Historique du 2ème Groupe
Cycliste
Anonyme, Imprimerie Berger-Levrault, non daté
[1914]
La Lorraine.
L'accalmie, du reste, sera de courte durée.
Dès le 28 octobre, va commencer pour le groupe la période
transitoire entre les deux modes de combat. Les lignes ne sont
pas encore stables, mais déjà chacun des adversaires cherche à
s'assurer des positions avantageuses pour les jours à venir.
D'où une série d'opérations qui vont se succéder sans trêve ni
repos.
La première de ce genre date du 26 octobre. Il s'agit, en
l'espèce, de faire une démonstration de grande envergure sur un
large front. Le commandement y engage toute la 2e division de
cavalerie et deux régiments d'infanterie. Dans sa zone d'action,
le groupe occupe successivement Réchicourt, Coincourt, Moncourt,
Omerey, et il pénètre d'environ 10 kilomètres dans les lignes
ennemies. Dans Omerey, les chasseurs ont l'énorme satisfaction
d'assister à un bombardement en règle du château de Marimont, P.
C. d'une division ennemie.
A 4 heures du matin, le groupe quitte Blainville et se dirige
sur Bures. A 12h30, l'attaque se déclenche. Dès lors, les
opérations vont se succéder.
Le 2 novembre, le groupe, ayant en pointe le peloton Galmiche,
enlève Leintrey de vive force.
Le 5, sous notre pression, l'ennemi évacue la ferme
Saint-Pancrace, près de Bures, ainsi que la cote 322. Il laisse
des prisonniers entre nos mains.
Le 16 novembre enfin, le groupe est engagé sur Val-et-Châtillon.
Cette fois, il s'agit d'une grosse opération, menée par
l'infanterie sur la ville de Cirey. L'affaire est importante.
Une brigade à peu près doit être mise en ligne. L'attaque est
face au nord. Le groupe a pour mission de la couvrir à droite,
vers le bois de Charmilles. Bordé par deux ruisseaux, la Vezouse
et la Basse, tout le massif boisé se dresse d'un bloc sur
Val-et- Châtillon. La forêt est profonde, plantée de grands
sapins et se termine à pic au nord, sur la Vezouse. De chemins,
peu ou point. Quelques étroits sentiers, à peine
reconnaissables, s'enchevêtrent sous bois. Seule, une mauvaise
route partant de Saussenrupt et passant la Vezouse, aboutit au
château. C'est toute cette région que nous devons tenir.
Parti de Neufmaisons à 1h45, le groupe est de bonne heure près
de Bréménil. On laisse là les machines. A pied, l'oeil aux
aguets, en ligne d'escouade par un, on avance lentement sur la
Croix- Collin, le lieu de ralliement.
A l'aube, on est au but. Le peloton Galmiche, parti en
avant-garde, le trouve inoccupé. Puis le groupe se rassemble :
l'ennemi n'est plus loin. De suite, une section détachée en
avant, a gagné le château dominant la Vezouse. Sur la crête
opposée, tapi dans les carrières, l'ennemi nous observe,
tiraillant par instants. Pour plus de précautions, la 7e section
renforce la 9e. Puis, la journée se passe sans nouveaux
incidents. Peu à peu, le jour baisse. Le Boche tiraille
toujours. Il nous faut renforcer les troupes de première ligne.
Vers 20 heures, le 3e peloton, à peine reposé, reçoit l'ordre
d'aller occuper le château. Il fait déjà nuit noire. Dans la
forêt obscure, les sentiers se sont évanouis avec le jour.
Qu'importe, il faut partir. Dans l'ombre, à travers bois, on
marche à la boussole, presque au petit bonheur. En tête,
boussole au poing, le capitaine De Grilleau dirige la manoeuvre.
Derrière lui, en colonne, le peloton avance. Se tenant par la
main ou par le ceinturon, cramponné l'un à l'autre, les hommes
errent lentement sans rien voir devant eux. On trébuche à chaque
pas, on tombe, on se relève; on avance malgré tout. Enfin, on
arrive au but. Tout le monde, hors d'haleine, pourra se reposer.
L'ennemi reste calme.
Au jour, des ordres arrivent. Le groupe doit continuer la
mission de la veille : surveillance incessante du ravin de la
Vezouse, et particulièrement en direction de Lafrimbole. Il est
aussi chargé de l'occupation du carrefour de la Croix-Collin.
