Annales catholiques. Revue religieuse hebdomadaire de la France et de l'Église
8 octobre 1904 - NÉCROLOGIES ÉPISCOPALES de 1800 à 1900
Evêques français décédés dans le courant du dix-neuvième siècle
Année 1831
28 mai. - Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel de Loir- et-Cher, l'âme de son parti, était né le 4 décembre 1750 à Vého, canton de Blamont, arrondissement de Lunéville, paroisse qui était alors du diocèse de Metz. On sait peu de chose de ses premières années. Ayant embrassé l'état ecclésiastique, il fut professeur au collège dé Pont-à-Mousson, puis curé d'Emberménil, au diocèse de Nancy alors. Dès 1773, il avait remporté un prix à l'Académie de Nancy pour un Eloge de la poésie, et en 1789, l'Académie de Metz couronna son Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs ; ces deux écrits ont été imprimés. Le curé d'Emberménil, paroisse de 400 et quelques habitants, fut député du clergé du bailliage de Nancy aux Etats-Généraux, et fut un des premiers de son ordre à se réunir à la Chambre du Tiers-Etat. Depuis, il prit part aux discussions les plus importantes, et vota constamment avec la majorité. Le 8 juillet 1789, il parla contre l'arrivée des troupes; que le roi rassemblait autour de la capitale, et dit à ce sujet que si les Français consentaient à redevenir esclaves, ils seraient la lie des nations. Quelques jours après, il se plaignit du renvoi de Necker, et dénonça les: nouveaux ministres. Il prit en diverses circonstances la défense des Juifs, et demanda que le nom de Dieu fût placé en tête de l'acte constitutionnel. Le 5 octobre, il dénonça M. de Bouillé et le fameux repas des gardes du corps. Son avis sur les biens ecclésiastiques était que le clergé n'en était que le dépositaire, que les dîmes devaient être rem placées par des biens en fonds de terre, et que les cures spécialement fussent dotées en fonds. Le curé d'Emberménil exerça une influence considérable sur les ecclésiastiques assermentés; de la Lorraine, et contribua pour une forte part à les retenir dans le schisme ou bien à les y replonger. La Biographie Lorraine, article Grégoire, page 216, dit que lorsque la Constitution civile du clergé eut été décrétée, M. Grégoire fut le premier ecclésiastique à prêter le serment ; il prononça en cette circonstance, le 27 décembre, un discours au nom de plusieurs de ses confrères, et publia un écrit intitulé : De la légitimité du serment civique exigé des fonctionnaires ecclésiastiques (33 pages in-8°, Nancy, 1791), qu'il rendit public, et que le Conseil général de la commune de Nancy fit réimprimer pour en multiplier les exemplaires. Deux départements l'élurent pour évêque, la Sarthe et le Loir-et-Cher, il préféra le dernier qu'il
« refusa d'autant moins que Jésus-Christ lui-même, ainsi qu'il l'affirmait, lui ayant confié l'auguste dépôt du ministère de la parole, il ne souhaitait rien tant que de le remplir avec fidélité, pour obtenir un jour avec ses vénérables coopérateurs la palme du salut. » (Lettre pastorale de M. l'évêque de Loir-et-Cher). Il fut sacré le 13 mars 1791, dans l'église des Pères de l'Oratoire à Paris, par Saurine, évêque intrus du département des Landes, assisté d'Aubry, évêque de la Meuse et de Massieux évêque de l'Oise, en compagnie de quatre élus constitutionnels, tandis que Gobel, de Paris, assisté de Lindet, de l'Eure et d'Expilly, du Finistère en consacraient deux autres au même lieu. Une sorte d'émeute précéda l'arrivée à Blois de l'intrus qu'avaient nommé les électeurs, obéissant, aux influences mauvaises de l'époque, et obligea le pasteur légitime, Mgr de Thémines, dont nous ayons donné la notice dans les Annales du 1er juin et 6 juillet 1901, d'abandonner précipitamment son troupeau en péril, sa belle demeure, enfin ses chers livres. Les richesses littéraires du Savant prélat, perdues dès lors pour lui, ne le furent: pas pour le public, et devinrent le principal fonds de la bibliothèque d'élite que la ville possède maintenant, 23.000 volumes que Mgr de Thémines; avait réunis, des abbayes de Saint-Laumer, de Bourg-Moyen et de Pont-Leroy.
