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Claude-Ambroise Régnier, Duc de Massa

Voir aussi Claude-Ambroise Régnier, Duc de Massa

Note : La véritable date de naissance de Claude-Ambroise Régnier est le 5 novembre 1746, fils d'Ambroise Régnier et de Françoise Thiry, avec baptême le même jour et comme parrain, Claude Christophe, comme marraine, Jeanne-Marie.




Dictionnaire des Parlementaires français de 1789 à 1889

publié sous la dir. de MM. Adolphe Robert, Edgar Bourloton et Gaston Cougny
Éditeur : Bourloton (Paris) 1889-1891

REGNIER (CLAUDE-AMBROISE), DUC DE MASSA, député en 1789, et au Conseil des Anciens, membre du Sénat conservateur, ministre, né à Blamont (Meurthe) le 5 novembre 1746, mort à paris le 24 juin 1814,avocat à Nancy, témoigna beaucoup d'enthousiasme pour la Révolution, et fut élu, le 6 avril 1789, député du tiers aux Etats Généraux par le bailliage de Nancy. Il prêta le serment du Jeu de paume, fit partie de la commission de législation, combattit l'institution des jurés en matière civile, et le transfert des juges d'appel, demanda un décret d'accusation contre le Vicomte de Mirabeau, qui avait enlevé les cravates tricolores des enseignes de son régiment, défendit la municipalité de Nancy et approuva le conduite de marquis de Bouillé lors de la révolte des soldats de Châteauvieux. Après la fuite du roi, il fut envoyé, le 22 juin 1791, comme commissaire dans les départements du Rhin pour y recevoir le serment des troupes, fit deux rapports sur les troubles d'Haguenau, qui n'avait pas voulu recevoir le régiment de Picardie, et fut dénoncé par les Jacobins de cette ville. Au comité de constitution, où il siégea constamment, il se fit remarquer par ses connaissances positives et la clarté des ses expositions. Il parla notamment sur l'organisation du tribunal de Cassation, demanda la peine de mort contre les falsificateurs d'assignats et réclama une indemnité pour les accusés acquittés. Pendant la Terreur, il vécut dans la plus profonde retraite et ne reparut dur la scène politique qu'après la promulgation de la Constitution de l'an III. Elu, le 23 vendémiaire an IV, député de la Meurthe au Conseil des Anciens, à la pluralité des voix sur 277 votants et réélu au même Conseil par le même département, le 23 germinal an VII, il se fit remarquer parmi les membres les plus fermes de la gauche, s'opposa, le 19 décembre 1795, à l'admission de J.J. Aymé, devint le secrétaire du Conseil le 2 frimaire an IV, puis président le 1er ventôse en IV, fit partie de la commission de radiation de la liste des émigrés, de la commission des successions, de la commission d'examen du nouveau code pour les délits et peines des troupes de la République, de la commission des délits de presse, de la commission de vérification des pouvoirs des nouveaux députés, fut adjoint à la commission des domaines congéables, vota contre le retour des prêtres exilés ou déportés, combattit le parti de Clichy sans défendre absolument le Directoire, repoussa la proposition Boulay de la Meurthe rendant à expulser de France les nobles non ralliés à la Révolution, appuya la proposition de Courtois, qui demandait la fermeture du club du Manège et, partisan du général Bonaparte, se montra tout diposé à favoriser un coup d'Etat. Il fut un des députés qui se réunirent chez Lemercier, président du Conseil des Anciens, le 17 brumaire au soir, pour préparer l'acte du lendemain. Il y prononça un long discours sur les dangers qui menaçaient l'indépendance du corps législatifs et rédigea le décret qui transférait les deux Conseils à Saint-Cloud, décret dont il donna lecture à la séance du lendemain, 18 brumaire. Le 19, il fut appelé à la commission intermédiaire du Conseil des Anciens, dont il devint président quelques jours plus tard. Membre du Sénat conservateur et conseiller d'Etat à la création, le 4 nivôse an VIII, il fut chargé des détails relatifs aux domaines nationaux, puis devint l'un des principaux rédacteurs du code civil. Il y montra une connaissance approfondie des matières juridiques. Il fut aussi chargé de porter la parole à l'ouverture de la session du Corps législatifs et défendit les projets de loi au nom du gouvernement, jusqu'au 30 floréal an X. Le 27 fructidor suivant, Bonaparte la nomma grand-juge et ministre de la Justice, fonctions qu'il conserva jusqu'au 20 novembre 1813. Jusqu'au 10 juillet 1804, il dirigea en outre le ministère de la Police, que Fouché reprit ensuite ; c'est en cette qualité qu'il découvrir le complot de Cadoudal et instruisit son procès. Membre de la Légion d'honneur le 9 vendémiaire an XII, grand officier de l'ordre le23 prairial suivant, grand aigle le 13 pluviôse an XIII, créé comte de l'empire le 24 avril 1803 et duc de Massa di Carrara le 13 août 1809, Regnier reçut le 23 novembre 1813, à son départ du ministère de la Justice, le titre et ministre d'Etat et de président du Corps législatif, dont il ne faisait cependant pas partie ; mais un senatus-consulte venait d'enlever à cette assemblée le droit de choisir son président. Cette mesure ayant mécontenté les députés, Regnier fut froidement accueilli, et M. Flaugergues ne lui cacha pas ce que sa présence à ce fauteuil avait d'inconstitutionnel. A la première abdication, le duc de Massa revendiqua son droit de présider le corps législatif «  pour adhérer à la déchéance prononcée contre Napoléon et sa famille ». Il mourut moins de trois mois après.


