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Élections cantonales - Contestation du scrutin - 1874
 



Rapports et délibérations - Conseil général du Département de la Meurthe et Moselle
Séance du 23 octobre 1874

M. le PRÉSIDENT : L'ordre du jour appelle la discussion sur la validation de l'élection du canton de Blâmont.
La parole est au rapporteur du 4e bureau d'examen.

M. G. MICHAUT donne lecture du rapport suivant :

RAPPORT DE LA COMMISSION.

Il résulte du procès-verbal du bureau central de Blâmont, que le nombre des électeurs inscrits dans le canton est de 3764, dont le quart est 941. Il y a eu2889 votants, dont à déduire 24 bulletins blancs ou nuls annexés aux procès-verbaux des communes, ce qui réduit le nombre des suffrages exprimés à 2865, dont la moitié plus un est 1433. M. Brice a obtenu 1455 voix, soit 22 de plus que la majorité absolue, et M. Mathis 1400.

Quinze protestations ont été formées contre l'élection de M, Brice, et onze d'entre elles signalent le défaut d'émargement des votes prescrit par l'art. 16 de l'arrêté préfectoral du 19 septembre 1874. Mais, vérification faite, il a été constaté que les noms des votants avaient été indiqués par un signe apposé, quelquefois au crayon, soit sur la liste, soit sur un brouillon de celle-ci. Il est vrai que l'art. 16 exige sur la liste même la signature ou le paraphe de l'un des assesseurs, condition qui a été négligée dans certaines communes et dont l'omission ne paraît pas cependant à votre Commission de nature à entraîner l'invalidation des scrutins dans lesquels s'est produite cette irrégularité.
Quant aux autres griefs allégués à l'appui des protestations, ils consistent dans les faits suivants :
1° A Gondrexon, le sieur Joseph Cotel avance que le sieur Thouvenin, aubergiste, ayant trouvé le scrutin fermé vers une heure de l'après-midi, a été informé que le procès-verbal était expédié pour Blâmont et qu'on avait voté pour lui.
2° Dans la même commune, le sieur Claude Michel déclare ne s'être pas présenté au scrutin du 4 octobre et y figurer cependant comme votant, ce qui est en effet constaté par la croix apposée devant son nom.
3° A Nonhigny,\e sieur Jean-Baptiste Jeanjean a vu le sieur François Hachon déposer dans l'urne deux bulletins dont l'un pour son fils non inscrit. Le bureau a alors ouvert l'urne et en a retiré un bulletin qui était par dessus et portait le nom de M. Mathis de Grandseille.
4° Dans la même commune, le sieur Jeanjean a également vu l'électeur Edouard Aubry remettre successivement deux bulletins et voter ainsi pour lui et pour son père.
5° A Vaucourt, le sieur Brancard déclare que le sieur Charles Potier a pris sur la table du bureau, au pied de l'urne, son bulletin sans être plié, l'a remis dans la même forme à M. Joseph Poirson, l'un des assesseurs qui l'a plié et déposé dans l'urne.
6° A Blâmont, le sieur Arsène Adrian expose qu'au dépouillement de cette commune on a trouvé trois bulletins en plus que le nombre des votants et que le bureau a annulé trois bulletins de M. Mathis de Granseille.
7° Votre Commission a reconnu qu'à Remoncourt un sieur Jean Schaeffer a voté, quoique non inscrit.
8° A Harbouey, un électeur malade, dont le nom est pointé sur la liste d'émargement, a envoyé le garde-champêtre voter pour lui.
9° Dans la même commune, un fils a voté pour son père.
10° A Domèvre, deux personnes, non assesseurs, se sont trouvées successivement un certain temps au bureau pour remplacer un membre et ont reçu les bulletins des électeurs.
11° Dans la même commune, Victor Jacquot a voté pour son père malade, Jean-Joseph Jacquot.
12° A Domjevin, les électeurs François (Joseph) et Robert (Emile) ont été ajoutés à la liste électorale dans la matinée du 4 octobre et ont voté. Leurs noms ne figurent pas sur la liste déposée à la préfecture.

En admettant les faits ci-dessus comme justifiés, ils se présente deux moyens d'en appliquer la conséquence aux opérations électorales de Blâmont. Le premier consisterait à apprécier l'influence spéciale qu'ils ont pu avoir sur chaque scrutin et à déterminer le nombre de voix que l'on devrait déduire de celles obtenues par le candidat auquel est acquise la majorité.
La seconde solution consisterait à considérer les irrégularités commises comme ayant pu s'étendre à un plus grand nombre de cas que ceux signalés par les auteurs des protestations, comme un vice qui atteint l'ensemble des opérations électorales et doit les frapper de nullité.
Si l'on applique le premier mode de procéder, voici quel en devrait être le résultat :
Communes - Voix retranchées à M. Brice.
Gondrexon. - 2
Nonhigny - 2
Remoncourt - 1
Harbouey - 2
Domèvre - 1
Domjevin - 2
Total - 10
Par les dix soustractions de voix ci-dessus à M. Brice, corrélatives à 9 soustractions dans le nombre des votants, le chiffre des votants se trouve ramené de. 2889 à 2880
celui de la majorité absolue 1445 à 1441
celui des voix de M. Brice de 1455 à 1445
majorité restant à M. Brice 4 voix.

