont est un des plus beaux ouvrages qui soient sur
la Moselle », écrit-il. « Il aura près de quatre cents pieds de
longueur sur vingt-trois de hauteur ..... La méchanique avec
laquelle on puise l'eau est admirable; tout autour de l'espace
destiné à faire le pont sont des baraques de bois au nombre
d'une quinzaine, contenant en tout cinq cents hommes ..... qui
sont relevés de deux heures en deux heures. Cet ouvrage n'a
aucun relâche, jour et nuit pendant toute l'année; les ouvriers
ont leur lit dans les baraques; pendant que les uns travaillent,
les autres dorment; les femmes viennent de temps en temps aider;
c'est un tourbillon de mouvement perpétuel et très amusant pour
le spectateur. Voici à peu près en quoi consiste la manœuvre:
chaque baraque a ses ouvriers, son atelier. L'eau se puise par
le moyen d'un chapelet ..... On compte douze chapelets; chaque
chapelet ne peut agir qu'au moyen de trente-huit personnes qui,
comme des forçats, tournent et retournent sans cesse les deux
manivelles ..... Les ateliers de bois et de pierre tiennent un
canton immense. M. Mith (30) de Lunéville, entrepreneur de ce
beau pont, nous dit qu'il ne serait fini que dans cinq ans (31).
»
Voici comment l’Intendant de Lorraine jugeait bon de faire
procéder. Lorsque La Galaizière avait décidé l’exécution de
quelque route, d'un ouvrage d'art, ou qu'un ordre lui était
parvenu de Versailles, sur sa demande et ses indications
l'ingénieur dressait les plans, établissait les devis et les
états estimatifs. Puis, d'après ces documents, l'ouvrage était
soi-disant adjugé. En principe, il aurait dû l'être à n'importe
quel entrepreneur, pourvu que ce fût « au meilleur compte
possible ». Mais, en réalité, il y avait en Lorraine un
véritable entrepreneur en titre de l'administration. Ce fut un
parent de Richard Mique, Claude Mique, dit La Douceur (32) -
plus connu, lui aussi, pour la part qu'il prit à la construction
des édifices de Stanislas, - qui était chargé d'assurer
l'exécution de tous ces travaux. Nous le trouvons régulièrement
chaque année adjudicataire exclusif de toutes les entreprises
des Ponts et Chaussées dans les Duchés.
Un tel système semblait étrange aux administrateurs français ;
les contrôleurs généraux et les directeurs des Ponts et
Chaussées le critiquèrent souvent (33). Les La Galaizière qui y
tenaient, surent le défendre et le maintenir. En mars 1762,
Bertin se plaignait en ces termes de cette résistance : « Il est
intéressant pour le bien du service que vous changiez cette
forme de travail, ainsi que je vous l'ai déjà mandé par ma
lettre du 24 février 1761 (34) » Et à la veille même de la mort
du roi de Pologne, Trudaine revient à la charge. « Il est vrai,
répondait l'Intendant, il est vrai qu'il n'y a qu'un
entrepreneur des Ponts et Chaussées, parce que c'est un homme
intelligent, connu de M. Perronet qui rendra témoignage de la
beauté et solidité de ses ouvrages, qu’il exécute avec honneur
et à un prix très modique; il ne sous-marchande point, mais il
est secondé par de très bons appariteurs qu'il a à ses gages,
qu'il visite avec exactitude, et demeure à chaque atelier le
temps qu'il faut pour donner ses ordres (35). »
On commençait les ouvrages au début de chaque année. Le
Commissaire départi les recevait au fur et à mesure de leur
achèvement. Pendant. la campagne, l'entrepreneur ne touchait que
des acomptes. A la fin de l'automne, seulement, l'ingénieur
soumettait à l'Intendant le procès-verbal définitif de réception
et lui présentait en même temps le compte général de la dépense
des 100,000 # d'imposition. Sur cette somme se payaient d'abord
les appointements et gratifications de l'ingénieur et de son
personnel, soit un total de 23,000 à 25,000 # (36). L'argent
versé à l'entrepreneur, les frais de levers de plans, les
indemnités aux particuliers expropriés absorbaient amplement le
reste. Toujours complètement employées (37), les 100,000 #
furent souvent insuffisantes aux époques de grands travaux. La
dépense des Ponts et Chaussées se monte, par exemple, à 143,777
# en 1757; à 105,439 # en 1760. En 1756, l'ingénieur arrive même
à un passif de 303,755 # (38).
C'était pourtant bien peu encore, semble-t-il, pour obtenir
d'aussi importants résultats. Le Gouvernement en exprima souvent
quelque inquiétude, se demandant si, dans ces conditions, tous
les travaux pouvaient être réalisés avec la solidité et le fini
désirables, En rassurant ses chefs, l’Intendant nous donne la
solution du problème. En effet, répondait La Galaizière au
Contrôleur général, « il n'y a qu'à comparer les prix des
ouvrages de la Lorraine avec ceux des provinces voisines, on
verra qu'ils sont à meilleur marché ». Mais c'est que « les
travaux des Ponts et Chaussées sont dirigés différemment des
autres provinces de France, parce que tout s'y fait à corvées,
excepté les ouvrages d'art qui sont à prix d'argent, sans quoi
il ne serait pas possible avec 100,000 # de Lorraine, faisant
77,419 # 7 s. 1 d. au cours de France, de faire tous les
ouvrages d’un département aussi étendu que celui de Lorraine
(39) ». Puis, entrant dans les détails, le Commissaire départi
explique que si l'entrepreneur ne se montre pas plus exigeant,
c'est qu'en somme « il n'est chargé que du prix des ouvrages
d'art, du payement de la pierre de taille aux carriers, de la
chaux, du ciment, du fer, des planches et madriers de sapin (40)
». Ce sont les habitants qui fournissent toute la main-d'œuvre ;
ce sont ces corvéables qui déblaient et remblaient les terres;
ce sont eux qui, sous la surveillance des sous-ingénieurs,
inspecteurs, conducteurs et piqueurs, sont chargés de procurer
tous les autres approvisionnements en matériaux. Ils extraient
et voiturent gratuitement les moellons et le sable, transportent
les bois nécessaires aux pilotis, plates-formes de fondations et
batardeaux que les communautés doivent délivrer.
Les corvées: telle est donc la lourde contribution en nature
exigée des Lorrains, la véritable ressource qui permit
d'effectuer tant d'immenses travaux.
CHAPITRE III
Circonstances de l'établissement de la corvée des grands chemins
en Lorraine. - Législation des corvées. - Les exemptions. -
Corvéables et personnel des corvées. ~ Première période sous le
régime français (1737-1743).
Ces corvées (41) furent la charge la plus
lourde et la plus odieuse aux Lorrains que les Duchés connurent
sons le règne de Stanislas et le régime français. Nulle
institution ne contribua davantage à y faire détester
l'administration de Louis XV. Par cela même qu'aucune province
n'en fut plus arbitrairement accablée ; que, d'autre part, ce
fut pour le grave Chancelier-Intendant l'occasion d'excès
déplorables, il n'est pas sans intérêt de s'arrêter un peu
longuement sur la question.
Contrairement au second impôt en nature, la milice, la corvée
n'était point d'importation française. De même qu'avant 1737 on
payait en Lorraine les 100,000 # dites des Ponts et Chaussées,
c'est grâce aux corvées que, sous Léopold et François III, les
travaux des routes avaient été effectués. Tous ces ouvrages:
chaussées neuves, retranchement d'anciennes chaussées, fossés,
élargissement des chemins, transport des matériaux pour la
construction et le rétablissement des ponts, étaient alors
répartis, par ordonnance du Duc, entre les contribuables, sur le
pied de la Subvention (42). Les communautés avaient à fournir
les manœuvres, les voitures et les bois nécessaires aux
entrepreneurs. Le 12 mars 1699, comme les pluies de l'hiver
précédent avaient tout particulièrement raviné les grandes voies
de communication, le Duc avait donné ordre à ses prévôts « de
prendre soin avec application de les faire réparer incessamment
par les habitants desdites communautés, chacune sur son ban,
finage et territoire ..., suivant le nombre d'habitants qu'il y
aurait dans chacune, et que les maires commanderaient pour les y
faire trouver à la première réquisition desdits prévôts, à peine
de châtiment (43) » Régies d'une façon plus précise et plus
complète dans des ordonnances postérieures, c'est par cet acte
de 1699 que les corvées des Ponts et Chaussées furent
régulièrement établies en Lorraine (44).
Nous insistons sur ce mot régulièrement. Plus tard, en effet, La
Galaizière essayera de mettre un terme aux récriminations des
habitants accablés, en leur répondant qu'il ne fait qu'imiter
leur ancien souverain ; que Léopold, le premier, a commandé des
corvées, que c'est même ce prince qui en a donné l'exemple à la
France. Il est exact que les corvées, telles qu'on les imposa
dans le Royaume, ne sont pas antérieures à celles établies par
le Duc, à la fin du XVIIe siècle. Toutefois, bien que Colbert
n'eût accepté cette nécessité qu'avec méfiance, on avait déjà,
sous son administration et à diverses reprises, travaillé par
corvées aux chemins, surtout dans les provinces frontières ou
celles récemment unies, telles l’Artois, la Franche-Comté, le
Dauphiné, l'Alsace. La Lorraine, elle-même, n'en avait pas été
absolument exempte pendant l’occupation. Il ne s'agissait alors,
il est vrai, que de réparations, d'entretien, non de la création
de nouvelles voies. Mais, en définitive, ce n'était point chose
absolument ignorée à la restauration ducale (45).
De plus, lorsque Léopold mourut, et surtout à l'arrivée de
Stanislas, le régime des corvées était aussi bien établi dans la
plus grande partie du Royaume qu'il pouvait l'être dans les
Duchés. On pratiquait régulièrement les corvées en Alsace depuis
1717. Vers 1726, elles avaient été introduites dans la
généralité de Soissons; l'année suivante dans les Evêchés; en
1729 à Châlons; en 1733 dans la province de Bresse (46). Bref,
ayant gagné de proche en proche, en 1737 les corvées étaient en
vigueur dans toutes les provinces de France régies par
l’administration centrale. Elles l’étaient en vertu
d'ordonnances des intendants, mais sans le secours d'aucune loi,
et c'est, à ce moment, la seule différence entre les Duchés et
le Royaume.
L'annexion de la Lorraine se faisait à une époque peu favorable
pour ce pays. A peine l'intendant français était-il installé à
Lunéville que sortait, en mai 1737, des presses de l'Imprimerie
royale, le fameux Mémoire sur la conduite du travail par
corvées, adressé à tous les agents des provinces et qui, ayant
pour but de faire cesser les abus et les trop grandes
discordances, admettait par cela même officiellement une
institution jusque-là simplement tolérée. Ce document commençait
par affirmer l'impossibilité de parvenir sans les corvées au
parfait entretien des routes. La Galaizière était le beau-frère
dOrry. Or, le Contrôleur général s'était montré naguère un des
plus zélés propagateurs des corvées; il érigeait maintenant en
principe, pour toute la France, ce qu'il avait trouvé bon
d'inaugurer dès 1726 dans la généralité de Soissons dont il
était l'intendant, ensuite dans le Hainaut (47). Se sentir
appuyé par son parent et supérieur immédiat, trouver en Lorraine
un précédent qu'il saurait invoquer à l'occasion, c'était plus
qu'il n’en fallait pour que ce caractère dur et impérieux
qu'était le chancelier de Stanislas, n'en vint à oublier bientôt
les lois de la plus élémentaire équité.
