Quelques notes sur des peintres lorrains des XVe, XVIe et XVIIe siècles
Henri Lepage - 1853
Claude CROCK eut une existence beaucoup plus longue et plus brillante que son frère : de 1539 à 1541, on le voit constamment, soit tout seul, soit en compagnie de Médard Chuppin, auquel il fut presque toujours associé, occupé à décorer divers appartements du Palais : le cabinet du Duc, le jeu de paume, la Galerie des Cerfs ; ou bien à faire des tableaux, dont les uns furent donnés par le prince, et dont les autres furent placés dans le garde-meuble de la couronne.
En 1543, il était peintre du Duc, et recevait, en cette qualité, 30 francs pour ses gages, qui furent plus tard successivement portés à 50 (1550), puis (1556) À 100 francs.
En 1545, Claude Crock partit pour l'Italie avec Médard Chuppin, et le duc François voulut subvenir aux frais de leur voyage [...] L'absence de ces deux artistes se prolongea jusque vers 1550, époque où nous les retrouvons, ainsi qu'en 1555, travaillant encore dans la Galerie des Cerfs.
Claude Crock habitait alors une maison de la rue Saint Michel, et c'est là qu'il reçut les lettres patentes par lesquelles Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont, régent du duché pendant la minorité de son neveu Charles III, l'éleva à la dignité de noble en récompense de son mérite ;
[...] La faveur qu'il venait d'obtenir, ne fit, comme le prince l'avait espéré, que donner
« meilleur courage » à Claude Crock pour persévérer dans les travaux dont, jusqu'alors, il s'était si bien acquitté : en 1556, et toujours avec son inséparable compagnon, Médard Chuppin, il fait des peintures au Saurupt, résidence d'été de nos ducs :
[...] En 1562 et 1568, ces deux artistes travaillent encore au Palais ducal, et principalement dans la Galerie des Cerfs, soit à restaurer, soit à achever les peintures de Hugues de La Faye.
Il ne se donne point de fête, il n'y a point de solennité princière, sans que Crock et Chuppin ne soient appelés à y exécuter quelques ouvrages de leur art : c'est ainsi qu'on les voit tantôt À Bar, pour le baptême du marquis du Pont ; tantôt à Nancy, pour les noces de Mlle de Mouchy;
tantôt enfin à Blâmont, pour les fiançailles de la princesse Elizabeth et de Maximilien de Bavière :
(voir NDLR ci-dessous)
[...]
« A Medard et Claudin la somme de six vingtz dix huict frans, monnoye de Lorraine, pour parties de leur mestier qu'ils ont faictes pour le service de mondit seigneur l'année précédente à Blanmont pour les fiançailles de Madame la duchesse de Bavieres. » (Trés. gén. de 1567-1568.)
[...]
C'est dans les comptes de l'année 1568-1569, que se trouve la dernière mention relative à Claude Crock, soit que l'âge. soit que les infirmités ne lui permissent plus de poursuivre ses travaux ; mais sa pension ne cessa pas de lui être payée, et il la toucha encore en 1572. Il mourut à cette Époque, après avoir, pendant près de trente ans
« besogné de son art » avec un zèle et une activité qui ne s'étaient pas un seul instant ralentis. Il laissait une veuve et un fils que Charles III s'empressa d'adopter :
[...]
En parlant du peintre Claude Crock, j'ai mentionné souvent un artiste qui vivait à la même époque, fut le compagnon de tous ses travaux et eut part, avec lui, aux faveurs du duc Antoine et des successeurs de ce prince : cet artiste est MÉDARD CHUPPIN, qu'on trouve désigné quelquefois sous le simple nom de Mydas.
Médard Chuppin avait été très-probablement élève de Hugues de La Faye, car ce fut lui qu'on chargea d'achever la Cène que ce dernier avait commencé à peindre dans le réfectoire du couvent des Cordeliers de Nancy.
[...] Médard Chuppin était déjà, en 1542, peintre du duc de Lorraine; il recevait, en celle qualité, des gages de cinquante francs par an, lesquels, comme ceux de Claude Crock, furent portés plus tard (1555) à la somme de cent francs.
En 1552, Médard habitait la rue de la Boudière, où il s'était établi, sans doute, à son retour d'Italie. Ce fut là qu'il se maria, en 1559, avec Laurance de Loupy, et Nicolas de Lorraine, comte de Vaudémont, régent du duché, s'empressa de contribuer à son établissement.
[...] Depuis 1552 jusqu'en 1566, Médard Chuppin ne cessa de travailler pour le Duc, qui, voulant le récompenser de ses services, lui accorda, outre ses gages, une pension de cent francs sur la recette générale de Lorraine.
[...]
Peu de temps après, Charles III, voulant donner à Médard Chuppin un témoignage encore plus éclatant de son estime, lui fil délivrer des lettres patentes d'anoblissement.
[...] Outre les travaux considérables que Chuppin exécuta avec Claude Crock
et que j'ai mentionnés précédemment, il fit, soit tout seul, soit en compagnie d'un nommé Didier Richer, plusieurs portraits et différents autres ouvrages de moins d'importance.
