1870 - SEDAN
Ernest Picard
Ed. 1912
[notes renumérotées]
[SITUATION FRANCAISE]
Après avoir employé la journée du 7
à rallier et à reconstituer de son mieux ses troupes à Saverne,
le maréchal de Mac-Mahon, d'accord avec l'empereur, décide
d'abandonner la défense des Vosges et de se replier sur le camp
de Châlons (1). Bien que l'ennemi ait cessé toute poursuite, une
fausse alerte détermine le maréchal à continuer le soir même sa
retraite sur Sarrebourg ; il néglige d'ailleurs de mettre la
voie ferrée de Strasbourg à Paris hors de service par la
destruction des tunnels qu'elle traverse (2). Après une marche
de nuit des plus pénibles, le gros du 1er corps est rejoint le 8
à Sarrebourg par le général Ducrot, arrivé de la Petite-Pierre
avec 3 000 hommes environ de divers régiments, et par une partie
du 5e corps venue également de la Petite-Pierre par Ottwiller.
Contrairement à toute logique et au règlement, les divisions de
cavalerie Bonnemains et Duhesme, moins la brigade Septeuil, ont
précédé les colonnes de Mac-Mahon à Sarrebourg et repartent dans
l'après-midi pour Blâmont (3). Le maréchal de Mac-Mahon et le
général de Failly conviennent des dispositions à prendre pour
les jours suivants : toutes les troupes marcheront sur Lunéville
en trois colonnes : le 1er corps et la division Conseil Dumesnil,
du 7e au centre, par Blâmont, encadrés par le 5e corps,
combinaison singulière dont on ne s'explique pas le but (4).
Dans la soirée du 9, le général de Failly reçoit à Réchicourt un
message du major général lui prescrivant de se « diriger en
toute hâte sur Nancy » ; tous ses efforts « doivent tendre vers
ce but », et l'empereur se propose de l'appeler ensuite à Metz
(5).
Bien que le mouvement n'offre aucune difficulté, le général de
Failly invoque de mauvais prétextes pour ne pas l'exécuter : en
réalité, il désobéit, comme le 5 août, cette fois par répugnance
à traverser Nancy où il a commandé peu de temps avant la guerre,
et à se mettre sous les ordres immédiats du major général à Metz
(6). Le maréchal de Mac-Mahon refuse d'ailleurs de donner des
instructions au général de Failly, auquel sans doute il garde
une rancune justifiée pour sa coupable inertie la veille et le
jour de Froeschwiller (7).
Après avoir bivouaqué à Lunéville le 10, Mac-Mahon et de Failly
reprennent leur marche le 11 : l'un porte son quartier général à
Bayon; l'autre, en dépit d'un nouveau télégramme du major
général l'appelant encore une fois à Metz, va s'établira Charmes
(8). Le maréchal a l'intention d'accorder à ses troupes un jour
de repos, mais il se ravise et juge préférable de les faire
passer toutes sur la rive gauche de la Moselle, de façon à leur
donner « des cantonnements plus sûrs (9) ».
Les gîtes d'étape du 12 sont : pour le 1er corps, Haroué; pour
le 5e Mirecourt. Au cours de cette marche, le général de Failly
reçoit du major général un télégramme lui prescrivant de ne pas
se diriger vers l'Argonne, mais de gagner Toul « aussi vite que
possible ». De là, sa destination sera Metz ou Châlons «
suivant les circonstances (10) ». Mais, dans l'après-midi,
survient un contre-ordre qui donne au général de Failly Paris
comme nouvel objectif et lui laisse le choix de l'itinéraire
(11). Désireux d'éviter de nouveaux contacts avec le Ier corps,
le général de Failly appuie au sud-ouest et fait un long détour
par Vittel, Lamarche, Montigny, Chaumont, tandis que le maréchal
de Mac-Mahon se dirigée sur Neufchâteau, d'où il espère faire
transporter ses troupes au camp de Châlons par voie ferrée.
[...] [SITUATION
ALLEMANDE]
[...]
