Bulletin du comité des travaux historiques et scientifiques
Section des sciences économiques et sociales
Congrès des sociétés savantes de 1906 tenu à Paris
M. Pierre BOYÉ, membre de l'académie de Stanislas et de la Société d'archéologie lorraine, correspondant du Ministère, a ensuite la parole pour exposer sa communication sur les Postes, messageries et voitures publiques en Lorraine au XVIIIe siècle.
Il donne lecture du mémoire suivant :
On sait qu'en 1672, Louvois, surintendant général des postes depuis 1668, en fit affermer les revenus à un traitant. Cette ferme, qui comprit ensuite les messageries royales auxquelles furent réunies, en 1678, les différentes entreprises similaires, avait naturellement été étendue à la Lorraine et au Barrois, occupés par Louis XIV. Après le traité de Rysnick, de même qu'ils conservèrent l'institution de la Ferme générale, les ducs Léopold et François III se gardèrent de ne pas maintenir à leur profit le double monopole du service des dépêches et des transports publics. En attribuant aussi constamment ce monopole aux adjudicataires des postes et messageries de France, ils adoptèrent la seule combinaison logique dans une région que déchiquetaient les enclaves évêchoises et qu'empruntaient sans cesse courriers et voitures pour les plus rapides communications entre le coeur du royaume, l'Alsace et les terres d'Empire. C'est dans ces conditions que, de six ans en six ans, bail fut passé des postes et messageries de Lorraine, d'abord moyennant un canon de 10,000 l., porté à 12,000 dès 1704 (1).
Avec l'annexion des duchés à la France, en 1787, les raisons étaient plus fortes encore pour la continuation de ce système. Par arrêt du Conseil des finances du 19 juillet 1788, le bail consenti le 15 décembre 1735 fut résilié à compter du -21 mai précédent, et le 6 août un nouveau traité fut conclu, moyennant le versement annuel de 20,000 l. (2).
Mais cette somme qui fut périodiquement maintenue jusqu'en 1775, époque où le privilège des messageries et voitures publiques est retranché du bail des postes, pour former une régie spéciale (3), revenait à la Ferme générale et devait être déposée, quartier par quartier, dans sa caisse (4).
Toutefois, n'ayant aucune part dans la manutention de ces entreprises, les fermiers généraux n'intervenaient que rarement : pour appuyer certaines réclamations: comme codemandeurs dans quelques graves poursuites.
A son retour dans ses Etats, en 1698, Léopold avait confié la haute surveillance des services à un surintendant des postes et messageries. Pendant la période de fiction administrative que fut le règne nominal de Stanislas, l'intendant général, puis le contrôleur général des postes du royaume. prirent officiellement, dans leurs rapports avec la Province, les titres d'intendant général et de contrôleur général des postes, courriers et relais de Lorraine et Barrois (5). Il entretenaient une correspondance suivie avec l'intendant commissaire départi, qui leur servait d'intermédiaire et exerçait sur les agents des compagnies une autorité sinon plus puissante, du moins plus immédiate, en ce qui concernait les trois branches de leur administration : la poste aux lettres, la poste aux chevaux, les messageries et carrosses publics (6).
I. Les fermiers étaient assurés du privilège exclusif du transport, direct ou indirect, des lettres ou paquets, sur toutes les routes où il y avait
« postes, messageries, piétons ou estafettes, pour les porter », et ils percevaient à leur profit les taxes arrêtées au Conseil et ratifiées par l'enregistrement de la Chambre des comptes.
Le bureau général des postes aux lettres de Lorraine et Barrois se trouvait à Nancy, où résidait le directeur. C'est par lui que passait la correspondance de Paris à Strasbourg, ce qui lui donnait une importance matérielle et politique exceptionnelle. Aussi cette direction avait-elle toujours été confiée à des personnes fort sûres et, de plus, agréables, non seulement au duc, ainsi que l'exigeait le bail, mais encore et, surtout au cabinet de Versailles. Sous l'occupation, le, directeur des postes de Sedan, M. de Marcille, y avait été préposé par ordre de Louis XIV, vers 1680. Sa veuve lui succéda.
« Femme très capable, de beaucoup d'esprit, jouissant d'une très grande considération », la duchesse régente, Elisabeth-Charlotte, la distingua de ses bontés et même de son amitié. Après la cession, M. Duretesle, contrôleur provincial, ayant épousé Mlle Barthold de Carles (7), petite-fille de Mme de Marcille, obtint, le 15 janvier 1738, le brevet de directeur et caissier général des postes de Lorraine et Barrois. Admis à l'honorariat en 1782, il fut remplacé par son gendre, M. de. Farémont, toujours eu place au moment de la Révolution. Durant plus d'un siècle, ces délicates fonctions avaient été remplies par des membres d'une même famille (8).