Grand dictionnaire universel du XIXe siècle T. 13
Larousse, Pierre (1817-1875)
Administration du grand Dictionnaire universel (Paris) - 1866-1877


Régnier (Claude-Ambroise, duc de Massa). Homme d'Etat français, né à Blamont (Lorraine) le 6 avril 1736, mort à Paris le 24 juin 1814. Il était avocat à Nancy lorsqu'il fut élu, en 1789, député aux états généraux. Régnier ne s'occupa guère, à l'Assemblée constituante, que de questions judiciaires. Il y fit rejeter l'application du jury en matière civile, l'ambulance des juges d'appel, et se prononça pour qu'on donnât des indemnités pécuniaires aux personnes qui, arrêtées et détenues préventivement, seraient acquittées par le jugement. Cette proposition ne fut point adoptée. A l'occasion de l'insurrection du peuple et de la garnison de Nancy, Régnier défendit la municipalité contre les attaques dont elle était l'objet et approuva la conduite du marquis de Bouillé. Au mois de juin 1791, il fut envoyé en mission dans les départements des Vosges et du Rhin pour calmer l'esprit public et la fermentation qu'avait fait naître la fuite de Louis XVI. Lorsque l'Assemblée constituante se sépara, Régnier, qui avait voté à peu près constamment avec le parti modéré, rentra dans la vie privée et disparut complètement de la scène politique pendant la période des grands orages révolutionnaires. Lors de la mise en vigueur de la constitution de l'an III, il fut élu député au Conseil des Anciens par le département de la Meurthe et se montra alors désireux de voir maintenues les institutions républicaines ; il se prononça contre le retour et le rappel des prêtres déportés ou exilés, soutint la loi du 3 brumaire, devint secrétaire, puis président du conseil (1795) et resta complètement étranger aux événements du 18 fructidor. Réélu au conseil des Anciens en 1799, il appuya la proposition faite par Courtois de faire fermer le club du Manège ; puis, au retour de Bonaparte de l'Egypte, il se jeta dans le parti qui conspirait la chute du Directoire et voulait donner le pouvoir au général corse. Le 17 brumaire, il prit part à une réunion tenue chez Lemercier, président du conseil des Anciens, pour préparer les mesures nécessaires à la réussite du coup d'Etat projeté, et présenta au conseil, le 18 brumaire au matin, un projet de décret qui transférait les deux Chambres législatives à Saint-Cloud.
Après le Coup d'Etat qui jetait la France dans le despotisme de l'ambitieux Bonaparte, Régnier fut nommé président de la commission intermédiaire chargée de préparer une nouvelle constitution ; il entra au conseil d'Etat, fit rétablir la marque pour crime de faux, devint, en 1802, grand juge (ministre de la justice), ayant dans ses attributions la police, et mérita, par le zèle avec lequel il dirigea les poursuites contre Cadoudal, Pichegru et autres, d'être créé grand officier de la Légion d'honneur en 1804. Toutefois, en 1804, Napoléon, tout en lui laissant le ministère de la justice, lui enleva le ministère de la police, qui fut donné à Fouché. L'année suivante, il reçut le grand cordon de la Légion d'honneur et, le 15 août 1809, le titre de duc de Massa. Le 19 novembre 1813, son maître lui retira le portefeuille de la justice pour lui confier la présidence du Corps législatif, avec le titre de ministre d'Etat. Régnier se trouva alors en face de cette commission extraordinaire qui, en sonnant, pour ainsi dire, le réveil de la liberté, porta un si grand trouble dans l'esprit du chef de l'Etat, habitué dès longtemps à la plus servile soumission. Lorsque, le 28 décembre 1813, le rapporteur de cette commission eut commencé la lecture de son énergique rapport, le duc de Massa, effrayé du mâle langage de l'orateur, l'interrompit en s'écriant : «  Ce que vous dites là, est inconstitutionnel. - Il n'y a d'inconstitutionnel ici que votre présence, » lui répliqua le rapporteur, faisant allusion à ce que Régnier n'était point membre du corps politique qu'il présidait. Régnier occupait encore le fauteuil de la présidence lorsque Bonaparte abdiqua en 1814. Il écrivit alors (8 avril) au gouvernement provisoire pour lui demander des instructions, mais ne reçut aucune réponse. Privé tout à coup de toutes ses dignités, cet homme d'Etat, qui, depuis 1799, n'avait cessé d'être un courtisan, éprouva le plus vif chagrin de l'effondrement de sa fortune et succomba deux mois plus tard.


Album du centenaire. Grands hommes et grands faits de la Révolution française (1789-1804)
Challamel, Augustin (1819-1894)
Éditeur : Combet (Paris) - 1902

RÉGNIER (Claude-Ambroise, duc de Massa), né à Blamont (Meurthe) le 6 avril 1736, était avocat à Nancy quand il fut élu député aux États- Généraux.
Il se déclara d'abord partisan des idées nouvelles; mais son enthousiasme fit place à une attitude plus tranquille et il ne s'occupa plus que de travaux d'organisation judiciaire.

Sous la Convention il se tint prudemment à l'abri des orages, devint président du Conseil des Anciens et se tourna tout â fait contre les Jacobins.
Le retour de Bonaparte en France, après l'expédition d'Egypte, facilita les projets de Régnier, qui aida au coup d'Etal du 18 brumaire en présentant le projet de décret transférant les Conseils à Saint-Cloud. Bien que Régnier ne fût point un administrateur hors ligne, Bonaparte l'associa à sa fortune en le faisant entrer d'abord au Conseil d'État; il fut un des rédacteurs du Code civil; grand-juge, ministre de la justice et de la police générale en 1802, grand-aigle de la Légion d'honneur en 1805, fait duc de Massa en 1809 et sénateur en 1811, il quitta en 1813 le ministère de la justice, fut nommé ministre d'État et président du Corps législatif.
Régnier mourut à Paris le 25 juin 1814.
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LETTRES-PATENTES qui confèrent le titre de Duc à M. le comte Regnier, Grand-Juge, Ministre de la Justice. 

«  Au quartier-général Impérial de Schoenbrunn, le 15 août 1809.
Napoléon, etc.

