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Incendie à Herbéviller - 1773
 


Moyens de préserver les édifices d'incendies, et d'empêcher le progrès des flammes
M Piroux, avocat et architecte à Lunéville
1782

Nous avons dit que les habitans du Roussillon faisoient en voûtes plattes les planchers de leurs granges, c'est-à-dire des écuries, des bergeries & des gerbiers. Chez nous ces parties précieuses de nos bâtimens de culture sont des forêts de bois, & comme leur destination est de contenir en grande quantité de la paille & du foin elles sont presque toujours le foyer des incendies les plus désastreux. Une écurie fut le volcan qui réduisit en cendres les trois quarts de la ville de St. Diez (a) ; le feu sortit d'une grange pour dévorer le village de Hadiguy (b); une bergerie a brûlé la grande ferme du Seigneur d'Herbéviller (c), &c. Ne pouvons nous pas comme les industrieux colons des plaines de Ruscino maîtriser ces lieux fatals ? Sommes-nous plus indifférent sur nos fortunes ? Leur génie est-il supérieur au nôtre ? Prouvons le contraire, & qu'une noble émulation nous arrache à l'inertie, à l'indolence routinière; j'ai trop bonne opinion des bénéficiers; des Seigneurs, des riches particuliers pour ne pas espérer de leur part des essais fructueux, & que les cendres encore fumantes qui nous environnent, les malheureux que la flamme a privés de tout & que la misère traîne à nos portes, feront sur les ames honnêtes l'impression que je désire.
Déja un exemple, peut-être unique, existe en Lorraine ; le célèbre Boffrand qui, appellé par le grand Léopold, a répandu dans la province le goût de la bonne architecture, partisan de Palladio dont il a imité les formes pittoresques & le charme des mouvemens, n'a pas oublié la solidité qui fait un des mérites des beaux édifices qu'il nous a laissés. Bâtissant le magnifique château de Haroué pour M. le Prince de Craon, il n'a pas dédaigné la basse cour. La main d'un Architecte habile s'apperçoit dans les moindres parties ; il ne fait rien dont il ne puisse rendre raison.
La bergerie [Planche III.] de Craon, voûtée en arcs-de-cloítre, est un modèle que je propose avec confiance. L'exécution en est praticable en tous lieux, & sa dépense n'excédera guères celle des planchers de bois, sur-tout dans les cantons, où le végétal est cher. D'ailleurs on seroit bien dédommagé des avances, par la sécurité d'une part, & de l'autre par la dispense de l'entretien journalier, & du renouvellement chaque quinze ou vingt ans : car c'est le plus long terme de durée que la chaleur & la transpiration de la multitude d'animaux qui habitent ces lieux puissent accorder aux planchers.
Ce bâtiment a 126 pieds de longueur & 33 de largeur dans oeuvre ; il est divisé en trois allées formées par deux rangs de onze piliers de pierre-de-taille de dix-huit pouces en carré, qui ont leurs pilastres correspondans sur les murs ; les arcades ont dix pieds de hauteur dont trois de ceintre. Entre les piliers il y a de petits murs d'un pied & demi de hauteur pour porter les rateliers de bois. Dans la voûte du milieu on voit une grande trappe pour jetter la litière & le foin; quelques autres petites sont distribuées le long des murs.