Le directeur était assisté d'un premier commis et d'un commis ordinaire. A côté d'eux se trouvait un contrôleur, délégué par le gouvernement pour être présent à l'ouverture et à lu fermeture des sacs, lors de l'arrivée et du départ des courriers (9). Il y avait, en outre, comme dans les bureaux de poste secondaires, un receveur.
Du bureau général, les lettres destinées à l'intérieur du pays étaient réparties entre un certain nombre de ces bureaux secondaires, dits bureaux correspondance ou bureaux de distribution. C'étaient, de 1704 à 1738, ceux de Bar-le-Duc, Dieuze, Epinal, Ligny,
Lunéville, Mirecourt, Neufchâteau, Pont-à-Mousson, Raon-l'Etape, Remiremont, Saint-Dié, Saint- Mihiel, Saint-Nicolas et Sainte-Marie-aux-Mines. La Lorraine allemande, on le voit, était fort négligée. Le service ne s'y faisait guère que par les bureaux évêchois de Sarrebourg, de Metz ou de Sarrelouis. Peu après l'annexion des duchés, cette organisation commença d'être notablement améliorée. En 1753, on comptait dans la Province vingt-sept bureaux de poste secondaires. A ceux que nous venons d'énumérer il faut, dès lors, ajouter les bureaux de Bitche, Blâmont, Boulay, BouzonvilIe, Charmes, Commercy, Gondrecourt, Marsal, Rambervillers, Rosières-aux-Salines, Saint-Avold et Sarreguemines (10). Ce chiffre restait encore peu considérable en raison de la superficie des duchés. La mort, de Stanislas provoqua un nouveau remaniement. Plusieurs bureaux lorrains furent supprimés. Il n'en existait plus que dix-neuf en 1779 (11). Mais, en revanche, huit bureaux de la généralité de Metz, ceux de Metz même, de Phalsbourg,
Sarrebourg, Sarrelouis, Toul, Verdun, Vic et Void, sont désormais en relations régulières avec le bureau général de, Nancy. Des sacs de dépêches circulent aussi directement entre la capitale lorraine et Vitry-le-François, Saint-Dizier, Châlons-sur-Marne, Reims, Paris, Saverne et Strasbourg (12).
Dans les bureaux de correspondance, piétons ou messagers venaient prendre les lettres pour leur distribution définitive entre les localités dont le groupement formait ce que l'on appelait vulgairement et improprement une direction. La distribution s'opérait avec plus ou moins de rapidité, suivant les conventions particulières, les arrangements variables arrêtés par les villes et les villages. C'étaient ces localités, en effet, qui, le plus souvent, fournissaient les piétons, gens étrangers à la régie, et qui acquittaient leurs gages. Parfois, aussi, elles remettaient une redevance au receveur d'un bureau plus rapproché que le bureau réglementairement assigné, afin d'avoir le droit d'y déposer et d'y faire chercher leurs lettres.
Par suite de la communauté d'administration, les prix du port des lettres avaient suivi en Lorraine et en France une marche parallèle. Le 27 novembre 1703, un nouveau système de taxes était promulgué dans le royaume, avec augmentation générale d'un quart. Le 1er février 1704, un mandement de Léopold ordonnait la mise en vigueur, à partir du 1er mars, d'un tarif proportionnel, révisé par le pouvoir ducal le 11 octobre 1730, et, sous le régime français, par la déclaration du 8 juillet 1759, qui n'y apporta, d'ailleurs, qu'un changement relatif à l'unique bureau lorrain d'outre-Vosges, celui de Sainte-Marie-aux-Mines. De 1704 à 1780, la lettre simple devait 5 sols de Bar-le-Duc, Ligny, Pont-à-Mousson, bureaux, barrois, et de Nancy à Paris, ou inversement; 6 sols, si on la plaçait sous enveloppe; 9 sols, si elle était double. Les paquets payaient 20 sols par once. A partir de 1730, ces taxes furent respectivement, de 7, 8, 12 et 28 sols. Entre Paris et Lunéville, Epinal, Mirecourt, Marsal, ou tout autre bureau de distribution lorrain, sauf Nancy, il était dû, au début du XVIIIe siècle, 6, 7, 10 et 24 sols; 8, 9, 14 et 32 sols après 1730 (13).
En ce qui regarde le service intérieur, le tarif appliqué sous Stanislas n'était autre que le tarif prescrit par le mandement du 1er février 1704.