Ce fut l'arrêt du Conseil royal des finances du 7 décembre 1737
qui, confirmant l'usage des corvées en Lorraine, en fixa une
seconde fois les règles. Sous une apparence de modération, il en
aggrava singulièrement la portée. Le vague voulu des termes
devait faciliter, par la suite, toutes les rigueurs. Villes,
bourgs et villages des Duchés travailleront, comme ils le
faisaient sous les Ducs, au rechargement des chaussées laissées
à leur entretien. L'Intendant se réserve de faire procéder à une
nouvelle répartition. C'est deux fois par an, désormais, que les
habitants sont tenus de venir, à partir du 10 des mois de mai et
d'octobre, s'occuper à ces travaux, sans préjudice des corvées
commandées pour le tracé de nouvelles routes et la construction
des ouvrages d'art. Des sanctions sévères, adroitement
combinées, assurent l'exécution des ordres de l’Intendant. Tout
corvéable doit obéir aux syndics ou officiers des hôtels de
ville, sous peine, pour chaque contravention, de 50 francs
d'amende et, en cas de récidive, « d'emprisonnement et punition
exemplaire». Ces officiers s'exposent, à leur tour, s'ils n'ont
pas su se faire écouter, les premiers aux mêmes châtiments, les
autres à la perte de la moitié de leurs gages; de la totalité en
cas de récidive. Afin d'éviter toute collusion, les maires
condamnés à l’amende ne peuvent recourir contre leurs
communautés, à peine de restitution du double de ce qu'ils
auraient exigé ou reçu de gré à gré, sans compter une
aggravation de 100 #, dont le tiers appartiendra au
dénonciateur.
Une Instruction, en 40 articles, du 19 septembre 1739, et
rédigée par l'Intendant, compléta cette législation des corvées,
principalement en ce qui concerne les exemptions. Tout sujet
mâle, et non expressément dispensé, devait contribuer
personnellement aux travaux des routes; tout au moins se faire
remplacer. Les exemptions avaient toujours été relativement peu
nombreuses. Seuls, au début, étaient dispensés de. cette charge
: les ecclésiastiques, les nobles et les commensaux du souverain
(29 mars 1724). Mais, en laissant par la suite à la prudence des
maires et officiers municipaux le soin d'affranchir de la
répartition les pauvres et les infirmes de leurs communautés,
Léopold avait toléré que l'on retranchât dans une large mesure
de la liste des corvéables presque tous les malades, les
vieillards, etc. (4 mars 1727). La Galaizière, au contraire,
augmenta d'une part le nombre des exempts aisés; de l'autre, en
formulant pour les sujets les plus dignes de pitié une règle
étroite et inflexible, il inaugura un régime infiniment plus
rigoureux.
Furent exempts des corvées à partir de 1739 :
l. Pour eux et leurs animaux :
a) Tout comme auparavant, les ecclésiastiques, les nobles et les
officiers commensaux du Prince;
b) Les garde-chasse des « plaisirs» du roi, à condition qu'ils
ne soient ni laboureurs, ni voituriers et qu'ils habitent dans
l'étendue desdits plaisirs;
c) Les commis, gardes et tous employés de la Ferme générale,
pourvu qu'ils ne fassent valoir aucun bien par eux-mêmes et
qu'ils n'exercent d'autre emploi que celui de leur commission;
d) Les syndics des communautés, lorsqu'ils commandent exactement
et en personne les corvéables.
Il. Pour eux-mêmes :
a) Les manœuvres malades, durant la stricte durée de leur
maladie ;
b) Les septuagénaires, mais seulement s'ils sont obligés de
vivre de leur propre travail, et si, de plus, ils n'ont ni
femme, ni enfants en état de les suppléer;
c) Les pauvres, mendiants et invalides des communautés; ils
doivent s'adresser à l’inspecteur; l'Intendant décide en premier
et dernier ressort.
Nous ne le verrons que trop, La Galaizière fut loin de se
montrer doux à tous les malheureux compris dans ce dernier
article. A propos d'un manœuvre épileptique qui sollicite
l’exemption, l’Intendant exige qu'on précise combien de fois par
semaine les crises se renouvellent. A son subdélégué de
Saint-Dié, il écrit : « Vous avez estimé que ces gens étaient
dans le cas de jouir de l’exemption de ces travaux sous prétexte
qu'ils sont fort âgés, pauvres et infirmes; mais cela ne suffit
pas pour déterminer ma décision à leur égard (48). »
Ajoutons qu'à plusieurs reprises l'intendant gratifia de
l’exemption, à titre particulier, des bourgeois pourvus
d'offices subalternes, des corvéables touchant de plus ou moins
loin à l’administration. Ces dérogations à la règle ne furent
pas toujours appuyées sur une cause aussi plausible que celle
qui fit exempter, en 1749, pour « lui, ses bêtes et ses voitures
», le maitre de la poste aux chevaux de Nancy, durant tout le
temps qu'il remplirait cet emploi (49).
La contribution aux corvées des « chevaux et autres bêtes
tirantes » est nettement indiquée par l’Instruction. Toutes les
bêtes de somme des laboureurs et voituriers y sont astreintes.
Il en est de même pour les chevaux des officiers non nobles des
hôtels de ville et pour ceux des notables bourgeois, lorsque
leurs propriétaires les emploient à d'autres usages qu'à « la
conduite de leurs personnes ». Les chevaux des commerçants, des
meuniers et des fermiers des fours banaux doivent aussi
travailler aux corvées lorsqu'ils ne servent pas exclusivement à
voiturer les marchandises, les grains et farines ou les bois de
chauffage.
Les corvéables étaient di visés en deux grandes catégories : 1°
les manœuvres, auxquels incombaient la confection des chaussées
et l'extraction des matériaux; 2° les laboureurs et les
voituriers, qui chargeaient et conduisaient la terre et les
pierres nécessaires aux ouvrages. Ces derniers devaient
travailler personnellement, avec leur matériel et leurs bêtes de
somme. Les manœuvres étaient tenus d'être groupés en corps de
communauté. Ils pouvaient, toutefois, se faire remplacer. Les
adolescents n'étaient admis à cet effet qu'à l'âge de 16 ans
accomplis et s'ils étaient jugés assez forts. Les bourgeois et
tous ceux dont la profession ordinaire « n'est point de
travailler à la terre » étaient autorisés à envoyer en leur lieu
et place leurs domestiques ou des préposés quelconques (50).
On peut distinguer trois époques dans le régime des corvées en
Lorraine à partir de 1737. L'intendance du Chancelier en
comprend deux, dont la seconde ouvre, vers 1743, pour la
Province, une longue suite de vexations. De plus en plus
pénibles et excessives jusqu'en 1758, les corvées furent, enfin,
sous La Galaizière fils et son successeur, commandées d'une
façon moins arbitraire et beaucoup plus modérée.
Animé d'un beau zèle, le premier Intendant montra, de suite,
dans cette partie de son administration, une rigueur toute
particulière. Les habitants des communautés, accoutumés
pourtant, de 1724 à 1727, à contribuer amplement de leurs bras
et de leur attirail agricole aux travaux des routes et des
ponts, purent bientôt se répandre en doléances amères sur l’abus
que le représentant de la France faisait d'eux. En 1740, les
plaintes s'élevaient déjà si nombreuses et si circonstanciées,
qu'à Versailles elles avaient attiré l'attention. Malgré
l’insouciance d'Orry, le cardinal de Fleury en était ému. Il
faisait adresser de sérieux reproches au Commissaire départi,
l'engageant à plus de modération. Mais La Galaizière lui
répondait sans sourciller : « Sur ce que Votre Excellence me
marque touchant les travaux des Ponts et Chaussées par corvée,
je dois croire qu'on lui a porté plainte à ce sujet; il est
vrai, Monseigneur, que c'est une charge pour cette province,
mais j'ose vous assurer qu'elle est moindre qu'elle n'était
autrefois, par l’attention que j'ai de ne faire marcher les
communautés que dans le temps où elles n'ont rien à faire pour
la culture des terres ..... Au reste, Votre Excellence peut
s'assurer que je redoublerai d'attention sur cet article. Les
ordres sont donnés, dès le mois de février, pour ne faire
reprendre les travaux à corvée cette année qu'après toutes les
semailles de mars que la longue durée de la gelée de cet hiver a
retardées (51). »
Le Cardinal, peu satisfait, sans doute, de ces assertions,
écrivit lui-même à l'Intendant qu'il eût à faire mieux encore,
et il lui ordonna de supprimer provisoirement toutes corvées
autres que celles d'entretien. La Galaizière obéit, mais en
s'efforçant, dans la rédaction de sa nouvelle circulaire, de
faire attribuer à sa propre sollicitude ce soulagement momentané
(52).
Toutefois, le fonctionnaire mentait en affirmant au Cardinal
qu'il prenait les plus grandes précautions avant d'imposer aux
populations des Duchés un fardeau qu'il était censé être le
premier à déplorer. Dès la mort de Fleury, il semble avoir hâte
de rattraper le temps épargné. Subitement, il se montre plus
exigeant qu'on ne l'avait encore connu, En aucune région de la
France, jamais corvées ne furent commandées. avec plus de dureté
et moins de mesure qu'elles le seront dès lors en Lorraine,
pendant quinze années. Presque sans trêve, aux moments mêmes où
les champs les réclament, les Lorrains vont être mobilisés pour
des travaux multiples ; la plupart d'utilité incontestable, sans
doute, mais qui n'en auront pas moins pour résultat d'introduire
dans les campagnes la misère et souvent la ruine.
Nous n'en finirions pas si nous voulions entrer dans le détail
de chacune des entreprises que les populations eurent à mener à
bien. Nous en avons déjà cité quelques-unes ; nous aurons
l'occasion d'en mentionner d’autres encore. Deux, toutefois,
sont fameuses entre toutes, que nous allons prendre comme
exemple pour étudier la condition des corvéables lorrains à
cette époque. Nous voulons parler des travaux des bois de Haye
et de la chaussée de Neuviller.
CHAPITRE IV
Deuxième période (1743-1759)- - Histoire des « Ponts-de-Toul ».
- Immensité de ce labeur. - Multiplicité des autres travaux. -
Doléances du pays.
Dans la portion du pays qui s'étend, entre
la capitale lorraine et la ville épiscopale, la Meurthe et la
Moselle, et qui porte le nom de la forêt la couvrant autrefois
tout entière, est un site sauvage. On y rencontre deux
précipices, dits les Fonds-de-Toul, endroit dangereux de toute
manière et où, naguère encore, les bandits détroussaient
impunément le voyageur contraint de s'y aventurer durant la nuit
(53) Là, passe la route menant de Nancy à Toul, vers Paris, le
chemin royal et militaire d'Alsace en France.
Dès 1703, Léopold s'était occupé de faire élargir et améliorer
considérablement une voie si importante. Mais, devant les
obstacles offerts par la nature en ces lieux accidentés, il
avait jugé excessif d'employer gratuitement les habitants à une
telle tâche. Il avait renoncé, d'ailleurs, à supprimer
complètement certaines pentes périlleuses, et la route
continuait à y décrire de longues et dangereuses courbes (54).
Ce fut précisément à cet endroit qu'aux premiers jours de
septembre 1745, arrivèrent, de plusieurs lieues à la ronde, les
corvéables des communautés lorraines. M. de La Galaizière a
résolu, en effet, quelles que puissent être les difficultés,
d'obtenir, dans le parcours de la forêt de Haye, une chaussée
large, directe et d'égal niveau.
Voici les deux gouffres ; ils sont larges .et profonds. Le
premier, surtout, qui mesure 150 pieds de dépression verticale.
Il s'agit pour les habitants du pays de combler ces abimes, et
d’exhausser la route qui les traverse. Ils accumuleront les
matériaux ; ils élèveront successivement des terrasses. L'oeuvre
est immense; qu'importe !
Au mois d'avril précédent, on a construit dans le premier fond
un nouvel aqueduc de 300 pieds de long, 6 de haut et 4 de large,
pour servir à l'écoulement des eaux (55). Tout est prêt.
Les corvéables n'ont plus qu'à commencer la gigantesque
entreprise qui va faire l’admiration des ingénieurs du Royaume
et attirer sur le régime français les malédictions du peuple
lorrain.
