Choléra - 1892
Le Gaulois - 29
août 1892
A AVRICOURT
(par dépêche)
Avricourt, 28 août.
Rien n'est préparé pour le cas où l'épidémie éclaterait
avec une plus grande violence : ni salle de visite, ni
étuve à désinfection, ni bâtiment pour isoler les
voyageurs que les médecins reconnaîtraient contaminés.
On ne sait même pas où l'on pourrait établir tous ces
services, la gare d'Avricourt étant fort petite.
On serait probablement obligé d'aménager de vastes
bergeries qui se trouvent auprès de la gare, car presque
tous les jours il arrive à Avricourt quatre ou cinq
wagons amenant d'Allemagne des troupeaux de moutons.
Il me semble qu'il y aurait des mesures à prendre à cet
égard, car ces moutons, arrivant d'Allemagne, peuvent
fort bien apporter avec eux des germes de maladies
infectieuses, voire même servir de véhicule aux microbes
du choléra.
Les Allemands, eux, ne s'endorment pas en fait de
précautions. A cet égard un fait prouvera jusqu'à quel
point ils poussent la précaution. On sait qu'avant
l'annexion Avricourt était un grand village, une petite
ville même qui s'appelle maintenant Deutsch-Avricourt.
Igney, qui constitue l'Avricourt français. n'était qu'un
méchant hameau dont l'importance ne s'est pas accrue
depuis. A Igney il n'y a pas d'eau, les habitants n'ont
que des puisards à leur disposition, tandis qu'une
petite rivière coule à Deutsch-Avricourt. Toutes les
blanchisseuses du pays sont donc dans la partie devenue
allemande.
Depuis que le bruit a couru que le choléra. avait fait
son apparition en France les Allemands ont interdit
l'entrée du linge sale et les habitants de la partie
française sont obligés leur linge à Lunéville pour le
faire blanchir, l'eau des puisards ne pouvant pas servir
à cet usage. Ils ne laissent même pas passer le linge
blanchi que l'on porterait aux repasseuses. Quel luxe de
précaution à côté de notre incurie ! Il ne faut pas
oublier qu'Avricourt est la première station française
en se dirigeant de Hambourg sur Paris. Il faut donc
prévenir les personnes se dirigeant sur l'Allemagne de
ne pas avoir de linge sale dans leurs bagages, on ne le
laisserait pas passer. Ils seraient obligés de le
renvoyer en France.
La Croix - 30 août 1892
LE CHOLÉRA
Le choléra fait des progrès rapides en Allemagne et en
Russie.
En Allemagne
A Hambourg, on a compté, jusqu'au 26 août, 1028 cas et
358 décès; le 26, 416 cas et 150 décès; le lendemain,
128 cas et 55 décès. La ville présente un aspect morne
et silencieux. Des tombereaux remplis de cadavres et de
malades sillonnent les rues. Des familles entières ont
été emportées en quelques heures par la terrible
épidémie qui gagne de proche en proche et fait ses
ravages jusque dans les îles de l'Elbe. Le Sénat de la
ville interdit toute réjouissance publique, Il donne
l'ordre aux cabaretiers de distribuer gratuitement du
cognac aux frais de la municipalité. Les hôpitaux sont
bondés, la bourgeoisie déserte en masse cette ville
commerçante transformée en une vaste nécropole. L'eau
commence à manquer.
On signale également de nombreux décès à Altona,
Pinneberg, Wittenberg. Malgré les démentis officieux,
plusieurs cas ont été constaté à Berlin. Les médecins,
pour tranquilliser la population, déclarent qu'il n'y a
pas de choléra à Berlin, mais seulement de nombreuses
diarrhées suivies de décès.
En Russie
Saint-Pétersbourg, 28 août. Il résulte d'un rapport
officiel que le choléra s'est déclaré aussi dans le
gouvernement de Lublin, en Pologne. Jusqu'au 26 courant,
14 personnes ont été atteintes de l'épidémie et 7 sont
mortes.
Le 26 août, il y a eu dans le gouvernement de Samara
1120 cas de choléra et 521 décès; dans le gouvernement
de Saratov 330 cas de choléra et 121 décès. Enfin, dans
les districts du Don, il y a eu, les 24 et 25 août, 823
cas de choléra et 558 décès.
On n'a constaté, le 25 août à Cronstadt, aucun cas de
choléra ni aucun décès occasionné par le choléra.