(A suivre) M. C. D'AGRIGENTE
22 octobre 1904
Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Grégoire était de la Société des Noirs et montra un zèle très vif pour leur affranchissement. Après le retour du roi de Varennes, il opina pour qu'on le mît en jugement et pour que l'on convoquât une convention nationale; ce qui lui a fait dire depuis qu'il était du petit nombre des patriotes qui luttaient contre la masse des brigands de l'Assemblée Constituante. Après la session de l'Assemblée, il alla résider à Blois, et il y prononça, en mars 1792, l'éloge funèbre de Simonneau, maire d'Etampes, tué dans une émeute en voulant y maintenir l'ordre. Ce discours, qui a été imprimé et qui fut prononcé dans la chaire de la cathédrale de Blois, où Grégoire fit célébrer un service funèbre, nous l'avons sous les yeux, nous n'en citerons que deux phrases : « ... 0 Simonneau, il semble que l'avantage de te revoir dans le séjour du bonheur doublera le nôtre... »
« Oh! « avec quelle joie je porterais ma tête sur le billot, si à côté devait tomber celle du dernier des tyrans ! »
Après le 10 août 1792, le département dû Loir-et-Cher élut M. Grégoire à la Convention; dès la première séance, il fit la motion de décrêter la République, et s'opposa à ce que la chose fût même discutée, tant elle lui paraissait urgente. Le 15 novembre, il demanda que Louis XVI fût mis en jugement ; son discours se trouve dans les journaux du temps (Voir Procès de Louis XVI, tome Ier, page 104). Nommé à cette époque président de la Convention, il insista fortement pour la réunion de la Savoie à la France, et on l'envoya dans ce pays pour y organiser le même régime que dans les autres départements. Ce fut pendant son absence qu'eut lieu le procès de Louis XVI; M. Grégoire n'y prit point de part; Seulement la Convention ayant décidé que ses membres absents enverraient leurs votes, il écrivit avec ses collègues, Hérault, Simon et Jagot, en mission comme lui dans le Mont-Blanc, que son voeu était pour la condamnation de Louis Capet par la Convention, sans appel au peuple; ce sont les termes de la lettre où le mot à mort ne se trouvé point. Ajoutons que les voix des absents ne furent pas comptées dans le procès. Le 7 novembre 1793, Gobel, évêque de Paris, et d'autres évêques constitutionnels abdiquèrent ou abjurèrent leur caractère. On pressait l'évêque de Loir-et-Cher de s'expliquer. il monta à la tribune et prononça un discours qu'il appela un acte de courage et qu'il publia lui-même dans son Histoire des sectes religieuses, tome Ier, p. 72.
Pendant la Terreur, Grégoire s'occupa surtout de l'instruction publique ; il était membre du Comité de ce nom dans la Convention. Il publia un Essai historique et patriote sur les arbres de la Liberté, écrit rare et curieux. Il parla plus d'une fois après la Terreur, en faveur de la liberté des cultes. Lors de l'insurrection du 20 mai 1795, il se prononça pour des mesures sévères, et dit qu'en révolution frapper vite et frapper fort était un grand moyen de salut, hors de l'établissement de la constitution de l'an III, il passa au Conseil des Cinq-Cents, et y siégea jusqu'à la fin.
