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Protestation contre la vente des biens ecclésiastiques - 1790


Collection ecclésiastique: ou, Recueil complet des ouvrages faits depuis l'ouverture des états-généraux relativement au clergé, à sa constitution civile, décrétée par l'assemblée nationale, sanctionnée par le roi.
Dirigée par M. l'abbé Barruel, auteur du Journal Ecclésiastique.
1791

Déclaration de M. l'évêque de Nancy, député de Lorraine, sur les décrets de l'assemblée nationale des 2 novembre 1789, 19 décembre 1789, 13 février et 17 mars 1790, par lesquels :
1°. Elle déclare que les biens ecclésiastiques sont à sa disposition.
2°. Elle ordonne leur vente jusqu'à concurrence de quatre cent millions.
3°. Elle supprime les ordres religieux.
4°. Elle confie aux municipalité la vente des biens ecclésiastiques.

Le soussigné, député de Lorraine, pour les bailliages de Nancy, Lunéville, Rozières, Nomeni, Blâmont et Vezelise, considérant que la fidélité due à son serment, l'intérêt de la religion et la loi de l'honneur, auxquels rien ne le fera jamais déroger, lui imposent l'obligation de défendre, avec une fermeté inébranlable, les droits qui lui ont été confiés, et de manifester sa constance et son zèle à remplir ce devoir sacré, s'est déterminé à faire imprimer la présente déclaration, pour qu'elle soit du moins un monument authentique, qui le justifie aux yeux de la Lorraine qui l'a député, de la nation entière à qui il doit compte de sa conduite, et de la postérité impartiale qui jugera, sans passion, et comme ils l'auront mérité, tous les membres de l'assemblée nationale et toutes leurs opérations.
Fondé sur les dispositions précises des six cahiers dont il est porteur, lesquelles lui défendent expressément «  de voter ni de consentir, en quelque manière que ce puisse être, aucune atteinte à aucune propriété, soit laïque, soit ecclésiastique ; » il déclare qu'il n'a pris et ne prendra aucune part aux décrets de l'assemblée nationale des 2 novembre, 19 décembre, 13 février et 17 mars derniers, ni à tout ce qui pourroit s'en être suivi ou pourroit s'en suivre; qu'il a fait au contraire tout ce qui étoit en son pouvoir pour empêcher qu'ils ne fussent portés. Ses motifs ont été et sont:
1°. L'ordre précis de ses commettans, et l'incompétence de l'assemblée nationale, qui n'a reçu, directement ni indirectement de la nation, aucun droit de s'approprier, de dénaturer et d'anéantir le patrimoine et les propriétés sacrées des églises.
2°. le respect dû aux fondations. Les fondations ont été un contrat synallagmatique entre le fondateur et la partie acceptante. L'un a proposé et stipulé des charges et conditions ; l'autre les a acceptées. Bien loin qu'aucune clause ait mis ces fondations à la disposition de la nation, tous les actes, au contraire, portent ces expressions péremptoires: «  pour demeurer a toujours et être chose irrévocable. » Ces actes ont été faits sous l'autorité, la sanction et la garantie de la loi, et par conséquent de la nation. Tout ce qui irriteroit le contrat, compromet la foi jurée au nom de la nation, le respect dû aux fondations, et la fidélité à les remplir, qui doit être inaltérable.
3°. L'inviolabilité des acquisitions. Les acquisitions des églises ont été faites à prix d'argent, comme celles des autres citoyens, très-souvent même des deniers patrimoniaux des gens d'église. Elles ont été, comme elles, soumises aux formalités établies par la nation pour assurer leur solidité. Le consentement même de la nation a été en quelque sorte acheté et payé par l'acquit des droits de nouvel acquet, amortissement, etc. En conséquence la nation a renoncé, pour toujours, même au plus simple appel de finance sur ces biens.