Si, au contraire, on considère que les irrégularités signalées ont dû avoir un résultat plus important que la différence des quelques voix ci-dessus ; que, si à Gondrexon où tous les électeurs, moins trois militaires, son portés comme votants, il a pu y avoir un plus grand nombre de votes simulés que ceux relevés dans les protestations ; qu'à Nonhigny, Harbouey, Domèvre, les votes pour des tiers, capables ou non, ont pu être pratiqués sur une plus grande échelle ; alors, il ne suffirait pas de retrancher quelques voix à M. Brice et il y aurait lieu, avant toute autre mesure, de procéder à une enquête.
En conséquence, Messieurs, la Commission, à la majorité, a l'honneur de vous proposer, avant de valider l'élection du canton de Blâmont, de procéder à une enquête qui porterait sur les faits signalés à Gondrexon, Nonhigny, Harbouey et Domèvre.

DÉLIBÉRATION.

M. COLLARD : Le rapport qui vient de nous être présenté a été modifié à la suite de nouvelles protestations, reçues seulement hier, et qui ont déterminé la majorité du bureau à conclure pour l'enquête. Or, ces protestations émanent d'un électeur du canton qui n'a pas une connaissance personnelle des faits qu'il avance, mais les a recueillis de tiers, et il n'indique pas même tous les noms de ceux qui auraient commis les irrégularités signalées. Dans ces conditions, ces renseignements ne peuvent inspirer aucune espèce de confiance ; mais cependant, en considération de ce qui s'est passé dans l'élection de St-Nicolas où j'ai demandé l'enquête à raison du petit nombre de voix de majorité restées au candidat, je me joindrai à la Commission pour demander l'enquête.

M. DUVAUX n'admet pas que les faits signalés soient de nature à provoquer une enquête, car quand ils seraient prouvés, ils ne pourraient pas avoir d'autre résultat que celui qu'on leur a déjà fait produire en opérant un retranchement équivalent dans les voix obtenues par M. Brice. Or, tout compte fait, il reste à celui-ci une majorité incontestable, suffisante pour le faire considérer comme élu.

M. FERVEL se joint aux observations qui viennent d'être présentés et ne tient aucun compte de certaines protestations dont l'une émane d'un employé aux gages de M. Mathis, une autre d'un officieux qui se borne à servir d'intermédiaire à des dénonciations anonymes et dont l'attitude ne peut inspirer que le dégoût.

M. CHEVANDIER déclare que l'honorabilité de la personne attaquée dont il se porte garant, pourrait être attestée par la grande majorité des électeurs du canton de Blâmont et il demande que sa protestation figure au procès-verbal. Quelques membres déclarent s'associer aux paroles de M. Chevandier.

M. le PRÉSIDENT exprime à M. Fervel son regret de l'avoir entendu diriger des imputations blessantes contre un électeur dans l'exercice de son droit, et que la Commission a cru devoir entendre dans l'intérêt de la vérité.

M. VARROY revient sur les chiffres indiqués dans le rapport et présente le calcul suivant, de concert avec M. le Rapporteur :
Nombre des votants : 2889
A déduire bulletins blancs : 24
Suffrages exprimés : 2865
dont M. Brice a obtenu 1455 et M. Mathis 1406. En admettant l'exactitude des irrégularités signalées dans les protestations, il y a lieu, comme le fait la Commission, de retrancher 9 voix du nombre des suffrages exprimés et 10 voix du nombre obtenu par M. Brice, d'où il vient :
Suffrages exprimés.= 2865 - 9 = 2856
majorité correspondante = 1429
voix Brice = 1450 - 10= 1445
majorité de M. Brice = 16
Poussons maintenant à l'extrême les conséquences des reproches adressés à la commune de Gondrexon. Supposons que les opérations y soient tellement irrégulières, qu'il y ait lieu de les annuler complètement. Dans cette commune il y a eu 30 votants dont 20 pour M. Brice et 10 pour M. Mathis. L'annulation des opérations conduit au résultat suivant.
Suffrages exprimés = 2856 - 30 = 2826
Majorité correspondante = 1414
Voix Brice =1445 - 20= 1425
Majorité restant encore à M. Brice 11
Après qu'on a tenu compte contre M. Brice des faits relevés par les protestations et que j'offre d'y ajouter l'annulation du scrutin de Gondrexon, si la Commission insiste pour l'enquête, c'est qu'elle voudrait provoquer de nouvelles recherches et se placer ainsi sur le terrain des hypothèses, en quoi elle me semble aller trop loin et où le Conseil ne voudra certainement pas la suivre. Elle arriverait par voie de tendance à supposer que d'autres irrégularités auraient pu avoir été commises, parce que certaines irrégularités l'ont été ; absolument comme on supposait il y a 2 jours qu'il aurait pu y avoir les bulletins de M. Legros sur la table du scrutin, parce qu'il y en avait de M. de Lambel.