Le grenier à fourrage au-dessus est couvert d'un toit ordinaire avec tuiles creuses & chevrons de tremble (d) ; cette forte de couverture ne peut prendre feu aisément ; les murs sont bons, l'édifice est isolé de trois côtés ; les deux rues & la cour qui l'environnent sont fort larges. Il n'y a qu'une feule communication avec la grange, encore est-ce au rez-de-chaussée. On peut donc regarder une telle bergerie comme assurée contre les incendies : car les, moutons rentrent avant la nuit; ce n'est donc que de jour qu'on vaque au grenier pour leur jetter à manger. Si la négligence d'un berger le met dans le cas d'y aller de nuit, il laisse sa lumière en-bas où il n'y a rien à craindre, à moins que par étourderie ou dans l'ivresse, comme on dit qu'il est arrivé à Herbéviller, il ne jette sa paille sur une lanterne ouverte ; les voûtes du rez-de-chaussée garantissait alors de la communication ; enfin si par un accident singulier le feu prenoit dans le grenier, la charpente seule du toit seroit en danger, mais les tuiles retardent les progrès de l'embrâsement; la paile est bientôt consumée ; on coupe le toit, & les secours d'eau achevent de tout éteindre, parceque le feu ne montant pas de fond, & manquant de l'aliment formidable des planchers, courroies, poteaux, rateliers & litieres du bas, il est bientôt dissipé, & le dégât est réparé à peu de frais ; au lieu que sans voûter il n'y a pas moyen de rien sauver, pas même quelquefois les bestiaux; & l'on n'en est pas toujours quitte pour remplacer tous les bois ; très souvent la maçonnerie est dans le même cas : une fournaise long-tems contenue entre des murs, les calcine ; l'air raréfié cause des sortes d'explosions, qui poussent au dehors, lézardent, détachent les parois, quelque solide qu'ait été leur bâtisse.
Les écuries (e) & les remises devroient toujours être voûtées dans les casernes, dans les châteaux, dans les hôtels, sur-tout quand les pièces sont sous des corps-de-logis, & je suis étonné que l'architecte de M. l'Évêque de St. Diez n'ait pas suivi cette maxime dans le palais qu'il bâtit pour ce Prélat. L'économie est ici mal entendue (f) ; un particulier un peu, aisé qui se construit une maison soit à la campagne, soit à la ville, n'aura pas lieu de regretter ses avance en voûtant les parties qui font susceptibles de l'être ; j'en avois donné l'idée pour la belle ferme de Herbéviller qui est au milieu du. village, mais M. le Comte de Ligniville s'est trouvé dans une position trop délicate pour adopter mot projet. Cet édifice bâti par M. de Mazurot en 1717, incendié en 1773, rnéritoit par son importance & par le rang de son propriétaire, d'être mis à l'abri d'un second désastre.
Sa distribution peut servir d'exemple & amener des réflexions ; la longueur du bâtiment est de 117 pieds 1/2 & la profondeur de 78 pieds 4 pouces, qui est le rapport de 3 à 2 ; la façade a 23 pieds 6 pouces de hauteur ou le 5e de sa longueur. II est divisé en cinq pièces, la grange ou battoir est au milieu, deux bergeries à gauche, l'écurìe puis le corps-de-logis à droite ; c'est la méthode générale (g), mais ici la portion étoit des plus favorables pour rendre l'édifice presque incombustible ; une voûte simple en anse de panier, pouvoit couvrir chaque bergerie ; la même chose étoit praticable sur l'écurie. La multitude de bois qui obstruoit ces trois parties en a causé la destruction de fond en comble, & malgré la bonté de la maçonnerie, il a fallu rebâtir toute la face sur la cour, une partie de celle opposée & tous les murs intermédiaires; les pierres-de-taille & les crépis de ce qui a subsisté, ont été calcinés par le long séjour du feu entretenu dans leur enceinte. L'excellente qualité du mur de pignon au midi, quoique très-élevé, l'a conservé d'âplomb. Un pareil mur, & de deux pieds d'épaisseur, qui séparoit l'écurie du corps-de-logis, a sauvé celui-ci, qui l'a encore échappé belle : car j'ai compté une vingtaine de trous par lesquels le feu commençoit à s'emparer des solives de la maison ; sa véhémence ayant bientôt dissous & pénétré la mince épaisseur de mortier qui seule en masquoit le bout. Il est donc important de ne jamais permettre d'enfoncer une poutre dans un mur de refend, plus loin qu'à la distance de six pouces de son parement extérieur, quand même le mur vous appartiendroit, car on sçait qu'il est défendu d'occuper ainsi plus du tiers d'un mur mitoyen ; mais l'espace que vous croyez massif au bout de la solive de l'appartement voisin n'est la plupart du tems qu'un fantôme de maçonnerie, un placage hostile qui vous expose à un danger imprévu dont votre vigilance ne sauroit vous garantir. Une tapisserie, un lambris, des meubles vous ôtent la vue de ce boute-feu secret dont un clou peut-être & la trépidation du plancher ont préparé, accéléré l'effet, & vous, ne le soupçonnez pas. Le proverbe n'est donc que trop vrai : Le feu chez mon voisin, c'est le feu chez moi (h).
