Journal de la Société d'archéologie et du Comité du Musée lorrain
- 1854
MÉMOIRES.
NOTE SUR LE TOMBEAU D'UN COMTE DE SALM, DONNÉ AU MUSÉE LORRAIN.
Le Musée lorrain s'est récemment enrichi, grâce à la générosité de MM. Thirion d'un tombeau qui se trouvait autrefois dans l'église abbatiale de Saint-Sauveur, et que l'on conservait, depuis la Révolution, comme un objet de curiosité.
Les différentes pièces qui le constituent ont été remontées, autant que l'état de dégradation de quelques-unes d'entr'elles pouvait le permettre mais il est bon d'avertir que, dans l'église de Saint-Sauveur, le tombeau devait être placé sous une arcade accessible de part et d'autre, en sorte que les têtes et les pieds des personnages étaient voisins des piliers soutenant l'arcade, et que les vingt niches statuettes, couvrant aujourd'hui trois des faces du tombeau, étaient rangées sur les deux grands côtés, et non sur un des grands et sur les deux petits qui étaient engagés dans la maçonnerie.
Le socle sur lequel le tombeau repose est moderne, et nous n'avons par conséquent rien à en dire ; la hauteur du coffre, s'il est permis d'employer cette expression, est de 54 centimètres ; sa largeur et sa longueur peuvent être indiquées seulement d'une manière approximative, à raison de la disposition nouvelle du revêtement et de la mutilation de plusieurs niches. Il est surmonté d'une table, longue de 2 mètres 12 centimètres, large de 1 mètre 20 centimètres, épaisse de 15 c. et composée de deux pièces d'une dimension à peu près égales ; les extrémités sont brutes parce qu'elles étaient adhérentes aux supports de l'arcade; mais sur les deux grands côtés la table présente un profil des plus gracieux, formé d'un filet, d'une espèce de tore anguleux, d'un quart de rond, d'une scotie très-évidée et d'un autre quart de rond prismatique.
Les deux statues couchées sur la table sont sculptées dans la même pierre, ou plutôt dans les mêmes pierres que la table elle-même, à laquelle elles se trouvent par conséquent adhérer. La première, ou celle de droite, a une longueur de 1 mètre 92 centimètres (1); elle représente un guerrier couché, les mains jointes sur la poitrine. II a les yeux fermés, et sa tête repose sur un oreiller, long de 50 c., large de 32, et enfermé dans une taie ornée de glands aux quatre coins et lacée sur les petits côtés. Les cheveux sont courts et un peu bouclés sur le sommet de la tète et sur le front, assez longs et roulés sur les oreilles et sur la nuque. A part une légère avarie subie par le nez, la tète est bien conservée et ne manque pas de noblesse. Le personnage est couvert d'une cotte de mailles, dont les manches s'élargissent vers le bas où existe un repli, qui semble avoir été destiné à préserver les mains ; le cou est nu, mais on voit sur les épaules un capuchon de mailles, que l'on relevait sur la tète et qui protégeait même le menton. La cotte de mailles est en grande partie cachée par une cotte de drap nommée haubert, très-ample et descendant jusqu'au-dessous du genou ; les manches du haubert sont elles-mêmes assez larges, et il est serré à la taille par une ceinture, retenue sur le ventre ait moyen d'une grosse boucle; la ceinture supporte une forte épée, dont la pointe a disparu, et dont on ne voit plus guère que la poignée, l'épée étant
masquée presque totalement par un écu ou bouclier de forme ogivale, qui est suspendu au bras gauche au moyen d'une courroie et chargé de deux saumons adossés. Les jambes et les pieds sont garnis de mailles ceux-ci étaient anciennement munis d'éperons qui ont été brisés, et dont on voit encore les courroies, tout-a-fait pareilles à celles que nous employons pour fixer les crampons, en temps de verglas, avec cette seule différence que la boucle est sur le coude-pied. Les pieds sont appuyés sur le flanc gauche d'un lion accroupi, regardant à droite et placé sur un socle, large de 17 centimètres, haut de 10 et long de 52.