Le Boche n'a pas bougé et demeure invisible. Il faut le
démasquer. La 9e section est, dès le grand matin, poussée au bas
des pentes, au bord de la Vezouse. Dans la brume épaisse, à
travers les fourrés, elle avance prudemment. Soudain, un temps
d'arrêt. Les patrouilleurs de pointe, au sortir des taillis,
sont tombés nez à nez avec des fractions boches, montant de la
vallée sur le château de Châtillon. Aussitôt, la fusillade se
déclenche. Tapis au pied des arbres, nous tirons à coup sûr sur
l'ennemi qui s'infiltre. Quelques instants plus tard, une
nouvelle section, déployée vers la droite, renforce la 9e. Puis
la section Chagnat fait face à Saussenrupt, couvrant notre
extrême droite.
Au château, la 7e est restée disponible.
Vers 11heures, l'ennemi reprend son mouvement. Des carrières
qu'ils occupent au nord de la Vezouse, les fantassins adverses
déclenchent un feu violent sur notre ligne entière. Sans arrêt,
les balles claquent aux oreilles des chasseurs, les tenant
immobiles, tapis derrière les arbres. Le Boche s'engage à fond.
Sans cesse, de chaque fourré, de nouvelles troupes surgissent.
Débordés de tous côtés, tournés tout à coup, les nôtres se
replient : direction le château. Mais déjà l'ennemi les y a
précédés. Bousculant violemment la section de réserve, il occupe
maintenant le château tout entier et la croupe qui l'entoure.
Quand nos sections de tête viendront s'y reformer, c'est par un
feu violent qu'elles seront accueillies.
La lutte est impossible, les nôtres se replient à la faveur des
bois. Le peloton Galmiche, sur Val-et- Châtillon, qu'il atteint
à 15 heures; la section Chagnat, sur la Croix-Collin. Le groupe,
relevé, va rejoindre Blainville. Il y restera peu.
Le 22 novembre, il reprend la campagne. Rompant de Blainville à
2 heures du matin, il va participer à une attaque contre les
avant-postes, sur le front Saint-Piamont, Réchicourt-la-Petite.
Les vélos sont laissés à Bathelémont. Deux pelotons sont en
ligne, flanquant à l'extrême droite un bataillon ami attaquant
Juvrecourt. Le peloton Perrée s'engage le premier, attaquant les
tranchées en avant de Juvrecourt. Il est accueilli à 800 mètres
par une violente fusillade, qui lui occasionne des pertes graves
et ne peut progresser. Le peloton Galmiche prolonge l'attaque à
droite, puis revient en réserve occuper Réchicourt. L'ennemi
tient toujours cramponné à ses trous. Dès l'abord, sous des
violentes rafales, on ne peut progresser. Il faut rester sur
place au moins jusqu'à la nuit, favorable aux replis. Mais
l'ennemi s'agite.
Sur nos lignes arrières, l'artillerie de campagne commence un
feu violent. Les rafales de percutants et fusants s'abattent sur
Réchicourt et sur toute notre ligne. Puis, à la faveur de ce
bombardement, la contre-attaque se dessine. La situation devient
critique. Nous devons nous retirer; vers 15 heures, nous sommes
en pleine retraite, suivis par les obus qui encadrent nos
sections. A chaque bond en arrière ce sont de nouvelles pertes.
Mais l'ennemi, contenu, n'avance que lentement, sans pouvoir
nous rejoindre. Exténué, le groupe rejoint Blain ville, pour un
nouveau repos.
Du 23 novembre au 15 décembre, le groupe est à Blainville,
s'entraînant sans répit. A peine les chasseurs reviennent-ils du
combat, que déjà ils s'apprêtent pour de nouvelles batailles.
C'est d'ailleurs le moment du maximum d'efforts. Sans trêve ni
répit, on attaque en tous lieux. Les lignes qui flottent encore
vont se cristallisant chaque jour davantage. Bientôt il ne sera
plus temps si l'on veut avancer. Aussi, chaque journée demande
un sacrifice. Sans cesse on escarmouche sur le front tout
entier.
Une première action a lieu le 12 décembre. Une section du
groupe, la section Chagnat, effectue une reconnaissance rapide
sur Emberménil, préparant une attaque.
Le 23 décembre, quatre sections du groupe, rompant de
Badonviller, reçoivent pour mission la capture d'un poste ennemi
à la corne sud du bois de la Tour. L'ennemi, averti, évacue sans
combattre.