Les charpentiers sont en possession de placer les solives, le maçon arrase le mur à chaque étage ; l'ouvrier porte-hache y distribue les travures ; il les met de niveau en les câlant en pierres seches ; tantôt les pierres mal posées ou mal choisies laissent des vuides que la truelle ne remplit pas; tantôt les bois inégalement coupés, ou trop longs, appuient sur toute ou presque toute l'épaisseur du mur. Le prétexte d'une solidité, souvent peu nécessaire, & qu'on pourroit se procurer autrement (i), ne doit pas tenir contre le danger des accidens. Que la largeur d'une brique bien maçonnée soit donc au moins dans le cas le garant de notre sûreté, & que jamais, dans un même mur qui porte des solives de chaque côté, on n'en trouve déposées bout à bout ou d'accollées sans l'intervalle de six pouces de bonne maçonnerie.
Ici j'aurois fait plus, j'aurois élevé en pignon, jusqu'au toit, les trois autres murs dont le poids eût affermi les culées des voûtes sans leurs donner beaucoup d'épaisseur, & j'eusse supprimé ainsi la charpente de trois des six énormes fermes, dont la dépense approche de celle des murs qui auroient été des préservatifs contre les incendies; d'ailleurs on a été obligé de fouiller les forêts à cinq ou six lieues à la ronde pour trouver des bois de chêne aussi longs & aussi gros, & je pense qu'une autre fois la chose ne feroit plus praticable (j).
On ne met ordinairement point de plancher au-dessus de la grange ; les voitures y entrent, & c'est delà qu'on décharge de part & d'autre les gerbes & les fourrages sur les greniers : on auroit laissé des arcades dans les murs que je proposois pour la facilité des communications.
La construction actuelle a dû être absolument conforme à l'ancienne ; ce qui nous offre une question singulière qu'il n'est pas hors de mon sujet d'effleurer, quoiqu'elle ne se soit pas agitée sous notre juridiction.
II est dit dans l'Exode, chapitre 2, que, si le feu gagnant peu-à-peu, se prend à un tâs de gerbes de blé, celui qui aura allumé le feu payera la perte qu'il aura causée. - La Loi romaine ordonna que si le feu a pris au blé par la faute ou négligence de quelqu'un, mais sans malice & par un pur accident, il sera condamné d'en rapporter le dommage (k).
Donc, dit-on, celui de le part de qui vient le feu doit indemniser ceux auxquels l'incendie a fait tort. Le Seigneur de Herbéviller a prétendu que le mal avoit été causé par l'imprudence des bergers du S.r Litaize son admodiateur. Le neuf février 1775, le Bailliage de Vic a condamné ce dernier à remettre le bâtiment dans le même état qu'il étoit avant l'incendie ; ce qui a été confirmé par arrêt du Parlement de Metz du ... août 1779. Au premier coup d'oeil ces ordonnances paroissent absurdes & réduire à l'impossible ; mais je les trouve de l'équité la plus scrupuleuse, car elles n'obligent le fermier qu'à l'indemnité précise de ce que le propriétaire a pu perdre ou souffrir ; or depuis cinquante-six ans que l'édifice existoit, les planchers qui étoient de sapin, n'ayant pas été renouvellés, approchoient de la nullité; la destruction de ces bois n'étoit donc pas une grande perte, & ce n'est que de leur valeur dans cet état, que le fermier sembloit être comptable; c'étoit par conséquent l'objet d'une compensation ; mais le Seigneur s'y refusant, il s'agissoit d'exécuter l'arrêt en rebâtissant. Hé ! comment trouver des bois assez vieux, des planches assez pourries, des rateliers, des portes qui aient exactement le même âge & les mêmes défauts que les précédens ? II est ridicule de prétendre la chose possible, & que ce soit là le sens de l'arrêt. Il a néanmoins fallu employer l'alternative qui a été de tout mettre à neuf. Summum jus, summa injuria. Ainsi un homme qui avoit perdu dix mille livres en grains, fourrages, &c. brûlés, autant en frais de procédures, d'enquêtes, de déplacement, a été contraint par cette équivoque de sacrifier encore une pareille somme à une reconstruction devenue plus onéreuse par le laps de tems qu'ont entraîné les contestations, en donnant lieu aux intempéries de l'air & aux malfaiteurs de détruire ce qui avoit échappé aux flammes dans une maison abandonnée. Un bon règlement, qui prévoiroit tous les cas de cette matière trop commune, ne seroit pas indigne de l'attention des Parlemens.