Les services signalés rendus à l'État et à nous par notre cher et bien-amé le sieur Regnier, ayant fixé
sur lui notre estime et notre bienveillance particulière, nous avons résolu de récompenser le zèle, le dévouement et la fidélité dont il. nous a donné des preuves constantes dans le ministère important dont nous l'avons chargé. Dans cette vue, nous avons par notre décret du 15 août 1809, nommé notre cher et bien-amé le sieur Regnier l'un des Ducs de notre Empire, sous le titre de Duc de Massa di Carrara; en conséquence, et en vertu dudit décret, ledit sieur Regnier s'étant retiré par-devant notre cousin le Prince Archi-Chancelier de l'Empire, à l'effet d'obtenir de notre grâce les Lettres-Patentes qui lui sont nécessaires pour jouir de son Titre, nous avons, par ces présentes signées de notre main,
conféré et conférons à notre cher et bien-amé le sieur Claude-Ambroise Régnier, notre Grand-Juge Ministre de la Justice, grand aigle de la légion d'honneur, Comte de notre Empire, né à Blamont, département de la Meurthe, le 5 novembre 1746, le titre de Duc de Massa di Carrara voyant que ce titre et les biens qui y sont attachés, soient transmissibles à sa descendance directe, légitime, naturelle ou adoptive, de mâle en mâle, par ordre de progéniture; lesdits biens se trouvant désignés dans l'acte de constitution à faire, de notre autorité, par notre cousin le Prince Archi-Chancelier de l'Empire, en présence du Conseil du Sceau des Titres, dans lequel acte seront énoncés les conditions sous lesquelles jouiront desdits biens notre cher et bien-amé le sieur Regnier et ceux de ses descendants appelés après lui à les recueillir, ainsi que le titre auquel ils sont attachés
Autorisons notre cher et bien amé le sieur Regnier à se dire et qualifier Duc de Massa di Carrara en tous actes et contrats, tant en jugement que dehors; voulons qu'il soit reconnu partout en ladite qualité, qu'il jouisse des honneurs attachés à ce Titre, après qu'il aura prêté en nos mains le serment prescrit par l'article 37 de notre second statut du 1er mars 1808; qu'il puisse porter en tous lieux les Armoiries telles qu'elles sont figurées aux présentes, et qui sont d'hermine à la fasce de sable, chargées de trois alérions d'or, chef des Ducs de l'Empire, et pour livrée, noir nuancé, hermine et argent.
Chargeons notre cousin le Prince Archi-Chancelier de l'Empire, de donner communication des présentes au Sénat, et de les faire transcrire sur ses registres car tel est notre bon plaisir; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, notre cousin le Prince Archi-Chancelier de l'Empire y a fait apposer, par nos ordres, notre grand sceau, en présence du conseil du sceau des Titres.

Donné en notre quartier général Impérial de Schoenbrunn, le 15 du mois d'août de l'an de grâce 1809. »


Claude-Ambroise Régnier dans une polémique moderne sur la législation raciale de Napoléon
NDLR

«  EXTRAIT d'une circulaire du grand juge ministre de la justice relative à la prohibition du mariage entre les blancs et les noirs.
Du 18 nivôse an 11 (8 janvier 1803).

JE vous invite, M. le préfet, à faire connaître, dans le plus court délai, aux maires et adjoints faisant les fonctions de l'état civil dans toutes les communes de votre département, que l'intention du Gouvernement est qu'il ne soit reçu aucun mariage entre des blancs et des négresses, ni entre des nègres et des blanches.
Je vous charge de veiller avec soin à ce que ses intentions soient exactement remplies, et de me rendre compte de ce que vous aurez fait pour vous en assurer.

Signé : Régnier »


Cette circulaire, dictée par Bonaparte et transmise aux préfets, suscite de nos jours de grandes polémiques, d'autant que la dépouille mortelle de Claude Ambroise Régnier a été transférée au Panthéon :

"Le ministre de la Justice, Ambroise Régnier, déjà complice de la loi sur le rétablissement de l'esclavage, a l'idée de faire passer la mesure sous forme de circulaire adressée aux préfets de tous les départements. Fier de l'idée, il signe son chef-d'oeuvre le 8 janvier 1803 (18 nivôse an XI) : «  Je vous invite, citoyen préfet, à faire connaître dans le plus court délai aux maires et adjoints, faisant les fonctions d'officiers de l'état civil, dans toutes les communes de votre département, que l'intention du gouvernement est qu'il ne soit reçu aucun acte de mariage entre des blancs et des négresses ni entre des nègres et des blanches. Je vous charge de veiller à ce que ses intentions soient exactement remplies et de me rendre compte de ce que vous aurez fait pour vous en assurer. »
C'est ainsi que, dans chaque département, au début de 1803, chaque préfet a adressé à son tour une circulaire à chaque maire, pour que de telles unions soient proscrites. On se doute que de semblables mesures laissent des traces dans les mentalités, au fond des provinces, au fond des campagnes, longtemps après qu'elles ont été abrogées. En l'occurrence, rien ne laisse penser que cette initiative de Napoléon a été rapportée avant le règne de Charles X."

Ribbe Claude, Le crime de Napoléon, éd. Privé 2005


Il convient cependant d'ajouter que les dispositions de la "circulaire Régnier" semblent avoir été considérées comme caduques avant même le règne de Charles X (et sa loi du 24 avril 1833). Voici par exemple ce que M le comte Portalis, sous-secrétaire d'Etat au ministère de la justice écrivait, le 1er juillet 1820, à un fonctionnaire public : «  Vous sollicitez la révocation d'une disposition qui avait défendu aux officiers de l'état civil de recevoir des déclarations de mariage entre les blancs et les noirs, et je vous préviens que la circulaire qui contenait cette défense ne reçoit plus d'exécution. Il a été reconnu qu'elle ne pouvait se concilier avec les dispositions de nos lois sur le mariage, et avec la jouissance des droits civils, qui a été accordée en France aux noirs et autres gens de couleur, depuis la loi du 16 octobre 1791, et qu'elle ne pouvait plus être maintenue. ».
La circulaire avait d'ailleurs dès l'origine reçu une application stricte, puisque un arrêt du tribunal de Bordeaux du 22 mai 1806 avait ainsi rejeté l'opposition d'un père qui résistait au mariage que sa fille avait projeté avec un mulâtre, en considérant l'acte du gouvernement qui défend le mariage entre un blanc et une négresse et entre un nègre et une blanche, comme étranger aux mulâtres.

On notera aussi que d'autres textes préexistaient avant la circulaire Régnier : ainsi un arrêt du Conseil d'Etat du 5 avril 1778 défendait en France les mariages entre blanc et noir, et prévoyait le renvoi aux colonies pour les contrevenants. Mais Claude Ambroise Régnier, au lieu de suppléer à la politique de Napoléon dans son rétablissement de l'esclavage (loi du 20 mai 1802 - 30 floréal an X),  aurait été plus inspiré de suivre les principes de l'abolition de l'esclavage, proclamé par la convention (loi du 4 février 1794 - 16 pluviôse an II) sous la pression, entre autres, de l'abbé Henri Grégoire (*).