Le 7 août, les troupes de la IIIe armée restent, pour la
plupart, dans les cantonnements et bivouacs qu'elles ont pris le
6 au soir. Depuis les événements de Forbach, il ne peut plus
être question pour le prince royal de se porter sur
Sarreguemines, selon le projet primitif du grand quartier
général à l'époque où il a voulu livrer sur la Sarre, entre
Sarrebruck et Sarrelouis, une bataille décisive aux forces
françaises de Lorraine (12). C'est au sud de Bitche que la IIP
armée doit franchir les Vosges, afin de se réunir aux deux
autres. A cet effet, elle se met en mouvement le 8, traversant
la zone montagneuse en cinq colonnes, pour atteindre la Sarre le
12 sur la ligne Sarre-Union, Sarrebourg. Le front de marche ne
mesure pas moins de quarante kilomètres; les corps d'armée sont
abandonnés à eux-mêmes pendant cinq jours alors qu'on ignore la
direction de notre retraite; l'étape moyenne est de quartorze
kilomètres seulement; la 4e division de cavalerie est reléguée
derrière un des corps d'armée, au lieu de précéder les colonnes
d'infanterie et d'arriver sur la Sarre dès le 8 août (13).
A l'extrême droite, la 12e division, débouchant devant Bitche,
est accueillie par un feu très vif. Une batterie lance quelques
obus sur la ville sans résultat appréciable, tandis que la
division fait améliorer de mauvais chemins permettant, à la
faveur d'une marche de nuit, de tourner la place par le nord
(14). A l'aile opposée de la IIIe armée, la division badoise
prend, à Brumath, une position d'observation face à Strasbourg.
Le 10, Moltke lui prescrit de s'opposer à tout ravitaillement de
la forteresse et de surveiller la direction du sud (15).
Le 9 août, un détachement de la division wurtembergeoise attaque
le petit fort de Lichtenberg. La (garnison, sous les ordres du
sous-lieutenant Archer, se compose d'une section du 96e de
ligne, d'un sous-officier et de cinq canonniers, et d'environ
180 isolés; l'armement consiste en sept pièces anciennes.
L'artillerie du fort est bientôt réduite au silence, les
bâtiments sont incendiés; les défenseurs continuent néanmoins la
résistance à coups de fusil, et c'est le lendemain matin
seulement qu'Archer, jugeant la résistance impossible, fait
enclouer ses pièces, détruire ses munitions, briser les armes et
conclut avec les Wurtembergeois une convention pour la reddition
du fort (16).
Sur l'itinéraire du Ve corps prussien, se trouve la place de la
Petite-Pierre, occupée par une garnison de même effectif que
celle de Lichtenberg. Le sergent-major Boeltz à qui le
commandement est échu, par suite de la maladie du capitaine
Mouton, se voyant dépourvu de tout moyen sérieux de défense,
prend un parti énergique. Il fait enterrer les cartouches,
brûler les affûts, noyer les poudres, et, par une marche de
nuit, gagne Phalsbourg avec sa faible troupe (17).
Le 10 au matin, le prince royal reçoit, à son quartier général
de Mertzwiller, un télégramme de Moltke : « La Ire et la IIe
armée se mettent en marche le 10 pour se porter vers la Moselle.
L'aile droite de la IIe armée prendra la direction Sarre-Union,
Dieuze. Cavalerie en avant (18). » A cette dépêche succèdent,
dans l'après-midi, des instructions plus détaillées, réglant le
mouvement des trois armées allemandes, et assignant à la IIIe la
route Sarre-Union, Dieuze et les communications au sud (19).
Dans cette même journée, le XIe corps, qui forme l'extrême
gauche, se présente devant Phalsbourg. Sommé de se rendre, le
chef de bataillon Taillant, commandant la place, oppose un refus
formel; menacé d'être bombardé, il se borne à répondre : « J'accepte le bombardement (20) ». A la tombée de la nuit,
soixante bouches à feu ouvrent une violente canonnade et lancent
en trois quarts d'heure un millier d'obus sur la ville ; puis,
constatant que la garnison ne se laisse pas intimider, le XIe
corps reprend sa marche. Une fraction du VIe corps, qui suit,
est chargée du blocus. Elle exécutera, le 14 août, un nouveau
bombardement plus intense, mais aussi infructueux que le
premier.