Peu à peu les talus s'élèvent; les travaux sont poussés avec
tant d'ardeur qu'un an après, le 26 septembre 1746, le roi de
Pologne, allant à Commercy, peut déjà traverser commodément un
des ravins (56). Chaque printemps et chaque automne, on verra
désormais pareillement gagner la forêt de Haye les travailleurs
commandés de communautés « éloignées de dix à quinze grandes
lieues (57) ».
En effet, non seulement la subdélégation de Nancy, mais celles
de Pont-à-Mousson, de Vézelise et de Lunéville sont mobilisées.
Sur les routes de ces districts, c'est un incessant mouvement de
corvéables. Il en arrive des localités touchant au Pays messin,
au Toulois ou au Temporel de Metz. Si la disparition des états
arrêtés par l’Intendant ne nous permet pas de dresser une liste
complète des communautés réquisitionnées, nous voyons du moins,
pour l'office de Lunéville, par exemple, que l'on eut recours
aux bras des habitants de Serres et d’Athienville, d'Einville et
d'Arracourt, de Bauzemont et de Bathelémont, de Coincourt et de
Deuxville. Les gens de Drouville, de Gellenoncourt, de Raville,
de Valhey, etc., sont aussi commandés (58).
Tous arrivent par bandes, à leurs frais, sous la conduite de
leurs syndics, avec leurs équipages de campagne, c'est-à-dire
leurs voitures et leurs bestiaux, suivant l'ordre réglé par
l’inspecteur. Du village de Laxou, localité choisie par
l'ingénieur comme quartier général des travaux, ont été amenés
les outils du roi que, dans l'intervalle, on y conserve et
entretient. Le conducteur des corvées est à son poste. Les
piqueurs constatent les présences, notent soigneusement les noms
de ceux qui manquent à l’appel, Les corvéables n'ont plus qu'à
se mettre au travail avec ardeur. Le moindre repos est considéré
comme une inexcusable marque de paresse.
Toute la formation des terrasses, tout le transport des terres
doivent se faire uniquement « par corvée et à pied d'œuvre ».
Seuls, certains ouvrages d’art seront exécutés à prix d’argent.
La besogne est des plus pénibles. Dans ce dur labeur, les hommes
s'épuisent et les instruments se brisent. L'administration doit
payer, par exemple, en 1757, au forgeron de Laxou, 111 # pour
avoir été employé, cette année-là, 74 jours entiers à «
raccommoder les brouettes servant aux corvéables »; l’année
suivante, pour trois mois de travail, le même ouvrier doit
consacrer 71 jours à ces réparations (59).
Les corvéables se nourrissent à leur compte. Ils eurent d'abord
la faculté de se désaltérer gratuitement autour de grands
tonneaux, dits « les voitures d'eau », que l’on allait remplir
chaque jour à Laxou, à leur intention, et aux robinets desquels
était attachée une grossière écuelle de bois. Mais
l’administration ayant estimé qu'il lui en coûtait trop cher,
les communautés elles-mêmes furent chargées de ce soin. Elles ne
purent le faire sans exiger une redevance des corvéables, Aussi,
aux époques de sécheresse, les pauvres étaient-ils exposés à de
bien grandes privations. « Que n'ont pas souffert les laboureurs
pour la construction d'une chaussée dans les bois de Haye,
ouvrage immense qui les accable depuis plus de dix années, et
qui les désole parce qu'ils n'en prévoient pas la fin ! »
s'écrie, en 1755, le rapporteur de la Chambre des comptes de
Lorraine. « On est touché des plaintes et des gémissements de
tant de malheureux qui, éloignés de leurs habitations et épuisés
par la cherté des vivres, de l'eau même que la nature des lieux
leur refuse, sont contraints de chercher leur subsistance dans
la mendicité (60). »
«Les communautés », déclare à son tour la Cour souveraine, « en
quelques années ont été réduites jusqu’à l'extrémité d'y acheter
de l'eau. » Et, en 1758, les magistrats s'apitoieront encore sur
« ces misérables, manquant de pain, obligés d'acheter l'eau pour
étancher leur soif; et réduits à vivre d'herbes (61) ».
L'emplacement des travaux se nomme l’atelier, Trois baraques en
bois s'y dressent. L'une, toujours soigneusement fermée à clef,
est le magasin où l'on remise les outils pendant la nuit; la
seconde, la seule munie de vitres, est le logement du
conducteur, chargé d’inspecter tous les corvéables, au moins une
fois par jour, Ces derniers couchent pêle-mêle dans la troisième
baraque, la plus vaste, sur des lits de planches, comme dans les
corps de garde. Ils peuvent enfin préparer leurs aliments dans
deux petites constructions de pierre (62).
Les nuits sont souvent froides; aussi accorde-t-on quelquefois
aux travailleurs la douceur d'un peu de feu. En 1758, Drouot,
marchand de bois à Nancy, fournit « quatre cordes pour chauffer
les corvéables pendant les nuits du travail». Mais, pour peu que
l’hiver soit précoce ou que les travaux se prolongent, la
situation de tous ces gens devient des plus critiques. Il se
passe des scènes qui émeuvent les agents de l’administration
eux-mêmes. C'est ainsi que nous voyons le subdélégué de Nancy,
saisi de pitié, prendre sur lui de secourir ces malheureux. «
Les laboureurs des 22 communautés qui travaillent au bois de
Haye », écrit-il à son chef, vers la fin d'octobre 1748, « ne
pouvant laisser pendant la nuit, à cause de la rigueur de la
saison, leurs chevaux à la campagne, se répandent dans nos
faubourgs et villages circonvoisins, où ils payent par nuit
jusqu'à 2 sols par cheval; pour leur donner quelque soulagement,
je leur ai fait dire qu'ils pouvaient venir à Nancy, où je leur
ferais donner les écuries que nous avons dans différentes rues,
même celles de l’hôtel de la Gendarmerie; cela fait que cette
nuit dernière il s'est présenté près de 300 chevaux et fait une
épargne aux maitres. J'espère, Monseigneur, que vous
l'approuverez ainsi (63). »
Les dimanches et fêtes, l'office divin est célébré, à
l'Intention des corvéables, sur les chantiers mêmes, où a été
édifiée une petite chapelle rustique. Un capucin, moyennant une
rétribution de 3 # Par messe, vient à cet effet de Nancy. Cette
même année 1758, le religieux dit 15 messes dans les
Fonds-de-Toul. Tout ce luxe, d'ailleurs, n’est pas bien grand.
Les comptes de l'ingénieur et de l'entrepreneur nous le
prouvent. Ouvrages à prix d'argent, réparations d'outils, bois,
messes, etc., n'ont coûté, en 1757, que la somme de 358 #; 257 #
en 1758. Aucun autre argent n'a été déboursé ces années-là pour
ces travaux. Les corvéables et leurs bêtes ont suffi à tout.
Chaque campagne finie, avant de quitter la Haye, on nivelle la
chaussée comme si elle était suffisamment exhaussée, on égalise
la crête des talus, on bombe avec soin les remblais. Les
communautés peuvent alors repartir, ayant, en général, mangé,
durant ce séjour à l'atelier, leur petit avoir. Elles regagnent,
avec leurs bêtes harassées, leurs terres sans culture. Quelques
mois après, on démolit les trois baraques pour les rétablir un
peu plus loin, et le fastidieux travail continue.
Jusqu'en 1759, ce n'est qu'exceptionnellement, lorsque la saison
aura été trop inclémente, que les corvéables ne seront convoqués
qu'une seule fois, soit au printemps, soit à l’automne. Ainsi
dans la malheureuse année 1749, où le blé vint à manquer et où
le froid persista jusqu'au cœur de l'été, devant l'émeute
populaire qui se fit un instant menaçante, l'Intendant jugea
prudent d'interrompre, pendant quelque temps, le grand ouvrage.
Dix ans après, le premier gouffre de Haye n'était pas
complètement comblé. Nous voyons les communautés y travailler
trois mois encore et exhausser de nouveau le terrain de 2,947
toises cubes de pierres et de terre. Alors seulement la chaussée
atteignit dans cette partie la hauteur requise. A la fin de
1762, il en fut de même pour le second précipice.
La route s'étend facile et droite; elle est garnie de chaque
côté de landrages ou garde-fou en charpente, de haies vives et
de plantations de saules. Les deux levées sont définitivement de
véritables ponts, jetés sur les ravins, Les corvéables n'en ont
plus que l'entretien. Mais, pour arriver à ce surprenant
résultat, il a fallu plus de dix-sept longues années, pendant
chacune desquelles l'intendant a exigé des populations voisines
un travail de trois à cinq ou même six mois, tandis que la part
contributive de tout corvéable employé n'était pas inférieure,
en moyenne, à trois ou quatre semaines de labeur !
Après de consciencieuses opérations trigonométriques et de
minutieux calculs faits sur les lieux mêmes, un chercheur
trouva, lors de l’achèvement des travaux, que le premier pont,
celui du côté de la capitale lorraine, mesurait 166 toises de
France (64): celui du côté de Toul environ 190; que la hauteur
de ces levées, depuis le fond de la vallée, était pour la
première de 25 toises, pour la seconde de 15 toises,
c'est-à-dire encore celle à laquelle atteignait, précisément, le
coq de l'église Saint-Evre de Nancy. Les deux talus
représentaient un volume de 89,025 toises cubes. Pour les
former, plus de 1,780,000 voitures de terre et de pierres
rapportées avaient été nécessaires. De tels matériaux eussent
suffi à la construction de près de 30 lieues de chaussées
ordinaires (65).
Les écrits du temps nous apprennent qu'arrivé en cet endroit,
tout voyageur faisait arrêter ses chevaux, descendait de
carrosse et ne se lassait point de contempler une si colossale
entreprise. En 1750, le prince de Craon, parcourant la forêt de
Haye, avait appliqué à ces immenses travaux le mot d'Horace:
..... Valet ima summis
Mutare (66) .....
.... Deus, avaient sans doute poursuivi les courtisans; car
aussitôt Stanislas, charmé de cette flatterie, de déclarer qu'il
faudrait élever une colonne sur la nouvelle route pour y graver
un tel passage (67). Un ecclésiastique qui se rend a Toul, en
1764, et qui n'a pas vu les gouffres depuis plusieurs années, ne
peut mieux exprimer son émotion qu'en paraphrasant un vers
fameux de Virgile; sa pensée est toutefois plus touchante que
celle du gentilhomme quand il s'écrie :
Quantae molis erat complere has aggere valles !
Par la suite, le brave religieux (68) reviendra souvent examiner
cette chaussée sur laquelle il voudrait voir ériger, lui aussi,
un monument commémoratif, mais qui, du moins) rappelât aux
générations futures l’énormité du labeur de ses malheureux
compatriotes. Il consacrera même ses loisirs à une curieuse
Dissertation sur les ponts de Haye, travail demeuré manuscrit.
J'ai, nous explique-t-il dans son naïf enthousiasme pour
l’œuvre, mêlé d'une réelle pitié pour les artisans, « j'ai
entrepris cet ouvrage parce que son objet m'a paru singulier et
peut-être unique dans son genre. J'ai été depuis les Vosges
jusqu'à Paris; j'ai lu l'atlas de la France qui contient ce
qu'il y a de plus curieux dans le royaume; et je n’ai rien lu ni
vu de semblable à ce que je viens de rapporter. Depuis Salomon
on n'a peut-être rien fait de pareil dans le monde. L'Ecriture
dit que ce prince fit combler la vallée profonde qui séparait la
ville de David de la montagne de Moriah pour aller de plain-pied
de son palais au temple bâti sur cette montagne (69). »
On s'est parfois étonné des murmures que provoqua un ouvrage
d'utilité publique tel que celui des Ponts-de-Toul. « On fit un
crime à M. de La Galaizière, écrit Digot, d'avoir formé une
entreprise que l'on aurait portée aux nues si elle avait été
exécutée par Léopold (70). » L'histoire cependant doit donner
raison à nos pères, encore que leurs doléances puissent être
taxées, par quelques-uns, d'une certaine exagération. Léopold
avait bien réalisé un travail analogue, et ce travail lui avait
valu, avec les plus vifs éloges, la reconnaissance du pays. Mais
c'est que les moyens employés par le Prince différaient
entièrement de ceux auxquels eurent recours l'administration
française et son intendant. Les pièces .officielles elles-mêmes
nous ont fourni l'explication de ce changement d'attitude des
Lorrains en 1705, puis quarante ans plus tard. Si, au lieu
d'affecter les deniers du Trésor aux premiers travaux des
Fonds-de-Toul et d'en rétribuer les ouvriers, Léopold avait,
comme La Galaizière, courbé les communautés sous le bâton
impitoyable des piqueurs, je doute que les habitants des Duchés
eussent pareillement béni une œuvre leur coûtant si cher !