La seconde statue, qui représente évidemment l'épouse du personnage que nous venons de décrire, est exactement dans la même posture, et sa longueur n'est moindre que de 2 cent. La tête repose sur un oreiller non lacé, mais également décoré de glands ; on n'aperçoit qu'un petit nombre de cheveux sur le front, et la figure est encadrée dans une guimpe et une coiffure plissée, sur laquelle est jetée une seconde coiffure, ou pour mieux dire un petit voile tombant sur les épaules. La statue est vêtue d'une robe longue, montante et à manches tellement collantes, que l'on remarque, aux avant-bras, une série de petits boutons qui permettaient à la manche de. s'ouvrir pour laisser passer le poignet ; au-dessus de cette robe existe une tunique, décolletée, descendant jusqu'à mi-jambes, et à manches larges, ornées d'une espèce de noeud au rentrant du coude. Un manteau descendant jusqu'aux talons, mais sans ampleur, complète le costume de la comtesse le manteau est retenu sur la poitrine, au moyen d'une espèce de courroie décorée de houppes. Les pieds, chaussés de souliers, s'appuient sur le flanc droit d'un chien, regardant à gauche, à moitié brisé, et placé sur un socle.
Nous nous tairons sur la valeur artistique de cette dernière figure, car elle est trop mutilée pour que l'on puisse l'apprécier en connaissance de cause ; mais le lion qui soutient les pieds du chevalier est d'un assez bon travail, meilleur peut- être que celui des deux grandes statues, dont la pose et les traits laissent quelque chose à désirer, quoique les draperies soient réellement d'un excellent style.
Nous ferons le même éloge de la plupart des statuettes remplissant les vingt niches ogivales qui garnissaient primitivement les deux côtés du tombeau, et qui sont aujourd'hui disposées de la manière suivante : cinq aux pieds, dix sur le flanc droit et cinq à la tête. Chacune des niches est large de 21 centimètres elles sont assez profondes, séparées l'une de l'autre par un simple filet formant archivolte, et les statuettes, hautes d'environ 44 c., sont un peu engagées dans la pierre.
Comme il est difficile, pour ne pas dire impossible, de savoir dans quel ordre étaient autrefois placés les quatre panneaux (contenant chacun cinq niches) qui ornent le tombeau, nous suivrons, en les décrivant, le rang qu'ils tiennent depuis qu'ils ont été apportés à Nancy, et nous commencerons par celui qui avoisine les pieds des statues.
1° Un ange, agitant un encensoir. Il a les pieds nus, les cheveux assez longs, et ses grandes ailes sont figurées par un simple trait sur les deux parois de la niche ;
2° Saint Jean l'évangéliste, imberbe, pieds nus, tenant un livre de la main droite, et ayant la gauche étendue sur la poitrine ; il est caractérisé par un dragon et un aigle qui sont sculptés au-dessus, à droite et à gauche, dans les surfaces triangulaires qui séparent les archivoltes ;
3° Saint Mathieu (?), portant de la gauche le livre de l'Evangile, et de la droite un objet qui a disparu; le saint évangéliste nous semble caractérisé par une tète d'homme ou d'ange qui le surmonte ; nous devons, du reste, avertir que la statuette est imberbe ;
4° Un apôtre barbu, avec un livre dans la main gauche il tenait de l'autre main un objet qui n'existe plus d'où il résulte que nous nous trouvons dans l'impossibilité de déterminer le saint que la statuette représente ;
5° Saint Barthélemy, barbu, ayant dans la main gauche un livre, et dans la droite le coutelas qui servit, dit-on, à l'écorcher vif ;
6° Saint Christophe (?), imberbe, tenant l'enfant Jésus sur le bras gauche et soutenant de la droite une espèce de tronc d'arbre, que mord un dragon, sur lequel le saint pose le pied droit ;
