Journal de la Société d'archéologie et du comité du Musée lorrain
1883
TESTAMENT D'HENRI, FILS AINÉ DU PREMIER COMTE DE
SALM-EN-VOSGE.
Dans l'un des derniers numéros du Journal, notre confrère et ami, M. Léon Germain, a commis une erreur que nous lui demandons la permission de rectifier. S'appuyant. sur l'autorité de Dom Calmet
(1), dont il n'ignore cependant, pas plus que nous, les inadvertances, il attribue à Hermann, fils de l'anti-césar Hermann de Luxembourg, la qualification de premier comte de
Salm-en-Vosge. En établissant cette classification, Dom Calmet et M. Germain n'ont malheureusement pas tenu compte d'un renseignement fourni par le chroniqueur Richer de Senones, et que l'on ne saurait pourtant pas négliger. Au chapitre XXVIII du livre IV de sa Chronique de Senones, Richer nous indique fort exactement l'époque de la construction du château de Salm-en-Vosge. « Cujus tempere, dit-il en parlant du comte que M. Germain appelle Henri II, castellum in Brusca valle in fundo hujus ecclesie, quod Salmis dicitur, tempore dicti abbatis Henrici constructum est; quod nomen a quodam castro quod in territorio Ardene situm est, unde idem cames et predecessores sui orti sunt, accepit
(2). » N'oublions pas que Richer était, comme il a soin de nous le dire, le contemporain de cet abbé Henri
et du comte Henri de Salm. Nous ne pouvons, dès lors, récuser son témoignage, au sujet de faits dont il a été le témoin. Il résulte du passage que nous venons de citer: 1° que le château de Salm-en-Ardenne a précédé le château de Salm-en-Vosge, ce que Dom Calmet semble avoir ignoré, ou tout au moins méconnu, car sa notice est fort peu explicite sur ce point
(3) ; 2° que le château de Salm-en-Vosge a été construit au temps de l'abbé Henri, et que son nom lui a été donné en souvenir de la forteresse luxembourgeoise. Or, d'après Dom Calmet lui-même
(4), l'abbé Henri a gouverné l'abbaye de Senones de 1205 ou 1206 à 1225. C'est donc dans le premier quart du XIIIe siècle que le château de Salm-en-Vosge fut élevé, et son constructeur est le premier dynaste que l'on puisse qualifier de comte de Salm-en-Vosge. Nous connaissons d'ailleurs les liens étroits qui le rattachaient à la Lorraine: il avait épousé Joatte, fille de Ferri de Bitche et soeur du duc Ferri II. Il en eut deux fils: Henri et Ferri; le premier continua la race des comtes de Salm-en-Vosge ; le second fut l'auteur de la branche des sires de Blâmont.
Il nous a été donné de retrouver, l'an dernier, aux Archives, le testament de l'aîné de ces fils; mais, avant de le publier, indiquons, toujours d'après Richer de Senones
(5), quelques-uns des traits de son caractère, quelques-unes des particularités de sa vie. C'était un terrible voisin pour l'abbaye que cet Henri de Salm, ou de Deneuvre. Ambitieux à l'excès, car, malgré sa jeunesse, il aspirait à l'Empire, batailleur et criblé de dettes, il opprimait les églises, s'emparant, autant qu'il le pouvait, de leurs biens. Un jour, l'abbé Vidric, successeur de l'abbé Henri, vint le trouver, lui demandant certaines restitutions. Henri se mit en colère et, prenant à témoin saint Nicolas, dans la chapelle de qui ils se trouvaient, au château de Deneuvre
(6), dit à l'abbé qu'avant la Saint-Remy, il l'inquiéterait tellement qu'il vaudrait mieux pour lui être au-delà de la mer, sans espoir de retour. Vaines menaces, ajoute Richer
de Senones: Dieu permit qu'aux approches de la Saint-Remy, Henri, dont certains breuvages empiriques avaient déjà altéré la santé, se trouva plus malade et fut obligé de s'aliter. Il ne devait pas se relever. Quelques jours après, sa mère, le croyant mort, le fit porter à Haute-Seille, où il fut inhumé. Mais, la nuit suivante, on entendit des gémissements sortir du sépulcre, et, le matin, lorsqu'on l'ouvrit, on trouva Henri la face tournée contre la terre: il avait été enseveli vivant. C'est ainsi, ajoute en terminant Richer de Senones, que Dieu confond le superbe.
