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1566 - Epilogue à Blâmont de la «  guerre des panonceaux »
Mémoires de la Société d'Archéologie Lorraine et du Musée Historique Lorrain.
1900


ÉTUDE HISTORIQUE SUR LES HAUTES-CHAUMES DES VOSGES
par Pierre BOYE

[...]
Plus sérieux encore que les inconvénients résultant de l'occupation exclusive du Haut-Pâturage par des étrangers, étaient ceux de l'indivis entre les ducs de Lorraine et l'abbaye de Remiremont. Cet accompagnement était devenu une source de graves dissentiments. La multiplicité des ascensements sur les terres de pariage augmentait l'autorité du prince et diminuait l'influence du chapitre. L'abbesse s'en était rendu compte. Elle s'était opposée à ces concessions trop nombreuses. Une ordonnance du 11 août 1509 avait décidé qu'il n'en pourrait plus être accordé dans ces districts, sans que le sonrier de Saint-Pierre fût appelé à décider conjointement (1). Mais, en réalité, les Dames se refusaient à toute entente. Les arrentements, c'est-à-dire les concessions sur le sol dont il était l'unique maître, restèrent seuls possibles au souverain (2). Les relations entre la cour ducale et l'Eglise s'étaient donc chaque jour tendues davantage. Puis, le prince avait passé outre. Malgré la protestation des chanoinesses : «  que, par le droit naturel et positif des hommes, il ne se peut tolérer que du bien d'autrui il soit fait aucune sorte de contrat sans le consentement de celui à qui il appartient (3) », jamais ascensements ne furent obtenus, sur le territoire commun, avec plus de facilité. Voilà pourquoi la zone des répandises avait été si libéralement ouverte aux tenanciers ; telle est l'explication, sinon l'excuse, de cette contradiction, au premier abord si étrange, qui mit aux prises, durant de longues années, dans la région des chaumes amodiataires et redevables. Les arrentements eux-mêmes furent bientôt étendus aux terres de pariage.
C'en était trop ! Ces actes d'autorité de Charles III, qui revendiquait jusqu'au droit d'imposer des tailles sur les vassaux de l'abbaye et de poursuivre, en cas de non-payement, le débiteur devant la justice séculière, provoquèrent à Remiremont l'insurrection féminine connue, dans nos chroniques, sous le titre mi-pompeux, mi-plaisant, de Guerre des Panonceaux. En 1563, l'abbesse, Marguerite de Haraucourt, résolut de s'opposer à ce qu'elle nommait «  les exigences injustes » du prince. Elle proclama ne relever que de l'Empire ; Charles III était moins le souverain que le protecteur, le voué du monastère. A l'appui de ses dires, elle invoquait un diplôme, attribué à Henri IV, mais dont le duc contestait l'authenticité. Sollicité d'intervenir, Ferdinand Ier ordonne une enquête, et, naturellement, se prononce en faveur du chapitre. Il lui remet, le 5 janvier 1564, des lettres de protection et de sauve- garde ; le 19 avril, un messager juré de la chambre impériale de Spire signifie au duc de Lorraine cette défense d'inquiéter les chanoinesses (4).

En engageant, comme son bien propre, à la communauté de Munster et sans que les Dames aient même été averties, la totalité du Grand-Pâturage, Charles III, le 24 juin, mit le comble à l'exaspération de Marguerite de Haraucourt. Lorsque Tabbesse sut les clauses de ce contrat, sa fureur n'eut plus de bornes. Non seulement le duc y violait le pariage, mais il «  inhibait et défendait » expressément aux Alsaciens déverser, dorénavant, «  ces 26 florins d'or qu'ils soulaient payer par chacun an, au jour Saint- Martin, à l'Eglise de Remiremont en raison des chaumes, qui est contrairement aux droits et souveraineté de mondit Seigneur, ni en convenir d'aucun appointement (5) ».
La réponse ne se fit pas attendre. En 1565, l'aigle impériale, reproduite sur de magnifiques écussons que Ton apposa aux portes de la ville, annonça, dès l'abord, que seul l'empereur était reconnu pour chef. Le bailli de Vôge fut chargé de réprimer cette orgueilleuse indépendance. Jacques de Ligniville s'en tira moins en capitaine qu'en homme avisé. Pour faire disparaître les armoiries séditieuses, sans pouvoir être accusé de manquer, en quoi que ce fût, au respect dû à Sa Majesté, le 26 mars 1566, l'ingénieux envoyé décrocha les panonceaux, tête nue, et non sans avoir fléchi le genou. Il les prit révérencieusement avec un linge «  blanc et net », puis les déposa sur un coussin. Le temporel de l'abbaye fut saisi (6). Malgré la mise en scène et la présence des troupes, ces formalités n'avaient guère intimidé le chapitre. Marguerite de Haraucourt tint bon. C'est alors que, profitant du silence gardé parle nouvel empereur, Maximilien II, du désaveu tacite que plusieurs Dames commençaient à donner à l'acte de rébellion de leur abbesse, Charles III résolut d'en finir. Le maréchal de Lorraine, cette, fois, gagna Remiremont. Jean IX de Salm se montra moins galant que Jacques de Ligniville. Après les subtilités d'un parfait diplomate, ce fut l'entrain d'un joyeux soudard, «  Nous sommes de pis en pis », écrivait l'altière Marguerite, «  et de plus en plus molestées, et tant faschées de veoir ses gensdarmes que rien plus ; car ce sont gens huguenots et les plus mal vivans du monde.... On vend notre bien et nous faict-on de grand dégast, et pour nous plus molester encore nous avons plusieurs admodiations de gaignage que nous avons laissé et admodié... ils les rompent et contraindront les détenteurs de les reprendre d'eux... (7) ». Le maréchal ne recula devant aucun moyen d'intimidation. Ses rapports retentissent comme autant de bulletins de victoire. Il fait comparaître par force l'abbesse et les autres rebelles. Pour les amener à obéissance, tantôt il les tient prisonnières dans leurs demeures, tantôt il les admoneste avec virulence. Bref, il les rend, selon son expression, «  fort humbles, douces et en bonne dévotion », et ne leur laisse pas de répit avant que, «  gracieuses et honnestes », elles n'aient reconnu Charles III comme «  leur souverain, tant au lieu de Remiremont que lieux circonvoisins (8) ». L'appareil patibulaire déployé, - le maître des hautes oeuvres, en personne, n'avait-il pas été mandé, - ne contribua pas peu à ce résultat. Après s'être engagées à délivrer au duc le diplôme de l'empereur Henri IV, dès qu'elles retrouveraient cette pièce qu'elles affirmaient avoir égarée, à ne jamais en faire usage, en tout cas, contre leur souverain légitime (9), les chanoinesses signèrent, le 13 juillet, leur complète soumission (10).

