Études historiques et critiques, ou Mémoires pour servir a l'histoire de Baccarat
Charles Mangin - 1861
La duchesse Christine en épousant le prince François avait reçu en don de la part de son beau-père, le bon duc Antoine, la rente annuelle de 15,000 livres tournois à prendre sur les seigneuries de Blâmont et de Deneuvre. Mais à la mort de son mari, ces deux terres lui furent données en douaire, à condition toutefois qu'elle entretiendrait en bon état les châteaux, maisons seigneuriales et autres monuments qui s'y trouvaient. [...]
Christine qui habita le château de Deneuvre à peu près une année, abandonna cette ville qui lui rappelait de si douloureux souvenirs, pour se rendre à Blâmont ; mais elle n'y termina pas ses jours. Comme la régence de la Lorraine lui avait été enlevée par le roi de France, Henry II, cette princesse se réfugia en Flandre, craignant le sort de son fils aimé Charles III qui lui avait été enlevé par ce monarque. Nous allons citer un règlement qui fut rédigé par son ordre en son château de Blâmont, et qui concernait tous les habitants de son douaire. Cette loi somptuaire produite
par les circonstances, fut mise en vigueur en 1587 pour porter remède autant que possible aux maux qu'enduraient les habitants, en proie aux horreurs de la famine.
« La chéreté excessive des vivres, notamment du pain et du vin, provenant de l'avarice et malice débordée des hôtelliers, taverniers et cabaretiers, et de la continuelle fréquentation dans leurs hôtelleries, tavernes et cabarets par les débauchés, et par les gourmandises et yvrogneries qui s'y commettent journellement ; voulant remédier à ces maux :
« Il est défendu aux cabaretiers, hôtelliers et taverniers de recevoir, de loger et de traiter aucun individu quelqu'il soit du domaine de Blâmont; ils pourront toutefois loger les étrangers voyageant pour leurs affaires et leur négoce. Défense est faite à tous les particuliers d'aller prendre leurs repas, boire ou manger dans les hôtelleries et cabarets. Il est ordonné à ceux qui fréquentent les foires et marchés des villes et des villages distants d'une lieue ou deux de leurs domiciles, de partir aussitôt après la tenue des dites foires et marchés et de ne pas s'arrêter dans les hôtelleries, tavernes et cabarets. Sont prohibés tous banquets de fêtes annuelles des villes et des villages, et des paroisses, les banquets de fiançailles, épousailles, nopces, baptêmes, obits et enterrements. Cependant » pour les fêtes de nopces et fiançailles, les pères et mères et autres parents peuvent s'assembler au nombre de trente-six s'ils ont la qualité de Nobles, ou d'Officiers de justice supérieurs ; si, bourgeois, marchands, officiers de justice inférieurs, au nombre de vingt-cinq; si, artisants, gens de métiers, valets et chambrières et manans jusqu'au nombre de douze, sans compter le marié et la mariée, etc. »
Mais il était ordonné que les repas se fissent dans la maison des mariés, ou de leurs pères et mères, ou parents, et même dans celle d'un voisin ou d'un ami, et non, sous peine d'amende dans une auberge ou hôtellerie. Ce moyen de parer à la famine figurerait très-bien à côté des utopies de la plupart des économistes modernes. Par ce beau règlement la duchesse Christine qui voulait donner du pain à tous ses sujets, l'ôtait à quelques-uns et n'en donnait à personne. Mais tel était le bon plaisir de cette ancienne douairière de Deneuvre dont le nom est à peu près inconnu à mes compatriotes.
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