Pendant que l'on travaillait à combler les gouffres de Haye,
d'autres ouvrages étaient conduits, d'après la même méthode, sur
tous les points de la Lorraine et du Barrois. La liste suivante,
dressée par l'ingénieur, sur l'ordre de La Galaizière, peut
donner une idée de l'activité qui désolait le pays. Il s’agit
des travaux qu'auront à exécuter, au cours de l’année 1757, les
communautés des différents arrondissements des Ponts et
Chaussées de la Province. On y lit le laps de temps durant
lequel, pour chacune de ces entreprises, les ateliers resteront
ouverts.
PREMIER ARRONDISSEMENT Nombre de mois
Comblement du grand fond des bois de Haye 3
Changement des montagnes de Chavigny, route de Nancy à Langres 4
Chaussée de Nancy à Charmes (Flavigny, Roville) 7
Continuer la nouvelle chaussée de Pont-à-Mousson à Nomeny 3
Rétablir le grand pont devant Bouxières-aux-Dames 6
DEUXIÈME ARRONDISSEMENT.
Rétablissement de la chaussée traversant les bois de
Saint-Benoît (route de Toul à Verdun) 4
Former une chaussée de la ville haute de Bar à la rencontre de
celle de Paris 2
Ouvrages dans la Woëvre 4
TROISIÈME .ARRONDISSEMENT
Grand pont de pierre à construire sur la Sarre, proche la ville
de Fénétrange (route de Dieuze à Phalsbourg) 7
Rechargement de la chaussée de Dieuze à Fénétrange 3
Continuer la nouvelle chaussée de Bitche à Phalsbourg 4
QUATRIÈME ARRONDISSEMENT Nombre de mois
Continuer la nouvelle chaussée d'Epinal à Bains, à Plombières. 4
Perfectionner la nouvelle chaussée de Neufchâteau à La Marche,
et celle de Bourmont à la rencontre de celle-ci. 3
Continuer la nouvelle chaussée de Vaucouleurs à Joinville. 5
Approvisionnement pour la reconstruction du grand pont de
Domremy. 5
CINQUIEME ARRONDISSEMENT
Continuer le changement de la chaussée de la montagne de
Sainte-Marie-aux-Mines (route de Lunéville à Schlestadt). 3
Continuer la chaussée de Saint-Dié au val de Viller 3
Faire des égouts à travers la chaussée de la montagne entre
Saint-Maurice et Giromagny 3
Nouvelle route de Remiremont à Belfort; percer dans le roc pour
la route de Remiremont à Thann (71) 3
Une véritable fatalité semblait peser sur la Lorraine. Les
phénomènes physiques, les intempéries des saisons étaient venus,
avec. une intensité et une fréquence inaccoutumées, aggraver
encore les lourdes charges imposées aux corvéables. Des crues
successives causèrent la ruine de plusieurs ponts et en
endommagèrent un grand nombre d'autres. en octobre 1740, on
souffrit dans la Province d'une des plus grandes inondations
dont on eût mémoire, au dire de Durival, Le pont de Nancy aux
Grands-Moulins, ceux de Laneuveville et de Saint-Nicolas
s'effondrèrent; de même celui de Ceintrey. Ceux de Neufchâteau
furent à. moitié détruits. Des catastrophes semblables se
produisirent dans le Barrois durant l'été de 1749. En mars 1751,
encore, les ponts de Boucquenom et de Gerbéviller, un autre sur
la chaussée de Nancy à Essey, sont emportés (72).
Vers 1756, les communautés lorraines semblaient à bout de
forces. Dans des remontrances au roi, du 15 mai, la Cour
souveraine se plaignait en ces termes : « Nous sommes persuadés
qu’en France l'intérêt du Peuple, combiné avec ses forces, fait
la règle de la proportion des travaux qui lui sont imposés pour
les routes à, faire dans ce Royaume, Cette proportion est
généralement blessée en Lorraine, où vos sujets sont aussi
foulés par les sommes qui leur sont imposées, que par les
corvées qui en sont exigées pour l'établissement des routes. La
multiplicité de celles qui sont ordonnées, les travaux qu'elles
exigent, les précipices qu'on y a fait combler, les ponts qu'on
y fait bâtir, demanderaient un intervalle de plusieurs années.
Ce ménagement était observé sous les règnes précédents, pour
donner au Peuple le temps de respirer et de se mettre en état
d'y subvenir, ainsi qu'à ses besoins et aux autres impôts ; mais
la précipitation avec laquelle tous ces ouvrages sont exécutés
en même temps, la multitude des corvéables qui y sont employés,
enlèvent le cultivateur au labour des terres et l'artisan aux
ouvrages de sa profession. L'habitant de la campagne y est
accablé de fatigue, les chevaux destinés à la culture des terres
y périssent, tous y sont exposés aux maladies et à la misère
(73). »
Ce tableau tracé par le magistrat rapporteur n'est pas trop
sombre; bientôt il ne devait plus suffire à rendre la réalité.
CHAPITRE V
Deuxième période (suite). - Histoire de la « Chaussée de
Neuviller ». - La grande faute du Chancelier-Intendant La
Galaizière. - Les exactions. - Triste situation des campagnes
lorraines. - Ce qu'il en coûtait respectivement aux communautés
et à l'administration. - Attitude des autres intendants. -
Réprobation soulevée par les abus. - Saint-Lambert et Durival.
La Cour souveraine avait ajouté, dans ses
doléances de 1756, que, malgré la rigueur et. le nombre des
corvées, les Lorrains sauraient peut-être en prendre leur parti,
si le travail demandé avait uniquement pour fin l'établissement
de routes d'intérêt général. Ce qui augmentait leur peine,
c'était de voir au contraire ce labeur n'aboutir souvent qu'à la
commodité ou à l'agrément de quelques favorisés. « Dans le
moment même où nous portons aux pieds de Votre Majesté les.
plaintes de ces malheureux, nombre de communautés gémissent dans
les travaux de ces routes particulières (74). » L'allusion
restait timide, La Cour se tenait encore sur la réserve. Voici
l'explication de ce passage, bientôt complété par d'autres plus
significatifs.
Propriétaire du comté de Neuviller (75) et de ses dépendances,
le Chancelier avait acquis la terre de Roville, le 1er février i
754. Cette seigneurie avait été incorporée au comté par lettres
patentes du 29 décembre 1755, entérinées le 14 janvier suivant
(76). Or, deux mois après cette date, c'est-à-dire aussitôt que
la saison le permit, les communautés de la région reçurent
l'ordre de se rendre sans délai à un nouveau travail, déclaré
par l’Intendant « d'une nécessité urgente ». Il s'agissait de la
création d'une chaussée prenant à Flavigny sur celle de Nancy à
Mirecourt, passant par Ménil-Saint-Martin, Crévéchamps et
Neuviller; puis continuée jusqu'à Roville, pour, finalement,
rencontrer la route de Bayon à Charmes. Le projet portait
officiellement la rubrique : Route de Nancy à Charmes.
Mais ce détour ne pouvait abuser personne. La coïncidence,
d'ailleurs, eût été singulière. Les communications entre Nancy
et Charmes se faisaient jusqu'alors, et assez commodément, par
Bayon. Deux routes très suffisantes pour l'époque menaient aux
terres du Chancelier. De Flavigny-le-Bas un chemin conduisait à
Neuviller, On y arrivait aussi, en traversant la Moselle, par la
grande voie de Nancy à Bayon et de là vers les Vosges. Les
princes de Salm-Salm, anciens propriétaires de la seigneurie,
avaient toujours estimé ces routes suffisantes. M. de La
Galaizière était plus exigeant. Il jugeait le premier chemin
désagréable. Il entendait, aussi, ne point passer la rivière. Il
voulait relier directement son château avec la capitale et
surtout unir, par une large avenue, Neuviller et Roville.
Les corvéables employés à ce nouveau travail purent envier le
sort de leurs camarades des gouffres de Haye. Ils ont dû partir
subitement. Les laboureurs n'ont eu le temps ni de faire ferrer
leurs chevaux, ni de s'approvisionner de fourrage. La plupart
sont contraints d'acheter fort cher, aux environs des ateliers,
la nourriture de leurs bêtes, Heureux encore s'ils peuvent s'en
procurer. Beaucoup de manœuvres meurent eux-mêmes de faim. Par
bonheur, une partie de ces misérables est chaque jour nourrie,
par charité, dans un couvent de l'ordre de Saint-Benoît, à
Flavigny, où le prieur, « homme d'une grande piété et d'un grand
mérite », ne cesse de répéter que la nouvelle chaussée n'est pas
indispensable à la Province, qu'elle n'est appelée à rendre de
services immédiats qu'au seul seigneur de Neuviller. Les
religieux affirment qu’un tel spectacle les touche on ne peut
plus.
Ici, explique à M. Collenel, procureur général de la Chambre des
comptes de Nancy, un témoin oculaire, « les chevaux passent la
nuit à l'injure du temps; plusieurs sont déjà, dit-on, morts de
fatigue, faute de nourriture convenable; un grand nombre
d'hommes et de femmes couchent sur la terre, d'autres dans des
granges, sur la paille; ce sont ceux qui sont le mieux (77) ».
Le sieur Félix, lieutenant au bailliage de Vézelise, venu .à
Nancy pendant les vacances de Pâques 1756, déclare à M. Sirejean,
un des maîtres de la Chambre, « qu'il en aurait déjà coûté 1,700
# à la seule ville de Vézelise en argent délivré pour ladite
chaussée, et que cette somme ne fait pas la moitié de ce qu'il
lui en coûtera pour toute sa cote particulière à ce sujet ». Emu
de tout ce qu'il entend, de ce qu'il tint aussi à voir par
lui-même, le procureur général écrit, le 3 mai, à M. de
Beaumont, intendant des finances : «Je vous avoue, Monsieur, en
mon particulier, que cette conduite m'a fait verser des larmes
pour ce pauvre peuple ! ... Est-il possible, Monsieur, que la
France souffrira, non, je ne saurais le croire, qu'un intendant
achète des terres dans l'étendue de son département et que les
communautés de l'Etat soient écrasées et ruinées uniquement pour
lui procurer la commodité d'aller à chacune de ces terres à
mesure qu'il en achètera ? » Et l'intègre magistrat résumait son
indignation dans ce vers du poète :
Mantua vae miserae nimium vicina Cremonae (78) !
« Je vous avoue », contait-il de nouveau à Paris, trois jours
plus tard, « que je ne puis comprendre comment M. de La
Galaizière a osé former, encore plus exécuter, un projet aussi
hardi ; il a bien pu penser que personne n’oserait en parler au
roi de Pologne, ou que, si on le faisait, il lui serait facile,
maître comme il l'est de son esprit, de donner à son entreprise
telle tournure qu'il lui plairait; mais l'exécuter sous les yeux
des deux provinces, cela me parait bien fort, malgré les
différentes sortes d'autorités réunies sur sa tête. ... Quoi
qu'il en soit, sa chaussée se fait avec une vivacité et une
diligence incroyables (79). » - « On pousse les travaux »,
reprenait encore, peu après, M. Collenel, « avec une vigueur
extraordinaire et bien différente de ce qu'on a vu jusqu'à
présent pour les autres chaussées, ce qui fait soupçonner que M.
de La Galaizière craint que la France n'en soit instruite, et
qu'il veut, au cas qu'elle donnerait des ordres de suspendre,
que la chaussée soit faite auparavant, de façon que lui et sa
postérité en profitent .... Ce serait réduire les communautés au
désespoir que de ne pas arrêter un si grand mal (80). »
L'entreprise, en effet, avançait avec une rapidité étonnante. Le
Chancelier, un moment inquiet, avait bientôt été rassuré par le
bienveillant silence de ses chefs, Il verra sa chaussée se
terminer selon ses désirs. C'est une oeuvre considérable, qui
demandera trois années et demie. Pendant ce temps, tout d'abord
134, puis 155 communautés - parmi lesquelles plusieurs ont à
faire jusqu'à quinze lieues pour arriver aux ateliers - vont
être répandues entre Flavigny et Bayon. Chaque corvéable y
séjournera jusqu'à 3 et 6 semaines par an.
