Biographie de tous les ministres, depuis la constitution depuis
la constitution de 1791 jusqu'à nos jours
Léonard Gallois
(1789-1851)
Paris 1825
REGNIER
(Claude-Ambroise), duc de Massa Carrara, né à Blamont,
département de la Meurthe, le 6 avril 1746, exerçait la
profession d'avocat à Paris, lorsque le bailliage de cette ville
le nomma député du tiers état aux étals-généraux de 1789. Il se
prononça dans cette assemblée en faveur de la cause populaire;
il parut rarement à la tribune, mais il s'occupa beaucoup dans
les comités, de l'organisation administrative et judiciaire.
Régnier s'éleva contre l'institution des jurés, en matière
civile, et proposa de mettre en accusation le vicomte de
Mirabeau, à la suite de l'affaire qu'il s'était suscitée par
l'enlèvement des cravates de son régiment. Lors de
l'insurrection des Suisses qui étaient à Nancy, en 1790, il
défendit la municipalité de cette ville, et approuva la conduite
de M. de Bouillé; il fut ensuite envoyé dans les départemens du
Rhin et des Vosges pour y calmer l'effervescence occasionnée par
la fuite de Louis XVI au 20 juin 1791. La session de l'assemblée
constituante terminée, il se retira dans son département, où il
sut se faire oublier pendant le règne de la terreur.
Lors de la publication de la constitution de l'an 3, le
département de la Meurthe députa Régnier au conseil des anciens,
où il s'opposa avec véhémence à l'administration de Jean-Jacques
Aymé, et à la rentrée des prêtres insoumis. Il fut élu président
le 1er prairial an 6 (20 mai 1798).
L'année suivante Régnier fut de nouveau député au conseil des
anciens; s'y éleva avec force contre la faction ultra
républicaine; s'opposa à l'impression d'une adresse des habitans
de Grenoble contre Schérer, et combattit la permanence des
séances après la révolution du 30 prairial an 7, qui fit sortir
du directoire Treilhard, La Réveillère-Lépeaux et Merlin.
Dévoué aux intérêts du général Bonaparte, il fut un de ceux qui,
quelques jours avant le 18 brumaire, se réunirent chez
Lemercier, alors président du conseil des anciens, pour y
arrêter les mesures définitives, et les moyens d'assurer le
succès de la conjuration militaire; ce fut lui qui présenta le
projet de décret qui transférait les conseils à St.-Cloud. Nommé
d'abord président de la commission intermédiaire, il entra après
l'organisation consulaire au conseil d'état, section des
finances.
Le 15 septembre, le premier consul ayant réuni les deux
ministères de la justice et de la police, en confia le
portefeuille à Régnier; mais bien-tôt la fausse direction qu'il
donna à l'affaire de Georges et de Pichegru, décida Napoléon à
rétablir le département de la police et à le rendre à Fouché.
Régnier conserva le titre de grand-juge et le portefeuille de la
justice; il fut créé en 1809 duc de Massa di Carrara, en
récompense du zèle, du dévouement et de la fidélité dont il
n'avait cessé de donner des preuves à Napoléon.
Le duc de Massa di Carrara fut ministre de la justice jusqu'à la
fin de 1813, époque à laquelle l'empereur croyant avoir besoin
de placer à la tête du corps législatif un homme sur lequel il
put entièrement compter dans les circonstances graves qui
s'approchaient, le nomma ministre d'état et lui confia la
présidence de cette assemblée.
Le poste était difficile, et malgré tout son zèle, le duc de
Massa ne put imposer silence à l'opposition qui éclata pour la
première fois dans le corps législatif; il présidait cette
séance où Raynouard lut au nom de la commission diplomatique, composée de Laîné, Gallois, Flaugergues et Maine de Biran, ce
fameux rapport qui irrita si fort l'empereur, et qui concourut
tant à séparer les Français du chef du gouvernement; le
président ayant interrompu l'orateur de la commission, pour lui
dire que les opinions contenues dans ce rapport étaient
inconstitutionnelles, il en reçut cette réponse : « Il n'y a ici
d'inconstitutionnel que votre présence. » Tous les efforts du
duc de Massa ne purent empêcher que l'adresse ne fût votée à une
grande majorité. Le corps législatif fut dissous le 3i décembre.