D'un bureau quelconque des Etats ou de la Généralité évêchoise, - car l'enchevêtrement des souverainetés n'avait pas permis, à l'origine, d'établir une distinction, - on payait pour Nancy, ou inversement, 3, 4, 5 et 12 sols, selon les cas mentionnés plus haut. Il n'en coûtait donc pas plus pour expédier une lettre de la frontière champenoise à
Nancy, que pour la faire parvenir à Bar-le-Duc (14)'. Ces taxes doivent s'entendre tout d'abord en monnaie du pays. C'est seulement en 1777 que les Lorrains commencèrent à acquitter le port de leurs lettres en monnaie tournois, conversion qui équivalut à une augmentation sensible (15).
On remarquera que le tarif intérieur n'était calculé que pour Nancy on depuis Nancy. Par le bureau général passaient, en effet,, toutes les correspondances, fussent-elles échangées entre deux bureaux secondaires voisins.
Un tel mécanisme n'était pas sans occasionner des lenteurs déplorables. La poste va deux fois par semaine de Plombières à Senones, par Raon, écrit en 1754, de l'abbaye vosgienne, Voltaire au comte d'Argental. qui séjourne dans la station thermale.
« Elle arrive un peu eu retard, parce qu'elle passe par Nancy. » Et bientôt :
« Il faut malheureusement huit jours pour recevoir une réponse, et nous ne sommes qu'à quinze lieues » (16).
On aura encore une idée de l'insuffisance du service, quand on saura qu'en 1779 l'arrondissement du bureau central ne comprenait pas moins de soixante-dix-neuf bourgs ou villages, soit, eu négligeant les censes, faubourgs et maisons de campagne, soixante-dix-neuf localités, de Viterne à Aingeray, Moivron ou Mazerulles, obligées de retirer leurs lettres à Nancy (17). Nombre de communautés n'ont ni piétons, ni boîtiers. La poste, sans doute, se charge des lettres qui leur sont destinées; mais elles restent des semaines entières dans les villes les plus proches, où. de l'aveu de l'intendant,
« on finit par les remettre au premier venu, qui les égare ou qui rançonne ceux qui ont intérêt à les avoir; le but de l'administration doit être que le public soit servi, et il ne l'est pas »,(18).
D'autre part, une lettre ne pouvait être destinée à la localité où on la jetait à la boîte, ni à sa banlieue. Pour remédier à un tel inconvénient, un essai de correspondance urbaine avait été tenté, mais sans succès, à Paris, en 1653, et à Londres, vingt-sept ans plus tard, avec pleine réussite (19). L'idée fut reprise par le gentilhomme savoyard Piarron de Chamousset, maître ordinaire en la Chambre des comptes, qui obtint, par lettres patentes du 5 mars 1758, privilège pour organiser à ses frais une poste de ville, ou petite poste, à Paris. L'entreprise avait si bien prospéré, que l'inventeur s'était vu dépossédé de son monopole, en retour d'une rente viagère de 35,000 livres (20). Cet exemple, suivi dans quelques grands centres du royaume, ne devait pas être perdu pour Nancy. A la fin de 1778, un sieur Pierre-Thomas Delaunoy, ancien serviteur de Stanislas, proposa d'établir, sur ce modèle, une petite poste dans la cité lorraine et, l'intendant de la province consulté, d'assurer le contrôleur général des finances que,
« quoique la ville de Nancy ne puisse être mise au rang des villes du premier ordre, cependant son étendue et le commerce qui s'y fait, la rend susceptible d'un établissement de ce genre » (21). Delaunoy n'eût peut-être pas triomphé des protestations des fermiers de la grande poste, sans l'intervention de Madame Victoire, dont il était le protégé. Un arrêt du Conseil du 6 mais 1779 lui reconnut le droit exclusif pendant trente années, à partir du 1er juillet suivant, d'exploiter une petite poste
« pour le service de la ville de Nancy, de la banlieue et des environs ». Reprenant les vers par lesquels Jean Lord avait autrefois salué la première petite poste parisienne, les Nancéiens purent répéter avec satisfaction :
On va bientôt mettre en pratique,
Pour la commodité publique,
Un certain établissement,
Mais c'est pour Nancy seulement,
De boettes nombreuses et drues,
Aux petites et grandes rues,
Où, par soi-même ou son laquais,
On pourra porter des paquets;
En dedans, à toute heure, mettre
Avis, billet, missive ou lettre.
Que des gens, commis pour cela,
Feront chercher et prendre là,
Pour, d'une diligence habile,
Les porter par toute la ville.
...