Le 25 décembre, la nuit même de Noël, les nôtres attaquent
Petitmont. Couvertes par de la cavalerie, quatre sections du
groupe avancent sur le village. A partir du ruisseau de
Pré-l'Abbé, en formations d'approche, le peloton Galmiche marche
droit aux lisières. L'ennemi reste muet. Nous allons réussir.
Plusieurs fortes patrouilles se détachent en avant, abordant le
village. Il est déjà trop tard. En quelques minutes, l'ennemi,
alerté, a garni les lisières. Une fusillade intense crépite dans
la nuit. La surprise est manquée. Le groupe bat en retraite,
heureusement sans pertes.
Deux jours de repos ont payé cette attaque. Le 27, à nouveau, le
groupe est engagé. C'est sur Harbouey cette fois que se porte
notre effort. Perché droit sur une crête entièrement dénudée, le
village domine la région tout entière. Pour l'enlever de jour,
il n'y faut pas songer. C'est donc au point du jour qu'on va
l'assaillir. Quatre sections du groupe sont de nouveau en ligne,
appuyées, vers la gauche, d'une compagnie d'infanterie, et
couvertes, vers la droite, d'une section de même arme.
On part à 2h30, en plein mois de décembre, par une nuit obscure;
on avance lentement. En formation d'approche, sur le terrain
glissant, les hommes se traînent à peine, sans cesse sur le
qui-vive. Enfin, vers les 6 heures, on arrive au contact. Le
gros du peloton demeurant en repli, trois fortes patrouilles de
chasseurs décidés se détachent vers Harbouey. Une section de
réserve en surveille le bois. Rapidement, les nôtres dévalent
dans le ravin courant au sud d'Harbouey; puis, dans l'ombre
moins dense, ils escaladent la côte, bondissant aux lisières.
Mais, une fois de plus, le Boche est sur ses gardes. A peine nos
éclaireurs sont-ils à bonne portée qu'un tir très précis éclate,
brisant net leur élan. Des blessés gisent par terre. Le village,
bien gardé, ne peut être assailli. Les patrouilles avancées,
profitant de la brume, se replient sur le gros sans être
inquiétées. Le détachement dissous, le groupe rejoint
Blainville. Jusqu'au 12 janvier, on va rester tranquille.
Le 12, vers midi, on se remet en route. Il s'agit de couvrir une
section de génie devant Emberménil.
Celle-ci, pendant ce temps, détruira la voie ferrée en gare d'Emberménil.
La destruction finie, le groupe rentre au repos, puis gagne
Saint-Nicolas.
C'est là qu'il attendra la nouvelle veillée d'armes, le jour
glorieux du Xon.
A cette date, le groupe était ainsi constitué :
Commandant du groupe : capitaine De Grilleau.
Capitaine en second : capitaine Galmiche.
1er peloton : Sous-lieutenant Perrée, sous-lieutenant Carrère
2e peloton : lieutenant Grelot, lieutenant GILLES
3e peloton : lieutenant Marconnet, sous-lieutenant Chagnat,
sous-lieutenant Scheurer.
[...] [1915]
Bois des Haies.
Quelques jours ont passé. Des renforts sont venus
qui ont comblé les vides. Déjà les heures de Xon sont oubliées.
On peut combattre encore.
Le 3 mars, dès l'aube, le groupe est alerté et quitte
Saint-Nicolas. Il traverse Dombasle, Lunéville, Azerailles, où
il reçoit des ordres. Il doit faire partie d'un groupe de combat
qui comprendra, en outre, deux escadrons à pied, plus une
compagnie cycliste d'une division de réserve. Le colonel
d'Argenlieu prendra le commandement. L'attaque est dirigée
contre le bois des Haies. Le premier objectif à atteindre est
Montreux; l'objectif ultérieur, Parux et Bréménil. La division
entière appuiera le mouvement, le 8e dragons l'appuyant vers la
droite, la 12e brigade le couvrant vers la gauche. Seule, la
brigade légère restera en réserve.
A 13h15, le groupe s'ébranle de Mervillers, en direction de
Sainte-Pôle, d'où il doit déboucher. En formation ouverte, il
gagne le bois des Haies, sans attirer sur lui la canonnade
adverse. Bientôt, il est au bois. Les dragons, vers la droite,
prolongent le mouvement. En ligne d'escouade par un, on
progresse sous les arbres. L'ennemi fait le mort. L'avance se
poursuit donc.
