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				NOTRE-DAME DE BON-SUCCÈSA FRICOURT (Remoncourt)
 Origines du Pèlerinage
 Fricourt est peu connu: il tient si petite place 
				en une région solitaire et éloignée. C'est une ferme pauvrette, 
				sur le territoire de Remoncourt. Elle est blottie en un ravin 
				profond et, pour y arriver, il faut descendre, de quelque côté 
				qu'on vienne, de Xousse, de Vaucourt, de Lagarde ou de Moussey, 
				Les pèlerins s'y présentent surtout à la Nativité de la Sainte 
				Vierge (8 septembre), pour honorer Notre-Dame de Bon-Succès.
 Cette appellation est rare, unique même, si l'on en croit la 
				table dressée par les Bollandistes. Pourtant son sens est clair 
				: par Marie nous viennent toutes les grâces; par Elle aussi, 
				toutes les réussites; disons toutefois: toutes les réussites 
				selon Dieu, donc, les Bons Succès. Il se peut aussi que sous ce 
				terme de basse latinité «  de bono Successu » se cache une 
				signification tout autre, mais rien n'en transperce dans les 
				documents qui nous restent.
 Ce vocable fut choisi au XIIe siècle et donné à l'église d'un 
				modeste prieuré qu'on nomma Fricourt. Sa fondation nous reporte 
				à l'an 1198, sinon à 1153, comme le prétend Dom Calmet. Elle est 
				due, comme les prieurés de Vic (1123) et de Xures (1129), à une 
				bienfaisante famille du Chaumontois, qui avait de vastes 
				possessions autour de Parroy. Un de ses membres les plus connus 
				est Cunégonde de Richecourt, célèbre par ses générosités en 
				faveur de l'abbaye de Senones. Ses enfants, dévoués comme elle 
				au grand monastère vosgien, n'hésitèrent pas à détacher des 
				parties de leurs domaines, pour en faire donation à Dieu et à 
				ses moines. Dans les prieurés tels que le nôtre, vivaient par 
				petits groupes de deux ou trois, des religieux qui consacraient 
				leur vie et leur savoir aux paysans des alentours. Ainsi 
				s'exerça la bienfaisante influence du christianisme; ainsi 
				s'étendit jusqu'à cette région lointaine la domination 
				religieuse de Senones.
 Fricourt fut, dès son origine, l'église-mère pour Remoncourt, 
				Xousse et Vaucourt. Les Bénédictins y implantèrent la dévotion à 
				la Sainte Vierge sous le titre que nous avons indiqué. C'était 
				bien dans les traditions de Senones, où, chaque jour, après 
				l'office, la communauté allait, dans la chapelle de la Rotonde, 
				chanter gravement l'Antienne à la Sainte Vierge. Ici, la fête 
				principale fut la Nativité du 8 septembre, ou Petite Notre-Dame,
 comme on dit encore. Le Rapport annuel, qui s'est perpétué 
				jusqu'à nos jours; est donc le témoin d'un culte sept fois 
				séculaire.
 On peut croire que, suivant les usages anciens, une confrérie y 
				fut érigée. Les membres étaient convoqués à certains jours. 
				Plusieurs de leurs démarches ont pu être favorisées de grâces ou 
				de succès, comme la Mère de Miséricorde en accorde toujours 
				quand on l'implore. Il n'en faut pas plus pour expliquer les 
				pèlerinages du passé, sans qu'il soit question d'apparitions ou 
				de miracles.
 