La création de Delaunoy est intéressante à étudier. A Nancy et dans les faubourgs, la petite poste possédait vingt-quatre boites. Il se faisait quatre levées et quatre distributions quotidiennes. Au cours de leurs tournées, les facteurs, munis de claquettes, devaient
« aller doucement et monter partout ». Quinze de ces facteurs étaient attachés au bureau principal (22). Mais ils desservaient plus que la stricte banlieue. Ils visitaient chaque jour quatre-vingt-treize villages des environs, privés de piétons, et où, par conséquent, la distribution des dépêches ne s'était faite jusqu'alors que par exprès ou par occasions: s'avançant ainsi jusque près de Vézelise, de Pont-à-Mousson, de Saint-Nicolas. Les lettres qu'ils en rapportaient pour
Nancy, étaient remises à destination le soir même. Dans Nancy et ses faubourgs, le port d'une lettre était de 2 sols de France; les paquets étaient taxés à 3 sols l'once. De la ville à la campagne, ou de la campagne à la ville, il y avait, dans les deux cas, augmentation d'un sol (23).
Le progrès était donc considérable; l'initiative, heureuse. C'était mieux qu'une petite poste dans l'acception ordinaire du mot. Mais cet établissement souffrit des difficultés. Avant même qu'elle eût fonctionné, la poste de Delaunoy fut l'occasion d'un conflit de juridictions. Par l'arrêt de création, Louis XVI avait évoqué à soi et à son Conseil les contestations nées ou à naître à son sujet, et en avait renvoyé la connaissance à l'intendant de la Province. Au préjudice de
cette décision, la Chambre des comptes de Lorraine, qui avait toujours eu autorité sur les postes, rendit, de son côté, le 30 juin
1779, un arrêt, faisant défense au directeur, à son personnel et aux particuliers, sous peine de 500 francs d'amende, de se pourvoir ailleurs que par-devant elle. Mais, le 16 juillet, le Conseil d'Etat avait cassé l'arrêt de la Chambre. Puis les fermiers généraux s'opposèrent à ce que le privilège dépassât la banlieue. L'intendant des postes, Rigoley d'Ogny, qui naguère avait été le premier à insister pour une si profitable extension, ne sut pas résister à la pression dont il lut l'objet. Revenant sur les garanties données, sur des promesses formelles, dès octobre il admit, sans réserve, le bien fondé de la réclamation (24).
L'arrêt du Conseil d'Etal du 28 juin 1780 avant enfin décidé la réunion de toutes les petites postes à l'administration générale des postes du royaume et révoqué les privilèges particuliers, la juxtaposition des services commença à Nancy le 1er novembre. L'entrepreneur, qui avait fait des avances considérables en vue d'une longue exploitation, dut se contenter de l'indemnité dérisoire de
3.000 livres. De trente années, sa jouissance avait été réduite à treize mois. Ce fut sa ruine. Rentrée en possession du monopole, la direction générale ne tarda pas à reprendre ses anciens errements. Le 1er avril 1781, la petite poste nancéienne cesse de fonctionner, au grand dommage des citadins et des habitants de la banlieue (25).
Une ordonnance du surintendant des postes de France, du 31 mai 1728 avait enjoint aux fermiers d'établir trois courriers par semaine, pour l'aller et le retour, de Paris à Strasbourg, en passant par Nancy. Le surintendant n'était autre que le cardinal de Fleury. C'était le moment où le pacifique ministre avait besoin de malles extraordinaires pour le Congrès de Soissons, où il espérait, par son influence, donner un peu de repos à l'Europe. Ces trois courriers hebdomadaires furent maintenus, dans l'un et l'autre sens, pendant tout le XVIIIe siècle. Nous les retrouvons encore à la veille de la Révolution (26). La capitale lorraine communiquait également trois fois avec Metz (27), à partir de 1763, trois ordinaires, servis par des piétons se relayant de distance en distance,
« de façon à ce que leur diligence procurât les mêmes avantages que les véritables courriers », la mirent, par Remiremont, en relation avec Plombières, pendant la saison des eaux.
Cette amélioration, décidée surtout dans l'intérêt des personnages de la cour et des riches étrangers qui fréquentaient à Plombières, n'alla pas sans apporter de nouvelles charges aux communautés riveraines de la route parcourue. Ces localités eurent à contribuer annuellement aux frais de l'établissement sur le pied réglé par le commissaire départi. Charmes, par exemple, fut taxée à 100 livres; Mirecourt, Epinal, Remiremont, à 200 livres. Ces sommes étaient exigibles par avance entre les mains du directeur général des postes (28).