Brusquement, vers 15 heures, les patrouilleurs de pointe,
jusqu'ici très tranquilles, se heurtent à un réseau dissimulé
sous bois, au milieu du fourré. Vers la droite et la gauche, le
réseau se prolonge sur la crête de Montreux. On essaie
d'avancer, mais tout est inutile. Les fantassins ennemis qui
tiennent la position sont trop bien abrités pour qu'on les en
déloge. Nous subissons des pertes. L'attaque est arrêtée, mais
on tiendra sur place. Cependant, sur le soir, les dragons,
éprouvés, se replient, sur un ordre, au sud du bois des Haies.
L'ennemi en profite, vers 18h 30, pour tenter, mais en vain, une
contre-attaque à gauche. Sous notre feu précis, les tirailleurs
ennemis se replient en désordre et regagnent leurs tranchées. Le
groupe de combat, à peine la nuit tombée, se replie à son tour.
Mais l'attaque enrayée n'est pas abandonnée. Vers minuit tout le
monde se reporte dans le bois pour s'y organiser. Une nouvelle
offensive est même envisagée. Elle n'aura pas lieu. Désormais
arrêté, gardant ses positions, le groupe va commencer une vie de
tranchées.
Dans la neige et la boue, sous une pluie continuelle, on
creusera partout les fondrières boueuses qui seront les
tranchées. Tout est à établir. Par le froid qui vous glace, on
construit des réseaux pendant des nuits entières. Pas de feu,
pas d'abris; on s'endort dans la boue, sous la pluie qui fait
rage. Plus de ravitaillement. Pour aller à la soupe il faut des
heures de marche à travers la forêt. Encore ne ramène-ton qu'une
étrange mixture, où la terre des boyaux a mêlé sa couleur.
Et ce sont maintenant des alertes incessantes, des fusillades
nocturnes, sans rime ni raison, mais se chiffrant toujours par
de nouvelles victimes. Chaque relève effectuée exige un lourd
tribut.
Jusqu'à la fin de mars on tiendra de la sorte. Le 31, au soir,
changement de secteur. Le peloton Perrée, avec un escadron, se
détachent en avant, sur l'abbaye de Domèvre. De 11 heures à 2
heures il patrouille dans les bois, fouillant le bois des
Prêtres. Il est inoccupé. Pendant ce temps, deux autres sections
qui appuient des dragons, attaquant les Haies d'Albe, sont
soumises vers 8 heures à un bombardement d'artillerie de
campagne. Pour éviter les pertes une section se retire. L'autre,
seule, reste en ligne. Tout le reste du groupe reste à Laronxe.
A part quelques reconnaissances, le secteur devient calme, sans
incidents marquants. Les pelotons, tour à tour, occupent les
avant-postes en avant de Leintrey, puis s'en vont au repos à
Manonviller.
La vie de tranchées s'organise. Elle durera de longs mois,
coupée à la fin juin par l'affaire de Leintrey, l'une des plus
sanglantes vécues par les cyclistes et qui, mieux que toute
autre, a montré l'esprit de sacrifice de la troupe et de ses
chefs.
Leintrey.
Ce fut seulement dans les premiers jours de juin
1915 que chacun des deux adversaires, Allemands et Français,
fatigués des escarmouches incessantes et se rendant compte de
l'inanité des efforts non coordonnés, se décident à occuper des
positions fixes et à se fortifier sur place.
On comprendra aisément que chacun des deux commandements mette
tous ses efforts et tous ses soins dans le choix des
emplacements à organiser et n'hésite pas à exécuter quelques
opérations préliminaires qui leur assurerait pour l'avenir, avec
le maximum de sécurité, le minimum de peine pour la défense.
C'est de ce genre d'opérations que relève la petite, mais
coûteuse attaque de Leintrey qui donna au groupe cycliste, une
fois de plus, l'occasion d'affirmer son courage et son ardeur
combative.
Depuis l'avance allemande du début, les adversaires, après des
fluctuations diverses, s'étaient à peu près fixés, dans la
région, sur une ligne qui court de Bures à Reillon, en passant
par la forêt de Parroy, Emberménil et le Rémabois. Le Rémabois
et Leintrey étaient allemands ; Vého et Reillon français.
De Leintrey, un ruisseau descend vers le sud creusant une petite
vallée entre des croupes successives.