7° Un apôtre, tenant d'une main son manteau et de l'autre un livre ;
8° Un autre apôtre, portant un livre, comme le numéro 7, et bénissant de la main droite ;
9" Un autre apôtre, à peu près semblable ;
10° Un autre apôtre, peu différent ;
11° Saint Pierre, avec une forte barbe et des cheveux crépus il a dans la main droite un livre, et dans la gauche une énorme clé ;
12° Saint-Paul, un peu chauve; livre dans la main droite, glaive dans la gauche ;
15° Saint Jacques-le-Majeur, avec une longue barbe et en costume de pèlerin dalmatique et grand chapeau sa main gauche tient un bourdon ;
140 Un apôtre pareil aux numéros 8, 9 et 10. ;
15° Un ange semblable au numéro 1 ;
16° Saint Jean Baptiste, couvert d'un manteau de poil de chameau, les jambes nues la tête est rompue, ainsi qu'une partie du torse, ce qui n'empêche pas de voir que le saint portait un agneau sur le bras gauche ;
17° Sainte Catherine, vêtue d'une robe longue ; elle a les cheveux répandus sur les épaules; sa tète est ceinte d'un diadème ayant de l'analogie avec une couronne ducale; son pied gauche repose sur un globe, figurant le monde dont elle méprisa l'empire ; elle soutient sur le bras gauche la roue qui devait la faire périr, et de la droite le glaive avec lequel elle eut la tête tranchée. Sous la pointe du glaive se trouve la tête couronnée de l'impératrice que, d'après la légende dorée, Catherine aurait convertie, et que l'empereur Maxence aurait punie du même supplice
18° Un personnage avec le costume épiscopal robe longue, tunique, chape, mitre et crosse ; les manches de la tunique sont très-amples, et la chape relevée sur les bras; nous serions assez porté à reconnaître ici l'évêque de Myre, saint Nicolas, dont le culte était fort répandu en Lorraine ;
19° Saint Georges, avec une armure identique à celle du personnage couché sur le tombeau ; son capuchon de mailles est relevé, et le saint porte sur la tète un casque en forme de calotte; son écu est pendu au ceinturon et timbré d'une croix latine (selon l'usage); saint Georges a la main gauche appuyée sur le bouclier et la droite sur une lance ; au-dessus, à gauche et à droite, deux dragons rappelant le combat et la victoire du héros chrétien
;
20°. Un ange pareil à ceux que nous avons décrits.
Les surfaces triangulaires qui séparent les autres archivoltes sont occupées par divers ornements, tels que des espèces de masques, des trèfles, des fleurons, etc.
Il est bon d'ajouter que l'on ne voit aucune trace de nimbes autour de la tète des divers personnages.
Nous n'avons pu déterminer plusieurs des apôtres qui décorent le tombeau de Saint-Sauveur, parce que, à l'époque où il a été sculpté, on n'avait pas encore l'habitude de placer dans la main de chacun d'eux des attributs propres à les faire reconnaître ; mais la nudité des pieds, la robe longue, le manteau et le livre empêchent de les confondre avec d'autres bienheureux.
Il nous resterait, pour terminer cette note, à indiquer les noms des deux personnages couchés sur la table. La tradition et l'écu timbré de deux saumons suffisent pour nous engager à affirmer que les statues représentent un comte et une comtesse de Salm mais lesquels ? Le style du monument indique que ce dernier a été exécuté vers le milieu du
XIVe siècle et si on admettait cette hypothèse, on pourrait croire que le tombeau de Saint-Sauveur conservait les restes du comte Jean II, mort en 1351, et de son épouse Marguerite de Chiny néanmoins, c'est le cas de dire, avec un ancien auteur :
« Toutesfois n'en mettrois-je mon doigt au feu. »
AUG.
DIGOT.
(1) La proportion est, comme on voit, un peu plus forte que nature.
|