II. La plupart des grandes voies de communication qui parcouraient la Lorraine se croisaient à Nancy. Vers 1750, les principales étaient celles de Nancy à Saint-Dizier, et de là à Paris; de Nancy à Saint-Mihiel, Verdun et Longwy ; la route de Sarrelouis par Metz ; les routes menant à Dieuze et à Sarreguemines, à Sarrebourg, à Langres. Citons encore celles de Lunéville à Schlestadt, à Dieuze ou à Plombières; de Plombières à Rambervillers, par Epinal (29). Dans les années qui suivirent, le réseau en fut considérablement augmenté, et bientôt, presque partout, les voitures roulèrent sur chaussées, grâce aux travaux par corvées que commanda sans mesure l'intendant La Galaizière père (30).
Aussi le nombre des maîtres de poste, chargés de fournir aux voyageurs les chevaux de relais, était-il considérable. On en comptait plus de cinquante au milieu du XVIIIe siècle. Il y en avait exactement soixante-quinze en 1783 (31). Ces postes étaient, par suite des interruptions que causaient constamment dans le parcours les enclaves évêchoises, très inégalement réparties entre les subdélégations. S'il existait, en 1769, cinq maîtres de poste dans la subdélégation de Lunéville, quatre dans celles de Bar, de Boulay ou de Dieuze, trois dans celle de Nancy, on n'en rencontrait que deux dans les subdélégations de Neufchâteau, de Saint-Mihiel ou de Vézelise, et qu'une seule dans celles de Blâmont, de Charmes ou de Lamarche (32). Sur les routes de premier ordre, il y avait des postes que le bail obligeait le fermier général à tenir constamment pourvues, et dont la situation ne pouvait être modifiée. Le total de celles-ci était de vingt-sept en 1738. Pour les autres relais, les traitants avaient plus de latitude. Ils étaient juges de l'opportunité qu'il y avait à les maintenir, à les diminuer, à les déplacer. Sur leur proposition, l'intendant général des postes nommait les titulaires. Les commissions épient dressées en brevets et expédiées en chancellerie. Lorsqu'il s'agissait de faire un choix entre plusieurs candidats, on préférait le compétiteur disposé à tenir auberge.
Les rétributions des maîtres des postes obligatoires étaient fixes. Elles comprenaient les grands gages et les petits gages. A partir de 1738, les grands gages furent payés par la compagnie adjudicataire. Ils étaient uniformément de 180 livres. Les petits gages, accordés seulement aux maîtres des postes placées sur les routes dites de grands courriers, où les exigences du service nécessitaient un matériel plus important, variaient de 44 à 60 livres. Exceptionnellement, le maître de la poste de Nancy recevait à ce titre 83o livres. Ces petits gages étaient à la charge du domaine. Ils formaient un article de dépense annuelle d'environ 1,580 livres (33). Quelques maîtres de poste obtenaient de plus des allocations des villes ou des communautés rurales. Celui de Remiremont touchait ainsi 3oo livres. Outre pareille gratification, celui du Saint-Mihiel jouissait de quatre arpents de forêt. Beaucoup étaient exemptés des octrois. L'administration eut de même à leur égard une certaine sollicitude. Sons les ducs, leurs franchises se réduisaient à l'exemption de toutes impositions, jusqu'à concurrence de trois cents jours de terre dans les trois saisons du finage de leur résidence. La déclaration du roi de Pologne du 21 octobre 1751 assimila, au point de vue des privilèges, les maîtres de poste de Lorraine à ceux de France, c'est-à-dire qu'ils bénéficièrent désormais de l'exemption générale pour tous leurs biens, avec faculté de tenir à ferme cent arpents de terre labourable, ou cinquante seulement s'ils ouvraient hôtellerie. L'intendant La Galaizière n'admit pas qu'ils fussent de droit personnellement exempts des corvées des ponts et chaussées (34). Mais en fait, et par tolérance, ils bénéficiaient le plus souvent de cette faveur. En tout cas, ils ne tirèrent jamais pour la milice.