Ici le voisinage de la Moselle rend le sol marécageux; les
corvéables enfoncent donc des pilotis et établissent un pavage
spécial. Au moyen d'arches de maçonnerie, ils favorisent
l'écoulement des eaux tombant des collines voisines. Dès
décembre 1756, le registre des Ponts et Chaussées mentionne
l'achèvement de quatorze ponceaux d'une arche, ayant 14 pieds de
largeur, et de cinq de 6 pieds, tous en pierre de taille, jetés
sur la chaussée de Ménil-Saint-Martin à Roville. En 1757,
dix-sept autres seront nécessaires; trois encore l'année
suivante; finalement, trois nouveaux aqueducs en 1759 (81). Les
matériaux ont été amenés par les travailleurs, qui ont été les
chercher, les uns à Bainville-aux-Miroirs, dont ils doivent à
cet effet démolir le vieux château, les autres dans les
carrières d'Ubexy. A un autre endroit, la chaussée traverse un
bois ; plus loin elle doit entamer une succession de coteaux
rocheux, La montée de Richardménil, la traversée de ce village
et de celui de Neuviller nécessitent des travaux d'art. Il faut
y construire plusieurs grands murs de soutènement pour maintenir
les terres. Rien que durant la campagne du printemps de 1758,
les habitants de Vigneulles auront à charrier 4,000 voitures de
pierres; en deux ans et demi, beaucoup de laboureurs pourront
inscrire à leur compte personnel 600 à 700 voitures de moellons
ou de sable. « Tout cela », répétait en vain M. Collenel, « tout
cela pour s'exempter de faire une lieue de plus ! Il n'est pas
pardonnable de ruiner ainsi les communautés du Roi (82). »
Tout cela, pourtant, n'eût été rien encore, si La Galaizière,
sûr de l’impunité, stimulé même par les plaintes de la Lorraine
entière, n'eût pris à tâche de multiplier les vexations. Pour
arriver jusqu'au lieu des travaux, la moitié environ des
communautés requises, celles de la rive droite, avaient à
traverser la Moselle. Elles pouvaient passer cette rivière aux
trois bacs de Velle, de Lorey et de Bayon. Jusqu'alors tout
passage de ce genre avait été gratuit pour le service des Ponts
et Chaussées (83). Cette fois aucun ordre ne fut donné dans ce
sens. Il fallut que les corvéables payassent à l'aller et au
retour, même au bac de Velle qui appartenait au Chancelier, en
tant que seigneur de Neuviller. Le fermier exigea constamment un
sol par personne, 6 sols par voiture. Le syndic de Tonnoy, par
exemple, doit y laisser 11 # pour le passage de sa communauté.
Les 80 corvéables de Moyemont versent, à chaque voyage, 2 sols
par tête au bac de Bayon. Ceux de Clayeures y ont dépensé,
jusqu'à l'été de 1758, plus de 124 #. On vit à ces endroits des
scènes pitoyables. « Il est arrivé que plusieurs laboureurs,
après être restés aux travaux de la chaussée pendant quinze
jours, trois et six semaines..., après avoir dépensé tout ce
qu'ils avaient, pour éviter de repasser le bac, parce qu'ils
n'avaient plus d'argent, ces misérables se sont exposés au
danger de passer la rivière, où plusieurs chevaux sont péris
(84). » Un syndic de Roville-aux-Chênes se noie en traversant la
Moselle. Celui d'Essey-la-Côte déclare que ses corvéables ont
été contraints de « passer l'eau au gué, faute d’argent ; il y a
eu plusieurs voituriers entraînés dans la Moselle avec leurs
chariots et bagages; un homme et une fille ont failli de périr
». Un homme de Brémoncourt se noie de même avec quatre chevaux,
en franchissant la rivière pour revenir de Neuviller (85).
On voudrait, devant un tel spectacle, hésiter à croire que le
Chancelier eût uniquement obéi à un motif d'intérêt personnel.
Malheureusement un autre fait, plus regrettable pour La
Galaizière et qui se rattache intimement .à cette histoire de sa
chaussée, vient fournir, à lui seul, une preuve accablante du
contraire.
Tandis que le seigneur de Neuviller demandait aux bras des
corvéables un chemin large et commode pour se rendre à ses
terres, il s'avisa aussi, ne se contentant plus de l'ancienne
résidence des princes de Salm, de la faire abattre par ces mêmes
travailleurs et d'élever, au chef-lieu de son comté, un château
plus digne de lui. De 1756 à 1758, 200 communautés durent
s'employer en surcroit à cet ouvrage. L'Intendant ne connaît
plus aucune mesure. Il contraint les populations à démolir, sans
aucun salaire et dans les conditions les plus pénibles, les
tours de l'ancien bâtiment. en avril 1757, .les corvéables de
Moyemont « ont eu ordre par un piqueur de déblayer le château,
dont ils ont enlevé plus de 1,500 voitures de décombres »,
D'autres, tels ceux de Saint-Maurice, sont envoyés jusqu'au
chantier de Pont-Saint-Vincent, où ils chargent, en vue de la
reconstruction du château, les plus belles pierres destinées au
grand pont. Il s'agit aussi d'embellir les environs de la
nouvelle demeure. On fait disparaître l’ancienne terrasse; les
gens de Saffais consacrent, en 1757, huit jours à cette besogne,
et « les laboureurs, ne pouvant tourner avec des chariots, tant
il y avait de .monde et de confusion, furent obligés chacun de
faire faire un tombereau ». Presque tous meurent de faim, « n
ayant ni pain ni argent ».
Partout, dans la seigneurie, règne la même activité. Les
habitants de Mont creusent des fondations; ceux de Tonnoy font
un canal pour conduire les eaux au potager du château, puis
construisent deux ponts. Les gens de Rozelieures curent les
fossés. D'autres, les plus ménagés, plantent des charmilles ;
d'autres, encore, saignent les terres en y creusant des rigoles.
Ceux-ci élèvent les murs du parc. La communauté de Rehainviller
travaille pendant trois ans à la cour d’honneur, ainsi qu'à la
création d'une avenue autour du château. Cette avenue part de la
chaussée et décrit une courbe élégante. Longue de 280 toises,
elle mesure à. certains endroits jusqu'à 80 pieds de large.
Ornée d'arbres, c'est une belle promenade. Elle est maintenant,
malgré une colline qui naguère s'élevait sur cet emplacement, en
pente très douce ; elle offre la plus agréable perspective
jusqu'à Crévéchamps. L'accident de terrain qu'il a fallu vaincre
n'a pas été sans utilité. Précisément un ravin profond séparait
le château de la maison prieurale et de l'église; chose
inadmissible plus longtemps, puisque c'est l'abbé de Mareil qui
est titulaire de ce prieuré et que M. de Mareil est le frère de
M. de La Galaizière, Les corvéables transportent donc les terres
du monticule, comblent la vallée, et un remblai de 30 pieds de
haut sur 45 à 50 de large vient relier les deux résidences.
Il ne faudrait point croire, enfin, que la création de la grande
chaussée de Neuviller ait en quelque façon divisé les terres
appartenant au Commissaire départi. A cette époque,
l'administration des Ponts et Chaussées, particulièrement en
Lorraine, avait un véritable culte pour la ligne droite. Les
montées les plus raides ne lui faisaient point dévier ses tracés
(86). Ainsi avait-on fait, malgré les grands travaux nécessités,
entre Flavigny et Ménil-Saint-Martin. Mais, lorsqu'il approcha
des bans de Neuviller et de Roville, l'ingénieur abandonna ce
principe ; qu'importent dès lors les détours ! On fait faire à
la chaussée un coude qui l’allonge de 500 toises. Tout à l'heure
on craignait le voisinage de la Moselle; maintenant on s'en
approche de telle façon que les eaux recouvrent la route au
moindre débordement. Un corvéable de Magnières, en train d'y
travailler, est entraîné dans la rivière le 20 juillet 1758.
C'est que l'on est arrivé à de belles pièces de terre
appartenant au seigneur de Neuviller, et il faut se garder de
les entamer. La voie passera uniquement sur les héritages des
particuliers. 550 jours de champs, de vignes et de jardins
furent ainsi sacrifiés sous prétexte d'utilité publique. On vit
même de malheureux corvéables, punis à la moindre résistance,
contraints de détruire en gémissant leur propre bien. « Un trait
criant de l’injustice exercée lors de la construction de cette
chaussée », remarque la Cour souveraine, « est qu'un particulier
de Flavigny, où elle commence, qui avait amassé, à la sueur de
son front, le prix de quelques jours de terre situés dans cet
endroit, et qui faisaient toute sa fortune, en a été dépouillé
sans avoir été indemnisé. »
Devant cette affirmation, nous avions songé à une exagération
possible de la part du magistrat. Les papiers de l’Intendance
rétablissent les faits dans leur stricte exactitude, et cette
vérité est déjà assez éloquente. Lorsque le mémoire de la Cour
souveraine fut dressé, aucun dédommagement n'avait effectivement
été donné aux habitants dépossédés ; on s'était contenté de
relever les constructions abattues dans la traversée des
villages. A l'automne, toutefois, l'entrepreneur Mique versa,
sous la rubrique « Indemnité des vignes et vergers compris dans
la nouvelle chaussée », une somme de 6,040 # 11 s, 6 d. Cela
seul fut accordé aux propriétaires, en compensation de la perte
de leurs terrains et des dommages considérables partout causés
aux récoltes dans les environs des travaux ! Les différents
articles de l'arrêt du Conseil royal des finances, du 25 octobre
1755, étaient, les uns après les autres, odieusement violés
(87).
Durant ces trois années, La Galaizière tint naturellement à
surveiller souvent en personne l'exécution d'ouvrages entrepris
pour sa propre satisfaction. Son arrivée était une cause
d'effroi pour les corvéables. Il se plaisait à étaler dans les
ateliers une dureté hautaine. L'Intendant apprend que quelques
habitants de Gerbéviller n'ont pu venir « faute de nourriture ».
Ils sont condamnés à une amende de 62 #. Plusieurs travailleurs
de Xermaménil sont absents; l'un deux est aveugle; malgré cette
grande excuse, l'infirme sera puni d'une amende de 25 #, «
rédimée par le subdélégué de Lunéville, à force de prières, à 20
sols ». Le syndic de Moyemont cite cet autre fait : « un
particulier, nommé Jacquart, avait marchandé sa part d'ouvrage
pour 11 #. Le Chancelier étant sur les lieux: l'a condamné à 40
# d'amende. Elle a été modérée, après avoir payé 100 # de frais,
à la somme de 10 # ». En mars 1758, l'officier de ville de
Châtel, « qui commandait les manœuvres, ayant représenté a M. de
La Galaizière, qui était présent à ces ouvrages avec Baligand et
le piqueur Robin, qu'il ne pouvait plus contenir son monde, que
la plupart de ces manœuvres mouraient de faim et qu'il en
nourrissait une partie a ses frais, il fut répondu par Robin
qu'il fallait l'ouvrage, qu'il se retirât ou qu'on l'enverrait
promener » . Pierre Paquotte de Villacourt, travaillant à
l'avenue du château, est, renversé, le 1er octobre 1756, par un
éboulement; il a eu « l’épine du dos cassé en trois endroits et
le reste du corps incommodé, ce qui le met hors d'état de gagner
sa vie et celle de sa grosse famille », dit naïvement un
mémoire. Paquotte s'adresse au Chancelier qui n'a que faire de
son certificat.