Mais ce qui tient surtout une grande place dans la vie de Grégoire, c'est le zèle qu'il montra pour soutenir
l'ordre de choses établi par l'Assemblée Constituante sur les affaires de l'Eglise. Quoique la constitution civile du clergé ne fût plus loi de l'Eglise et que le gouvernement ne la reconnût plus, Grégoire entreprit, après la Terreur, de relever et de soutenir un édifice qui croulait de toutes parts. Il forma à Paris, en 1795 une espèce de comité dit des évêques réunis et où siégeaient avec lui trois de ses collègues, Saurine des Landes, Desbois de la Somme et Royer de l'Ain, transféré à Paris en 1798. Il fut l'âme de ce comité, il sollicita ses confrères de reprendre leurs fonctions, tint des synodes, publia dés écrits, et établit un journal les Annales de la religion, dont le but était de soutenir l'église Constitutionnelle; ce journal commença en mai 1795 et dura jusqu'en 1803, M. Grégoire fut celui qui lui fournit le plus d'articles. Ou ne peut douter qu'il n'ait eu grande part à la rédaction des deux encycliques adressées en 1795 par les réunis à leurs confrères. L'année suivante il fit la visite du département de Loir-et-Cher et en publia la relation. En 1797 se tint par ses soins un comité appelé national où l'évêque fit plusieurs rapports et lut un compte-rendu des travaux des Réunis.
Son zèle ne se refroidit pas sous le Directoire. Il entretint une correspondance au dehors et au dedans de la France. Sa Lettre à l'inquisiteur d'Espagne, ses Observations sur les réserves prouvent que son activité s'étendait au loin. Il envoyait dans les pays étrangers des écrits contre la cour de Rome et en faveur de sa cause; il avait des adhérents en Italie. En 1800, il fit tenir à Bourges un concile dont il dirigea toutes les opérations. Le 29 juin 1801, jour de l'ouverture d'un second concile à Paris, il prononça un long discours qui est imprimé dans les actes de cette assemblée; on y trouve du même un rapport sur la liturgie, son sentiment était que l'administration des sacrements devait se faire en français, innovation que la plupart de ses collègues repoussèrent. Au mois d'octobre suivant, il donna sa démission de son titre d'évêque, et publia à ce sujet plusieurs écrits qui ont été insérés dans les Annales, tome XIII. Il déclarait y persister dans les mêmes principes. Il raconte lui-même dans son Essai historique sur les libertés une conférence qu'il avait eue avec Bonaparte, et dans laquelle il avait essayé de le détourner de conclure un concordat avec le pape ; et il ne dissimula jamais le chagrin que lui causait ce traité.
Par le Concordat la carrière ecclésiastique de M. Grégoire se trouvait terminée, mais son existence politique devint alors très brillante. Après le 18 brumaire, il était entré au nouveau corps législatif, et, en février 1800, il en fut nommé président. Sur la fin de 1801, il fut présenté pour le Sénat par le corps législatif, le tribunat et le Sénat. On assure que Bonaparte ne se décida qu'avec peine à le nommer; mais il ne put se refuser à des demandes réitérées. Grégoire devint donc sénateur, comte de l'Empire, membre de l'Institut et de la Légion d'honneur; mais ces titres ne le rendirent pas plus souple pour Bonaparte.
(A suivre) M. C. D'AGRIGENTE
29 novembre 1904
Henri GRÉGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Il était au Sénat du petit nombre des opposants au despotisme impérial. D'ailleurs cette opposition se bornait à des votes secrets; il n'eût pas été prudent d'offenser un homme irritable et violent. La nouvelle édition des Ruines de Port-Royal, que Grégoire donna en 1809, déplut à Bonaparte, qui défendit à l'auteur de paraître aux Tuileries à la réception du premier de l'an. Le sénateur fut obligé d'écrire une lettre soumise, et conjura ainsi l'orage. Il aurait bien voulu paraître au Sénat, et dans les cérémonies, avec le costume d'évêque, mais on ne le lui permit point, et il était forcé de se montrer avec le plumet, l'épée au côté et le reste du costume sénatorial. Il assista encore, dans ce costume,, au Te Deum pour l'entrée de Louis XVIII à Notre-Dame, mais n'ayant pas été compris, dans la liste des pairs, il rentra dans la vie privée avec une pension de 24.000 francs. Dans les- Cent-Jours il fut le premier à s'inscrire contre l'acte additionnel de Bonaparte, et il écrivit à la Chambre des représentants pour demander l'abolition de la traite des noirs. On l'élimina de l'Institut en 1816.
