Alphonse Dedenon - Histoire du Blâmontois dans les temps modernes

La tombe du curé Mengin est toujours l'un des plus beaux monuments du cimetière de Blâmont, signé "Jn Bte GOEURY aîné à Sarrebourg" :

Notice biographique sur M. l'abbé Litaise
Impr. de Raybois (Nancy) - 1842

NOTICE BIOGRAPHIQUE SUR L'ABBÉ LITAISE.

Pierre Litaise, né à Thiaville le 1er août 1760, commença ses études au séminaire de Tout et les termina au séminaire de Nancy en 1785. Il eut pour condisciples les respectables abbés Antoine, avec lesquels il conserva, tant qu'ils vécurent, les rapports de la plus constante amitié. Placé comme vicaire à Blâmont, il sut bientôt se concilier l'estime et l'affection de tous les fidèles. Plusieurs se souviennent encore de l'avoir vu souvent traverser la ville, allant où l'appelaient les devoirs de son ministère, suivi d'un cerf et d'une biche apprivoisés qui l'accompagnaient partout, comme aurait pu le faire le chien le plus fidèle. Ses supérieurs ecclésiastiques avaient tant de confiance dans ses talents et ses connaissances, qu'ils le chargèrent quelquefois de faire subir l'examen théologique à ceux qui devaient recevoir les ordres sacrés A l'époque de notre désastreuse révolution, il refusa de prêter serment à la constitution civile du clergé, et se retira en Belgique. Les armées françaises ayant pénétré dans le pays, il fut reconnu, arrêté et menacé de la peine capitale. Pendant que ses gardes rédigeaient le procès-verbal de son arrestation, il se promenait dans la chambre, et entr'ouvrait peu à peu la fenêtre jusqu'à ce qu'elle lui fournît une issue pour s'échapper, et il s'enfuit dans une forêt qui était proche; on le poursuivit sans pouvoir l'atteindre; il était monté sur un arbre où il passa la nuit. Le lendemain, comme il s'aventurait sous la seule garde de Dieu, de pieux chrétiens l'accueillirent, et lui fournirent l'hospitalité, tant que dura la tourmente révolutionnaire. Il se mit à travailler comme saint Paul, de ses propres mains, à faire des corbeilles d'osier pour se procurer le pain de chaque jour, qu'il partageait encore avec, ses confrères plus malheureux que lui. Au rétablissement du culte, il rentra en France et fut nommé curé de Brouville qu'il n'a cessé d'administrer jusqu'à sa mort, c'est-à-dire l'espace de 40 ans. Par suite de la pénurie de prêtres, il se trouva chargé pendant plusieurs années de quatre ou cinq paroisses qui renfermaient sept ou huit villages. Nous l'avons vu souvent sortir de son presbytère à la pointe du jour pour courir tous ces villages, administrant les sacrements, visitant les malades, portant partout les consolations de son ministère, et ne rentrant chez lui que bien avant dans la nuit et accablé de fatigue, ne prenant de repos que ce qui lui était nécessaire pour recommencer le lendemain les mêmes travaux. L'autorité ecclésiastique voulut, pour sa tranquillité, le placer dans une paroisse plus facile, et le nomma curé d'Herbéviller, où M. de Fage et sa famille, dont il avait gagné toute l'estime, désiraient vivement le posséder. Mais il ne put se résoudre à quitter ses affectionnés paroissiens de Brouville et de Reherrey son annexe, et jusqu'à l'âge de 81 ans, il a rempli son double office avec un zèle qui ne s'est jamais ralenti. Charitable, doux, affable, poli, il a reçu et mérité pendant sa vie le beau surnom d'ami des hommes. Il suffisait de l'avoir vu, de lui avoir parlé pour lui vouer un attachement sincère et un dévouement sans bornes. Les hommes du monde les plus distingués par leur naissance, leur éducation, le rang qu'ils occupaient dans là société, savaient apprécier en lui cette urbanité exquise qui disparaît chaque jour du milieu de nous et cultivaient son amitié. Aimer, obliger, faire du bien, était sa passion, sa vie (1). Que de services il a rendus, que d'affaires mauvaises il a conduites à bonne fin, par l'appui et le concours de ses nombreux amis qui saisissaient avec empressement ces occasions de lui donner des témoignages de leur vive affection. Ses lettres inimitables remplies de sentiments si affectueux et si vrais, d'un style simple mais correct, ont révélé toute son âme aimante. Un de ses élèves, ou plutôt de ses enfants, me disait de lui avec raison : «  Si l'homme est surtout grand par le coeur, qui jamais valut mieux que lui? (2).»
Pour récompenser toutes ses vertus, on songeait à le nommer chanoine titulaire de la cathédrale de Nancy. Mais on sut qu'il ne consentirait jamais à quitter ses paroissiens et qu'il voulait mourir au milieu d'eux. Il fallut donc se borner à lui accorder le titre de chanoine honoraire. Les membres de la conférence ecclésiastique dont il était président, voulurent, en cette circonstance, lui donner une preuve de leur affection toute filiale, et lui firent présent du camail qui devait bientôt décorer son cercueil. Il était le guide spirituel de la plupart d'entre eux, et tous l'aimaient comme un père. Aussi ont-ils versé des larmes, abondantes, lorsque son vieil et tendre ami, M. Delagoutte, curé de Bertrichamp, redisait avec une voix entrecoupée de sanglots, ses qualités et ses vertus, le jour de ses funérailles, à tous ses paroissiens réunis et aux fidèles des paroisses voisines accourus pour rendre le dernier devoir à celui qui les avait tant aimés. Il a terminé sa longue carrière sacerdotale avec les plus vifs sentiments d'humilité et de confiance en Dieu, et a vu arriver la mort sans frayeur. Nous espérons qu'il aura trouvé miséricorde, parce qu'il s'est montré lui-même miséricordieux; et s'il n'a pas
été en tout un saint François de Sales, il a su du moins conserver parmi son peuple les pratiques de la foi chrétienne, ce n'est pas peu de chose pour les temps où nous vivons (3).

(1) Un seul trait suffira pour montrer l'étendue de sa charité. Un jour d'hiver, que le froid faisait sentir toutes ses rigueurs, le fils du concierge de la prison de B. le reconduisait chez lui vers dix ou onze heures du soir. La conversation tomba sur les souffrances des prisonniers, et le conducteur lui ayant dit que parmi eux se trouvait un homme qui était presque nu. M. Litaise lui donna l'argent qu'il avait sur lui avec une partie de ses vêtements, le renvoya porter ces secours à ce mai heureux, et fit le reste du voyage à pied.
(2) Je viens de parler de ses élèves, car il trouva le temps, malgré ses nombreuses occupations, de donner les premiers éléments des sciences à plusieurs jeunes gens, pour qui sa mémoire sera toujours bénie. Je nommerai entre autres M. Thouvenel, son neveu, notaire à Blâmont, homme discret, prudent et probe, et bon catholique; M. Lamy, non moins recommandable, vérificateur de l'enregistrement et des domaines à Remiremont; M. Laurent, licencié es lettres, professeur au collège de Colmar ; M. Lamy, frère du précédent, curé de Rhotau qui a refusé le supériorat du petit-séminaire de Châtel; M. l'abbé Gridel, professeur de théologie au séminaire de Nancy.
(3) M. l'abbé Litaise a été fait minoré le 19 avril 1783; sous-diacre le samedi saint 1784 ; diacre le samedi saint 1785; prêtre le 24 septembre 1785 à Saint-Dié.

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