Le duc de Massa s'empressa de donner son adhésion à la déchéance
prononcée contre Bonaparte et sa famille, et écrivit à la
commission du Gouvernement, pour savoir s'il devait se
considérer encore comme président du corps législatif; mais
cette démarche, qu'il aurait dû ne pas faire, resta sans réponse
; Régnier n'eut aucun emploi sous le gouvernement des Bourbons,
et mourut le 24 juin 1814 avec la réputation d'un serviteur
dévoué, que n'avait pu lui faire perdre l'empressement qu'il mit
à donner son adhésion.
Dictionnaire
des girouettes ou Nos contemporains peints d'après eux-mêmes
Alexis Eymery
1815
RÉGNIER
(Claude-Ambroise) né le 6 novembre 1746. Avocat à Nancy ; député
à l'assemblée constituante ; membre du conseil des anciens ;
coopérateur du 18 brumaire ; membre de la commission
intermédiaire ; grand-juge ministre de la justice, étant en
outre chargé du porte feuille de la police lors de l'affaire de
Pichegru, Moreau, etc. Quant aux divers sermens pour ou contre
la république, qu'il a prêtés, nous renvoyons le lecteur à
l'article précédent de M. Régnault.
Le Bulletin des lois, n° 247 (août 1809), contient les
lettres-patentes par lesquelles S. M. confère « à S. Ex. M.
Claude-Ambroise Régnier, grand-juge, ministre de la justice, grand-aigle de la légion d'honneur, comte de l'empire, né à
Blamont, département de la Meurthe, le 5 novembre 1746, le titre
de duc de Massa di Carrara, à cause des services signalés rendus
à l'état et à nous par notre cher et bien-amé le sieur Régnier,
ayant fixé sur lui notre estime et notre bienveillance
particulière, nous avons résolu de récompenser le zèle, le
dévouement et la fidélité dont il nous a donné des preuves
constantes dans le ministère important dont nous l'avons chargé.
Dans cette vue, nous avons, par notre décret du i5 août 1809,
nommé notre cher et bien-amé le sieur Régnier l'un des ducs de
notre empire, sous le titre de duc de Massa di Carrara.
Armoiries d'hermine à la fasce de sable, chargées de trois
alérions d'or, chef des ducs de l'empire. Livrée : noir nuancé,
hermine et argent. »
« Monseigneur,
» Hier, à l'instant même de mon arrivée à Paris, craignant
d'être indiscret en demandant une audience à V. A. S., je l'ai
priée, par écrit, d'avoir la bonté de me faire connaître si elle
jugeait que, malgré les événemens, je puisse me considérer
encore comme président du corps législatif, et adhérer, en cette
qualité, à la déchéance prononcée par le sénat contre Napoléon
Bonaparte et sa famille. Vos grandes occupations, monseigneur,
n'ont pas permis que j'aie reçu une réponse ; mais ayant pensé,
après y avoir bien réfléchi, que je continuais à être président
jusqu'à ce que j'eusse un successeur, j'ai l'honneur d'adresser
à V. A. S., en qualité de président du gouvernement provisoire,
l'adhésion que je donne à la déchéance prononcée contre
Bonaparte et sa famille. »
Cette lettre est loin de ressembler à la suivante.
« Le grand-juge ministre de la justice, comte de l'empire, à MM.
les magistrats composant la cour de cassation, les cours d'appel
et les cours de justice criminelle.
Paris, le 28 novembre 1808.
« C'est avec la plus douce satisfaction, messieurs, qu'en
exécution des ordres de S. M. I. et R., je vous donne
connaissance de la résolution qu'elle a prise de faire placer
dans le lieu des séances de son conseil d'état, les statues en
marbre de MM. Tronchet et Portalis.
En leur décernant ces statues, l'empereur a voulu honorer le
grands talens qu'il avait appréciés surtout, et dans le premier
projet du code Napoléon, dont ils furent les rédacteurs, et en
présidant les conférences mémorables qui ont précédé la
rédaction définitive de ce code immortel.