En 1819, les amis de M. Grégoire l'engagèrent à se mettre sur les rangs pour entrer à la Chambre des Députés; il fut en effet élu dans le département de l'Isère ; cette élection occasionna une vive discussion à la Chambre le 6 décembre. Le rapporteur demandait que l'élection fût annulée parle motif que le département avait élu un étranger, quoiqu'il n'en eut pas le droit par la Charte ; mais M. Lainé fut d'avis d'annuler l'élection pour cause d'indignité, et cet avis fut adopté après une séance fort orageuse et de vains efforts du côté gauche en faveur de l'élu. Grégoire publia sur cette affaire deux lettres aux électeurs de l'Isère, le 28 décembre et le 1er janvier. On y voit que des amis auraient voulu qu'il ne s'exposât pas à un affront, et qu'il donnât sa démission avant la réunion de la Chambre, mais il s'y refusa constamment.
A la même époque, Grégoire faisait paraître sous le nom de Chronique religieuse un journal d'opposition et dans le -même esprit que les Annales. Ce journal parut de -1818 à 1821, et la collection en forme 6 volumes In-8°. Ceux qui y travaillaient avec Grégoire étaient : Debertin, ancien évêque de l'Aveyron, dont nous parlerons dans la nécrologie suivante ; le président Agier; le pair de France, comte Lanjuinais, de Rennes, auteur des Constitutions de la nation française, et d'une Appréciation des trois Concordats, mise à l'index ; l'abbé Tabaraud., oratorien, de Limoges, auteur des Principes sur la distinction du Contrat et du Sacrement de mariage, d'une Histoire de Pierre de Bérulle, fondateur de l'Oratoire, de la Réunion des Communions chrétiennes etc. ; M. l'abbé Orange, autrefois rédacteur des Annales, etc.
En 1822, Grégoire abdiqua, par une lettre imprimée, le titre de commandant de la Légion d'Honneur. On avait voulu l'astreindre à prendre un nouveau brevet, il aima mieux renoncer à son titre. Sa lettre est adressée au maréchal Macdonald, duc de Tarante, grand chancelier de la Légion d'Honneur, et datée du 19 novembre 1822. L'auteur s'y plaint des traverses auxquelles il était en butte et parait sensible à la décision prise à son égard par la Chambre.
(A suivre) M. C. D'AGRIGENTE
1904/11/12
Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Avant de parler de la fin de cet évêque constitutionnel, relatons les principaux écrits qu'il a publiés, outre ceux déjà signalés -.Correspondance sur les affaires du temps ou Lettres sur divers sujets, 1798, 2 vol. in-8° ; les Ruines du Port-Royal, 2 éditions en 1801 et 1809; Apologie de Las Cases, 1802 ; une Epitre à Mgr d'Osmond, évêque de Nancy, avant son installation, 18 prairial an X, 9 juin 1802; de la Littérature des Nègres, 1808, in-8°; de la Domesticité chez les peuples anciens et modernes, 1814, in-8° ; Essai historique sur les libertés de l'Eglise Gallicane et des autres Eglises, 1818, in-8° ; Histoire des sectes religieuses, saisie en 1810, rendue en 1814 à l'auteur qui la publia en 2 volumes, et en 1828 en 10 livraisons formant 5 volumes, ouvrage plein de recherches, mais sans méthode. En 1825, Grégoire se rendit éditeur avec son ami Lanjuinais, de la Vie et mémoires de Scipion Ricci, évêque de Pistoia, condamné par la bulle AUCTOREM FIDEI pour avoir favorisé et sanctionné dans le synode de Pistoia, 1786, les réformes religieuses du grand duc Léopold et de l'empereur Joseph II : Ricci fut emprisonné en 1799 par le gouvernement toscan comme partisan de la révolution française. En 1805, il rétracta ses erreurs théologiques, adhéra aux mesures du Saint-Siège contre le jansénisme et se réconcilia avec le pape Pie VII. Sa Vie et ses Mémoires publiés à Bruxelles en 1824 et à Paris en 1825, 4 vol, in-8°, furent condamnés à Rome. Grégoire publia plusieurs autres brochures parmi lesquelles nous citerons Considérations sur la liste civile, et Observations critiques sur la Columbiade de Barlow, ou Vision de Colomb, imprimée à Philadelphie en 1781 par ce poète et diplomate américain, ministre presbytérien et avocat (1755-1812) qui, dans sa première jeunesse, avait pris part à la guerre de l'Indépendance, et avait écrit aussi en faveur de la révolution française.