La hauteur 303, toujours demeurée inoccupée entre les lignes,
n'avait jusque-là été disputée par personne. De temps en temps
des patrouilles s'y portaient, la parcouraient, puis battaient
en retraite, regagnant leur point de départ. Or, quelques jours
avant le 22 juin, une patrouille française, qui faisait sa
tournée habituelle, se rendit compte que les Allemands, dans le
but vraisemblable d'avancer leurs lignes, avaient commencé des
travaux sur la cote 303.
Une seconde reconnaissance, faite le lendemain, dévoila
l'existence de deux blockhaus; l'un à 303 même, l'autre à
l'extrémité est de la croupe dominant Leintrey. L'ennemi
paraissait donc vouloir se fixer là. Il fallait à tout prix l'en
empêcher et occuper nous-mêmes ce point d'appui.
Le 19 juin, une première attaque, à l'est de Reillon, avait
amélioré notre position. Il ne restait plus qu'à enlever la
croupe 303 pour donner une homogénéité à notre ligne et nous
assurer la possession de la ligne des crêtes.
La cote 303 se dresse brusquement à 1.200 mètres sud de Leintrey,
entre deux ravins où coulent deux petits affluents du ruisseau
de Leintrey. De l'autre côté, le terrain se relève et forme une
seconde croupe que nous occupions. C'est de cette croupe que
nous partirons pour l'attaque.
Le 21, au soir, le peloton De Mollans, qui ne vient cependant
que de rentrer du travail, est brusquement alerté à Manonviller
et part pour Reillon. Là, on lui indique sa mission qui sera
d'assurer la liaison entre deux attaques dirigées l'une sur le
bois Zeppelin, à 1.800 mètres nord-est de Reillon, l'autre sur
la croupe barrant, à 1.200 mètres sud de Leintrey, la route Veho-Leintrey
et la cote 303.
Entre ces deux points d'attaque, une vaste brèche de 1.200.
mètres s'ouvre propice aux infiltrations ennemies pour une
contre-offensive. C'est cette brèche que le peloton doit
surveiller à lui seul, servant pour ainsi dire de flanc-garde de
droite à l'attaque de gauche, et de flanc-garde gauche à
l'attaque de droite. Aussi, toute la nuit, se passe-t-elle en
patrouilles pour découvrir l'ennemi.
L'attaque menée par des compagnies du 330e R. I. obtient, vers
minuit, un résultat partiel. Le blockhaus de la cote 303 est
emporté de vive force. De l'autre côté du ruisseau, vers le bois
Zeppelin, nous avons progressé également.
Il ne reste donc plus qu'à nettoyer le centre de la croupe entre
303 et le ruisseau où un petit blockhaus, habilement fortifié,
tient encore malgré tout. L'opération semble possible et des
volontaires pris au 2e groupe cycliste, auront bientôt rectifié
la ligne en enlevant le blockhaus. L'ennemi, s'il y en a, ne
tiendra pas; on attaquera donc sans artillerie et le peloton De
Mollans, qui n'a encore rien fait, sera chargé de l'exécution.
Vers 3 heures du matin, l'ordre d'attaque parvient à notre P.C.
installé sur la croupe, au sud du petit ruisseau 280-264.
Aucun renseignement supplémentaire n'est donné. L'attaque sera
déclenchée au petit jour et poussée à fond, jusqu'à possession
complète de la crête. Du côté allemand rien n'a encore bougé.
Le lieutenant De Mollans, vers 3 heures, prend son dispositif
d'attaque. Deux sections attaqueront en une seule vague. La
section de gauche (section Gilles) marchera sur l'ouvrage. La
section de droite (sergent Finiger) prolongera l'attaque de ce
côté.
Quant à la 4e section, elle restera en réserve sur la croupe, au
sud du ruisseau 280-264.
Vers l'est le jour commence à poindre. Les deux sections
dévalent la pente et se forment en une vague, face à leurs
objectifs. Elles se trouvent au fond du ravin, à 30 mètres
environ des lignes allemandes. Le lieutenant De Mollans, demeuré
sur la crête, de sa personne, étudie à la jumelle le système
ennemi.
C'est alors que, dans la brume qui commence à se lever, il se
rend compte d'un mouvement insolite dans l'ouvrage ennemi. Dans
un boyau qui vient de Leintrey des baïonnettes brillent et des
ombres s'avancent en grand nombre. Le jour grandit de plus en
plus et chaque nouveau rayon de lumière montre des créneaux
occupés et des sentinelles attentives. L'ennemi est aux aguets.