Certes, ils avaient, pour la plupart, besoin de tels encouragements. Leur entreprise, qui devint par la suite une source assurée d'abondants profits, ne leur procurait alors qu'une situation assez précaire. Peu considérés, ils étaient volontiers malmenés. Nous voyons les voyageurs en nombre leur faire violence; forcer les postillons à brûler les étapes. Ou surcharge les voilures; on se sert, contre leur aveu, de conducteurs étrangers, gens qui frappent et abîment les chevaux : toutes choses qui occasionnent aux maîtres, déclare l'ordonnance du 22 mai 1754,
« des pertes fréquentes, les dégoûtent du service et écartent les sujets qui pourraient se présenter pour remonter les postes vacants ». Plusieurs édits durent être rendus touchant la discipline de la poste aux chevaux. Il fut interdit, afin de ménager les bêtes de trait, d'avoir sur le devant des voilures des menus bagages excédant trente ou quarante livres, et par derrière des malles d'un poids supérieur à cent livres. On prescrivit aux voyageurs de payer d'avance, et d'après les tarifs. Ces prix variaient, d'ailleurs, selon les circonstances, et, en particulier, selon la cote des fourrages. Avant 1737, ils étaient plus faibles que les sommes demandées dans les relais du royaume. Leur concordance fut établie. L'ordonnance du
21 juillet 1741 porte à 30 sols tournois, par étape, le prix de chaque cheval. Celle du 23 juin suivant distingue le cheval de trait, qui coûte 30 sols, du cheval de selle ou bidet, monte par les courriers ou par les voyageurs préférant ce mode de locomotion, pour lequel il n'est dû que 20 sols. L'ordonnance du 22 février 1754, encore, augmente de 5 sols les bidets et ces 25 sols deviennent, avec la disposition du 15 décembre 1756, le taux uniforme. En chaise de poste, il était payé autant de chevaux qu'il y avait de voyageurs. Tout voyageur utilisant un bidet, devait être accompagné d'un postillon, ce qui doublait la dépense (35).
L'exécution de ce règlement, la surveillance des postillons dans l'intérêt des maîtres, et le maintien aux stations d'un nombre de bêtes suffisant pour un service convenable, incombaient à des visiteurs et sous-visiteurs. De temps à autre, un visiteur en chef effectuait une tournée dans la Province. Il centralisait les rapports et les transmettait, avec les requêtes du personnel, à l'intendant et au contrôleur général des postes, à qui parvenaient aussi, soit directement, soit par l'entremise du commissaire départi, les plaintes des voyageurs et les candidatures aux emplois. Les décisions revenaient dans les bureaux de l'intendant de Lorraine. Sous les ordres de ce fonctionnaire, le prévôt général et les officiers de la maréchaussée devaient prêter main-forte aux maîtres; les gouverneurs et commandants des villes, exercer, dans l'intérieur comme autour des places, un certain contrôle.
III. La ferme des postes jouissait enfin, dès le début du règne de Léopold. du privilège
« d'établir coches, carrosses, charrettes couvertes, messageries et autres voilures, tant en droiture qu'en traverse », sur toutes les routes des duchés. Cette partie était cédée en sous-ordre au fermier général des carosses et messageries royales de Champagne, généralité de Metz et Alsace, qui passait à son tour des baux secondaires à différents entrepreneurs, et restait seul juge, d'une adjudication à l'autre, pour approuver ou repousser l'organisation de nouveaux services.
Défense expresse était faite à tout propriétaire d'un véhicule quelconque de conduire des personnes, de transporter des colis pesant moins de cinquante livres ou groupés pour dépasser la tare interdite, contre le gré de ces industriels et au détriment du monopole. Un voyageur est pressé d'effectuer tel trajet. Si le carrosse public part ce jour-là dans la même direction, c'est dans ce carrosse qu'il lui faut monter. Le départ a-t-il eu lieu la veille, ou n'est-il fixé qu'au lendemain ? Il y a obligation d'attendre, sans possibilité de s'adresser spontanément à un loueur de bonne volonté. Le fermier du service, il est vrai, a, dans ce cas. intérêt à délivrer le billet de permission donnant liberté de rechercher quelque autre moyen de transport. Ces billets, en effet, - dont la délivrance devenait obligatoire quand la voiture était partie de l'avant-veille ou ne devait se mettre eu route que le surlendemain, - étaient pour lui d'un très fructueux rapport. L'entrepreneur du carrosse de Nancy à Neufchâteau avait droit, par exemple, de percevoir 6 l. pour un billet de permission, tendis que le prix d'une place n'était que de 5 l.. Pour monter dans le carrosse public de Nancy à Toul ou à Commercy, on paye 2 l. 10s et 5 l.. Les permissions coûtent 3 et 6 l.. Ces autorisations, données gratuitement lorsque, le jour d'un départ régulier, il n'était pas fourni de places en suffisance, devaient être exhibées à tous les bureaux de contrôle où les préposés s'avisaient de les réclamer.