* : Régnier était né à Blâmont en 1746, Grégoire à Vého en 1750. Ils ont été élu tous deux députés du bailliage de Nancy aux Etats généraux de 1789, le premier du tiers-état, le second du clergé. Ils furent tous deux en 1790 membres du club des jacobins. Malgré son opposition au régime de Napoléon, Henri Grégoire entrera lui aussi au sénat conservateur, deviendra membre de la Légion d'honneur (9 vendémiaire an XII), puis commandeur (le 25 prairial) et comte de l'Empire le 2 juillet 1808. Régnier repose au Panthéon depuis 1814, où Grégoire ne l'a rejoint qu'en 1989.


Claude-Ambroise Régnier
Claude Ambroise Régnier - Tableau peint en 1808 par Robert Lefèvre (1755-1830)


Journal de la Société d'archéologie et du Comité du Musée lorrain - 1889
RÉGNIER, DUC DE MASSA, ET SA FAMILLE

On ne parait pas avoir déjà publié l'acte de naissance de Régnier, duc de Massa et grand juge sous le premier Empire, originaire de Blâmont ; voici la copie de ce document :
«  Claude Ambroise, fils légitime du sr Ambroise Regnier et de damoiselle Françoise Thiry son epouse tous deux de cette paroisse, est né le cinq 9bre de l'année mil sept cent quarante six et a été baptisé le même jour; il a eu pour parain le sr Claude Christophe et pour maraine damoiselle Jeanne Marie, tous deux de cette paroisse qui ont signé avec nous. »
Signé C. Christophe Jeanne Marie G. Laurent vic.

Les registres de l'état civil de Blâmont renferment en outre, sur ce grand homme et sa famille, quelques détails peu connus il y est qualifié de «  jeune étudiant » en septembre 175B, dans un acte où il figure comme parrain et de «  procureur général de S. A. Monseigneur le Prince de Salm », en janvier 1773.

Ambroise Régnier, son père, exerçait, en 1748, la profession d'aubergiste. On le voit, en janvier 1780, étant «  receveur des domaines du Roy », marier sa fille Barbe Thérèse à Jean François Servant «  commis ambulant de la régie générale au département de Blâmont » ; l'abbé Régnier, frère de l'épouse, assistait à la bénédiction nuptiale. Il est dit «  ancien fermier des domaines » en 1784 et «  négotiant » dans l'acte de décès de Marie-Françoise Thiry, sa femme, originaire de Domèvre et morte âgée de 65 ans le 12 février de l'année suivante. Lui-même mourut le 28 décembre 1806, à l'âge de 87 ans son extrait mortuaire apprend qu'il était né à Saint-Dié de Jean Regnier, receveur du seigneur de Leintrey et de Catherine Colnot. Mrs Joseph Romer, rentier et J, François Cholet, marchand, ses gendres, demeurant tous deux à Blâmont, en firent la déclaration.

De MARTIMPREY.


Journal de la Société d'archéologie et du Comité du Musée lorrain - 1898
L'ÉTAT CIVlL DU GRAND-JUGE RÉGNIER, DUC DE MASSA

Parmi les Lorrains, assez peu nombreux, qui à la faveur de la Révolution arrivèrent aux honneurs, non par des services militaires, mais dans des carrières civiles, l'un des plus en vue est Claude-Ambroise Régnier, qui devint sous Napoléon duc de Massa, et grand-juge de l'Empire, c'est-à-dire ministre de la justice. On sait généralement qu'il est né à Blâmont, dans le département de la Meurthe mais, sur la date ne sa naissance, les auteurs diffèrent: La Biographie historique et généalogique des hommes marquants de l'ancienne province de Lorraine, par Michel (Nancy, 1829 1 vol. in-18), donne 1746. C'est la date exacte, à cela près qu'elle omet le mois et le jour. Par contre, la Nouvelle biographie générale de Didot, la Biographie universelle de Michaud, le Grand dictionnaire de Larousse et le Dictionnaire historique de la France, de Lalanne, fournissent tous ensemble une même date aussi précise que fausse : Régnier, disent ces ouvrages, est né le 6 avril 1736. Ils le vieillissent donc de dix ans. Une telle unanimité dans l'erreur surprendrait si l'on ne savait avec quelle constance et avec combien peu de discernement ces grands répertoires se copient les uns les autres. Dans sa Statistique de la Meurthe, Henri Lepage mentionne que Régnier est né à Blâmont, mais il n'avance pas de date ; sans doute il a été frappé du désaccord entre la biographie lorraine de Michel et les biographies générales, et, prudemment, il s'est abstenu. Du reste Michel lui-même, qui seul donne la bonne date, n'est pas sur d'autres points à l'abri de toute erreur il attribue à Régnier les prénoms de Claude-Antoine, au lieu de Claude-Ambroise.
Une erreur de dix ans dans la vie d'un personnage en somme assez considérable vaut la peine d'être corrigée, avec preuves à l'appui. Ayant donc retrouvé dans les registres paroissiaux de Blâmont les actes qui concernent Régnier et sa famille, nous allons les transcrire ici, dans l'espoir, sans doute chimérique, que les biographes et encyclopédistes du prochain siècle en tiendront compte et cesseront de reproduire les données de leurs devanciers.
On relève d'abord l'acte de mariage des parents de Régnier. Cet acte, ainsi que l'acte de baptême du futur grand-juge, avait été mal rédigé; aussi, en l'an VIII, Régnier demandait-il leur rectification par une requête qu'on a collée dans le registre paroissial de Blâmont, en regard de l'acte de mariage, et dont voici la teneur :
«  Au tribunal de première instance de Lunéville, expose Claude-Ambroise Régnier, Grand-juge et ministre de la justice, demeurant à Paris, représenté par l'avoué soussigné. son fondé de pouvoir
Qu'il est né a Blâmont, fils en légitime mariage du sieur Ambroise Régnier et dame Françoise Thiry, son épouse que tels sont et ont toujours été les vrais noms de ses père et mère et de leurs familles, qu'aussi ce sont ceux d'après lesquels il a constamment écrit et signé tous les actes privés et publics qu'il a souscrits, et sous lesquels il a été connu.
Cependant, ayant fait expédier l'extrait de son acte de naissance inscrit sur le registre de l'état civil de la ville de Blâmont à la date du cinq novembre 1746, il a vu avec étonnement que, soit par corruption, par négligence ou par erreur, le nom de son père était écrit Regner, et celui de sa mère Thiery.
Que dans l'acte de mariage, du sieur Ambroise Régnier, son père, et demoiselle Françoise Thiry, sa mère, il est écrit: Regnière, fils de maître Antoine Regnière, et : Françoise Thiery, tandis que l'époux et son père ont signé Régnier, leur véritable nom, et le père de l'épouse Thiry qui était aussi son vrai nom.
Qu'il est justifié par l'acte de notoriété de huit anciens de la ville de Blâmont que son ayeul étoit connu à Blâmont sous le nom de Thiry et non Thiery, et qu'il a toujours signé Thiry ; de même que son père. et son ayeul paternel ont été constamment connus sous le nom de Regnier et non Regnière, et qu'ils ont toujours signé Regnier, et non Regnière.
Qu'il importe de rétablir les actes sous les véritables noms et signatures des familles respectives.
Pourquoi l'exposant demande que les actes de sa naissance et du mariage de ses père et mère ci-devant énoncés soient corrigés, et qu'aulieu de noms écrits Regnière et Thiery. il sera écrit Regnier et Thiry qui sont les véritables noms des deux familles.
Signé : MICHAUT»

