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La Lorraine dévastée
Paul Fiel (1879-1939)


Bulletin de la Société de géographie d'Alger et de l'Afrique du Nord
1925

LA LORRAINE DEVASTÉE

La Lorrain a été souvent le champ de bataille de l'Europe; elle le dut d'abord à ses conditions politiques, à son indépendance qu'elle a gardée jusqu'à la veille de la Révolution de 1789, et ensuite à sa situation géographique qui la place directement en face de l'Allemagne. Sans parler du département de la Moselle précédemment annexé comme terre d'Empire et occupé depuis 1870 par les armées prussiennes, les départements de Meurthe et Moselle de la Meuse et des Vosges étaient en 1914 comme les sentinelles Est de la France,
Sentinelles pacifiques comme ceux qui ont vécu dans le souvenir des horreurs de la guerre, mais dont le patriotisme ardent s'alarma plus d'une fois quand la France poussa le souci de la paix jusqu'à négliger de mettre son organisation militaire en harmonie avec celle de ses belliqueux voisins.
L'Allemagne, c'est-à-dire la force brutale a été vaincue : mais au prix de quels sacrifices fut payée cette victoire ! Quinze cent mille morts ! c'est le tribut de toute la nation! Des milliers de civils massacrés, des centaines de prêtres fusillés sous prétexte qu'ils étaient «  l'âme de la résistance », tel est le martyrologe des dix départements envahis. C'est le tableau d'honneur de ceux que la France honore comme de saintes victimes. Après avoir déposé sur leurs fronts glacés le baiser de la reconnaissance, la Patrie en larmes a gravé leurs noms sur le marbre et le bronze de ses monuments autour desquels les générations à venir viendront se recueillir et puiser de grandes leçons,
L'armée allemande se mit en campagne avec des méthodes de violence et de terreur qu'elle appliqua férocement pendant les premières semaines de la guerre. Malheur aux régions qui furent envahies dès le mois d'août ! Ce fut le sort de la Belgique et de la Lorraine !
La commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens a fait un rapport impartial et incontesté sur les atrocités qui constituent le plus horrible des calvaires. Naguère M. Lebrun, ancien ministre du Blocus et des Régions libérées, faisait frémir ses collègues du Sénat en lisant des extraits de ce rapport officiel, concernant le département de Meurthe- et-Moselle, à Nomeny, Gerbéviller, Longuyon, Chesnières, Cutry, Doncourt, etc. Ce document devrait alimenter une vaste propagande qui rappellerait au monde entier de quel prix a été payée la victoire du droit et de la justice.
A côté de ces pertes irréparables c'était le dévastation la plus complète. Pour les habitants de ces régions jadis si prospères, la guerre aux ruines allait succéder à celle des champs de bataille,
Quand le clairon de l'armistice imposa silence à la voix du canon, quand l'ennemi terrassé quitta nos plaines et nos vallées, le ravage du front de combat apparut dans toute son horreur. Des villes et des villages entiers complètement démolis ; le sol bouleversé par des galeries, des abris souterrains ou des trous d'obus, les routes et les chemins impossibles à retrouver : pour tout horizon les arbres décapités et semblant implorer la pitié : telle est l'effroyable rançon dont la France payait une guerre barbare qu'elle avait tout fait pour éviter.
La ville de Nancy, bien que située en dehors de la zone de combat n'échappa pas aux horreurs et aux destructions barbares. Durant les quatre années de guerre elle a reçu 1.200 projectiles de tout calibre et de tout modèle, depuis le modeste obus de 105 et le colossal 880 jusqu'à la petite bombe incendiaire et à la monstrueuse torpille aérienne contenant deux quintaux d'explosifs. Cent vingt civils ont été tués et plus de trois cents blessés. Cent maisons furent détruites et plus de six cents gravement endommagées.
Tout a été dit sur le malheur des régions dévastées et leur reconstitution a été envisagée sous les aspects les plus variés; jamais l'activité humaine n'a été sollicitée pour une tâche aussi gigantesque.