Les agents des Ponts et Chaussées imitent la manière du maître.
Les procès-verbaux des communautés nous indiquent comme
proverbiale, parmi les corvéables, la sévérité du piqueur Robin
(88). Les habitants de Barbonville sont indignés de l'avoir vu «
frapper le syndic en présence de la communauté et lui casser une
règle sur le corps en le menaçant de prison ». Ceux de
Rozelieures se plaignent que « le piqueur a eu la dureté de ne
pas permettre d'aller chercher des vivres, ce qui fait que
plusieurs sont tombés malades de fatigue », Après 28 jours
passés à l’atelier, les corvéables de Roville-aux-Chênes
manquent de vivres et de fourrage. Il leur est expressément
défendu de retourner chez eux pour s'approvisionner. Conducteurs
et piqueurs reçoivent maintenant des gratifications
extraordinaires. Le Chancelier veut bien fermer les yeux sur les
petites exactions qu'ils se permettent. Ils sont libres de
compter à leur guise le prix des bornes destinées à marquer les
portions respectives de la nouvelle chaussée, confiées à
l'entretien de chaque communauté. Ces dernières doivent en payer
l’achat ainsi que la taille et le transport. Quoique toutes
semblables, ces bornes sont comptées, suivant les cas, de 7 à 17
# environ. C'est un moment favorable pour les malversations de
tous les employés. Les corvéables sont à leur merci. On accorde
facilement les billets de réception d'ouvrage aux syndics des
communautés qui font des présents; on en refuse, sans motif, à
ceux qui n'offrent rien. Ils ont d’autres moyens encore de
délier les bourses, On n'acceptera point, par exemple, tels
matériaux de bonne qualité; on obligera les paysans à aller en
chercher à des distances fort éloignées, tandis qu'il s'en
trouve à portée, et cela jusqu'à ce que les corvéables aient
compris le sens de telles vexations. Les piqueurs n'ont reçu les
ouvrages des gens de Saffais « qu'à force de prières ». En 1758,
les habitants de Moriville passent 10 jours à paver, puis à
dépaver la même chaussée. Des aventuriers, profitant du trouble
général, se disant préposés par l'administration, présentaient
aux communautés de faux ordres de corvée qu’affolées elles
s'estiment heureuses de pouvoir rédimer à prix d'argent (89).
L'ingénieur, lui aussi, voulut avoir sa part à cette sorte de
curée. Baligand est devenu, par la protection de l’Intendant, un
personnage notable en Lorraine. Ingénieur ordinaire du roi et
commensal de sa maison, cumulant plusieurs fonctions, il est
seigneur de Heillecourt et de Ferrières. Le 5 janvier 1756,
Stanislas lui a accordé des lettres de noblesse (90). Il est
maintenant logé au compte de la Province, grâce à une imposition
annuelle sur les revenus des hôtels de ville. Par lettre du mois
de février 1757, La Galaizière a signifié aux villes de Lorraine
et Barrois que telle était la volonté de Sa Majesté Polonaise.
L'Intendant sait qu'au prix de telles faveurs, il achète le
silence et la complicité de Baligand (91). Du château de
Heillecourt acquis en juin 1755 (92) et dont il a fait sa
résidence préférée, l'ingénieur juge l'occasion bonne pour jouer
le rôle d'un La Galaizière au petit pied. On put voir autour de
Heillecourt quelques-unes des scènes que nous déplorions autour
de Neuviller. Trente-deux communautés ont été appelées et
doivent travailler par corvées à former plusieurs chaussées qui
faciliteront l'accès du domaine de Baligand : « Dans les temps
les plus précieux aux occupations de la campagne, ces chaussées
ont été faites avec autant de promptitude que de solidité, sans
indemnité du fond des héritages qu'elles ont enveloppés, des
fruits qu'elles ont en levés, ni de ce qu'il en a coûté aux
communautés (93) ».
Bref, depuis l'intendant jusqu'aux simples piqueurs, tous les
agents de l'administration des Ponts et Chaussées de Lorraine
semblaient s'être entendus pour accabler les malheureux Duchés;
et cela avec d'autant plus de sécurité que le principal coupable
était juge suprême.
Lorsque, devant l'incurie du gouvernement français, la Cour
souveraine, après de nouvelles remontrances, datées du 27 juin
1758 (94), espérant encore quelque justice, résolut de dévoiler
complètement au Contrôleur général la conduite de son intendant,
elle s'adressa aux officiers de ville, aux maires et aux syndics
des communautés lorraines pour leur demander des renseignements
précis. Toutes les localités employées depuis deux ans et demi à
la chaussée de Neuviller répondirent à l'appel et, dans le
courant de juillet, envoyèrent des procès-verbaux détaillés de
leur situation. La Cour s'en servit pour la rédaction de ses
Éclaircissements du 3 août suivant. La comparaison de ces pièces
et du résumé qu'en dressèrent les magistrats, nous a prouvé que
le lamentable tableau présenté à Paris était encore plein de
modération. Les communautés situées à quinze lieues à la ronde
de Neuviller, arrêtant leurs comptes, arrivaient à ce résultat,
que, pour le seul travail de la chaussée et du château, il leur
en avait déjà coûté, outre le défaut de culture des terres, des
sommes variant entre 1,500 et 10,000 #. Je prends au hasard : la
petite commune de Mont y avait sacrifié 4;000 # ; Moriville,
6,000 # ; Gerbéviller, qui avait dû envoyer 400 corvéables, plus
de 8,000 #. De 1756 à 1757 inclusivement, la ville de Châtel y a
dépensé 5,720 #. Il en a coûté, en 1756, à chaque manœuvre de
Saffais, « au moins un gros écu »,
Tous ces misérables ont été employés, les uns pendant le temps
des semailles, les autres pendant celui des moissons. En
septembre 1756; les gens de Châtel travaillaient à Neuviller
pendant que leurs avoines pourrissaient sur pied. Ceux de
Saffais s'y trouvent, au commencement de 1758, « pendant les
froids et les neiges qui les ont forcés de revenir pour
retourner aussitôt, encore le piqueur leur faisait-il
recommencer l'ouvrage... Ils ont souffert si considérablement »,
ajoute le syndic; « qu'ils laissent l'estimation du dommage à la
prudence de la Cour », A Nossoncourt, ces ouvrages ont causé la
ruine de plusieurs laboureurs, la désertion de plusieurs autres,
sans qu'on sache ce qu'ils sont devenus; deux fermes sont
incultes. Moyemont signale plusieurs blessés et quantité de
voitures brisées, A Gerbévlller, les laboureurs ruinés ont
quitté le village; 30 bestiaux sont morts de fatigue. De même à
Moriville, pour la seule année 1757, les cultivateurs ont perdu
«par les fatigues des corvées plus de cinquante bêtes tirantes
». Les gens de Vennezey, appelés par quatre fois en 1756, par
quatre fois encore en 1757 et une fois en 1758, pour démolir le
château du Chancelier, constatent que leurs terres sont en
friche, que plusieurs cultivateurs ruinés ont abandonné leur
train, qu'outre nombre de chevaux malades, 25 à 30 sont morts.
Les habitants de Xermaménil, enfin, portant « leurs plaintes
amères aux supérieurs dont ils implorent la justice », résument
ainsi leurs infortunes : « Ils ont été obligés de passer les
eaux où plusieurs ont failli périr. D'autres ont été fracassés
et à demi morts par les chutes des terres. Beaucoup sont réduits
à la mendicité et hors d'état de supporter les charges publiques
par des ouvrages dangereux, pénibles, inutiles au public, où ils
ont reçu des traitements de chien, en quittant leurs intérêts. »
Le temps était loin où d'Audiffret, parlant des grandes
entreprises du duc de Lorraine, déclarait qu'elles avaient été
exécutées « sans que les travaux de la campagne et de la culture
en aient souffert, parce qu'on avait eu la prévoyance de ne
commander les travailleurs que dans les intervalles de leurs
ouvrages domestiques et champêtres (95) ».
Après avoir rassemblé tous ces documents, le rapporteur de la
Cour souveraine estimait que les travaux de Neuviller avaient à
eux seuls coûté à la Province, de l’année 1756 à 1758, plus d'un
million, Il est instructif d'opposer à ce chiffre les sommes
fournies, pour cette même entreprise, à l'ingénieur des Ponts et
Chaussées.:
En 1756, la dépense est de 6,788 # 6s. 9d. Matériaux, ouvrages
d'art; gratifications accordées au personnel
En 1757, 8,424 # 10 s 10 d.
En 1758, 1,155 # 1 s 10 d.
et 6,040 # 11 s. 6 d. Indemnités aux particuliers (96)
Soit donc un total d'un peu moins de 22,000 # !
La France s'en tirait vraiment à fort bon compte, et l'on peut
être en droit de conclure que c'est là une des principales
raisons pour lesquelles le Gouvernement de Louis XV se montra si
indifférent aux protestations de la Lorraine accablée.
(A suivre.)
P. BOYÉ.
(1). D. Calmet (Histoire de Lorraine. 2e édit., VII, col. xxxiii)
donne par erreur, à plusieurs reprises, la date de 1725.
(2). Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, I, 135 (ord. du
1er février 1699); id.; 140 (ord, du 12 mars 1699); Il, 86
(lettre de cachet du 25 février 1716).
(3). Ibid., Ill, 20 (ord. du 29 mars 1724); id., 124 (ord. du 6
septembre 1725); id., p. 221 (ord. du 4 mars 1727).
(4). Dissertation sur les grands chemins de Lorraine. Nancy,
Cusson, 1727, in-4° ; et dans l'Histoire de Lorraine, 2e édit.,
VII, col. l à XI - Saint-Urbain grava à ce propos plusieurs fort
belles médailles, dont l'une, frappée en 1726, a été décrite par
son auteur, le P. Marion (Explication du médaillon frappé en
l'honneur de Son Altesse Royale au sujet de la construction
nouvelle des ponts et chaussées dans les duchez de Lorraine et
de Bar, 1726. Nancy, 1726, br. in-4°); une autre, de l'année
suivante, est expliquée par D. Calmet (op. cit.) et a été
reproduite par Séb. Antoine pour illustrer cette dissertation. -
V. aussi Lepage et Beaupré, Ferdinand de Saint-Urbain, avec un
catalogue de l'œuvre de cet artiste. Nancy, 1867, in-8°, pp. 104
et sq.
(5). Cf. Baumont, Études sur le règne de Léopold, duc de
Lorraine et de Bar (1697- 1729). Nancy, 1894, in-8°, pp. 596 et
sq.
(6). L. (Lecreulx), Mémoire sur la construction des chemins
publics et les moyens de les exécuter, En Frauce (sic), 1782,
in-4°.
On peut se rendre compte du tracé de ces chaussées, de leur
nombre et même du soin apporté à leur entretien de 1725 à 1737,
en consultant les plans coloriés et manuscrits, à grande
échelle, que nous a laissés l'ingénieur-géographe Broutin,
préposé par Léopold au département de la Lorraine allemande -
SeilIe et Bassigny - (manuscrit n° 613-616 de la Bibliothèque de
Nancy; 4 gr. Atlas). - La Bibliothèque de la Société
d'archéologie lorraine possède une réduction de ces plans
(manuscrit nos 21-23, comprenant des feuilles de dimensions
diverses reliées en 3 volumes in-4° qui, longtemps dispersés
[cf. n° 3424 du Catalogue raisonné de Noël], ont été de nouveau
réunis dans ce dépôt). Cette œuvre, postérieure de quelques
années à la précédente, plus soignée et mise à jour jusqu’à la
fin du régime ducal, est de toute beauté. Elle fut faite
également par Broutin, pour être offerte à La Galaizière à son
arrivée en Lorraine, ainsi que l'indique la dédicace - datée de
Saint-Dié, 31 mai 1737 - inscrite en tête du premier volume.