Le Tribunal fit droit à cette requête, et par une ordonnance qui est transcrite en marge du registre, il prescrivit les rectifications demandées. En conséquence, l'acte de mariage fut corrigé, et se trouva dès lors libellé comme il suit
«  L'an cy dessus (1743), le vingt six du mois d'octobre, après avoir publié un ban de mariage entre le sieur Ambroise Regnier, fils de feu maître Antoine Regnier et de demoiselle Catherine Colnot, ses père et mère, de la paroisse de Saint Diez, et demoiselle Marie-Françoise Thiry, fille du sieur Jean Thiry et de feue mademoiselle Marguerite Jacquot, ses père et mère de cette paroisse, je leur ai donné la bénédiction nuptiale, en conséquence de la dispense qu'ils ont obtenue des deux derniers bans, en présence des témoins cy dessous.
Ont signé: M. F. Thiry, A. Regnier, Potier, J. Thiry, C. Christophe, A. Regnier, François Regnier, A Rochefort, vicaire »

Les jeunes époux n'attendirent qu'un an et quelques jours la naissance de celui qui devait illustrer leur nom, et l'acte de baptême de leur fils aîné, annoté en marge et corrigé comme le précédent, est ainsi rédigé
«  Claude-Ambroise, fils légitime du sieur Ambroise Regnier et de damoiselle Françoise Thiry, son épouse, tous deux de cette paroisse, est né le cinq novembre de l'année mil sept cents quarante six, et a été baptisé le même jour. il a eut pour parrain le sieur Claude Christophe et pour marraine damoiselle Jeanne Marie, tous deux de cette paroisse, qui ont signé avec nous : C. Christophe, Jeanne Marie, G. Laurent, vicaire. »

Nous ne savons pas si les parents de Régnier ont eu d'autres enfants, ni à quelle époque et dans quelle localité ils sont morts. Les actes que nous avons transcrits sont les seuls, dans les registres paroissiaux de Blâmont antérieurs à 1790 qui les concernent. Au reste, la question n'offre pas grand intérêt. Ce qu'il importait surtout de faire connaître, c'est que le duc de Massa est né à Blâmont, non pas le 6 avril 1736, mais bien le 5 novembre 1746. Et en même temps, nous avons montré par un exemple combien, au siècle dernier, on se préoccupait peu d'écrire exactement les noms de personnes dans les actes de l'état civil.

E.DUVERNOY.


Le Pays lorrain et le Pays messin 1909
UN MINISTRE LORRAIN SOUS L'EMPIRE
LE GRAND JUGE RÉGNIER DUC DE MASSA
(1)

Le 15 août 1809, un décret signé de Napoléon Ier, au quartier-général impérial de Schoenbrunn, conférait «  a notre cher et bien âmé Claude-Ambroise Régnier, Grand Juge, Ministre de la Justice, Grand-Aigle de la Légion d'honneur, comte de l'Empire, né a Blamont, le 5 novembre 1746, le titre de duc de Massa-di-Carrara », et ce, était-il ajouté, «  en vue-de récompenser le zèle, le dévouement et la fidélité dont il nous a donné des preuves dans le ministère important dont nous l'avons chargé ».

Par décret de même date, il était nommé sept autres ducs (2), et dans une lettre confidentielle au prince Cambacérés, l'Empereur spécifiait que les ministres désignés, à l'exception d'un seul, étaient de la fondation du gouvernement et le servaient depuis dix ans.

Régnier en effet, ministre depuis le 15 septembre 1802, était conseiller d'Etat dès la mise en vigueur de la Constitution de l'an VIII. A cette époque, il terminait sa vie politique pour se donner entièrement aux devoirs de ses nouvelles charges administratives et collaborer dans une large part a la réorganisation de la France. La tempête qui avait balayé toutes les institutions de son pays n'avait pas ébranlé sa foi dans l'ordre et la justice, sources principales de la prospérité des peuples ; et, n'ayant pu durant son passage à l'Assemblée nationale a la Constituante et à la Législative se mettre en travers des événements pour sauvegarder la monarchie en réformant ses abus, du moins fit-il tous ses efforts sous le Directoire, comme membre ou comme président du Conseil des Anciens, pour arracher sa patrie a la ruine et la précipiter de force dans le parti de l'ordre (3).
Cette antipathie de l'anarchie, le futur Grand Juge l'avait dans le sang ! Aussi bien n'était-il pas Lorrain ? L'histoire du duché était là sous ses yeux pour lui rappeler et les misères des périodes de guerres étrangères ou de luttes intestines, et les bienfaits des périodes de calme et de sage administration. N'était-il pas Lorrain également pour chercher constamment a rajeunir des cadres vieillis ou des institutions surannées destinés a s'adapter a la perpétuelle évolution des moeurs et des idées ? D'autres Lorrains après lui, à diverses époques, ont posé les bases de sages réformes, et ils ont fait école.
Lorrain, le Grand Juge l'était bien ; né à Blâmont (4), sur les confins de la principauté de Salm, de Ambroise Régnier, receveur des domaines du Roi et de Marie-Françoise Thiry, il était petit-fils de Jean-Antoine Régnier (5), «  procureur au bailliage de Saint-Diey-des-Vosges », et par sa mère, petit-fils de Jean-Baptiste Thiry, procureur du Roi en l'hôtel de ville de Blâmont.
C'est a Saint-Dié même qu'il commençait ses études sous la direction d'un oncle prêtre, l'abbé Régnier, curé de la paroisse principale, et à l'université de Strasbourg qu'il les terminait par l'obtention du diplôme de licencié ès-droit. Inscrit au Parlement depuis juillet 1765, il allait aussitôt faire l'apprentissage de la profession d'avocat au barreau de Lunéville. Tout paraissait donc devoir le fixer pour toujours en Lorraine, lorsqu'en 1769, le prince Louis de Salm-Salm l'attira à Senones, et en fit son conseiller et son procureur général, lui confiant l'administration de la principauté.