La reconstitution des régions atteintes par les événements de la guerre est garantie par la loi du 17 avril 1919; comme toute oeuvre humaine, cette loi n'est pas parfaite, toutefois l'expérience permet de la considérer comme un instrument suffisant pour réparer les dévastations de la guerre. Le sinistré a fait la déclaration de ses dommages qui ont été évalués par des commissions cantonales sur la base de la valeur en 1914 du lieu détruit par faits de guerre, avec un coefficient de majoration pour le remploi. Les dommages déclarés par le sinistré sont évalués par des commissions cantonales dont les membres sont nommés par le Ministère de la justice. Par définition ces organismes sont complètement indépendants et ne doivent avoir d'autres directives que la loi elle-même; toutefois l'Etat, qui devra payer les sommes allouées par la Commission y est représenté par un agent administratif et une décision ne devient définitive qu'après conciliation de la Commission de l'Etat et du sinistré. En cas de refus d'une des parties, le dossier est transmis au chef-lieu de l'arrondissement à un tribunal spécial des dommages de guerre, dont on peut encore appeler à la Commission supérieure des dommages qui, somme toute, est une section de la Cour de Cassation. Le travail d'évaluation est à peu près terminé dans le département de Meurthe-et-Moselle, il ne reste plus guère que des dossiers industriels représentant toutefois des sommes considérables. Dans les cas exceptionnels où l'exercice de ces différentes juridictions a laissé à désirer, ce fut rarement à l'avantage du sinistré.
Tout en préparant leurs dossiers de déclarations de dommages les sinistrés rentrèrent dans leurs ruines. Fidèle à sa promesse de rendre leur fertilité aux sillons sanctifiés par le sang de nos héroïques défenseurs et de réparer les régions ravagées, le Gouvernement français encouragea et facilita le retour des évacués. Le Service des travaux de première urgence installa des baraques provisoires pour les habitants, pour les exploitations agricoles et pour le rétablissement de la vie municipale, religieuse et scolaire. Sous l'égide de la Croix Rouge des comités alimentés par des subsides officiels et la générosité américaine, assurèrent le ravitaillement des malheureux que la guerre avait privés de tout.
Par l'opiniâtreté de son labeur et la seule force de ses bras, le paysan pouvait remettre en état ses terres ravagées; grâce aux avances de l'Etat, il pouvait en attendant le règlement définitif de ses pertes, reconstituer son cheptel et son matériel et se procurer un mobilier sommaire. Mais en face des villages en ruines, les plus audacieux étaient désemparés. Tandis que l'industriel pouvait par lui-même ou par son personnel technique transformer en locaux ou en outillage les avances de l'Etat, le cultivateur, l'artisan et le petit commerçant ne trouvaient ni matériaux ni main-doeuvre pour relever leurs habitations, Les entrepreneurs hésitaient à s'engager, à installer des chantiers, à faire des approvisionnements sans savoir quelle serait l'importance des travaux. Cette difficulté apparut aux Pouvoirs Publics aussi bien qu'aux particuliers et, simultanément: deux Lorrains, M. Lebrun, ministre du Blocus et des Régions libérées et M. le chanoine Thouvenin, un apôtre de la solidarité sociale, l'un à la tribune de la Chambre des députés, l'autre par des conférences dans les villages dévastés, proposaient comme solution la Coopérative de Reconstruction.
«  L'Union fait la force » ; en donnant confiance aux sinistrés, en garantissant aux entrepreneurs une clientèle importante et en simplifiant la tâche de J'Administration, la Coopérative est devenu la cellule de la reconstruction immobilière. La presque totalité des agglomérations rurales a été rétablie par les Coopératives qui en Meurthe-et-Moselle, sont au nombre de 206 groupant 226 communes.
Les Municipalités se heurtant aux mêmes obstacles que les particuliers pour le relèvement des édifices publics ; sur l'initiative de l'évêque pour les églises, et sur celle du Préfet pour les mairies et écoles, deux coopératives furent fondées. Grâce à l'activité de leurs dirigeants, en moins de deux ans, ces deux groupements ont presque terminé la construction des édifices civils et cultuels.
Pour le seul département de Meurthe-et-Moselle le total des immeubles plus ou moins gravement endommagés s'élevait à 38.000 ; actuellement, sauf pour trois ou quatre cents, dont les travaux sont en cours, ils sont tous réparés. Le chiffre des maisons totalement détruites s'élevait à 11.000. Neuf mille sont déjà reconstruites ; à part deux ou trois localités comme Longwy-Haut, les immeubles qui doivent être rétablis sur place sont à peu près terminés.