Il faut avouer que les écrits de Grégoire, dont plusieurs ont passé sous nos yeux, offrent en général peu de goût, de critique et de méthode; l'exagération et le néologisme y dominent.. L'auteur y parle trop souvent de lui et de ses ennemis; il proteste de sa charité à leur égard, mais en même temps il les traite avec hauteur et amertume. Il se plaint souvent des persécutions qu'il éprouve, et il jouissait pourtant d'une brillante existence. Il en voulait beaucoup à la Restauration, qui lui avait laissé 24,000 francs de pension, ce qui ne l'empêchait pas de crier contre les sinécures et les faveurs exorbitantes.
Grégoire avait voyagé en Angleterre et en Allemagne, et avait formé une bibliothèque curieuse, surtout pour ce qui regarde l'histoire de l'Eglise, C'est lui qui avait le dépôt des archivés constitutionnelles, et il- s'était proposé de publier l'histoire du clergé pendant la Révolution ; il avait recueilli pour cela de nombreux matériaux.
On sait que dans tous ses écrits, Grégoire prenait, depuis 1802, le titre d'ancien évêque de Blois; il tenait singulièrement à ce titre, qui cependant ne lui appartenait pas. La Constitution civile du clergé, en vertu de laquelle il avait été fait évêque, ne le désignait que par le nom de son département. Aussi, dans les premières années, Grégoire et ses collègues né s'intitulaient pas autrement; mais, en 1795, ils se dégoûtèrent de leurs rivières et de leurs montagnes, et prirent le nom des villes afin sans doute qu'on les confondît avec les évêques de l'ancien régime, dont pourtant ils disaient beaucoup de mal.
(A suivre) M. C. DAGRIGENTE
3 décembre 1904
Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Grégoire avait fixé sa résidence à Paris sur la paroisse de l'Abbaye-aux-Bois, En 1831, il avait 81 ans, il tomba gravement malade, et son état donna de l'inquiétude à ses amis, bien que, quoique souffrant, il jouissait de toutes ses facultés, Mgr de Quélen, archevêque de Paris, voulant ramener au bercail l'ancien évêque constitutionnel, lui écrivait dans les termes les plus propres à faire impression, et lui donna les avis les plus sages auxquels, Grégoire ne voulut pas déférer, et comme les journaux dénaturèrent la conduite de l'archevêque en cette circonstance, le prélat adressa, le 13 mai 1831, une lettre à son clergé, s'inscrivant contre la relation mensongère faite ce même jour par le journal le Temps sur sa conduite vis-à-vis de l'intrus moribond, ayant rempli son devoir d'évêque et de Français, en suivant les règles de l'Eglise, et attendant dé la miséricorde de Dieu qu'il implorait pour le malade une de ces grâces qui touchent, qui calment et qui consolent. Le curé de l'Abbaye-aux-Bols, M. Gaidechen et son vicaire vinrent voir le malade qui se refusa à faire les rétractations qu'ils lui demandèrent pour lui administrer les sacrements. Ils y retournèrent une seconde fois et ne furent pas reçus. Un des grands vicaires de l'archevêque se rendit près de Grégoire qui persista dans ses refus précédemment exprimés. L'archevêque fit donc pour le malade tout ce que lui conseillaient la prudence et la charité. A un autre désir qu'exprimait Mgr de Quélen d'aller voir le malade, Grégoire répondit que cette démarche était inutile., vu la ferme
résolution où il était de ne se prêter à aucune satisfaction ou réparation pour ses actes et écrits.
