Visite de Benjamin Constant
- 1829
Benjamin Constant de
Rebecque (25 octobre 1767, Lausanne - 8 décembre 1830, Paris), est un romancier et homme politique franco-suisse. Républicain,
rallié à Napoléon pendant les Cent jours, il revient en politique sous la Restauration : il est élu député le 15 mars 1819, et siége sans discontinuer dans l'opposition libérale jusqu'au 16 mai 1830.
On voit très nettement dans les courriers ci-dessous la surveillance exercée par le gouvernement lors
des déplacements de cet opposant, qui prône à Blâmont le respect par Charles X de la charte constitutionnelle du 4 juin 1814
(promulguée par Louis XVIII), : c'est d'ailleurs la politique autoritaire de Charles X, entouré de ministres ultras royalistes, et ses lois réactionnaires, qui conduisent en juillet 1830 à la révolution des
« Trois glorieuses » et à l'installation de Louis-Philippe sur le trône, avec le soutien de Benjamin Constant.
Benjamin Constant est une nouvelle fois élu député en le 21 octobre 1830, en tant que leader de l'opposition libérale,
(« Indépendants »),
où il défend le régime parlementaire.
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PREFECTURE de LA MEURTHE
Direction du Cabinet. Nancy,
A Son Excellence le Ministre de l'Intérieur.
le 8 août 1829.
Monseigneur,
J'ai l'honneur d'informer Votre Excellence que M. Benjamin Constant a traversé le département de la Meurthe dans les premiers jours de ce mois avec Mme son épouse pour se rendre aux eaux de Baden. A Nancy, il n'a reçu que deux ou trois visites; à Lunéville, il a été complimenté, et on lui a offert un dîner qu'il a accepté; à Blamont, on lui a donné une sérénade; environ 150 personnes se sont réunies sous les fenêtres de l'auberge où il était descendu. - Aux cris de :
« Vive Benjamin Constant ! » il a répondu par ceux de « Vive le Roi constitutionnel » et :
« Vive la Charte ! »
Il a aussi crié : « Vive les habitans de Blamont ! » assurant qu'il veillerait toujours à la liberté du peuple et au maintien de la Charte ; il ne m'est point parvenu de rapport sur la suite de son voyage, qui, au surplus, ne parait avoir aucun but politique.
Je suis avec respect, Monseigneur, de Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur.
Le Conseiller d'Etat, Préfet de la Meurthe,
Cte d'Allonville.
GENDARMERIE ROYALE
22eme Légion
A Son Excellence le Ministre de L'intérieur
Nancy, 8 août 1829.
Monseigneur,
M. le chef d'escadron commandant la gendarmerie de la Meurthe me fait le rapport suivant :
Le 3 août, le sieur Benjamin-Constant est arrivé à Blamont vers sept heures du soir; à neuf heures, les musiciens de cette ville lui ont donné une sérénade; il est descendu pour les remercier, et, aussitôt qu'il a paru, il a été salué des cris de :
« Vive Benjamin Constant ! ». Il a répondu par les cris de :
« Vive le Roi
constitutionnel ! Vive la Charte » ce qui a été répété par a la foule. Dans une seconde apparition qu'il fit à une fenêtre, aux cris de :
« Vive le défenseur de nos libertés ! Vive le Roi ! Vive la Charte ! » il répondit :
« Vivent les
habitans de Blâmont ! » et il ajouta qu'il veilleroit toujours au maintien de la Charte et de la liberté du peuple. »
Cette dernière phrase pourroit échapper à l'inexpérience d'un jeune homme qui quitte les bancs d un collège et dont la tête est farcie de mots dont il ne sent pas toute la portée, et, certes, on ne peut pas dire que M.
Benjamin-Constant soit un homme à ne pas sentir ce qu'il dit.
« Je veillerai toujours au maintien de la Charte et de la liberté du peuple !! » Ce langage est fier, mais il semble déplacé dans la bouche de quelque individu que ce soit et n'appartenir qu'au Roi seul. La France doit être bien tranquille sur le sort d'une Charte donnée par un Bourbon, et qu'il a juré de maintenir.
M. Benjamin-Constant est arrivé à Brumath, Bas-Rhin, le 4 courant.
Je suis avec respect, Monseigneur, de Votre Excellence le très humble et très obéissant serviteur
Le Lt Colonel Commt la légion,
G. DE CADUDAL.
Ministère de l'Intérieur. (1)
Paris, le 14 août 1829.
Au Préfet de la Meurthe, à Nancy.
(Confidentielle)
M. le P., j'ai reçu votre lettre du 8 de ce mois, relative au passage de M. Benjamin Constant dans votre département.
Je vous remercie des détails qu'elle renferme à ce sujet.
« Agréez... »
(1) Minute, rédigée de la main du ministre
Ministère de l'Intérieur.
Paris, le 17 août 1829.
Au Colonel commandant la 22e légion de la gendarmerie royale, à Nancy
(1).
(Confidentielle.)
M. le Colonel, j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 8 de ce mois, relativement aux circonstances qui ont accompagné le passage de M. Benjamin Constant à Blamont. Je vous remercie des détails que vous avez pris soin de me communiquer à cette occasion.
Agréez...
(1) Le lieutenant-colonel Cadudal - Minute, de la main du ministre en personne. |