Tout ceci semblerait. un conte inventé à plaisir, si nous n'avions, pour le corroborer, le testament suivant, qui repose justement dans le fonds de Haute-Seille, et est daté du lendemain de la Saint-Mathieu 1228 (neuf jours avant la Saint-Remy). Comme on le voit en parcourant ce document, Henri, préoccupé de la justice de Dieu, cherchait, en le dictant, à réparer par ses aumônes le mal qu'il avait fait aux abbayes.
« Noverint universi presentem paginam inspecturi quod, quando dominus Henricus, comitis Salmorum primogenitus, in agone mortis vexabatur, suam ita divisit elemosinam, disposuit et ordinavit.
Dedit etenim ecclesie Alte Silve (7) molendinum de Brucque (8), et pratum, et census, et alodium integraliter, et nichil in eodem sibi retinuit alodio.
Dedit etiam domui Salinevallis (9) molendinum quod quondam acquisivit versus eamdem domum; ecclesie vero Senoniensi (10), quicquid hahebat in molendino de Tonbelennes (11).
Contulit etiam, de sensibusterre sue de Danubrio (12), ecclesie de Murvavile (13) Vlll° solidos tulensium, ad lanpadam edificandam, et, de eisdem sensibus, domui
Sancti Salvatoris (14) VIII°, ad lanpadam ediflcandam, in puram et perpetuam elemosinam.
Ipse etenim dominum Albricum de Roseriis (15). et hostagios suos a captions sua aquictavit, excepta redditione quarumdam litterarum quant idem Albricus debet facere comiti
de Salmis.
Hec autem, laude et assensu patris sui, comitis H[enrici] et J[oatte], matris sue, necnon et uxoris sue Margarethe (16) et F[errici], fratris sui, acta sunt et fuerunt.
Hujus rei testes sunt : Petrus, sacerdos de Blanmont (17), et Sygardus, Wirricus li Vogiens, Galterus de Ylneis (18), Gerardus de Herbeviler (19), Johannes Platemuse, Bonus Valletus, Matheus, Pelerinus de Morehenges (20), Henricus de Monte. Ne. quis autem istud incredibile putet vel suspicetur, ego H. comes do Salmis, et H., filius meus, et M., uxor sua, presens scriptum sigillorum nostrorum impressione fecimus
communri.
Acta sunt hec in crastino Mathei, apostoli, anno Domini M° CC° XXVIII°, mense septenbris. »
Original, qui était autrefois scellé de trois sceaux, Arch. de Meurthe-et-Moselle, H. 601.
L. DE M.
(1) Histoire de Lorraine, 1re éd., t. I, Prélim., col,
CCIX.
(2) Richer, gesta Senon. eccl., ap.. Pertz, Monum. Germ. hist., Script., t. XXV, p. 316.
(3) Après avoir déclaré qu'Hermann est la tige des comtes de Salm-en-Vosge, Dom Calmet fait remarquer que de son temps, c'est-à-dire au commencement du XIIe siècle, il n'y avait point, en Vosge, de terre, ni de comté, ni de château de Salm.
(4) Hist, de l'abbaye de Senones, dans les Documents de l'Histoire. des Vosges publiés par MM. Chapellier et Gley, t. V, pages 96 et suivantes.
(5) Loc. cit,
(6) « Eramus quippe in capella sancti Nicholai cum eo », dit Richer de Senones, qui prouve, par ces mots, qu'il assistait à la scène.
(7) Haute-Seille, abb. de Cisterciens.
(8) La Broc, aujourd'hui Hellocourt.
(9) Salival, abb. de Prémontrés.
(10) Senones, abb, de Bénédictins.
(11) Tomblaine.
(12) Deneuvre.
(13) Mervaville, prieuré de Bénédictins dépendant de l'abbaye de Senones.
(14) Saint-Sauveur-en-Vosge, abb. de chanoines réguliers, dep. transférée à
Domèvre.
(15) Rosières.
(16) Du Chesne, dans son Histoire de la Maison de Bar, appelle la femme d'Henri de Salm Sibylle, Fahne (Gesch. der grafen zu, Salm) lui donne le nom d'Adèle. En réalité, nous le voyons, elle se nommait Marguerite; elle était issue, dit Richer, de stirpe comitis Barrensis. De son mariage avec le fils aîné du comte de Salm, elle eut un fils Henri II, comte de Salm-en-Vosge, qui, vers 1242, épousa Lorette, fille du comte Henri de Castres et d'Agnès
de Sayn.
(17) Blâmont.
(18) Igney.
(19) HerbéviIler.
(20) Morhange.
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