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Journal de la Meurthe et
des Vosges
22 juin 1847
A M. le Rédacteur du JOURNAL DE LA MEURTHE
ET DES VOSGES,
Le 19 Juin 1847.
Monsieur le Rédacteur;
Il est temps, n’est ce pas, de présenter à vos lecteurs un
tableau de la fête agricole qui vient d’être célébrée avec tant
de joie dans nos paisibles contrées? Ma lettre vous paraîtra
bien tardive, mais j’aurais désiré que les principaux acteurs
dans le drame champêtre, se fussent eux-même chargés de vous
raconter les détails de cette utile solennité, afin de ne rien
omettre, et de rendre à chacun des intéressés une justice plus
impartiale et plus intelligente.
Puisqu’on a daigné me confier une tâche aussi douce, je m’en
acquitte aujourd’hui, en réclamant, pour les imperfections de
mon récit, votre bienveillance ordinaire.
C’est le mardi 1er juin, que la ville de Blâmont a vu les
membres les plus distingués de la Société d’agriculture,
présider le brillant comice qui était annoncé depuis longtemps.
La réunion s’est formée à l’Hôtel-de-Ville, et après la
désignation des diverses commissions d'examen, on s’est rendu
sur le champ de manoeuvres, où devait avoir lieu le concours des
charrues du pays. La musique de la garde nationale précédait le
cortège, et une affluence considérable de spectateurs était
accourue sur le
théâtre de ces luttes, qui ont aussi leur gloire et leurs
couronnes.
Une douzaine de rivaux ont fait preuve d’habileté ou de science
aratoire ; mais, après avoir longuement apprécié le travail de
chacun d’eux, le jury à décerné le premier prix à M. Charles
Haton, de Frémonville, jeune élève sorti récemment de l’école de
M. Turck. On a reconnu que.la pratique se réunissait chez lui,
d’une manière plus remarquable, à la théorie de l’art du labour,
et que les sillons qu’il avait creusés révélaient, sous tous les
rapports, un travail plus parfait. Le second prix a été remporté
parle garçon de ferme de Mme veuve Helluy, de Blâmont.
Au retour de celte première excursion, qui a provoqué tant de
sympathies, les membres de la Société ont procédé, sur la place
publique, à l’inspection des animaux qui avaient été amenés de
plusieurs localités du canton. Tous ont remarqué avec la plus
vive satisfaction, les progrès qui s’opèrent dans l’élève du
bétail, et qui bientôt seront plus nombreux et plus signalés
encore, lorsque nos cultivateurs verront leurs efforts et leurs
sacrifices encouragés par des récompenses périodiques.
Un anabaptiste, fermier de M. Lafrogne, et qui habite Domêvre,
a, lui seul, obtenu trois primes pour le grand nombre de ses
bêtes bovines et pour leur supériorité sur toutes celles du
concours. M. Legrand, de Frémonville, a également reçu un prix
de cinquante francs, parce que sa bergerie est la mieux fournie
de la contrée, et une somme de vingt-cinq francs a été remise à
son premier domestique pour toutes les excellentes qualités
qu’il déploie au service de son maître.
Vers deux heures après midi, l'inspection était terminée et on
s’est transporté alors au grand salon de l'Hôtel-de-Ville, pour
entendre les rapports et la proclamation des lauréats.
M. le sous-préfet de Lunéville, qui était venu prendre part à
celle fêle, avec le zèle intelligent qu’il apporte dans toutes
ses fonctions, a captivé un immense auditoire, par le charme et
l’autorité de sa parole. Son discours, qu’il nous est impossible
d’analyser ici, était inspiré par la raison la plus élevée et
les sentimens les plus patriotiques. On ne sait réellement ce
qu’il faut y admirer davantage, ou la sagesse des conseils, ou
la teinte religieuse des pensées, ou la richesse de l’élocution.
Nous pouvons affirmer que la harangue du premier magistrat de
l'arrondissement a laissé une impression profonde et n’a fait
qu’ajouter encore à l’idée qu’on avait de son mérite.
M. le maire de Lunéville a lu ensuite une dissertation savante,
qui a été écoutée avec le plus vif intérêt, sur l’agriculture
considérée dans ses rapports avec la législation.
Enfin, M. le docteur Lesaing, membre de la Société et du jury
d’examen, a présenté d’abord des considérations de la plus haute
portée sur la salutaire institution dés comices, puis les
réflexions les plus utiles el les plus encourageantes sur les
progrès qui doivent être tentés par nos cultivateurs, et sur
l’avenir favorable qui leur est prochainement réservé.
Traçant encore de main de maître la statistique agricole du
canton, il a signalé tout ce qui peut offrir
des avantages ou des obstacles aux travaux des champs, dans les
différentes zones de la contrée. Il a décrit le sol des coteaux
et celui des plaines; il a parlé des améliorations qui ont été
réalisées parmi nous, et des expériences qu’il faudrait essayer
encore pour triompher des difficultés du terrain ou des
variations atmosphériques.
Chargé de visiter les principales fermes du pays, il a exposé
les résultats de l’enquête à laquelle il s’est livré avec les
sociétaires qui lui ont été adjoints, et d’après leurs
suffrages, il a proclamé les noms des agriculteurs qui doivent
être signalés à l’estime publique.
La première des.primes, pour la meilleure tenue de ferme, a été
adjugée, sans conteste, à M. Collesson, qui a généreusement fait
remise des 150 fr. au profit des pauvres. Cette conduite
n’étonne pas, quand on sait que M. Collesson a occupé une masse
d’ouvriers pendant l’hiver, et qu’il a recueilli trois orphelins
dont le sort est maintenant assuré dans sa ferme. M. Jules
Haton, maire de Frémonville, M. Dieulin, de Xousse, frère de
l’excellent et si regrettable grand vicaire, enfin M. Godard, d’Emberménil,
ont obtenu également les autres primes destinées, à récompenser
la bonne tenue des fermes. Nous dirons, à cet égard, qu’un
pareil encouragement était bien dû à M. Haton, qui ne recule
devant aucune expérience et devant aucun sacrifice pour
améliorer ses propriétés et hâter ainsi, par son exemple, le
développement ou le progrès de l’art agricole dans la commune
qu’il administre avec intelligence.
Un banquet fraternel de 80 couverts a terminé cette belle
solennité, qui laissera, dans le pays, un souvenir durable.
C’est ainsi que l’administration s’assurera des titres à la
reconnaissance de la nation, et parviendra ainsi à répandre dans
nos campagnes cette noble émulation, ces idées et ces lumières
qui dissipent enfin les préjugés d’une aveugle routine.
Il nous resterait à émettre ici quelques observations sur
l’influence que pourraient obtenir les comices d’une manière
plus étendue et plus complète, mais cette lettre étant déjà trop
longue, vous me permettrez, M. le rédacteur, de remettre ces
utopies à un autre jour.
S’il nous était permis d’exprimer un désir, nous dirions qu’il
serait bien de publier au plus tôt le discours de M. le
sous-préfet et les rapports si remarquables qui ont été lus dans
la séance du comice à l’Hôtel-de-Ville de Blâmont.
Agréez, etc.
E. G. |