En toute hâte, un agent de liaison rejoint les sections
d'attaque leur apportant l'ordre de ne pas déboucher et
d'envoyer en avant une faible patrouille qui obligera l'ennemi à
se dévoiler. Il était temps. A peine les quelques patrouilleurs
ont-ils quitté la lisière du boqueteau où sont déployées les
sections, qu'une salve de mousqueterie les salue à bout portant.
Un nouveau bond ne donne d'autres, résultats que des pertes
nouvelles. La patrouille n'insiste pas et les survivants
regagnent sous le feu le bois d'où ils sont partis.
Dans le trou d'obus où il s'abrite le lieutenant De Mollans
réfléchit à cette attaque, il étudie ses moyens d'exécution, il
rassemble ses chefs de section, leur donne à chacun leur
mission. Il encourage les volontaires qui, sur sa demande, se
sont présentés spontanément pour cisailler le réseau boche. Puis
les cisailleurs et les deux sections de première ligne, en
rampant se portent aux emplacements d'où, tout à l'heure au
signal de leur chef, ils devront déboucher.
On est en juin, il est 6 heures et il fait encore grand jour;
sur la crête, derrière ses réseaux intacts, l'ennemi, qui voit
bien qu'il se passe quelque chose, a soigneusement préparé son
affaire. Il ne lui reste plus qu'à attendre l'attaque et à tirer
à coup sûr. En attendant, les batteries allemandes font du
réglage en avant de l'ouvrage.
De tout cela le lieutenant De Mollans s'est bien rendu compte.
Attaquer maintenant paraît difficile. Mais devant un ordre
formel, son devoir de soldat est d'obéir. On attaquera donc ! La
4e section a rejoint ses compagnes et forme derrière elles une
seconde vague. Dix chasseurs des sections de première ligne ont
reçu des cisailles pour faire la brèche qui ouvrira le passage
aux sections d'assaut. Et puis brusquement, le lieutenant en
tête de son peloton s'élance à l'attaque.
L'infanterie ennemie a regardé tranquillement déboucher sa
proie. Chaque homme a soigneusement ajusté son homme, puis, d'un
seul coup, la crête s'allume. Du premier coup la vague de tête
s'abat fauchée. Le sergent Finiger râle dans l'herbe; le
lieutenant Gilles s'écroule la jambe traversée. Le reste épars,
sur lequel a serré la 4e section, arrive au réseau. Le
lieutenant De Mollans, d'un seul bond, y est arrivé le premier.
Follement, droit sous la mitraille, la cuisse traversée, il
saute dans l'enchevêtrement des barbelés, montrant encore une
fois aux chasseurs qui le suivent l'ennemi cramponné à ses
trous. Et puis, on le voit qui tournoie. Une balle l'a frappé et
le chef héroïque s'abat foudroyé net, dans le suprême
accomplissement de son devoir de Français.
Maintenant le peloton est sans tête, les trois chefs de section
hors de combat, les hommes se sont tapis au pied du réseau. Et
cependant la tâche entière reste à faire. On la fera.
Successivement, le commandement se passe de gradé en gradé; les
cisailleurs sans hésitation ont commencé leur travail; le reste
des hommes commandé par deux sous-officiers, les sergents Didier
et Anquet, est prêt à faire irruption dans les brèches que
préparent leurs camarades.
Mais cet héroïsme sera vain; derrière leurs créneaux les
Allemands tirent à la cible et s'amusent plutôt qu'ils ne se
battent. Huit des cisailleurs gisent dans le réseau; malgré ces
pertes l'attaque ne s'arrête pas et les cisailles d'une main
mourante passent dans une autre main et déjà pas mal d'hommes
sont dans le réseau. La chance semble tourner; peut-être
arrivera-t-on, malgré tout, à faire quelque chose. Fol espoir !
Les pertes deviennent toujours plus grandes et, malgré leur
désir d'avancer, de chasser le Boche, malgré les encouragements
des gradés, la tâche est trop lourde et ces braves sont arrêtés
au réseau, à 30 mètres des tranchées à atteindre, et ils
regagneront bientôt leurs positions de départ et d'abri.