Mais ne croyez pas, messieurs, que dans l'érection de ces
monumens, S. M. ait eu uniquement en vue ceux dont ils sont
destinés à transmettre la mémoire et les traits aux siècles à
venir. Toujours guidé dans ses conceptions par les
considérations supérieures du bien public et de la gloire
nationale, l'empereur a étendu sa pensée beaucoup plus loin; il
a voulu que ces statues, élevées à deux hommes illustres dans la
carrière qu'ils ont parcourue, devinssent la source féconde de
la plus noble comme de la plus utile émulation.
Vous en jugerez, messieurs, par ce passage de la lettre que S.
M. a daigné m'écrire à ce sujet :
« Notre intention est que nos ministres, conseils d'état et
magistrats de toutes nos cours, voient dans cette résolution le
désir que nous avons d'illustrer leurs talens et de récompenser
leurs services ; la seule récompense du génie étant
l'immortalité et la gloire. »
Quelles actions de grâces ne sont pas dues au grand prince qui
destine aux services et aux talens une aussi noble récompense !
Que les magistrats eu conservent à jamais la plus vive et la
plus respectueuse reconnaissance, et qu'ils la lui prouvent
chaque jour par un redoublement de zèle, d'application et de
dévouement à sa personne sacrée.
Recevez, messieurs, les nouvelles assurances de mes sentimens
affectueux. »
Signé Régnier.
Biographie
nouvelle des contemporains, ou Dictionnaire historique et
raisonné de tous les hommes qui, depuis la Révolution, ont
acquis de la célébrité...
MM. A.V. Arnault - A. Jay - E. Jouy - J. Norvins et autres
Paris 1824
REGNIER (Claude-Antoine), duc de Massa, ministre de la justice sous le
gouvernement impérial, naquit à Blamont, dans la ci-devant
province de Lorraine, le 6 avril 1746. Entré de bonne heure dans
la carrière judiciaire, il était à l'époque de la révolution un
des avocats les plus distingués du parlement de Nanci. Le
bailliage de cette ville le nomma, en 1789, député du tiers-état
aux états-généraux, où il se prononça constamment, quoique sans
véhémence ou exagération quelconque, pour la cause populaire. Il
fut employé pendant tout le cours des sessions de l'assemblée
constituante dans les divers comités chargés de l'organisation
administrative et judiciaire, et ne parut que rarement à la
tribune nationale. Après l'insurrection du régiment suisse de
Châteauvieux, et de quelques autres troupes de la garnison de
Nanci, égarées par les anarchistes, le député Régnier prit
vivement le parti de la municipalité de cette ville, et le parti
du marquis de Bouillé, qui venait d'étouffer l'insurrection. Il
avait peu de temps auparavant demandé la mise en accusation du
vicomte de Mirabeau, alors colonel du régiment de Touraine, qui
s'était enfui de Perpignan, et avait enlevé les cravates des
drapeaux de son corps. Il s'opposa aussi à l'institution du jury
en matière civile. Lors du départ du roi pour Varennes, le 20
juin 1791, Régnier fut envoyé par l'assemblée dans les
départements du Rhin et des Vosges, pour calmer l'effervescence
qu'on craignait que cet événement y causât. Après la clôture des
sessions de la première assemblée nationale, il se retira a la
campagne dans son département, ne prit aucune part aux affaires
publiques, et eut le rare bonheur d'échapper aux poursuites
dirigées pendant le règne de la terreur contre presque tous les
députés patriotes de l'assemblée constituante. Eu 1795. il fut
élu par le département de la Meurthe membre du conseil des
anciens. Il y professa les mêmes principes qu'à son début dans
la carrière législative, s'opposa aux projets du parti
ultra-républicain, comme à ceux du parti de Clichy, et défendit
encore avec zèle la cause d'une sage liberté. Élu président du
conseil le 1er prairial an 6 (20 mai 1798), il en fut nommé
membre, par le département de la Meurthe, lors des réélections
de l'année suivante. Au retour de Bonaparte d'Égypte, Régnier
s'attacha a la fortune de ce général, entra bientôt dans toutes
ses vues, et coopéra a la révolution du 18 brumaire. Il fut un
des membres du conseil des anciens qui se réunirent, dans la