Malgré ces précautions, des loueurs particuliers parvenaient, à frauder. Découverts, les représailles étaient dures. L'arrêt de la Chambre des comptes du 26 juillet 1760 condamne un voiturier de Metz à 500 l. d'amende, pour avoir été découvert conduisant dans une berline quatre voyageurs à Pont-à-Mousson. L'équipage est de plus confisqué au profit du requérant; et, pour l'intimidation, la sentence est reproduite sur de vastes placards, affichés à profusion (36). Pour surprendre les délinquants, les adjudicataires avaient recours à toutes sortes de moyens : vérificateurs ambulants, espions déguisés, délateurs. Comme pour les autres parties de la Ferme générale, les règlements étaient ici interprétés d'une façon si stricte, si abusive, qu'ils en devenaient odieux. L'entrepreneur du carrosse de Paris à Strasbourg n'autorise pas les piétons à profiter d'une voiture particulière où l'amabilité d'un voyageur les engagerait à monter quelques instants. Le cocher d'un carrosse roulant à vide serait coupable de prendre pitié d'une femme, d'un malade, d'un bancal, rencontrés sur son chemin. Un geste de complaisance, c'est la saisie et l'amende.
« ll faut ici que la charité déguerpisse comme une vertu vicieuse et nuisible aux entrepreneurs de tous les coches du royaume, car ils suivent tous le même train, » écrit l'auteur d'un mémoire envoyé à Paris en 1768. Un habitant de Lunéville ou de Blâmont, possesseur d'une voiture, a une affaire urgente à traiter dans un village sis à deux lieues de la route qu'emprunte le carrosse public de Paris à Strasbourg. Il lui est impossible de s'y rendre sans suivre pendant dix minutes cette chaussée. Le maître du service ne manquera pas de lui réclamer une indemnité. Bref, ainsi que le remarquent avec dépit les contemporains, les fermiers agissaient comme s'ils étaient les propriétaires de voies qu'ils n'avaient aidé ni à tracer, ni à réparer, qu'ils n'utilisaient même que pour les détériorer au préjudice des corvéables. Et ce cas de criante injustice se présentait, que les gens qui avaient le plus peiné et dépensé pour la création et l'entretien d'une chaussée, étaient précisément ceux qui devaient solliciter des permissions pour y circuler, ne fût-ce que durant une centaine de toises, et payer à cet effet une somme plus forte qu'il ne leur en eût coûté pour se rendre au terme de leur course (37).
Sous Stanislas, le carrosse de Paris à Strasbourg passait, dans les deux sens, une fois par semaine à Nancy, résidence d'un directeur général des messageries, coches et carrosses de Lorraine, dit [dus tard directeur des diligences et messageries royales. De la capitale des duchés, il fallait huit jours pour se rendre à Paris; quatre, pour aller à Strasbourg. Deux fois par semaine en été et une fois en hiver, une voiture publique parlait pour Metz. Lorsque le temps était mauvais, on couchait à Pont-à-Mousson et l'on n'arrivait que le lendemain. Deux fois, également, il y avait carrosse pour Mirecourt; une seule fois pour Toul ou Saint-Dié, Epinal et Remiremont, Saint-Mihiel et Verdun, Marsal et Dieuze. En 1739, un service public hebdomadaire fut organisé entre Nancy, Rambervillers et Bruyères (38). Aux beaux jours, de fréquentes communications reliaient Nancy et Plombières. On inaugura pareillement en 1751 une correspondance pour Bains, via Mirecourt, dans les mois d'été (39). La même année, moyennant le payement d'un canon de 400 l., un entrepreneur eut licence de faire partir toutes les semaines un carrosse pour Neufchâteau, et de là vers Langres : (40). A chaque nouvelle création, les fermiers devaient s'adresser à la Chambre des comptes et solliciter d'elle un règlement qui comprenait jusqu'aux horaires; tout un moins soumettre à son approbation, avant l'enregistrement du bail, les articles qu'ils avaient arrêtés. A la Chambre il appartenait de, ratifier ou de modifier le tarif des places, les droits à percevoir pour les paquets, le prix des billets de permission.
Eu France, sous le régime de la ferme des postes et messageries, il fut souvent accordé, à titre de faveur spéciale, des autorisations pour l'exploitation de services de transport régis sons les seuls ordres et au seul profit des bénéficiaires. Le traité passé par Léopold en 1704 prévoyait de même, en termes exprès, l'établissement, en dehors de la ferme, de voilures publiques entre Nancy et Lunéville. En avril 1705, le droit exclusif avait été accordé à un particulier de faire circuler chaque jour, d'une ville à l'autre, deux voilures
« vides ou pleines ». Celle entreprise à laquelle les allées et venues suscitées par la cour ducale donnèrent très vite une réelle importance, continua, après la cession, à ne pas dépendre de la ferme des postes et messageries, mais à faire partie du traité de la Ferme générale. Elle était comprise dans le sous-bail du fermier du domaine, qui la laissait, le 18 décembre 1737, moyennant 3,000 l. annuelles, à un nommé René Faciot. Cet industriel ajouta aux voilures ordinaires
« des chaises à deux roues et des berlines à quatre places, pour aller de Nancy à Lunéville à telle heure que l'on souhaiterait ». Il entretenait trente-deux chevaux et huit domestiques. Le monopole, - dont les prérogatives furent, à la demande de l'adjudicataire ou des fermiers généraux, successivement confirmées par plusieurs arrêts, - était si jalousement gardé, que les voituriers qui traversaient Nancy ou Lunéville, en empruntant les rues suivies par les carrosses publics, devaient se munir d'un billet de permission, délivré toutefois gratuitement (41).