Mais tout à coup on s'arrête. Là -haut, les camarades blessés
crient à l'aide. Alors, dans un suprême sacrifice, on remonte,
et lorsque enfin on arrive au ruisseau, pas un homme vivant ne
reste aux mains de l'ennemi. Tous les blessés sont là. On est
encore trop près; l'ennemi, fort de son succès, pousse de
l'avant. Il faut se replier à la crête où l'on était le matin;
du reste l'infiltration boche continue à droite par le ruisseau.
A minuit, un poste avancé signale que des éléments ennemis nous
tournent vers la droite. Le commandement qui a été averti
ordonne au sergent Didier, qui a pris le commandement de ce qui
reste du peloton, de se retirer et d'abandonner la croupe; mais
de cette poignée de braves il n'en est plus un qui veuille
encore reculer. Le sergent Didier refuse d'exécuter l'ordre et
garde ses emplacements. Il ne se retirera que le lendemain, au
moment de la relève.
Au petit jour, le peloton est relevé et regagne le fort de
Manonviller. L'attaque se refera et cette fois les exécutants,
profitant de l'expérience acquise, enlèveront le blockhaus le
soir même.
C'est encore à un peloton du groupe cycliste que l'on va confier
cette mission; on lui adjoindra une section du 217e R. I. et une
préparation sérieuse d'artillerie sera faite sur l'ouvrage à
enlever.
Le peloton Perrée est venu la nuit précédente relever le 2e
peloton. Déjà les hommes connaissent le lourd bilan de la
journée précédente et le sacrifice de leurs camarades. Aussi
sont-ce des pensées graves qui s'agitent dans tous les cerveaux.
En sortant de Vého il faut s'arrêter et laisser passer un
lugubre cortège qui s'avance à pas lents. Ce sont les corps des
camarades tués et quelques blessés que l'on ramène à l'arrière.
Le peloton sait où il va; il sait aussi ce qu'on attend de lui
mais il a, solide au coeur, l'espoir secret de venger les
camarades tombés et de prendre leur revanche.
Quelques mètres plus loin une rafale d'artillerie les salue et,
dès lors, il faudra avancer péniblement en formations ouvertes.
Enfin, de grand matin, le peloton est au ruisseau et, les
Allemands s'étant repliés, occupe les positions d'où le 2e
peloton était parti la veille à l'attaque. Il passe toute la
journée dans des trous de tirailleurs qu'il s'est creusés. Vers
4 heures de l'après-midi, le peloton Perrée reçoit l'ordre
d'attaquer. Une section du 217e R. I. est adjointe au peloton.
On attaquera après la préparation d'artillerie. La 3e section,
au centre, marchera droit sur le blockhaus; à sa droite, la 1re
section prolongera l'attaque; à sa gauche, la section du 217e
débordera l'ouvrage ayant comme objectif le boyau amenant à
l'ouvrage. Enfin, la 2e section en ligne, elle aussi, servira à
couvrir la droite de l'attaque et surveillera particulièrement
le ruisseau; toutes les précautions sont prises pour éviter une
surprise ennemie. Il n'y a plus qu'à attendre l'artillerie. Deux
pièces de 155 court ont pris sérieusement à partie le réseau
ennemi et le tir bien réglé ouvre des brèches dans les fils de
fer. Tout le monde maintenant est sûr du succès.
A 17h55, tous nos 75 ouvrent d'un seul coup un feu roulant sur
l'ouvrage ennemi. A 18 heures, avec un élan superbe, le peloton
Perrée arrivait dans les défenses ennemies; en un clin d'oeil,
les réseaux sont franchis et de toute part on saute dans les
tranchées boches.
L'ennemi, qui a eu des pertes, ne résiste plus et s'enfuit à
toutes jambes, laissant des prisonniers entre nos mains. La
position est à nous, nos pertes sont infimes.
Le soir même, la position retournée contre eux, nos chasseurs
infligeaient à l'ennemi qui tentait un retour offensif un
sanglant échec. Celui-ci n'a d'ailleurs pas dit son dernier mot;
furieux de se voir repoussé, il en appelle à son artillerie et
toute la nuit un bombardement incessant s'abat sur le peloton
Perrée.
Mais on tient la position, on la tient bien, malgré toute la
rage et tout l'acharnement déployé par l'ennemi; malgré les
rafales qui bouleversent le sol, les chasseurs restent
cramponnés solidement à la position si chèrement conquise; on
peut les tuer, certes, mais ils ne reculeront pas.
Devant ce courage et l'inanité de ses efforts, l'ennemi, lassé,
accepte le fait accompli.
Le peloton De Mollans est vengé.
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