Toutes les localités situées à un quart de lieue environ de
chaque côté des routes figurent sur les uns et les autres de ces
plans. Sur les chaussées mêmes on distingue les poteaux qui
indiquaient les limites d'entretien. Des tableaux détaillés
fournissent, de plus, la longueur de chemin et le nombre des
ponts ou arches à la charge de chaque communauté.
Au volume n° 1 du manuscrit de la Société d’archéologie lorraine
a été ajoutée une carte d'ensemble des Duchés, copiée sur celle,
également inédite, des chemins faits en chaussées des États de
Son Altesse Royale [1734], qui ornait un recueil analogue aux
précédents et faisait partie de la collection Noël (n° 3423 du
Catalogue raisonné).
(7). Cf. Recueil des ordonnances de lorraine, VI, 88
(8). Les premiers inspecteurs furent les sieurs de Chaix, ancien
directeur général, Le Pan, ancien ingénieur, et Baligand.
(9) Lettres patentes du 18 août. « M. de La Galaizière propose à
M. le contrôleur général un nouvel arrangement sur les Ponts et
Chaussées de Lorraine. » (Journal de Durival, manuscrit n° 863
de la Bibliothèque de Nancy; 9 mars 1750.)
(10). En 1763, ce bureau fut rétabli à Lunéville jusqu'à la mort
du roi de Pologne. - Dans l'arrondissement du Barrois, le
sous-ingénieur résidait à Bar; l'inspecteur à Bar ou à
Saint-Mihiel. Pour la Lorraine allemande, le sous-ingénieur à
Sarreguemines; l'inspecteur à Saint-Avold ou à Faulquemont, Pour
l’arrondissement de Neufchâteau ou du Bassigny, le
sous-ingénieur à Neufchâteau et l'inspecteur à Mirecourt. Pour
l’arrondissement de la Vôge, l'un et l'autre à Lunéville. Un
dessinateur en titre était de plus attaché au bureau de
l'ingénieur en chef.
(11). Trudaine de Montigny à l’Intendant de Lorraine, 17 août
1773. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.
(12). Jean-Jacques Baligand, né à Baives (Hainaut), le 11 mars
1697. Son père était capitaine de cavalerie au service de
l'Espagne lorsqu'une partie du Hainaut devint province
française. De ses deux oncles paternels, l'un servait dans les
gardes de l'Électeur de Bavière; le plus jeune, nommé cornette
au régiment d'Egmont, par brevet de Louis XIV, suivit le parti
de Philippe V. Baligand fut employé fort jeune à d'importants
travaux. Il épousa en 1738 Marie-Catherine Dépret, dont il
laissa six enfants. Mort à Nancy, le 21 décembre 1762, il fut
inhumé dans l'église Saint-Evre de cette ville. On a de lui : le
projet de desséchement des marais laonnais, avec devis (1744) ;
celui d'un canal de navigation le long des rivières d'Ardon et
de Delette, depuis Laon jusqu'à Manicamp; et l'État général des
ponts et chaussées de Lorraine et Barrois, divisé en cinq
arrondissemens [s. l. n. n. ), 1757, in-fol.
(13). La mort tragique de ce sous-ingénieur fit grand bruit en
Lorraine. Delille fut tué, dans la nuit du 15 mars 1752, d'un
coup de fusil, par l'un de ses fils qui, accouru au secours
d'une servante, croyait avoir affaire à un voleur.
(14). V. sur lui : Morey, Richard Mique, architecte de Stanislas
et de la reine Marie-Antoinette. Nancy, 1868, br. In-8°.
(Extrait des Mémoires de l’Académie de Stanislas.)
(15). Trudaine {Charles-Daniel), 1703-1769, conseiller d'État,
directeur des Ponts et Chaussées et intendant général des
finances. C'est en cette dernière qualité surtout qu'il eut à
entretenir une correspondance suivie avec l'intendant de
Lorraine et Barrois.
(16). Lettre s, d. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122).
(17). Archives nationales, E, 2471.
(18). Lecreulx ou Le Creulx (François-Michel), né à Orléans en
1734; mort à Paris en 1812. Élève de Perrouet, il avait d'abord
été employé en qualité d'Ingénieur ordinaire dans les
généralités d'Orléans et de Tours. Il construisit le beau pont
de Frouard sur la Moselle, et, en 1786, le vaste manège de
Lunéville. Il fut nommé en 1801 inspecteur général des Ponts et
Chaussées, et, en 1809, président du conseil. On a de cet
excellent ingénieur : Discours sur le goût appliqué aux arts et
particulièrement à l'architecture. Nancy, 1778, in-8°. - Mémoire
sur la construction des chemins publics et les moyens de les
exécuter; J. cit. - Mémoire sur les avantages de la navigation
des canaux et rivières qui traversent les départemens de la
Meurthe, des Vosges, de la Meuse et de la Moselle, etc. Nancy,
an III, in-4°- - Description abrégée du département de la
Meurthe (en collaboration avec Coster, Willemet et Poupillier}.
Paris, an VII, in-4°. - Recherches sur la formation et
l'existence des ruisseaux, rivières et torrens qui circulent sur
le globe terrestre. Paris, 1804, in-4°. - Examen critique de
l’ouvrage de M. Dubuat sur les Principes de l'hydraulique, et
observations sur les hypothèses dont il a fait usage. Paris,
1809, in-8°.
(19). V. la Carle itinéraire de la généralité de Lorraine et
Barrois, divisée en sept départements, dressée en 1786 par
Lecreulx. (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 108.)
(20). Pour plus de détails sur cette imposition des Ponts et
chaussées, voyez notre travail: Le Budget de la province de
Lorraine et Barrois sous le règne nominal de Stanislas
(1737-1766). Nancy, 1896, in-8°, pp. 14 et sq.
(21). C'est ainsi qu'on leva en France - pour ne prendre que
deux dates extrêmes - en 1737 : 2,957,001 #, et en 1765 :
3,627,216 #, destinées aux dépenses ordinaires des Ponts et
Chaussées.
(22). Archives nationales. E, 2471. - V. aussi : Arrêt du
Conseil d'État du 1er août 1775 ordonnant une imposition
annuelle de 800,000 # sur les vingt Généralités des pays
d'élections, les pays conquis, les duchés de Lorraine et de
Barrois, pour les travaux de divers canaux (Archives du
ministère des Travaux publics [ces archives ne sont pas
inventoriées]); Arrêt du 7 septembre 1778 ordonnant sur les
Duchés une imposition de 83,039 # 3 d. pour dépenses ordinaires
des Ponts et Chaussées (Archives nationales, E, 2549); Arrêt du
4 décembre 1778 qui ordonne sur les mêmes Duchés une imposition
de 1,200 # pour indemnité de logement à l'ingénieur en chef
(ibid.); etc.
(23). Sur toute cette affaire, voir Registres des délibérations
secrètes de la Chambre des comptes de Lorraine, t. II.
(Manuscrit n° 106 de la Bibliothèque de Nancy.)
(24). La Bibliothèque de la Société d'archéologie lorraine
possède un « Etat des villes et villages employés à l'entretien
annuel des chaussées ... », pour l'arrondissement de Nancy et
l'année 1755 (manuscrit non classé). Le nombre de toises dont
chaque communauté à la charge y est indiqué. - Les autres
documents de ce genre ont disparu des papiers de l’Intendance.
(25). Archives de Meurthe-et-Moselle. C. 118 à 153; passim. -
Baligand, État général des ponts et chaussées de Lorraine et
Barrois..., j. cit. - Recueil des ordonnances de Lorraine, VI,
88. - Etc.
Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, VI, pp. 291 et 343.
(26). Perronet (J.-Rodolphe), 1708-1794, premier ingénieur des
Ponts et Chaussées de France, directeur et organisateur de
l'Ecole des Ponts et Chaussées fondée par Trudaine (1747), est
surtout célèbre par les magnifiques ponts qu'il construisit.
Inspecteur général des salines de 1757 à 1786, il fit en cette
qualité jusqu'en 1770 - époque où son collègue Querret le
remplaça dans ses tournées - de fréquents voyages en Lorraine et
il n'y contribua pas peu à la remarquable extension donnée aux
travaux d'art.
(27). On pourrait objecter ici que plusieurs de ces routes,
surtout celles de la Lorraine allemande, avaient une grande
partie de leur tracé en terre évêchoise et que, par conséquent,
la charge des Lorrains se trouvait diminuée d'autant. Mais nous
verrons plus loin (chapitre VI) que, par une mesure arbitraire,
le Gouvernement français contraignit les habitants des Duchés à
construire la totalité de ces chaussées et même, pendant une
certaine période, à aller entretenir les chemins des enclaves
étrangères,
(28). Ce pont fut terminé à la fin d'octobre 1741. Le pont «
provisionnel » fut alors détruit et tout péage supprimé.
(29). Il était déjà « hors d'eau » en novembre 1749. Plus de
2,000 pieds d'arbres furent employés aux pilotis, grillages et
palplanches.
(30). Lisez Mique.
(31). Manuscrit n° 783 de la Bibliothèque de Nancy.
(32). Né à Nancy le 19 septembre 1714, mort en 1796, Claude
Mique, architecte du roi de Pologne, fut chargé de la
construction de plusieurs bâtiments conçus par Richard,
notamment de. la belle caserne Sainte-Catherine de Nancy. Il
publia vers 1778 un grand et un petit Plans des villes,
citadelles, faubourgs et environs de Nancy. Il a laissé
également plusieurs plans manuscrits de cette ville.
(33). « M. de Machault a écrit, le 21 janvier, à M. de La
Galaizière de lui faire connaître à quoi on a employé les fonds
imposés en 1742, 1743, 1744, 1745 pour les Ponts et Chaussées ;
de lui envoyer un état des dépenses pour 1746 », consigne
Durival dans son Journal (21 février 1746).
(34). Lettre à l'Intendant de Lorraine, du 16 mars 1762.
(Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122.)
(35). Lettre de l'année 1766; s. d. (Ibid.)
(36). 24,554 # en 1756 ; 24,183 # en 1757; 23,648 # en 1758;
24,073 # en 1759; etc.
(37). Années 1748, 1749, 1758, 1759, 1762, etc.
(38). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1765 et sq. ; C, 118. -
Par une exception unique, la dépense ne fut, en 1744, que de
50,000 #.
(39). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 122. Léopold et son
successeur consacraient la totalité des 100,000 # aux ouvrages ;
depuis 1737, une partie, comme nous l'avons vu, était au
contraire dépensée en frais d'administration.
(40). lbid.
(41). On sait que corvée avait, au XVIIIe siècle, diverses
acceptions. On entendait par ce mot tantôt un service personnel
et momentané dû an seigneur (corvée domaniale, seigneuriale ou
particulière - distinguée elle-même en différentes catégories :
réelle, personnelle. etc.); tantôt une contribution gratuite aux
travaux manuels, emploi de bestiaux et de voitures, exigée pour
la confection des routes (corvée royale, publique ou des grands
chemins]. C'est dans ce second sens - bien spécial - que nous
emploierons exclusivement ici le terme corvée ou corvées.
(42). Voir l'ordonnance du 29 mars 1724 dans le Recueil des
ordonnances de Lorraine, III, 20.
(43). Op. cit., I, 40.
(44). L'expression corvée n'y est toutefois pas employée. Ce mot
ne désignait encore dans les Duchés que des charges de nature
seigneuriale. Ainsi, dans l'ordonnance du 29 mars 1724:, le Duc
déclare précisément les sujets employés aux travaux des Ponts et
Chaussées exempts « des cinq jours de corvée auxquels ils sont
attenus tous les ans, par l'ordonnance du 6 mai 1717 ». C'est
donc par erreur que Mgr Mathieu, dans son beau livre L'ancien
régime dans la province de lorraine et Barrois, p. 202, écrit
que Léopold « réussit à faire près de quatre cents lieues de
route, en imposant aux communautés cinq jours de travaux par an
».