 
 Phases diverses du Pèlerinage
 
 Pèlerinage et prieure furent longtemps 
				solidaires, cela se devine. Jusqu'au XVIe siècle, le Prieuré 
				resta prospère. Il suppléait aux paroisses non encore formées et 
				la confrérie servait de trait d'union entre ses divers groupes. 
				L'oeuvre bénédictine était encouragée par des dons. Cependant, de 
				divers côtés, les villages tributaires des prieurés aspiraient à 
				l'autonomie religieuse. Pour être mieux desservis, ils voulurent 
				une église en propre et des curés résidant. Ce fut le déclin des 
				prieurés, réduits désormais au rôle de simple habitation pour le 
				moine qui devait recueillir les revenus; la vie paroissiale y 
				gagna et l'activité monacale sut trouver un autre cours.
 En 1468, Remoncourt fut érigé en vicairie amovible avec Xousse 
				comme annexe et même, en 1480, ces deux lieux furent rattachés à 
				la Collégiale de Blâmont, en vertu d'une bulle de Sixte IV. 
				Fricourt fut donc laissé à lui-même et son titulaire bénédictin 
				réduit à traîner une mourante vie. Bientôt après (1504), le 
				bénéfice fut mis en Commende (1), c'est-à-dire, attribué à un 
				dignitaire qui se contentait d'en percevoir les revenus sans 
				l'habiter et cet état de choses dura jusqu'en 1704.
 Cependant le culte de Notre-Dame de Bon Succès ne s'éteignit 
				pas; il explique, au contraire, qu'en 1304 la chapelle ait été 
				remise à neuf, car, sans cela, elle n'aurait plus eu de raison 
				d'être (2). Il reste le choeur de cet édifice ainsi restauré. Les 
				caractères en sont bien ceux de l'architecture du temps: ogives 
				flamboyantes aux fenêtres, nervures à la voûte et colonnes sans 
				chapiteaux (3), En 1600, la chapelle fut de nouveau restaurée, 
				grâce à un subside important, accordé par le duc Charles IlI, à 
				Didier Richard, religieux de Senones «  pour agrandir l'église de 
				Fricourt, parce qu'elle est devenue le centre d'un pèlerinage 
				florissant (4). » Ce Didier se fixa même au prieuré, avec le 
				titre de curé de Remoncourt et Fricourt, de 1603 à 1623; sa 
				présence favorisa certainement l'antique dévotion.
 Bientôt après, ce fut une longue éclipse, causée par les 
				malheurs de la Lorraine. Pourtant la chapelle ne rut pas 
				détruite par les Suédois, comme le furent les villages 
				environnants. La vie religieuse reprit vers 1660, sans tenir 
				compte du prieuré, dont l'évêque de Metz avait détaché les 
				paroisses qu'il reformait à Remoncourt et à Xousse (1668). 
				Finalement l'ancien cloître rentra sous la règle bénédictine 
				(1704) et revit la présence d'un moine. Avec lui, la dévotion 
				traditionnelle reprit quelque vigueur. C'était cependant trop 
				peu. Ne pouvant subsister seul, le petit établissement fut fondu 
				avec le prieuré de Saint-Christophe de Vic (1777) et ce fut sa 
				dernière étape avant de sombrer dans la Révolution. Pour en 
				tirer parti, le prieur de Vic l'afferma tel quel, en spécifiant 
				dans le bail que la chapelle serait conservée à sa destination 
				et ouverte à tout pèlerin, surtout aux quatre grandes fêtes de 
				la Sainte Vierge et tous les vendredis. Les pèlerinages avaient 
				donc repris leur cours (5). Quand la Révolution eut prononcé la 
				confiscation des biens religieux, ceux de Fricourt furent mis en 
				vente à une date inconnue; le prieuré avait cessé de vivre.
 