En France
Le Havre, 28 août. Depuis hier, le vent souffle en
tempête et la température est relativement froide. Il y
a eu pour la journée d'hier, de minuit à minuit, 71 cas
et 25 décès.
Rouen, 28 août. Un décès attribué au choléra nostras s
est produit aujourd'hui à l'Hôtel-Dieu. On signale deux
entrées dans le même hôpital.
Le Mans, 28 août. Quelques malades sont atteint de
diarrhée cholériforme. Trois décès ont été attribués à
cette maladie.
Le choléra aurait été importé au Havre par le paquebot
allemand Rugia, venu de Hambourg, qui a débarqué 500
émigrants. La population est très surexcitée contre le
consul français de Hambourg qui n'a pris aucune des
précautions prescrites par le règlement.
Incurie du gouvernement français
Tandis que le choléra ravage l'Allemagne et que tous
les gouvernements prennent des précautions pour enrayer
les progrès de l'épidémie, le ministre de l'intérieur ne
prend aucune mesure et laisse notre frontière de l'Est
exposée sans défense aux atteintes de l'épidémie.
Ainsi à la gare frontière d'igney-Avricourt, il n'y a ni
salle de visite, ni étuve à désinfection, ni bâtiment
pour isoler les voyageurs. Aucune précaution n'est
prise. De l'autre côté de la frontière, les autorités
allemandes prennent les mesures les pi us sévères pour
interdire l'entrée des marchandises françaises
suspectes. Le linge sale est prohibé et les habitants d'Igney-Avricourt,
qui avaient l'habitude de faire laver leur linge à
Deutsch-Avricourt, sont obligés de l'envoyer à Lunéviile.
2 septembre 1892
Le gouvernement s'occupe enfin de prendre quelques
mesures sanitaires à la frontière allemande. On organise
des lazarets à Igney et Pagny.
[...]
Pagny-sur-Moselle, 1er septembre. Le docteur Vezser,
agrégé à la Faculté de Paris, inspecte les gares
frontières de l'Est. Tous les voyageurs seront examinés
à l'arrivée des trains et devront recevoir un passeport
sanitaire. Des lazarets de six lits seront installés à
chaque gare. Les bagages suspects seront soumis à la
désinfection. Des ètuves sont déjà arrivées ici et à
Igney-Avricourt. On construit en toute hâte des lazarets
en bois et en planches pour les malades.
Chaque poste militaire comprendra deux docteurs, un
interne, deux infirmiers, une infirmière.
9 octobre 1892
LES PANIQUES
La peur du choléra provoque un grand nombre de paniques
aussi puériles qu'injustifiées. Il y a quelques jours à
Deustch-Avricourt, on descendait du train venant de
Nancy, une jeune fille en proie à d'horribles
contorsions. Tout le monde s'Éloigna avec terreur; la
cholérique est transportée au lazaret et la le médecin
constate qu'elle n'a qu'une crise de nerfs.
Quelques jours après, à Igney-Avricourt, un Lorrain
descendait du train de Strasbourg, criant d'une voix
lamentable: J'ai le choléra. On s'empresse autour de
lui. Vomissements, crampes, déjections, tous les
symptômes du choléra sont constatés. Le wagon est
désinfecté et mis en quarantaine, le cholérique est
confortablement installé au lazaret, où il ne tarde pas
à dormir d'un profond sommeil. Le lendemain, il se
réveillait, gai, frais, dispos. Toutes les traces du
choléra avaient disparu. Les trop nombreuses chopes de
bière qu'il avait absorbées à Strasbourg étaient
l'unique cause de cette prétendue attaque.
Hier à Lille, la costumière du théâtre, chargée de
fournir un grand nombre de costumes pour la cavalcade de
demain, était prise de vomissements. On s'empressa
autour d'elle. En ce moment arrive un membre du comité
des fêtes qui venait prendre les costumes. Effrayé, il
les fait empiler dans une voiture et annonce qu'on va
les désinfecter, mais personne ne veut recevoir ces
loques contaminées.
Cependant, la Commission d'hygiène s'émeut, la
costumière et ses ouvrières sont mises en quarantaine,
des médecins sont envoyés et ils constatent que la
malheureuse a ou une simple indigestion.
Choléra
asiatique en Lorraine
Dr Louis Bertrand, Louis
1913
Epidémie de 1892
Son origine est aussi mal connue que celle de la
précédente; dans plusieurs circonstances, elle parut se
développer sur place; elle parcourut toute l'Europe, la
Lorraine ne fut pas épargnée, mais peu gravement
atteinte.