Ce poste, le futur ministre de la Justice le quittait en 1773 pour reprendre sa première carrière, et c'est dans la capitale de la Lorraine qu'il vint exercer sa profession et qu'il sût se maintenir sans défaillance au premier rang des avocats de la chambre civile (6).
La Révolution de 1789 vint l'arracher au Barreau et le lancer dans la vie politique. Député par le Tiers-Etat, Régnier alla représenter aux Etats-Généraux la circonscription de Nancy.
Partisan d'une monarchie que d'utiles réformes seraient venues rajeunir, tous ses votes devaient se ressentir de la plus grande modération ; profondément attaché à son pays d'origine qu'il avait connu autonome, il sut trouver dans ses sentiments patriotiques l'énergie nécessaire pour défendre les intérêts primordiaux de la terre lorraine, soit qu'il prenne la défense de la municipalité de Nancy et du marquis de Bouillé lors de la révolte de la garnison, soit qu'il s'efforce de conserver à la capitale de la Lorraine son ancien prestige et son titre de chef-lieu dont Metz cherche à la dépouiller (7) ; soit qu'il aplanisse les difficultés éprouvées par Nancy, dans le transport des blés destinés à son approvisionnement (8), soit enfin que, commissaire du gouvernement en Alsace et dans les Vosges avec de Custine et Chasset, après le départ de Louis XVI, il cherche à calmer les esprits surexcités.
La Législative ayant remis ses pouvoirs entre les mains de la Convention, Régnier regagne Nancy. Elu officier municipal, puis nommé président du Tribunal du district, il ne tarde pas à être destitué par les représentants en mission ; l'influence des idées du jour se faisait alors sentir en province et tous ne savaient s'y plier. Retiré dans sa campagne de Maxéville, vivant en dehors de la politique, il ne fut cependant pas à l'abri des dénonciations et des vengeances.
C'est alors que, cédant aux sollicitations des siens, il tente d'échapper au danger en mettant la frontière entre lui et ses ennemis. Il allait y réussir, lorsqu'il apprend l'arrestation de son père en son lieu et place ; sans hésiter il revient sur ses pas et accourt à Nancy réclamer pour lui seul la responsabilité de ses actes politiques et faire rendre la liberté à un vieillard septuagénaire. Emprisonné (9) aussitôt, il attend de longs mois que Thermidor, en entraînant la chute de Robespierre, vienne le délivrer (10).
Rendu à la vie politique, il est aussitôt élu membre du Conseil des Anciens. Là encore il s'efforce par une législation prudente de rendre à la France, dans la mesure du possible, le calme et la prospérité. Mais il est des époques dans la vie des peuples où l'anarchie arrivée à son comble ne peut plus être endiguée par des lois ! Des remèdes énergiques seuls sont alors capables d'enrayer le mal : «  Vous avez tous senti comme moi la nécessité d'un grand coup d'état y écrivait-il à son gendre (11) quelques jours après la chute du Directoire ».
La participation de Régnier dans les journées de Brumaire fut considérable. Dès le début, il fut dans le secret de la conjuration, et il mit tout en oeuvre pour la faire aboutir, proposant et faisant adopter les décrets qui transféraient le Corps législatif à Saint-Cloud et le mettait sous la sauvegarde du général Bonaparte. Ses connaissances législatives étendues, ses capacités administratives, enfin son rôle important les 18 et 19 Brumaire lui valurent l'honneur de présider la Commission législative intermédiaire chargée de donner une constitution à la France.
Régnier la signait le 22 frimaire, an VIII. Simultanément élu sénateur et nommé conseiller d'Etat, chargé des Domaines, il opte pour cette dernière charge.
Pendant près de trois années il vient apporter une collaboration active à ce travail considérable qui a donné naissance au Code civil ; puis en dehors des travaux de sa charge il est, à différentes reprises, choisi pour présenter au Corps législatif d'importants projets de sénatus-consultes. C'est ainsi que le 4 floréal, an X (25 avril 1802), il développait avec chaleur devant le Sénat, les considérations qui amenaient le gouvernement à demander le vote de l'amnistie générale des émigrés.
Plus que toute autre région de la France, la Lorraine devait bénéficier de cette mesure, car nombreux étaient les Lorrains qui de l'autre côté de la frontière, attendaient impatiemment le signal du retour.
Mais de plus importantes fonctions lui étaient réservées. Le 15 septembre 1802 un arrêté du Premier Consul nommait le conseiller d'Etat Régnier, Grand Juge et Ministre de la Justice, et le chargeait également d'assurer le service du Ministère de la police générale qui venait d'être supprimé.
De ce dernier emploi, il avait hâte de se démettre ; outre qu'il se sentait peu d'aptitudes pour bien faire la police, ce ministère était ardemment convoité par celui qui venait d'en être dépossédé. Bien qu'il laissât au conseiller d'Etat Réal le soin de diriger les poursuites, Il n'en suivit pas moins avec zèle cette fameuse conspiration de l'an XII dans laquelle se trouvaient compromis des généraux républicains tels que Pichegru et Moreau et des royalistes tels que Cadoudal, Rivière et Polignac.
Le 12 juillet 1804, le Ministère de la police était rétabli et rendu à Fouché, et Régnier conservait, avec son titre de Grand Juge, le département de la justice. Il allait avoir 58 ans.
«  Là, comme à la Constituante, comme aux Anciens, il apporta ce savoir de bon aloi, cette justesse de vue, ce bon sens, cet esprit d'équité, ce rôle laborieux qu'il tenait de notre Lorraine et de sa propre énergie » (12).
Il donna ses premiers soins à la réorganisation des institutions judiciaires de son pays, qu'une longue anarchie avait compromises. Deux mois après sa nomination, alors qu'il présidait à l'installation du Tribunal de Cassation, le Grand Juge s'était en quelque sorte tracé la ligne de conduite qui devait inspirer tous les actes de son long ministère. Il s'adressait ainsi aux membres de la Cour suprême (13) :
«  Je n'ose ici parler de moi, leur dit-il, parce que je sens combien mes moyens sont inférieurs à mon zèle ; mais ce que je puis assurer du moins, c'est que je les consacrerai sans réserves à seconder vos efforts ; et si, par ma constante sollicitude je puis jamais contribuer à affermir le règne de la Justice et des Lois, j'éprouverai la plus douce satisfaction dont puisse jouir un citoyen qu'enflamme l'amour de son pays ».
Dès le début il ne s'était pas dissimulé l'importance de la tâche qui lui incombait, et il s'y était adonné avec ardeur.
«  Régnier, devenu l'un des personnages les plus considérables de l'Empire, a le goût du travail, car il en faut pour rendre bonne justice à 130 départements, pour surveiller le personnel de plus de 500 tribunaux de première instance et de 36 cours impériales, pour introduire sans secousse dans les états annexés l'usage du code Napoléon, pour ménager les intérêts de ceux qui en tout lieu, vivent de la justice, régler leurs privilèges et punir leurs empiètements :
«  Toute grâce émanant de l'Empereur est garantie par un parchemin signé par lui. Toute nomination à partir d'un certain grade est signée par lui. Nul travail d'avancement n'est approuvé sans renseignements pris par lui. A la Cour de cassation par exemple il s'est comme interdit de nommer un magistrat sans présentation émanée des chefs même de la Cour. Qu'on essaie d'imaginer d'après cela ce que représente le portefeuille de la justice (14) ».