4°. La nécessité de conserver les biens-fonds, affectés à l'entretien du culte, des églises, des ministres, et au soulagement des pauvres. Autrement le service du culte, l'entretien des églises, la subsistance des ministres et des pauvres, se trouveroient, comme trop souvent les autres services publics, exposas à des retards et des suspensions de paiemens, qui ne manqueroient pas de compromettre bientôt l'existence du culte et la religion elle-même.
5°. L'injustice de commuer en un traitement fixe en argent, un revenu qui, assis sur des fonds de terre, suivoit la progression du prix des denrées et la décroissance de la valeur représentative dans le numéraire: d'où il arriverait que, dans un tems donné, aucun traitement ecclésiastique ne seroit plus suffisant, et nécessiterait, de période en période, de nouvelle impositions sur le peuple.
6°. La nécessité de laisser aux pasteurs, dans les campagnes sur-tout, des denrées à distribuer, souvent bien plus nécessaires que de l'argent.
7°. L'intérêt sacré des pauvres auxquels l'assemblée nationale ravirait à jamais un patrimoine dont ils étoient co-propriétaires avec l'église, et qui, du moment où ce patrimoine seroit reconnu n'être plus nécessaire à la desserte du culte, leur appartient tout entier, et ne peut être converti à aucun autre usage.
8°. Les droits particuliers de chaque église et de chaque titulaire. Nulle puissance au monde, pas même celle de l'assemblée nationale, n'a le droit de dépouiller, avant leur décès, les titulaires légitimes des bénéfices; autrement, c'est une injustice sans nom, une invasion barbare, l'abus de la force contre la faiblesse.
9°. Les droits spéciaux et politiques de la province de Lorraine et Barrois. Sa réunion a la couronne, consommée en 1768, après le décès du roi Stanislas, a été stipulée par le traité de Vienne, conclu en 1737 entre l'empereur et les rois de France, d'Espagne et de Naples, respectivement intéressés et garans de l'exécution de tous les articles du traité. Or, l'article XIV porte ce qui suit:
«  Les fondations faites en Lorraine, par S. A. R. le duc de Lorraine ou par ses prédécesseurs, SUBSISTERONT ET SERONT MAINTENUES, tant sous la domination du roi (Stanislas) beau-père de S. M. T. C, qu'après la réunion à la couronne de France.
Or, toute entreprise de l'assemblée nationale sur les biens ecclésiastiques de Lorraine et Barrois seroit formellement contraire à l'article XIV du traité de Vienne, et par conséquent attaqueroit les droits particuliers et politiques de la province.
10°. L'état de détresse de la province de Lorraine. Cette province, qui a déjà tant de peine à payer les impositions actuelles, Vu le défaut de commerce et la disette du numéraire, auroit le malheur de voir vendre, pour payer les dettes de la France, dont une partie est antérieure à sa réunion, tous les biens-fonds ecclésiastiques enclavés dans son territoire, et dont les revenus bien répartis, sont capables d'acquitter toutes les dépenses du culte religieux dans la province, et de pourvoir efficacement au soulagement des pauvres. Après cette vente, elle auroit encore à supporter, pour subvenir à ses dépenses de religion, plusieurs millions d'impositions annuelles, qu'il faudroit ajouter à celles que déja, comme je l'ai dit, il lui est si pénible et si difficile de payer. Cette opération, qui n'est ni juste ni proposable, ruineroit infailliblement la province.
C'est d'après toutes ces considérations que le soussigné a cru devoir à ses commettans de faire la présente déclaration, de l'annexer à l'ouvrage ci-joint, et de la faire connoître à tous ceux qu'il appartiendra.

Fait à Paris ce 28 mars 1790.

A. L. H. évêque de Nancy, député de Lorraine à l'assemblée nationale.


Anne Louis Henri de La Fare (1752- 1829) fut élu député du clergé et siégea aux États généraux de 1789. Après l'approbation de la Constitution civile du clergé, il quitte la France avec l'entrée en vigueur en janvier 1791, s'engage dans la contre-révolution, et ne rentrera en France qu'en septembre 1814.

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