[...] Celle dernière mention porte la date du 20 janvier 1580 ; les tableaux dont il y est parlé sont très-probablement, ainsi qu'on va le voir, les derniers ouvrages de Médard Chuppin. Toutefois, avant de mourir, cet artiste devait recevoir encore
une nouvelle marque de la faveur de Charles III
[...] Medard Chuppin ne jouit pas longtemps de la nouvelle faveur que Charles III venait de lui accorder : il mourut peu de temps après, peut-être de la peste qui désola la capitale de la Lorraine, et dont sa veuve elle-même fut atteinte
[...] La bienveillance toute particulière dont il fut l'objet de la part du prince, permet de supposer que Médard Chuppin occupa le premier rang parmi les peintres de son époque ; il fut, en outre, celui qui exécuta le plus de travaux de toute nature : décorations d'appartements, portraits, sujets religieux, etc. ; tous les genres semblent avoir été propres à son talent, et l'on ne comprend pas comment il a pu tomber dans l'oubli où l'ont laissé les biographes lorrains.
NDLR : Fiançailles à Blâmont en
1567
Henri Lepage commet ici une bévue historique. Car la Duchesse de Bavière dont parlent les documents de 1568 ne peut pas être Elizabeth de Lorraine (1574-1636), fille de Charles III, mariée en 1599 à Maximilien Ier (1573-1651), électeur de Bavière.
Il s'agit en réalité de sa tante, Renée de Lorraine, soeur de Charles III, fille de Christine de Danemark (1521-1590) et du Duc de Lorraine François Ier (1517-1545).
Renée de Lorraine (1544-1602), a épousé en 1568 Guillaume V, duc de Bavière (1548
-1626).
Henri Lepage indique pourtant les bonnes informations dans les Communes
de la Meurthe (éditées aussi en 1853) :
« 1567. On célèbre, à Blâmont, les fiançailles de Renée de Lorraine, soeur de Charles III, avec Guillaume, duc de Bavière. Il y eut des fêtes magnifiques, tournois, courses de bagues, combats à la barrière, festins, danses, etc. De grandes réparations furent, en même temps, faites au château, pour recevoir les princes, princesses et personnes distingués qui s'y étaient donné rendez-vous. Beaucoup de notes des comptes du Trésorier et du Receveur général de Lorraine font mention des dépenses considérables qui furent faites à cette occasion. De grands travaux furent exécutés également au château : on ragrandit le parc, on rehausse les murailles du jardin, etc ».
(Voir aussi Architectes
du XVIème siècle)
De même qu'il écrira dans son Inventaire
des archives de la Meurthe : « Deniers dépensés pour les réfections du château de Blâmont à l'occasion du festin des noces de M. le prince Guillaume de Bavière et de Mme la princesse Renée de Lorraine (1567) »
.Et
l'abbé Dedenon expose de manière
plus détaillée :
« En l'année 1567, Blâmont participa largement aux réjouissances qui accompagnèrent les fiançailles de Renée, première fille de Christine, avec Guillaume, fils d'Albert III de Bavière. L'empereur Maximilien avait négocié cette alliance, Le contrat fut signé à Vienne en sa présence, le 3 juin, et les fiançailles furent fixées aux derniers jours du mois ; mais la bénédiction fut remise au 21 janvier 1569, pour avoir sa ratification dernière par Christine et Charles III, le 28 décembre suivant.
Les fêtes organisées pour ces fiançailles furent merveilleuses. Pendant huit jours se déroulèrent les récréations et les jeux les plus en faveur dans ce temps : tournois, combats à la barrière, courses de bagues, festins, danses, etc.. La belle saison et le site charmant du château offraient un cadre incomparable. Que de prouesses, aventures, propos galants, incidents curieux, dans cette joyeuse semaine ! On aimerait à en retrouver la relation écrite. Hélas ! il n'y avait pas de gazettes à cette époque, et nous ne savons pas même le nom des invités.
Il est certain pourtant qu'African d'Haussonville fut de la fête. On le fit quérir, en voiture, à son château du Hazard. Les capitaines Hanus et Speck, de Dieuze, furent donnés comme guides au Duc de Bavière. Toute la noblesse des environs fut convoquée et le menu peuple accourut, par toutes les routes, pour prendre part à la solennité. Le reste se devine : et l'animation de la petite ville, et l'affluence des visiteurs, et l'entrain de la foule. Les pièces du comptable nous apprennent, d'autre part, les sommes employées aux préparatifs, la durée des travaux, la provenance des ouvriers et mille autres détails qui nous intéressent moins et qui montrent que toutes les pièces du château avaient fait toilette neuve (1).
Les fêtes écoulées, le noble fiancé s'en retourna en Bavière, accompagné de son majordome, le comte Volmar de Dalstein. Tout ce brillant équipage comprenait huit chevaux de selle et quinze chevaux de trait. »
(1) De Nancy, vinrent les peintres, tapissiers, verriers les plus en vogue; de Deneuvre, les pelletiers, parementiers
« pour draper de petites hardes les salons et les préaulx » ; un fondeur fournit 60 chandeliers pendants et 24 autres en applique, sans compter des porte-falots pour les cours et les avenues. On amena de la montagne 316 charrées de planches; la tuilerie de Haute-Seille fournit 15.000 briques et autant de tuiles, etc.. (Voir- B. 3277 et 1147.)
Le mariage sera célébré à Munich le 22 février 1568, avec 18 jours de fêtes (et une musique spécialement composée par Roland de Lassus)
Guillaume V de Bavière
Renée de Lorraine
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