(a) Le 17 juillet 1757, à deux heures après midi, le feu prit dans l'écurie d'un fondeur qui louoit des chevaux. Cent vingt-cinq maisons occupées par 288 ménages, l'hôtel-de-ville, les Capucins, le moulin, les prisons furent consumés en quatre heures.
(b) Le 16 avril 1780 il y eut vingt-six maisons brûlées, de trente-deux qui composoient ce village, lequel est à une lieue de Châté-sur-Moselle.
(c) Le ... décembre 1773; c'est sur la route de Lunéville à Blâmont.
(d) Les bois destitués d'un suc résineux, tels que le tremble, le peuplier & autres bois blancs, s'enflamment difficilement, & ne se brûlent guères au-delà de l'endroit où le feu est immédiatement appliqué. Si leur extrême mollesse & leur peu de durée ne les excluoient des planchers, ils seroient un fort-bon préservatif contre les incendies. On en fait des chevrons, des lattes dans le Comté de Vaudémont, le Bassigny &c. où l'éloignement des vôges & des rivières navigables rend le sapin trop cher.
(e) A Eiden-castle, place antrefois très-étendue & très-forte, située dans le fameux rempart d'Adrien qui séparoit l'Angleterre de l'Écosse, on voit une étable voûtée, pour la construction de laquelle on n'a pas employé une seule pièce de charpente ; tout est en pierre jusqu'aux mangeoires. On suppose que cet édifice, a, été construit pour servir d'asyle au bétail dans le tems d'incursion
[Descript. du Northumberland, par M. Guillaume Hutchinson, 1778.]
(f) Un homme épris d'un véritable amour pour son art s'oppose avec fermeté à ces aveugles économies qui, pour éviter sur le champ une légère augmentation, de dépense, n'en occasionnent ensuite que plus de frais [Laugier, Essai sur l'Architect. p. 135]. Un Seigneur aussi éclairé, aussi généreux que M. l'Évêque,, ne se seroit assurément pas refusé à la solidité de sa maison.
(g) II seroit à désirer qu'on ne fit plus dorénavant les granges & les hangards contigus aux maisons. En Flandre, en Angleterre, on dispose les gerbes en plein air derrière la maison, dans ce qu'ils appellent le gabier ou la cour aux meules. Nous n'avons pas cet usage qui a son bien & son mal.
(h) Tunc tua res agitur, paries cum proximus ardet.
(i) C'est une mauvaise pratique de faire porter le bout de toutes les solives d'un plancher à chaque étage dans un mur quel qu'il soit, parceque cela le découpe, ôte sa liaison & l'affoiblit ; & qu'en outre, si le bout de ces solives vient à pourrir, la moitié du mur se trouvant mal garnie, il court risque de déverser. Cette raison & la crainte de la communication du feu de la maison voisine, devroit donc engager, au moins pour les murs mitoyens, à faire porter le bout des solives sur des corbeaux de pierre de six ou huit pouces de saillie, & dont la queue fit toute l'epaisseur du mur ; ou bien sur des linçoirs de bois ou des crampons de fer.
(j) La consommation du bois augmente journellement, tandis que sa rareté se manifeste sans cesse davantage : ç'est une des contradictions de l'esprit humain.
(k) Jean Lubler de Cologne a traité ex professo tous les cas de cette question dans son livre de incendia, in 12 de 400 pages, imprimé à Liège en 1701.
 

 

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