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Courage civique chez les enfants de France - Emberménil - 1901

Ce récit est-il à classer dans les romans ?


Le courage civique chez les enfants de France
Capitaine Auguste-Jean-Charles Richard
Ed. 1901

Faire le bien pour le bien est un devoir sacré que tout homme doit s'imposer, sans autre récompense que la satisfaction qu'il en éprouvera, d'avoir accompli simplement une obligation morale. En faisant le bien il ne fait que rendre souvent ce qu'il a reçu des autres. Il faut aussi en le faisant, que la main gauche ignore ce que la main droite a donné. La bienfaisance pour être pure, doit-être discrète. Ne comptez pas, ne promettez pas, donnez, disait-on autrefois au jeune noble.
Chez l'enfant, la bonté n'a pas de bornes, car il donne sans compter, sans hésiter, par un mouvement propre d'un coeur neuf. Non content de sacrifier ce qu'il possède, il désire souvent posséder encore plus, pour pou voir encore plus donner. J'ai entendu, à ce sujet, citer, il y a quelques années, un touchant exemple de charité enfantine d'une personne qui est maintenant une bonne et digne maman, et je lui demande pardon de la petite indiscrétion que je vais commettre.
Habitant une des petites localités de notre chère Lorraine, à quelques pas de la frontière annexée, elle allait chaque malin à l'école qui réunissait, dans une humble maison, les enfants du petit village d'Emberménil. Sur son chemin elle s'arrêtait souvent devant l'étalage d'une épicerie, fruiterie, mercerie, et aussi un peu librairie, l'unique boutique du village, et elle contemplait les cahiers, les livres, les boîtes de couleurs, les constructions enluminées et les criardes images d'Epinal, qui, au milieu des bocaux de pralines et de pastilles multicolores, ornaient l'étalage de la marchande.
Or, un des cahiers en montre, recouvert de lustrine bleue et orné de fioritures rehaussées d'or, attirait principalement les regards et excitait l'envie de notre jeune héroïne. Cela devait, assurément, coûter fort cher, cl d'ailleurs, qu'écrirait-elle sur ce beau cahier, elle qui commençait à peine à composer ses premières phrases.- Cependant, l'envie de voir de près l'objet de ses rêves, de le tenir peut-être entre ses mains, la fit entrer un jour dans la boutique de notre épicière.
Combien le beau cahier bleu, demanda-t-elle, timidement ? - Vingt-huit sous, mademoiselle, il est fort beau, tenez, voyez-le. Il faut dire à votre maman de vous l'acheter. La fillette faillit le laisser tomber d'entre ses mains, tant elle tremblait d'émotion en entendant ce prix exorbitant ! Elle rendit aussitôt l'objet à la marchande en lui disant toute confuse : - Je reviendrai le chercher plus tard.
Vingt-huit sous ! C'était une somme ! et, pour la constituer, il fallait péniblement amasser les quelques décimes que ses parents lui donnaient chaque semaine pour acheter une friandise dominicale.
Cependant elle commença le dimanche suivant à thésauriser l'argent de ses menus plaisirs. A quelque temps de là, surprise par sa maman en flagrant délit de parcimonie, elle fut obligée de lui confesser la cause de son avarice, et de lui exposer l'objet de son envie.
Comme elle était bonne écolière, elle eut le bonheur de voir sa mère parfaire aussitôt la somme nécessaire à l'achat du fameux cahier.
Elle courait donc à perdre haleine chez l'épicière, lorsque, sur son chemin, elle rencontra, ce jour-là, un pauvre vieux, tout déguenillé, grelottant de froid, se traînant péniblement à l'aide de deux bâtons. Le pauvre cheminot avait eu les pieds gelés l'hiver précédent. D'une voix chevrotante, il murmurait tout bas ! - La charité s'il vous plaît, mademoiselle, j'ai faim !
Notre héroïne n'avait sur elle que juste la somme nécessaire à l'achat du cahier désiré. Or en en distrayant quelques sous par charité, adieu belle couverture bleue; adieu fioritures, rechampies d'or. 11 faudrait en remettre l'achat à plus tard, et par un pieux mensonge peut-être, raconter à sa mère la perte de quelques centimes qu'elle aurait donnés en aumône? Mais la voix du misérable affaiblie par les privations répétait encore : - J'ai froid, et je n'ai rien mangé depuis hier.
Tant pis pour le cahier, se dit aussitôt la petite, et, dans les mains tremblantes du vieux mendiant, elle déposa ses vingt-huit sous et s'enfuit du côté de la maison, poursuivie par les bénédictions du pauvre homme.
En la voyant revenir aussitôt au logis, et sans son cahier tant désiré, la mère interrogea son enfant, et, ayant appris avec la plus douce émotion le récit de sa généreuse action, elle la serra tendrement sur son coeur.
La prenant aussitôt par la main, elle la conduisit elle-même chez la marchande où la brave fillette eut le bonheur de voir sa mère lui acheter son beau cahier à couverture bleue, rehaussée de dorures.

 

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