Corvée se rencontre pour la première fois employé officiellement
en Lorraine avec le sens qui nous occupe, dans l'arrêt du
Conseil royal des finances du 26 octobre 1755, qui parle de «
préposés aux travaux par corvées ».
(45). Le Gouvernement français, se gardant de rappeler ces
souvenirs, voulait plutôt montrer dans la législation locale des
précédents à ses innovations.
(46). Cf. Vignon, Études historiques sur l'administration des
voies publiques en France aux dix-septième et dix-huitième
siècles. Paris, 1862, .3 vol, in-8°. - Hyenne, De la Corvée en
France et en particulier en Franche-Comté. Paris, 1863, in-8°.
(47). Une Instruction sur la réparation des chemins, du 13 juin
1758, vint confirmer les règles posées dans le Mémoire sur la
conduite du travail par corvées,
(48). Lettre du 8 janvier 1746. - Minutes de lettres concernant
les Ponts et Chaussées [1740-1746]. (Manuscrit n° 696 de la
Bibliothèque de Nancy.)
(49). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 11 ,476.
(50). Instruction pour les communautés de Lorraine et Barrois au
sujet de l'exécution de l'arrêt rendu au Conseil royal des
finances et commerce, le 7 décembre 1737, touchant les Ponts et
Chaussées. Du 19 septembre 1739. Signé: La Galaizière. S. l.,
in-4° de 13 pp. - Arrêts, ordonnances et règlemens concernant
les chemins, ponts et chaussées de Lorraine et Barrois. Nancy,
1748, in-4° de 26 pp.
(51). Lettre du 2 avril 1740. (Archives du ministère des
Affaires étrangères, Lorraine, vol. n° 138, fol. 134.)
(52). C'est ainsi que l'Intendant écrivait, vers la fin de juin
1740, à ses subdélégués : « Le mauvais étal des communautés,
causé par le grand froid et la durée de l'hiver dernier, m’a
déterminé à les dispenser de travailler par corvée, ce
printemps, aux ouvrages de nouvelle construction des Ponts et
Chaussées, et j'ai remis à l'automne à leur faire achever les
portions qui leur ont ci-devant été distribuées par les
inspecteurs. » (Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 433.)
(53). Le carrosse même du duc Léopold y fut une fois attaqué.
(54). On avait construit alors « à l'endroit de la première côte
» un aqueduc de maçonnerie sur lequel fut établie la chaussée;
plus loin, « à rendrait de la seconde côte », la route de Nancy
à Toul fut élargie et aplanie. L'ouvrage, fait par adjudication,
fut complètement terminé à la fin de 1707. La dépensa s'éleva
exactement à 31,833 # 17 s. 6 d. C'est à la suite de ces travaux
que les Fonds-de-Toul avalent été appelés plus volontiers : le
Pont-de-Toul. (Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 1585). « Le
Pont que Son Altesse Royale bâtit dans les bois de Haye,
joignant deux montagnes éloignées, entre lesquelles était un
précipice affreux, autrefois le désespoir des rouliers et la
terreur des passans, fut », dit le P. Marion (op. cit.), « avec
les magnifiques levées de Nancy à Lunéville, comme le coup d'essay
de cette vaste entreprise de la réparation des routes et de la
construction des Ponts. » - Dès 1705, Saint-Urbain frappait,
pour perpétuer le souvenir de ces travaux, une de ses plus
belles médailles, appelée communément le Grand Hercule. Voir
Explication d’une médaille frappée en Lorraine à l'honneur de
Son Altesse Royale Léopold Ier, au sujet du chemin royal de
Nancy à Toul, que ce Prince « fait réparer avec une magnificence
digne d'être consacrée par des monuments éternels. (Nancy),
Gaydon (1705), 4 pp. in-4°.
(55). Ce Fond est aussi indiqué souvent comme le second, en
raison de sa plus grande distance de Toul. On disait de même
indifféremment pour désigner la levée qui y fut construite : le
premier ou le second Pont. Le peuple l’appelait plus
spécialement l'.Aqueduc. - Nous compterons les Ponts dans
l'ordre suivant lequel on les rencontre en allant de Nancy à
Toul.
(56). Cf. Durival, Journal, 6 septembre 1746; et Description de
la Lorraine et du Barrois, I, 192.
(57). « Le grand fond des bois de Haye a été commencé pour le
comblement dès l'année dernière. C'est un grand ouvrage et de
longue haleine. » (Journal de Durival, 14 novembre 1749.) - 1
»On trace la nouvelle chaussée pour arriver directement à Nancy
en venant de Toul. » (Ibid., 23 mars 1753.)
(58). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 433.
(59). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118 et sq. Tous les
détails qui suivent et qui concernent les corvéables des bois de
Haye, sont de même tirés des papiers de l'Intendance.
(60). Mémoire de la Chambre des comptes de Lorraine au sujet des
impositions publiques; juillet 1755. (Manuscrit n° 106 de la
Bibliothèque de Nancy, t. III.)
(61). Voir Eclaircissemens sur les remontrances de la Cour
souveraine de Lorraine et Barrois du 14 décembre 1757; 4 février
1758, in-4° de 18 pp.; et Mémoire servant d'éclaircissemens et
de supplément aux remontrances de la Cour souveraine du 27 juin
1758; 3 août 1758, in-4° de 96 pp.
(62). Aucune habitation ne s'élevait en cet endroit mal famé,
avant les premières années du XVIIIe siècle. Lorsque, sous
Léopold, un aubergiste plus hardi avait sollicité l'autorisation
de s'y établir, il avait reçu du conseiller secrétaire d'État
Renauld cette réponse peu rassurante : « qu'il était bien osé de
vouloir s'installer en un lieu où l'on avait trouvé plus de 27
corps tant morts que tués ». La maison que cet individu bâtit
sur la droite de la route, à la sortie du premier Fond,
s'appela, du nom de son propriétaire, la Maison Guérin. Elle est
ainsi désignée sur les plans de l’époque.
Lors des grands travaux des Ponts de Toul, deux, puis trois
autres auberges furent ouvertes sur la gauche, en face de la
Maison Guérin. Les corvéables les appelèrent par analogie avec
les constructions légères élevées par l'administration des Ponts
et Chaussées : les Baraques.
Cette petite agglomération subsiste encore aujourd'hui. Elle a
conservé d'ailleurs son ancien nom. Les Baraques ou
Baraques-de-Toul forment un hameau dépendant de Laxou et de
Champigneulles,
(63). Lettre de M. Hanus, 22 octobre 1748. (Archives de
Meurthe-et-Moselle, C. 307.)
(64). La toise de France valait 1m,949.
(65). Dissertation sur les ponts ou levées des bois de Haye en
1765. (Manuscrit n° 24 de la Bibliothèque de Nancy.) Ce petit
volume contient, outre des coupes, profils et figures
géométriques, de très curieux dessins représentant le
commencement de la levée du côté de Nancy, avec tous les détails
du travail ; un des ponts terminé et un projet d'obélisque, avec
inscriptions, à dresser entre les deux ponts. - Sous le même
numéro ont été réunis trois plans topographiques de cette
portion de la chaussée (XVIIIe siècle).
(66). Livre I, ode 28.
(67). Cf. Journal de Durival, 12 octobre 1750.
(68). C'était fort probablement, autant qu'on puisse en juger
par le contexte de son manuscrit, un carme du couvent de Nancy.
(69). « Ne prendriez-vous pas ces ponts », dit-il encore, « pour
des ouvrages des Romains ? L'entreprise de ces ouvrages
n'aurait-elle pas épouvanté ces maitres du monde ? »
(Dissertation sur les ponts ou levées des bois de Haye en 1765,
j. cit.)
(70). Histoire de Lorraine, VII, 244.
(71). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
(72). Journal de Durival, octobre 1740 et mars 1751. - En
janvier 1757, plusieurs ponts furent également détruits dans le
Barrois par le débordement des cours d'eau.
(73). Cf. Très humbles et très respectueuses remontrances que
présentent au Roy..., 15 mai 1756. In-4° de 58 pp.
(74). Remontrances du 15 mai 1756, j. cit.
(75). Neuviller-sur-Moselle, bailliage de Vézelise. -
Aujourd'hui arrondissement de Nancy, canton d'Haroué.
(76). Archives de Meurthe-et-Moselle, B, 254.
(77). Archives nationales, K, 1190.
(78). Correspondance secrète de M. de Beaumont avec M. Collenel
; lettre du 3 mai 1756. (Ibid.)
(79). Lettre du 6 mai 1756. (Ibid.)
(80). Mémoire sur la chaussée appelée: « Chaussée de Neuviller
». (Ibid.)
(81). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
La Cour souveraine ne saurait être taxée d'exagération dans ses
remontrances ; elle reste au-dessous des chiffres fournis par
les papiers mêmes de l'intendance. Nous en avons ici un exemple;
elle dit simplement en effet dans son Mémoire servant d'eclaircissemens...,
du 3 aout 1758, qu'il a « fallu construire dix-sept à dix-huit
ponts, tous en pierre de taille, outre sept autres ouvertures
voûtées ».
(82). Archives nationales, K, 1190.
(83). Arrêt du Conseil royal des finances du 25 octobre 1755,
article IV. Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 225.
(84). Mémoire servant d'éclaircissemens..., j. cit,
(85). Pour ces détails et ceux qui suivent, voyez : Archives
nationales, K, 1190. - Procès-verbaux des officiers de ville,
maires et syndics, juillet 1758. (Manuscrit n° 58 de la
Bibliothèque de la Société d'archéologie lorraine.) - Archives
de Meurthe-et-Moselle, C, 118 et sq. - Mémoire servant d’éclaircissemens…,
j. cit.
(86). Cf. Durival, Description de la lorraine et du Barrois, I,
351.
(87). Cf. Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 225.
(88). Ce Robin devint inspecteur de l'arrondissement de la.
Lorraine allemande.
(89). Ces supercheries étaient fréquentes. En d'autres temps, le
Chancelier les avait sévèrement réprimées. - Voir entre autres :
« Jugement en dernier ressort rendus sur faits concernant les
Ponts et Chaussées, les 6 mars, 4 avril et 22 mai 1754 », dans
le Recueil des ordonnances de Lorraine, IX, 128.
(90). Les Baligand portèrent : « D'azur à un lis au naturel
terrassé de sinople ; et pour cimier le lis da l'écu issant d'un
armet morné. »
(91). Voici, par exemple, ce qu'en 1757, dans sa publication
officielle : État général des ponts et chaussées de Lorraine et
Barrois, l'ingénieur dit de la chaussée de Neuviller, alors en
construction : « Nouvelle route de communication de Flavigny à
Roville devant Bayon. - Il y a une petite chaussée de
communication prenant sur la précédente, au village de Flavigny,
à 6,920 toises de la ville de Nancy, pour joindre colle de Bayon
à Mirecourt, au village de Roville, passant par
Ménil-Saint-Martin, Crévéchamps et Neuviller-sur-Moselle,
laquelle contient la quantité de 7,396 toises de longueur sur 24
pieds de largeur entre les fossés et 6 pieds de chaque côté. Il
y a dix-neuf ponceaux de maçonnerie dans cette petite route. »
On sent dans ce résumé des travaux le plus grand souci
d'atténuation.
(92). Baligand avait acheté la terre et seigneurie de
Heillecourt aux héritiers de Maximilien de Lord de Saint-Victor.
Richard Mique, son successeur, les reprit à sa veuve en
septembre 1772. (Archives de Meurthe-et-Moselle, E, ss.)
(93). Mémoire servant d'éclaircissemens... j. cit.
(94). Très humbles et très respectueuses remontrances que
présentent au Roy ..., etc. ; in-4° de 31 pp.
(95). Mémoire sur le duché de Lorraine [vers 1732], par d'Audiffret,
cy-devant envoyé extraordinaire du Roy à la Cour de Lorraine.
(Manuscrit n° 133 de la Bibliothèque de Nancy, fol. 286.)
(96). Archives de Meurthe-et-Moselle, C, 118.
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