L'administration des
départements envahis en 1870-1871
Emile Chantriot
Ed. 1916
Réparation des dommages de guerre
[...]COMMISSIONS CANTONALES ET DÉPARTEMENTALES
[...]
Les commissions départementales, dont le fonctionnement fut
réglementé par les circulaires du ministre de l'Intérieur (27
octobre et 12 décembre 1871), avaient pour mission de tenir
compte, dans leur révision, à la fois des intérêts du Trésor et
de ceux des particuliers, de ramener, notamment, toutes les
évaluations des commissions cantonales à des bases uniformes,
dont l'application placerait tous les départements sur un pied
de parfaite égalité. Tous les renseignements recueillis devaient
être intercalés, par catégories, dans les colonnes de deux
tableaux : le premier, relatif aux faits antérieurs au 3 mars,
le second, comprenant les faits postérieurs, distinction
essentielle qui, pour ces derniers, autorisait notre
Gouvernement à exercer un recours contre le Gouvernement
allemand, en lui présentant une demande justifiée de
remboursement.
La tâche de ces commissions ne pouvait manquer d'être laborieuse
et ingrate, « Dans les cantons où le séjour des troupes avait
été passager, où la guerre n'avait point déchaîné des violences,
où les indemnitaires étaient en nombre restreint, l'opération
fut facile et rapidement terminée; mais là où chacun avait été
atteint, où le nombre des indemnitaires était égal au nombre des
chefs de famille, il faut reconnaître que les commissions
locales et cantonales se trouvaient en face d'un labeur
singulièrement pénible dans lequel aucun précédent ne pouvait
servir de guide. Ni le texte ni l'esprit de la loi du 6
septembre n'étaient connus de la plupart des habitants, peu
disposés, d'ailleurs, à en goûter l'économie et en accepter le
principe. L'esprit encore troublé par les événements de la
lugubre période qui prenait fin, attristé de l'occupation
étrangère, chacun sentait vivement ses pertes, ignorait celles
d'autrui et se croyait un droit égal, sinon supérieur à tout
autre, aux premiers subsides d'allégement. » (Extrait du rapport
de M. Marquis, de la Commission départementale de Meurthe-et-
Moselle.)
Certaines réclamations, par exemple celles relatives aux
dommages résultant de réquisitions non justifiées, de vols,
d'incendie, etc., paraissent avoir été singulièrement exagérées
par les intéressés, et il y avait lieu, ainsi que le
recommandait le ministre, « de faire justice de ces spéculations
honteuses » et de déférer aux tribunaux ceux dont les
déclarations auraient été reconnues fausses.
La lecture des dossiers laissés par les commissions cantonales
permet, en effet, de constater que les enquêteurs furent
assaillis de réclamations qui ne parurent pas toujours contenues
dans les limites de la modération. Quelques exemples, pris au
hasard, en fournissent la preuve. Dans le canton de Blâmont
(Meurthe), à Halloville, « on n'a pas fait grâce d'une gerbe ni
d'une poule » ; à Herbéviller, « on ne fait pas grâce d'un oeuf,
ni d'une brosse, ni des oignons, ni des échalotes » ; à Gogney.
« les réclamations paraissent bien exagérées, mais nous ne
connaissons pas les faits qui se sont passés » (Extraits des
dossiers conservés aux archives départementales de
Meurthe-et-Moselle).
Un contrôle rigoureux s'imposait donc pour réduire à de justes
proportions des réclamations entachées par une exagération
choquante et abaisser les chiffres portés sur les états
primitifs dressés par les municipalités.
C'est ainsi que le montant des pertes évalué en mars 1871 à
Lunéville à 1.145.115 francs, fut ramené à 628.302.f 88 (non
compris les contributions en argent payées à titre d'impôt); les
dépenses relatives au logement et à la nourriture des troupes
furent abaissées de 526.148 francs à 300.846 f 60 ; celles
relatives aux dommages résultant de vols, incendie, etc., de
121.280 francs à 83.613 f 95. A la suite des révisions
successives des états de pertes nominatifs, le total général des
dommages de guerre éprouvés dans les trente-quatre départements
envahis, devait être ramené de 821.087.027 f 52 à 657.256.923
francs, soit une diminution de 163.830.104 f 52 dans laquelle
sont comprises les contributions remboursées en vertu de la loi
du 6 septembre 1871.
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