matinée du 7 novembre, chez le président de ce conseil,
Lemercier, pour y arrêter les mesures définitives et les divers
moyens d'assurer le succès du mouvement militaire qui eut lieu
le lendemain. Il présenta le projet qui transférait les deux
conseils a Saint-Cloud, et fut, après le succès de l'entreprise,
nommé président de la commission intermédiaire, composée des
membres choisis par le vainqueur. Dès l'établissement du nouveau
gouvernement, il fut appelé au conseil d'état, attaché à la
section. des finances, et le 15 septembre 1802 il réunit, sous
la dénomination de grand-juge, les deux ministères de la justice
et de la police-générale. Après la découverte de la conspiration
de Georges Cadoudal et l'arrestation du général Pichegru, le
premier consul Bonaparte jugea nécessaire de rendre le ministère
de la police a Fouché; mais Regnier conserva le titre de
grand-juge et le portefeuille du ministère de la justice. Il fut
créé quelque temps après duc de Massa. Son dévouement à
l'empereur fut complet. Vers la fin de l'année 1813, quand
Napoléon crut avoir besoin de faire un nouveau choix pour
présider le corps-législatif, il nomma le duc de Massa
ministre-d'état, et lui confia, dans les circonstances qui
devenaient de plus en plus graves, la présidence de ce conseil
si long-temps approbateur ou muet. Le poste était difficile, et
malgré tout le zèle du nouveau président, il ne put imposer
silence à l'opposition, qui éclata pour la première fois dans le
corps-légisIatif. Une commission y avait été nommée pour
recevoir les communications du gouvernement ; elle fut composée
des députés Laine, Raynouard, Gallois, Flaugergues et Maine de
Biran. Dans la séance du 28 décembre, elle fit son rapport, et
M. Raynouard, qui avait été chargé de le présenter, exprimant
avec une grande énergie des opinions qui ne pouvaient alors
plaire à l'autorité souveraine, fut soudain interrompu par le
président. « Orateur, s'écrie le duc de Massa, ce que vous dites
ici est inconstitutionnel.- Il n'y a ici d'inconstitutionnel que
votre présence, répliqua M. Raynouard, et continua son discours.
L'impression en fut votée, ainsi qu'une adresse à l'empereur,
basée sur le rapport de la commission, le tout malgré les
efforts du président, et à la grande majorité de 233 voix contre
31. Le 30 décembre, l'épreuve de l'imprimeur fut saisie et la planche détruite, les portes du palais du corps-législatif
furent fermées, et le lendemain 31, la législature fut dissoute.
Après la chute de Napoléon, le duc de Massa écrivit, le 8 avril
1814, au gouvernement provisoire, pour demander des instructions
nouvelles, et s'il devait se considérer encore comme président
du corps-législatif. On ignore quelle fut la réponse de ce
gouvernement temporaire, ou même s'il en fit une. Le duc de
Massa ne survécut que peu de temps aux événemens de cette
époque; il n'occupa aucun emploi sous le gouvernement royal, et
mourut à Paris, le 24 juin 1814, à l'âge de 68 ans.
REGNIER (Sylvestre, duc de Massa), pair de France, fils du
précédent, entra très-jeune dans la carrière des emplois
publics, et fut nommé successivement, sous le gouvernement
impérial, auditeur au conseil-d'état, sous-préfet à
Château-Salins, secrétaire-général du conseil du sceau des
titres, et en dernier lieu préfet du département de l'Oise. Il
occupait ce poste lors de la première invasion des étrangers, et
y fut maintenu après la rentrée du roi en 1814; mais il en cessa
les fonctions au retour de Napoléou de l'île d'Elbe; refusa de
les reprendre, quoiqu'il y fût invité; donna sa démission, et à
l'exemple du maréchal Macdonald, dont il avait épousé la fille
aînée, persista A ne point accepter de place pendant les cent
jours, en 1815. Nommé préfet du département du Cher après le
second retour du roi, il donna de nouveau sa démission en 1816,
et n'a plus rempli depuis de fonctions publiques. Par ordonnance
du 18 juillet de la même année, il a été élevé à la pairie, avec
le titre de duc de Massa, que portait son père |