Après une longue et douloureuse maladie, M. Grégoire succomba le samedi 28 mai, à quatre heures du soir. Devant la non rétractation de ses actes; l'archevêque de Paris n'avait pas autorisé à lui administrer les derniers sacrements qui cependant lui furent donnés par M. Guillon, chanoine de Saint-Denis, plus tard évêque titulaire du Maroc, encouragé en cela par M. Baradère, chanoine de Tarbes, ami de Grégoire, dont les funérailles fixées au lundi 30 mai donnèrent lieu à un scandale. La veille des obsèques, le préfet de police avait écrit au curé de l'Abbaye- aux-Bois pour l'inviter à passer à la préfecture. Le curé, n'ayant pu s'y rendre, fut remplacé par M. Lacoste son vicaire auquel le préfet demanda s'il entendait se;refuser, comme on le disait, à la célébration d'un service pour M, Grégoire. Le vicaire répondit que M. Grégoire s'étant constamment refusé à toute rétractation, il ne pouvait, d'après les règles de l'Eglise et les ordres de l'archevêque, consentir à accorder la sépulture ecclésiastique à l'évêque constitutionnel. Le préfet engagea M. Lacoste à réfléchir sur la gravité-de son refus, en lui déclarant toutefois que son intention n'était point d'exiger de lui un acte contraire à la liberté de sa conscience-: M. Lacoste ayant déclaré persister dans sa détermination, le préfet annonça l'intention d'user du décret du 23 prairial an XII, qui l'autorisait, dit-il, à faire porter, présenter et inhumer le corps.;.en conséquence, il entendait disposer de l'église de l'Abbaye-aux-Bois comme édifice communal et y faire célébrer le service, et il requérait M. Lacoste de n'apporter aucun obstacle à cette cérémonie, mettant sous sa responsabilité les suites de son. opposition; à quoi le. vicaire répondit qu'il n'avait, pas plus, l'intention que le pouvoir de s'opposer matériellement à l'exécution du projet et qu'il se contentait, pour remplir son devoir, de protester contre l'application d'un décret qui lui paraissait être une violation de la liberté consacrée par la Charte.
A l'occasion de la mort de M. Grégoire, l'archevêque de Paris adressa, le 29 mai 1831, aux curés de son diocèse, une autre lettre circulaire, dans laquelle il expliquait la triste nécessité où il avait été de refuser les derniers sacrements à cet ancien évêque constitutionnel, l'un des plus ardents défenseurs du schisme, après avoir fait inutilement auprès du malade toutes les tentatives qu'exigeaient l'intégrité de la foi et le salut d'une âme, et après avoir épuisé auprès de lui, pour obtenir une rétractation de ses erreurs, toutes les. inventions de la charité dont il était capable, afin de lui porter en personne les paroles de la réconciliation et le baiser de paix. Tout fut inutile. Loin de désavouer sa conduite à l'égard du schisme constitutionnel, M. Grégoire confirma au contraire, de vive voix et par écrit, son adhésion à ce même schisme, prétendant que les erreurs de la Constitution civile du clergé n'avaient pas été condamnées par l'Eglise, Les sacrements durent être refusés, il se fit administrer la sainte Eucharistie, l'Ëxtrême-Onction, par des prêtres (les chanoines Baradère et Guillon) qui, en cette circonstance, furent dispensateurs ou infidèles ou trompés, soit parce qu'ils avaient administré ces sacrements sans pouvoirs ni mission, soit parce qu'ils les avaient donnés sans prendre la sûreté et sans exiger de la part du malade lès conditions, requises en pareil cas, soit que ayant demandé une déclaration de croyance avec une intention catholique, elle leur fut donnée dans un sens contraire.