Le premier soin du Grand Juge fut de replacer à la tête des cours impériales et des tribunaux l'ancienne magistrature dispersée, et par les noms placés en vedette, il semble bien que sa seule préoccupation fut de chercher le vrai mérite dans tous les partis.
La cour impériale de Nancy plus que toute autre eut part à sa sollicitude, et de tous les magistrats en exercice sous l'Empire, nombreux sont ceux qui apportèrent les vieilles traditions du parlement de Lorraine. C'est l'ancien président du parlement Jean-Baptiste-Charles de Collenel, placé à la tête de la première division au ministère ; c'est ensuite l'avocat Joseph-Arnould Henry, devenu premier Président ; ce sont les Saladin, les de Bouteiller, les Le Lorrain, nommés présidents ; puis Nicolas-François de Metz qui, rappelé de l'exil, est nommé procureur général tandis que son fils Emmanuel devient avocat-général ; ce sont encore les Charlot, les de Bazelaire, les de Bouvier, les Dubois de Riocourt, les Mourot, nommés conseillers ; ce sont enfin les Riston, les de Lahausse, les Roxart de la Salle, les Chippel, les de Chevers, les Jacqueminot. Tous après s'être distingués à divers titres au Parlement de Nancy avant la Révolution sont appelés à reconstituer la magistrature impériale lorraine.
Après onze années d'un labeur incessant, le duc de Massa songeait à se démettre de ses fonctions ; les premières atteintes d'un mal qui devait bientôt l'emporter l'avaient obligé à prendre un repos momentané. Une saison aux eaux de Bourbonne en juillet 1813 lui avait un instant donné l'illusion de la guérison, mais quelques mois après il sollicitait de l'Empereur sa retraite définitive.
Nommé Ministre d'Etat, un décret du 21 novembre 1813 lui donnait comme successeur le comte Molé, mais le repos tant souhaité allait cependant lui échapper, car son dévouement à la personne de Napoléon le poussait à accepter deux jours après la présidence du Corps législatif.
Les évènements n'étaient pas de nature à faciliter à l'ancien Grand Juge le mandat qui lui était dévolu. Une sourde hostilité provenant de l'inconstitutionnalité de sa nomination (15) lui aliéna de suite quelques membres influents. Pour la première fois les députés faisant preuve d'indépendance, tentaient de forcer la main à l'Empereur en le mettant dans l'obligation de conclure la paix.
Plus que tout autre, le duc de Massa devait sentir l'inopportunité de pareilles représentations : le territoire était envahi, il n'était plus temps de traiter avec l'ennemi. Ses efforts échouèrent devant les motions des Lainé, des Flaugergues, des Maine de Biran, auxquelles Napoléon devait répondre par la dissolution du Corps législatif. Par cet acte d'autorité, toute nouvelle tentative d'opposition paraissait supprimée.
Rassuré de ce côté, l'Empereur quittait Paris pour aller rejoindre l'armée dans les plaines de la Champagne et tenter de refouler l'envahisseur. Il avait auparavant institué Marie-Louise, régente de l'Empire et lui avait donné comme conseillers les ministres et grands dignitaires. La rapidité foudroyante avec laquelle se succédèrent les évènements ne devait donner qu'une existence éphémère à ce conseil de régence.
Mais il fut donné au duc de Massa de tenter de sauver l'Empire sinon l'Empereur. Près d'être investie la capitale demeurait-elle un lieu sûr pour l'Impératrice et le Roi de Rome ? La majorité du Conseil s'était prononcé pour le départ immédiat, lorsque s'adressant à Marie-Louise et lui rappelant le souvenir de son aïeule Marie-Thérèse qui par sa présence dans des moments difficiles, sut ranimer l'ardeur de son peuple, le duc de Massa conseilla le maintien du gouvernement dans la capitale et rallia les opinions opposées. Mais des ordres secrets de l'empereur au roi Joseph, lieutenant-général, devaient faire échouer cette décision et compromettre pour une bonne part l'héritage de Napoléon II !
Le 30 mars au soir, le gouvernement avait quitté Paris à la suite de l'Impératrice et de son fils, se dirigeant sur Blois, et la capitale, désormais livrée à l'intrigue des partis, était à la merci des alliés.
Plus que les défaites de la Grande-Armée, les trahisons successives des Talleyrand, des Fouché, des Marmont précipitèrent la chute du régime. La déchéance de Napoléon prononcée par des Chambres réduites de moitié entraîna la nomination d'un gouvernement provisoire et précéda de quelques jours l'abdication.
De Blois, le duc de Massa accourut à Paris reprendre la présidence du Corps législatif, mais son acte d'adhésion au nouvel ordre de choses ne put faire oublier à ceux qui détenaient le pouvoir son dévouement au régime impérial ! Il fut écarté systématiquement du gouvernement.
Débarrassé du fardeau des responsabilités, il ne devait pas jouir longtemps du repos que les événements lui permettaient enfin de prendre. Après un court séjour à son château du Plessis-Piquet, puis à Rouen chez son ami Dupont (de l'Eure), il ne tardait pas à revenir à Paris. Mais sa santé fortement ébranlée par les derniers évènements donnait à sa famille des inquiétudes qui n'étaient que trop fondées ; le duc de Massa mourait à Paris en son hôtel de la rue de Choiseul, le 25 juin 1814, dans sa 68e année.
Les honneurs du Panthéon, suprême hommage rendu par le gouvernement de la Restauration au ministre d'une dynastie déchue, venaient couronner la carrière si longue et si bien remplie de Claude-Ambroise Régnier, comte de l'Empire, duc de Massa-di-Carrara, Grand Officier et Grand-Aigle de la Légion d'honneur, Sénateur, ancien Conseiller d'Etat, ancien Grand Juge et Ministre de la Justice, Ministre d'Etat, Président du Corps législatif.
Durant le cours d'une longue carrière de travail incessant, traversée par les bonnes et par les mauvaises fortunes, c'est au sein d'une famille unie que le duc de Massa allait chercher le repos et l'oubli momentané des lourdes responsabilités de sa charge. Et si de ce côté-là il fut durement éprouvé par la perte successive de plusieurs enfants (16), du moins eut-il la consolation d'entrevoir dans les deux qui lui restèrent la transmission des qualités de sa race. Dans les enfants de sa fille aînée, la baronne Thiry, ne voyait-il pas dés 1813 deux jeunes capitaines d'artillerie qui devaient terminer une carrière brillante sous le second empire comme généraux de division, après avoir exercé un commandement en chef devant l'ennemi (17) ; et dans le comte de Gronau, son fils, préfet de l'Oise, marié à la fille du maréchal Macdonald, duc de Tarente, n'entrevoyait-il pas le futur pair de France de la Restauration et de la Monarchie de juillet.
De tous les titres qui couronnèrent la longue carrière du duc de Massa, il ne pouvait en être ajouté de plus flatteur pour lui que la haute estime qu'il avait su inspirer à ses contemporains. Appelé à se prononcer sur la nomination de Régnier, comme ministre de la justice, le conseiller d'Etat Thibaudeau (18) avait répondu à Napoléon : «  C'est un honnête homme. Vous ne pouviez pas faire un meilleur choix ».
Et plus tard le grand historien de la Révolution et de l'Empire (19) n'hésita pas à avancer que le duc de Massa fut un magistrat instruit, disert et un honnête homme.