 Le Pèlerinage au XIXe Siècle
 
 La Sainte Vierge veillait sur le lieu d'où lui 
				étaient venus tant d'hommages. Après la vente nationale, le 
				petit domaine tomba en la possession d'une famille honorablement 
				connue à Nancy sous le nom de Guerrier de Dumast. Aussitôt qu'il 
				le put, le nouveau propriétaire s'efforça de réveiller le culte 
				traditionnel à Notre-Dame de Bon Succès et d'arracher la 
				chapelle à une désolation qui avait trop duré. Quelle pitié, en 
				effet, de la voir utilisée pour des usages vulgaires avec ses 
				murs tout lézardés ! Ce n'est qu'après 1830, que le pieux baron 
				put donner suite à ses projets. L'ancien édifice avait été 
				enclavé dans des bâtiments nouveaux avec lesquels il faisait 
				corps. Il fallait consolider les murs, isoler l'ancien choeur des 
				locaux de ferme et y rattacher une salle suffisante pour servir 
				de nef. Ainsi rajeuni, le sanctuaire pouvait servir à la 
				célébration de la Messe. Pour fêter la restauration du lieu 
				sacré et ranimer le pèlerinage, M. de Dumast fit convoquer les 
				fidèles de la contrée à une cérémonie fixée au 11 septembre 
				1833. M. le vicaire général Dieulin, enfant de Xousse, vint 
				réinstaller la statue de la Sainte Vierge et bénir son 
				sanctuaire; le clergé des environs et un millier de personnes 
				assistèrent à la fête. On peut lire, au livre de l'abbé 
				Guillaume (6), les réflexions enthousiastes tombées de la plume 
				du pieux baron. «  Dans la foule, écrit-il, nombre d'âmes 
				constantes, qui voyaient se relever ainsi, contre toute 
				espérance, des autels dont elles avaient visité les débris, en y 
				portant leurs prières, éprouvaient, avec de bien douces larmes, 
				ce qu'a dit le Roi-prophète, que la fidèle attente du pauvre ne 
				demeure pas frustrée pour toujours ». A la suite, on trouve une 
				pièce de vers dont les stances lyriques chantent le bonheur de 
				voir la foi triompher de l'esprit philosophique.
 Depuis ce jour, la dévotion à Notre-Dame de Bon Succès ne s'est 
				pas refroidie ; son autel, peu somptueux, a toujours ses 
				attraits pour le pays du Haut-Sanon. On y apporte des demandes 
				de tout genre, parfois même en grand mystère, car, c'est un fait 
				avéré et point du tout blâmable, les plus empressés au 
				pèlerinage sont d'ordinaire les jeunesses en quête d'un bon 
				succès pour leurs projets de mariage.
 Le Concordat ayant supprimé la cure de Remoncourt, les curés de 
				Xousse furent tout désignés pour s'occuper du pèlerinage et ils 
				tiennent à coeur de conserver tout son éclat au Rapport du 8 
				septembre. La messe y est célébrée avec des chants plein 
				d'entrain ; un sermon éclaire et enflamme la piété des pèlerins 
				; l'édification ne laisse rien à désirer. L'affluence, variable 
				en raison des travaux agricoles, est rarement inférieure à 200 
				personnes dont la plupart viennent de Mézières, Lagarde et 
				Moussey. Depuis la mort du vénéré M. Guerrier de Dumast, 
				plusieurs propriétaires ont passé à la tête du petit domaine 
				sans que rien ait été changé aux traditions religieuses. Hélas ! 
				la guerre récente vient encore d'interrompre le pèlerinage. Le 
				sanctuaire est de nouveau plongé dans la désolation. Quand finit 
				l'occupation allemande (1918), on ne retrouva ni la statue 
				vénérable, ni l'autel, ni aucun autre meuble. Pour la cinquième 
				fois, au moins, l'oeuvre de restauration est donc à reprendre. 
				Elle se fera, nous l'espérons, et déjà, croyons-nous, les 
				populations chrétiennes du Haut-Sanon en sont préoccupées. Nul 
				doute qu'elles ne s'accordent avec les propriétaires actuels, 
				pour rétablir sur son trône accoutumé l'image de Notre-Dame de 
				Bon Succès. La dévotion si douce, pratiquée à Fricourt envers la 
				Reine du Ciel, doit conserver là son foyer sept fois séculaire. 
				Qu'elle l'allume sa flamme, et que, dans cette contrée vouée aux 
				durs travaux des champs, subsiste le gage béni de tous les bons 
				succès !
 
				(à suivre) |