(A suivre) : M. C. D'AGRIGENTE
17 décembre 1904
Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Cette lettre d Mgr de Quélen suffisait pour éclaircir dés faits dénaturés et peu exacts dont on voulait faire injustement peser sur le vieux prélat, défenseur de la foi, la responsabilité. Le chanoine Baradère essaya bien, dans un écrit sur les Derniers moments de M. Grégoire, une relation des conférences de l'évêque constitutionnel avec le curé de l'Abbaye-aux-Bois et son vicaire, relation incomplète, car quand on demanda à Grégoire de rétracter ses erreurs, il prétendit qu'il n'avait pas été dans l'erreur, qu'il n'avait pas enseigné l'erreur, qu'il n'avait aucune erreur à rétracter. Or, tous ses écrits sont remplis d'erreurs; sur l'autorité de l'Eglise, sur la juridiction, sur le mariage et sur une foule d'autres points de doctrine. La brochure de Baradère, publiée en 1831, cite quelques fragments d'un codicille de Grégoire, écrit le 24 mai 1825, mais il ne parle pas de son testament qui est daté du 1er messidor an 1804 de Jésus-Christ, an XII de la République. Il y dit qu'il travaille à l'histoire de l'Eglise gallicane pendant la révolution ; s'il n'a pas le temps de l'achever, il charge de ce soin son confrère et ami, Moyse, ancien évêque du Jura qui résidait alors aux Gras près de Morteau ; en conséquence il veut qu'on lui envoie ses manuscrits, extraits, notes, lettres, actes authentiques et autres pièces, parmi lesquelles son testament moral et les Mémoires de sa vie ecclésiastique, politique et littéraire que Mme Dubois lui a promis de faire imprimer ; il institue sa légataire universelle cette dame qui demeurait avec lui depuis quinze ans. Il déclare qu'il vent être enterré en évêque. Il nomme pour exécuteurs testamentaires MM. Lanjuinais et Sylvestre de Sacy; mais le premier étant mort le 13 janvier 1827, par un autre codicille du 10 mai 1831, Grégoire le remplaça par MM. Baradère, DupIès, greffier en chef de la cour royale, Dutrone, Rondeau, ancien oratorien, Debertier, ancien évêque de l'Aveyron, dont nous parlerons ci-après. Il les chargé de statuer sur l'emploi de ses papiers qu'il ne faut pas laisser passer en toutes sortes de mains. On trouvera dans ses collections une liasse d'imprimés de la Société de la philosophie chrétienne, les archives du clergé assermenté dont il était dépositaire, entre autres les procès-verbaux des deux conciles dont le double a été déposé à la bibliothèque royale, le sceau du Concile, les adhésions aux Encycliques, toute sa correspondance ecclésiastique.
(A suivre) M. C. D'AGRIGENTE
31 décembre 1904
Henri GREGOIRE, évêque constitutionnel (suite)
Il laisse 6.000 fr. à une cousine, 4.000 fr. aux enfants d'une autre cousine, c'est tout ce qu'il laisse à sa famille. Il laisse à M. Jennal, prêtre à Lunéville, son condisciple et un peu son parent, sa montre à répétition; un legs à M. Colin, curé d'Embermesnil son successeur; ses ornements sacerdotaux à-son confesseur, M. Evrard, prêtre de Saint-Séverin, mais l'argenterie de la chapelle restera à Mme Dubois qui aura encore l'usufruit de sa propriété de Grangeneuve, paroisse du Plessis-Saint- Jean, près Sergine, département de l'Yonne; après elle, cette propriété sera partagée entre les hospices de Sens et de Blois. Son ami, de Allègre, évêque de Pavie de 1807 à 1821, lui avait donné un reliquaire en argent contenant des reliques de saint Augustin et de saint Bon, il le donne à la cathédrale de Blois, ainsi que son rituel de Blois, ses bréviaires du même diocèse, sa crosse épiscopale et ses mitres; et. les exécuteurs testamentaires ayant écrit â l'évêque de Blois, Mgr de Sauzin, pour lui annoncer ce legs, le prélat leur fit la réponse la plus noble et la plus ferme pour refuser le legs.