Paul DELAVAL.

(1) Un travail plus complet sur le Grand Juge étant en préparation, l'auteur de cette notice serait reconnaissant aux personnes qui voudraient bien lui signaler ou lui communiquer toute pièce pouvant offrir de l'intérêt (Nancy, 30, rue des Bégonias).
(2) De Champagny, Clarke, Muet, Gaudin, Oudinot, Macdonald et Fouché.
(3) Coup d'Etat du 18 brumaire dont Régnier fut un des principaux instigateurs.
(4) Cf. Duvernoy. L'état-civil du Grand Juge Régnier, duc de Massa (Journal de la Société d'archéologie lorraine du 7 juillet 1898) - et de Martimprey. Régnier, duc de Massa et sa famille (ibid. de juin 1888).
(5) Décédé le 10 décembre 1715 ; sa charge passa dans la suite â son dernier fils Charles qui mourait en 1755 âgé de 33 ans (Archives de l'état-civil de Saint-Dié).
(6) Cf. L. Adam : Etude sur trois gardes des sceaux nés en Lorraine : Réguler, dire de Massa ; Comte de Serre ; Henrion de Pansey, 1872. - Cf. également : A. Alexandre : Notice sur Claude-Ambroise Réguler, duc de Massa. (Discours de rentrée â la Cour d'Appel, 1853).
(7) Lettres des 26 et 30 janvier 1790. Archives de la Société d'archéologie lorraine.
(8) Lettre à M. de La Tour du Pin, ministre de la guerre.
(9) Le 17 ventôse an II (7 mars 1794).
(10) Le 9 thermidor an II (27 juillet 1794).
(11) Lettre du 21 brumaire an VII, à M. Thiry (papiers de famille)
(12) Lucien Adam, op. cit.
(13) Procès-verbal de l'audience publique et solennelle du Tribunal de cassation présidée par le Grand Juge, Ministre de la Justice, tenue le 6 nivôse au II
(14) Frédéric Masson. La journée de l'Empereur.
(15) Un sénatus-consulte avait supprimé le droit pour le Corps législatif de présenter son président.
(16) De son mariage à Lunéville, le 5 avril 1769, avec Charlotte Lejeune, il eut dix enfants ; une fille et un fils seuls survécurent.
(17) Le général Charles Thiry, commandant l'artillerie au siège de Rome et le général Augustin Thiry, commandant l'artillerie au siège de Sébastopol, sénateur, tous deux Grands Officiers de la Légion d'honneur. La descendance de Catherine-Charlotte Régnier de Massa, baronne Thiry, est actuellement représentée par les familles A. Delaval, P. et A. Bastien, Bastien-Thiry, NanquetteThiry, de Ludre-Frolois, Audiat, E. Dryander et L. Laprevote. La descendance de Nicolas-François-Sylvestre Régnier, comte de Gronau, deuxième duc de Massa est représentée par Alfred Régnier, comte de Gronau, troisième duc de Massa, le marquis Philippe de Massa et les barons Jacques et Robert Burignot de Varenne.
(18) Comte Thibaudeau. Mémoires sur le Consulat, p. 310-311.
(19) Thiers. Histoire du Consulat, édition de 1878, p. 427 et 428, 581 et 582.

Claude-Ambroise Régnier




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