La reconstitution industrielle a suivi la même marche et sur 287 usines, 250 sont remises en activité avec un personnel de 65.000 ouvriers. A ce bilan il faut ajouter le déblaiement des immeubles sinistrés soit 2.700 mille mètres cubes, le comblement de 11 millions de mètres cubes de tranchées, l'enlèvement de 50 millions de mètres carrés de fils de fer, la remise en état de 102 mille hectares de terre incultes pendant la guerre, la reconstruction de 154 ponts et de 4.890 kilomètres de routes et chemins vicinaux.
Le total des dommages mobiliers et immobiliers du département représente une somme de 4.705.536 fr. sur lesquels 8.676.953 fr. sont déjà payés.
La partie dévastée de Meurthe-et-Moselle comptait 262 mille habitants en 1914, 97.000 à l'armistice et 250 mille au 1er janvier 1925. La France doit-elle regretter les sacrifices qu'elle s'est imposés quand, à eux seuls, les dix départements dévastés paient 20 % des impôts de tout le pays ? Nous aurions tort de laisser aux générations futures et aux historiens de l'avenir le soin de juger l'oeuvre de la reconstitution. Jamais l'humanité n'a été sollicitée par une tâche aussi gigantesque ; c'est un fait incontesté. Mais l'effort et les résultats de la restauration tiennent du prodige: c'est simple justice de le proclamer. Au lendemain d'une guerre qui avait immolé l'élite de la jeunesse, avec ses seules ressources, par le courage et l'union de ses enfants, la France se substituant à l'injuste agresseur qui devrait expier son crime, a réalisé et financé la reconstitution des régions dévastées. L'étranger sincère l'admire et la loue, tandis que trop souvent le Français la dénigre et la discute. Pendant les premiers temps, alors même que déjà tout reprenait vie, il était de bon ton de rééditer les lamentations du prophète hébreu et de proclamer que les zones de combat restaient dans l'état chaotique où l'armistice les avait laissées. Actuellement, que la population des régions dévastées est presque aussi nombreuse qu'avant la guerre, que d'opulentes moissons ont remplacé les réseaux de barbelés, que le cultivateur a retrouvé son outillage et ses locaux d'exploitation, que les usines sont en pleine production, que dans le seul département de Meurthe-et-Moselle plus de trois cents écoles et mairies et autant d'églises sont reconstruites ou réparées, il n'est plus possible de dire que la France a laissé le sinistré dans son malheur. M. Léon Escoffier, député du Nord, retardait de plusieurs années quand le 27 novembre dernier à la tribune de la Chambre des députés, il déclara que pas une seule école n'était encore reconstruite, tandis que dans le seul département de Meurthe-et-Moselle sur 300 écoles sinistrées, deux seulement ne sont pas terminées; toutes les autres sont occupées par les classes et les maîtres depuis plus d'un an. Sans être plus raisonnable le procès instruit actuellement contre les régions dévastées s'inspire de motifs plus spéciaux. Dans le double souci d'amélioration hygiénique et d'encouragement à l'agriculture, l'Etat, par le corps des ingénieurs du génie rural, sans dépenser davantage que n'attrait coûté la reconstruction sur les plans antérieurs a introduit du confort dans les habitations rurales et les exploitations agricoles. Par de généreuses subventions provenant du Pari Mutuel, le Ministère de l'Agriculture a permis des adductions d'eau qui vont transformer complètement la vie à la campagne. Grâce à des dons des colonies françaises de l'Amérique et des régions de la France non sinistrée ou par des impositions communales, la plupart des villages dévastés ont la lumière et la force électrique. Ajoutez que dans bien des cas un propriétaire qui avait deux maisons a réuni ses deux indemnités pour ne faire qu'un seul immeuble où il a introduit des perfectionnements de l'habitation moderne et il sera bien évident que nos villages reconstruits ont de l'allure et de la séduction.
Que dans une entreprise aussi vaste qui a mobilisé les efforts et les ressources du pays tout entier, il soit impossible de signaler un abus ! il aurait fallu pour cela que les reconstructeurs ne fussent pas des hommes. Le fait même qu'on a réprimé des scandales, le tapage dont ils ont été j'occasion prouve clairement que ce sont de très rares exceptions et que la France qui a réparé ses dommages de guerre est digne de celle qui a protégé et libéré le sol sacré de la patrie.

Chanoine FIEL,
Aumônier de l'école professionnelle de l'Est à Nancy.
 

 

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