M. Guillon, qui avait donné l'Extrême-Onction à M. Grégoire, publia une brochure in-8° de 43 pages, Exposé de ma conduite auprès de M. Grégoire, dont peu d'exemplaires circulèrent dans le public, par la volonté de l'auteur qui en arrêta la publication, écrit si indigne de la réputation de M. Guillon, si affligeant pour ses amis, et où il n'y avait ni logique, ni théologie, ni sens, ni droiture. La vertu du sacrement, contrairement à ce qu'écrivit M. Guillon à Mgr de Quéïen, ne pouvait pas opérer avec les mauvaises dispositions du malade ; en donnant
l'Extrême-Onction à M. Grégoire, M. Guillon agit dans cette occasion avec plus de précipitation que de prudence, puisqu'il était instruit de l'opposition de l'archevêque et du curé, et qu'il n'avait aucune juridiction sur le malade qui refusait depuis quarante ans de se soumettre à des décisions reçues dans toute l'Eglise. Quoi qu'il en soit, le corps de Grégoire passa par l'église de l'Abbaye-aux-Bois avant d'être porté au cimetière. La veille il avait été exposé dans sa chambre convertie en chapelle ardente ; on l'avait revêtu d'habits pontificaux, on y laissa entrer tous ceux que la curiosité y amenait. Le jour dés funérailles, 30 mai, le corps fut descendu sous le portail tendu de noir; le corbillard, précédé d'un détachement de troupes, et attelé de quatre chevaux, était suivi de deux hommes en manteau noir, portant les insignes de l'épiscopat. Les exécuteurs testamentaires, MM. Duplès, Dutrône, conseillers, et l'abbé Baradère conduisaient le deuil. Le maire du Xe arrondissement et MM. Marchal, Garat et de Lasteyrie, tenaient les coins du drap mortuaire; suivaient d'anciens membres de la Convention, des députés, les ducs de Bassano et de Valmy, d'autres libéraux formaient un nombreux cortège auquel s'étaient joints des décorés de juillet. C'est dans cet ordre qu'on se dirigea vers l'église d'où le clergé s'était retiré par ordre de l'archevêque et par des motifs
de conscience. La messe fut célébrée par l'abbé Grieu, prêtre interdit à Meaux, assisté comme diacre et sous-diacre par un prêtre étranger et un laïque. L'abbé Pacot, du diocèse de Dijon, qui n'avait même pas la permission de dire la messe, en célébra une basse pendant la grande; et quand le convoi quitta l'église, des jeunes gens dételèrent les chevaux et conduisirent le corbillard jusqu'au cimetière de Montparnasse où six discours furent prononcés sur la tombe de l'évêque schismatique par MM, Duplès, le conventionnel Thibaudeau, son ami et complice; Isambert, Crémieux, Raspail et Laroche.
Nous nous sommes un peu étendu sur l'évêque Grégoire qui fut l'âme des constitutionnels, et dont les actes et les écrits, comme homme politique et comme prêtre, appartiennent à' l'histoire de la Révolution. La librairie Adrien Leclerc et Cie, alors quai des Augustins, n° 35, à Paris, publia vers cette époque une brochure intéressante et bonne à consulter : Eclaircissements sur une question importante relative à la mort de M. Grégoire, ancien évêque de Loir-et-Cher, avec les Pièces Justificatives.
M. C. D'AGRIGENTE
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