La maladie revêtit un caractère mixte, tenant à la fois
du choléra indien et du choléra nostras; c'est ainsi que
Dieulafoy, analysant quatre cas, en trouve :
2 avec des bacilles;
1 avec des vibrions seuls;
1 avec des bacilles et des vibrions.
Au Conseil d'hygiène de Nancy, Tisserant avait aussi
émis l'opinion que le choléra sévissant dans la banlieue
de Paris n'était pas identique à celui qui sévissait
dans l'Est de l'Europe, et dont la contagiosité était si
évidente, tandis que celui qui sévissait à Paris n'avait
qu'une contagiosité relativement faible. Dans la
relation que Pompidor fit de l'épidémie en Bretagne, il
note que son origine est inconnue, pas un cas n'ayant
été relevé sur les navires rentrés à Lorient; mais la
mortalité y fut considérable, atteignant un tiers des
malades, tandis qu'en Lorraine, où l'origine de la
maladie fut tout aussi obscure, la mortalité fut
extrêmement faible. Il semblerait qu'en Bretagne l'on
eut affaire plutôt au choléra indien développé sur
place, tandis qu'en Lorraine on n'aurait eu qu'une
épidémie de choléra nostras.
D'après le rapport de Heydenreich, 60 communes au moins
furent atteintes dans le département, mais 28 seulement
sont citées nominativement avec 53 décès, portant
surtout sur les jeunes enfants : on n'aurait donc eu
affaire qu'à de simples gastro-entérites et non pas à du
choléra, comme le dit l'auteur de la statistique. Outre
ces communes, on a eu de nombreux cas de diarrhée
cholériforme dans un grand nombre d'autres localités. A
Nancy, l'un des décès se rapporte à un étranger arrivant
de Paris à Champigneulles, d'où il fut transporté à
l'hôpital le 7 septembre.
La commune de Houdreville, dans le canton de Vézelise,
eut une véritable épidémie que l'on parvint à étouffer
rapidement, car débutant le 4 octobre, il n'y eut plus
aucun cas à partir du 18 du même mois.
Cette épidémie fut attribuée à l'eau d'une fontaine
située au centre bas du village et recevant les
infiltrations du sol. Or, au moment des grandes
manoeuvres, un réserviste parisien pris à Houdreville de
diarrhée et de vomissements, aurait été rapidement
évacué sur l'hôpital militaire; mais ses selles avaient
été déposées sur un fumier voisin de la fontaine; le
départ de ce malade fut suivi d'une période de
sécheresse qui dura quinze jours, à laquelle succéda une
période de pluies; or quatre jours après le début des
pluies, le choléra se déclara. Mais l'autorité
militaire, interrogée, nia qu'aucun des hommes cantonnés
à Houdreville eût été atteint de diarrhée.
L'eau de source analysée à Paris fut déclarée mauvaise
comme contenant beaucoup de matières organiques et du
colibacille; mais comme on ne recherchait pas le vibrion
cholérique, rien ne prouve qu'on n'a pas été en présence
de plusieurs cas de choléra indien.
ARRONDISSEMENT DE LUNÉVILLE
Il n'y eut qu'un seul décès à Saint-Clément, le 24 août.
ARRONDISSEMENT DE TOUL
Communes rangées d'après leur date d'invasion
Communes - Cas - Décès
Manonville - 2 - 1
Colombey - 270 - 3
Allain-aux-Boeufs - 125 - 2
Saulxuxes-les-Vaiines - 75 - 3
Selaincourt - 122 - 5
5 communes furent atteintes avec 14 décès.
La circonscription de Colombey fut surtout frappée
On remarquera la faiblesse de la mortalité : 14 décès
sur 594 malades, dont 9 décès d'enfants et 5 d'adultes;
c'est ce qui prouve formellement que le choléra indien
n'était pas en jeu.
ARRONDISSEMENT DE BRIEY
Communes rangées d'après leur date d'invasion
Communes - Cas - Décès
Bazaïlles - 6 - 4
Anderny - 12 -
Audin-le-Roman - 11 -
Chambley - - 1
Mercy-le-Haut -1 -
Mont-Saint-Martin - -12
Sancy - 1 -
Serrouville - 18 - 2
Norroy-le-Sec - Nombreux cas.
Le plus grand nombre des décès appartient à de jeunes
enfants et serait dû à des gastro-entérites. |