Seize jours plus tard, à Blâmont, la Guerre des Panonceaux eut son épilogue. Là, dans la «  chambre haute » du châtelain, siège Charles III, assisté de Christine de Danemark, sa mère, entouré de Pierre dû Châtelet, évêque de Toul, des maréchaux de Lorraine et de Barrois, des baillis de Nancy, de Vôge et de Saint-Mihiel, du président des Grands jours de cette ville, et de plusieurs seigneurs. Dominique Colart, licencié es lois, habitant à Lunéville et fondé de procuration spéciale du chapitre, est introduit. S'avançant vers le duc, «  hautement et intelligiblement » il lui expose que ses «  très humbles et très obéissantes oratrices et sujettes » le supplient «  que son bon plaisir soit leur remettre et pardonner leur offense ». Le prélat lui répond. Encore que le prince «  eût juste occasion de se ressentir grandement de l'offense et entreprise contre lui faite par lesdites Dames, abbesse et dames de Remiremont, par leurs poursuites et menées, usant néanmoins de sa bénignité et clémence accoutumées, et considérant l'assertion que lesdites Dames ont de lui demeurer très obéissantes et sujettes sous sa souveraineté », Charles III leur pardonne. Le délégué du chapitre de remercier alors «  Monseigneur de sa grâce, de sa grande bonté et clémence (11) ». L'incident héroï-comique était clos. Mais le chapitre noble demeurait profondément humilié. Inconsolable du désastre moral auquel aboutit son rêve d*ambition, Marguerite de Haraucourt s'éteindra en 1568 (12).


(1) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 617, n* 22, pièce A.
(2) L'abbaye, de son côté, accordait des ascensements sur les terres relevant uniquement de la crosse. Aux arrentés s'opposaient ainsi les ecclésiaux, tenanciers du chapitre.
(3) Archives de Meurthe-et-Moselle, B. 877 [layette Remiremont II] n° 54.
(4) Cf. Digot, Histoire de Lorraine, IV, 180.
(5) archives de Meurthe-et-Moselle, B. 617, n° 19. - B. 1141, 1144, 1147 et sq.
(6) «  Procèz verbal du bailli de Vosge de ce qui se passa en la ville de Remiremont pour enlever et oster les sauvegardes et armoiries de l'Empereur, et saisir le temporel des religieuses. » (Ibid., B. 877, n* 17.)
(7) Marguerite de Haraucourt au lieutenant de gruerie Pierre Petremant, à Besançon ; 17 mai 1566. (Ibid. B. 877, n° 54, pièce 14.)
(8) Lettres du maréchal de Lorraine à Charles III, et «  Procès verbal de monsieur le comte de Salm de son besongne à Remyremont ez mois de mai et juin 1566 ». [Ibid., B. 817, nos 17 et 18.)
(9) Ihid., B. 877, n" 21.
(10) Lettres originales (Ibid., B. 877, n*20), et vidimus sur parchemin, du 22 avril 1580 [Ibid., n° 19].
(11) «  Acte et instrument public du pardon octroyé par Mgr le duc de Lorraine aux Dames de Remiremont ; 29 juillet 1566. » (Ibid. B. 877, n° 22.)
(12) Outre les pièces originales auxquelles nous avons renvoyé, on peut lire sur cette affaire: Abbé Guinot, Étude historique sur l'abbaye de Remiremont. Paris, 1859, in-8° ; pp. 179 et sq. - Ch. Richard, Guerre des Panonceaux à Remiremont en 1566. Remiremont, s. d., 7 p. in-8°. - Ch. Charton, Les anciennes guerres de Lorraine dans les Vosges. Charmes, 1863, in-18 ; pp. 209 et sq. - P. de Boureulle, Montaigne dans les Vosges, 1580. (Bulletin de la Société philomatique vosgienne, t. VIII, année 1882-1883, pp. 5 et sq.)

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