M. G. MICHAUT reconnaît qu'en inscrivant le nombre des votants pour le maintenir en rapport avec les voix retranchées fictivement à M. Brice, il avait pris par erreur le chiffre brut de 2889, au lieu de ce chiffre diminué des 24 bulletins nuls, soit 2865, qui devait servir de base aux calculs et établir en effet, au profit de M. Brice, la majorité de 16 voix indiquée par M. Varroy, au lieu de celle de 4 indiquée dans le rapport.
Il ajoute que cette différence ne change rien à la nature des irrégularités sérieuses signalées, telles que celle d'un scrutin fermé avant l'heure, dans lequel il y a présomption qu'un certain nombre indéterminé d'émargements ne sont pas sincères; d'une urne ouverte pour en retirer un bulletin ; d'électeur votants pour des absents, faits qui,s'ils sont justifiés par l'enquête demandée, dénoteraient dans l'élection un désordre qui entacherait toutes les opérations. La Commission a retenu les seuls faits qui lui aient paru concluants, en éliminant d'autres qui avaient cependant bien leur portée, tels que ceux de bureaux incomplets ou irrégulièrement composés, de la présence de bulletins sur la table du bureau, fait qui a eu son équivalent dans l'élection contestée de St-Nicolas et a donné lieu à une vérification suivie d'enquête.
Ce qu'il y a de plus grave serait ce qui s'est passé à Gondrexon, où l'absence dans le procès-verbal d'indication de l'heure à laquelle il a été arrêté donne un appui officiel au grief d'une clôture anticipée au scrutin, alors que si tous les électeurs, moins trois militaires, sont portés comme votants, il y a lieu de penser que des officieux ont voté pour les absents et se sont débarrassés ainsi de l'ennui d'une prolongation de séance.

M. P. MICHAUT relève ce qu'offre de singulier l'aspect de la liste d'émargement tenue à Gondrexon, où le crayon qui a tracé les croix paraît avoir opéré sans désemparer, et confirme ainsi la présomption éveillée par les deux protestations émanant de cette commune et par la circonstance que tous les électeurs y sont portés comme votants, moins trois militaires. La pratique des émargements laisse au surplus beaucoup à désirer dans le canton de Blâmont, où ce n'est que par exception qu'on observe la prescription de la loi exigeant le paraphe ou la signature, seul moyen d'assurer la sincérité et l'authenticité de l'émargement. En l'absence de cette formalité que peut- il arriver, c'est que si au dépouillement il y a désaccord entre le nombre des votants et celui des bulletins, on y supplée en ajoutant ou en effaçant un nombre équivalent de croix ou de points, et nous en avons la preuve dans ce qui s'est passé à Herbévillers, où le bureau a constaté 118 bulletins et 115 votants, alors que vérification faite, votre Commission a trouvé 118 croix d'émargement, cette négligence, rapprochée des faits compris dans les protestations, indique dans le canton de Blâmont des habitudes d'irrégularité dans lesquelles une enquête porteraient la lumière et serait un avertissement pour l'avenir.

M. COLLARD: Maintenant qu'il nous est démontré qu'en rectifiant une erreur commise dans les calculs, la majorité restant à M. Brice n'est plus seulement de 4 voix, mais de 16, je ne juge plus l'enquête nécessaire, et je me joins à mes collègues qui demandent le rejet des conclusions de la Commission.

M. DENIS : La circonstance d'une majorité de quatre voix seulement peut avoir influé sur la décision de la Commission, et comme dans l'ensemble des opérations électorales il n'y a aucune apparence de fraude qui en vicierait la substance, qu'on relève seulement des faits isolés d'irrégularité dont la sanction se trouve dans les retranchements de voix opérés par la Commission, rien ne démontre la nécessité d'une enquête contre laquelle votera l'honorable membre.

M. CHEVANDIER ne s'attache qu'à cette question : est-il vrai qu'il y a eu dans les communes indiquées par les protestations des électeurs ayant voté pour des absents ? Si le fait est contesté, on ne peut le vérifier qu'au moyen d'une enquête.

M. le PRÉSIDENT annonce qu'il a été déposé une demande de scrutin public par MM. Varroy, Collard, Petitbien, Fervel, Duvaux, Noblot. En conséquence il va être procédé en cette forme au vote sur les conclusions de la Commission qui tendent à l'enquête.
Le scrutin constate 22 votants et 20 suffrages exprimés qui se répartissent ainsi
Pour les conclusions de la Commission neuf voix, savoir : MM. G. Michaut, P. Michaut, J. Fayon, d'Hamonville, Molitor, Débuisson, Chevandier, Rollin, de Lambel.
Contre les conclusions de la Commission onze voix, savoir : MM. Collard, Varroy, Noblot, Gourier, Cosson, Tourtel, Petitbien, Fervel, Denis, Duvaux, Mézières.
En conséquence les conclusions de la Commission ne sont pas adoptées.

M. VARROY propose la validation des pouvoirs de M. Brice ; il y est procédé au scrutin secret qui donne le résultat suivant : 21 votants, 14 oui, 3 non, et 4 billets blancs.
En conséquence M. le Président déclare que les pouvoirs de M. Brice comme conseiller général pour le canton de Blâmont sont validés.

 

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