Le 11 août, le prince royal acquiert enfin, grâce aux
renseignements de la population, la certitude que la retraite de
Mac-Mahon et de Failly s'est effectuée de Niederbronn et de
Bitche sur Sarrebourg. Le VIe corps, de la IIe armée, devant
séjourner le 11 aux environs de SarreUnion, oblige l'aile droite
de la IIIe d'appuyer au sud, ce qui rétrécit le front et
contraint la 12e division et un corps bavarois à passer en
seconde ligne. La 4e division de cavalerie atteint Heming avec
mission d'éclairer vers Lunéville et Nancy (21). Le lendemain,
12, la IIIe armée termine son déploiement sur la Sarre, occupant
une étendue de 15 kilomètres à peine entre Sarrebourg et
Fénestrange; de Heming, sa cavalerie gagne Moyenvic et jette un
escadron de hussards à Lunéville.
Dans la nuit du 12 au 13, le prince royal reçoit de Moltke des
ordres pour la continuation de la marche : la IIIe armée devra
se diriger sans désemparer vers la ligne Nancy, Lunéville (22).
Ses colonnes se portent donc le 13 sur le front Dieuze, Blâmont,
tandis que l'artillerie de la 4e division de cavalerie bombarde
Marsal, occupée par 271 hommes seulement du dépôt du 65e de
ligne, sans un seul canonnier. Les inondations qui font la
principale force de cette petite place n'ont pu être tendues,
l'étang de Lindre, qui devait les alimenter, étant en culture en
1870. Néanmoins, le capitaine Leroy rejette à deux reprises les
offres de capitulation. Le lendemain, quarante-deux pièces du
IIe corps bavarois s'apprêtent à reprendre le feu, et le général
von Hartmann menace, en cas de « résistance frivole », de
prendre la ville d'assaut et de « passer toute la garnison au
fil de l'épée (23)». La capitulation est signée dans la journée,
bien qu'aucune brèche n'ait été faite aux remparts et, au mépris
des règlements, Leroy s'abstient de détruire les armes, le
matériel, les vivres, les munitions (24).
Sur ces entrefaites, la 4e division de cavalerie occupe Nancy;
les corps de tète de la IIIe armée atteignent le front Moyenvic,
Lunéville; la 12e division est à Dieuze, le Ier corps bavarois à
Maizières, en deuxième ligne. A Lunéville, les Allemands
trouvent des approvisionnements importants et apprennent que
Mac-Mahon s'est retiré sur Châlons; le général de Failly se
serait dirigé vers le sud dans les Vosges méridionales (25).
Le 15, le Ve corps borde la Meurthe à Saint-Nicolas et à
Rozières; le XIe jette deux ponts à
Bayon et pousse une brigade mixte jusqu'au Madon; le gros de
l'armée stationne sur la ligne Einville, Moncel, Sommerviller,
Arracourt. Le VIe corps séjourne à Sarrebourg. La 2e division de
cavalerie, qui a franchi la frontière à Wissembourg, le 11 août
seulement, atteint Sarrebourg et est chargée de couvrir la
gauche de l'armée (26).
Le 16, la majeure partie des troupes reste au repos; le quartier
général du prince royal est transféré de Lunéville à Nancy; la
4e division de cavalerie atteint la route de Toul à Colombey.
Une brigade de uhlans bavarois, accompagnée d'une batterie à
cheval, s'approche de Toul par Gondreville et, apprenant qu'un
combat est engagé au nord de la Moselle et du canal de la Marne
au Rhin, elle se porte sur Dommartin, d'où, pour faire
diversion, la batterie jette quelques obus dans la place forte.
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