Cette exploitation perdit, beaucoup de son activité à la mort du roi de Pologne. Il n'y eut bientôt plus que trois départs par semaine de Nancy pour Lunéville, et cela jusqu'en 1789. Même déclin est à constater pour les entreprises de Plombières et de Bains. Quant aux autres services, ils restèrent presque tous stationnaires. Les seules améliorations à signaler sont relatives aux communications pour Toul, devenues hebdomadaires; pour Metz, où l'on put se rendre régulièrement deux fois par semaine en 1771, cinq fois en 1778, et six fois à partir de 1788. Citons aussi un service de voitures pour Besançon toutes les quinzaines, établi en 1778 et doublé dix ans plus tard.
En 1737, les carrosses, que des documents de l'époque définissent des
« espèces de voitures à quatre roues, suspendues et couvertes », avaient partout remplacé, sur les routes lorraines, le vieux coche,
« chariot couvert, dont le corps n'est pas suspendu ». Ces véhicules eussent moins laissé a désirer si les entrepreneurs n'avaient
« entièrement abandonné l'intérêt public pour ne s'occuper que du leur ». En 1768 encore, il est de notoriété que leurs carrosses,
« trop matériels et trop pesants, incommodent et fatiguent considérablement les voyageurs, qui n'y sont pas à l'abri du froid en hiver, ni de la poussière en été. Ces voitures n'étant point faites pour le seul transport des voyageurs, mais encore pour le voiturage de toutes sortes d'effets et marchandises, sont toujours si surchargées, qu'à peine peuvent-elles faire six lieues entre les deux soleils. Pour arriver à Nancy le samedi soir, étant parti de Paris le samedi précédent à 6 heures du matin, cette voiture, beaucoup trop lourde, ne saurait gagner que tard, dans les jours courts, les lieux de sa destination quotidienne, et le voyageur est à peine au lit qu'on le fait lever pour partir sur les 2 et 3 heures du matin.... Les plus robustes n'en peuvent soutenir la -fatigue (42).» Les diligences offraient un système de locomotion plus rapide que les carrosses, moins coûteux que les chaises de poste. Les premières que l'on vit dans les duchés, circulèrent sur la route de Nancy à Lunéville. où nous en rencontrons déjà eu 1753 (43). Mais elles disparurent avec la cour. En 1775. il n'y avait que deux services de diligence dans toute la France : de Paris à Lyon et de Paris à Lille. L'arrêt du 12 août ayant ordonné qu'il en serait établi sur toutes les grandes routes du royaume, concurremment avec l'ancien carrosse hebdomadaire des diligences commencèrent à rouler, deux fois par semaine, entre Paris et Nancy ; une fois, entre Nancy et Strasbourg.
Au temps de Stanislas, il y avait chaque semaine un chariot public transportant les marchandises de Nancy à Marsal et à Dieuze. Vers 1750, un service régulier de messageries proprement dites avait aussi été établi entre Toul et Nancy. En 1778, des messagers se rendaient deux fois par semaine dans le comté de Vaudémont, deux fois à Neufchâteau et dans le Bassigny, trois fois dans la Vosge. Une guimbarde, enfin, faisait hebdomadairement un service mixte entre Nancy et Metz (44).
Par l'arrêt du Conseil du 11 décembre 1775, Turgot ayant fait réunir au domaine tous les privilèges des
« voitures, diligences et coches d'eau » qui utilisaient les principales rivières et canaux, l'exploitation en fut confiée à l'administration des voitures et messageries de terre, c'est-à-dire à la nouvelle régie générale. Cette disposition resta lettre morte pour la Lorraine où, de 1737 à 1770, le gouvernement avait absolument négligé tout ce qui concernait la navigation. A la fin du XVIIe siècle, des coches d'eau, sans doute, avaient été organisés sur la Meurthe et sur la Moselle. Ils avaient, rendu de véritables services. Mais ils n'existaient déjà plus à l'arrivée du roi de Pologne, et ne devaient pas être rétablis avant la Révolution.
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