Le Quand-Même - Organe
spécial des revendications françaises
15 mai 1887
Les Allemands chez nous.
Notre correspondant de Nancy nous a raconté hier qu'une fabrique
de jouets, dirigée par un Allemand, était établie à Emberménil,
près de Lunéville, au pied du fort de Manonvillers. Voici, a ce
sujet, quelques détails édifiants :
Cette fabrique est la propriété des frères Weisbach, natifs de
la Saxe-Cobourg. L'un de ces Weisbach habite Strasbourg, l'autre dirige
la fabrique d'Emberménil, le troisième est voyageur d'une maison
de Paris.
Le Weisbach qui est a Emberménil est sous-officier dans l'armée
allemande. Après avoir fait de mauvaises affaires a Strasbourg,
il est venu s'installer en France, a monté une fabrique de
poupées et a fait rapidement de brillantes affaires.
Bien entendu, ces Allemands qui viennent faire leurs affaires
chez nous n'emploient guère que leurs compatriotes. Il y a, dans
leur fabrique, une soixantaine d'ouvriers teutons.
Jusqu'içi tout va bien. Mais où la chose [...] en train
d'acheter, à Emberménil, un certain nombre de maisons qu'il loue
a ses employés de façon à former, comme cela se voit à Mulhouse,
une sorte de cité ouvrière.
Si cela continue, dans quelques années les Allemands seront les
maîtres à Emberménil.
C'est charmant en vérité. Voila un village lorrain, situé à côté
d'un fort avancé, - le
seul fort que nous possédions sur ce point de la frontière, -
qui est en train de devenir
la propriété de nos ennemis, et le gouvernement laisse faire !
Le Temps
7 août 1887
Berlin, 6 août, 9 h. 15.
On a voulu donner à l'ajournement du voyage de M. de Bismarck à
Kissingen un motif politique, et la Gazette de Cologne, en
insérant une dépêche annonçant que cet ajournement avait pour
cause l'incident de la fermeture par les autorités françaises de
la fabrique allemande de M. Weissbach à Emberménil, en
Meurthe-et-Moselle, a produit une certaine sensation à la
Bourse.
Or la dépêche de la Gazette n'était que la reproduction tronquée
d'une correspondance publiée par la Gazette de Magdebourg dans
laquelle il était dit « La chaleur a diminué la santé du
chancelier est excellente aussi se demande-t-on pourquoi il ne
part pas pour Kissingen, et aussitôt on cherche les motifs
politiques qui peuvent le retenir. On serait peut-être plus près
de la vérité en admettant que M. de Bismarck a retardé son
voyage pour attendre la princesse sa femme, qui doit revenir la
semaine prochaine et qui veut aller avec lui à Kissingen. »
Immédiatement après on parle dans la correspondance de la
fermeture de la fabrique d'Emberménil. La Gazette de Cologne a
involontairement ou Intentionnellement supprimé le passage où il
était question des raisons très simples et peu politiques qui
retenaient M. de Bismarck à Varzin.
En rapprochant les premières lignes des dernières, elle a
produit une nouvelle à sensation dont la Bourse s'est inquiétée.
Neueste Mittheilungen.
Dienstag, den 9. August 1887
Rücknahme einer französischen
Maßregel.
Die Schließung der Puppenfabrik der Firma Weisbach in Embermenil
(Arondissement Luneville), welche in Folge der von der
französischen Presse seit langer Zeit unterhaltenen
Deutschenhetze verfügt worden war, ist wie es scheint, auf
Vorstellungen der deutschen Regierung hin, von den französischen
Behörden wieder aufgehoben und die Wiedereröffnung der Fabrik
gestattet worden. - Die Fabrik der Gebrüder Weisbach, welche
Frankreich mit Puppensceletten versorgt, wurde wegen der hohen
Eingangszölle etwa im Jahre 1881 von Elsaß-Lothringen nach
französischem Gebiet verlegt; von etwa hundert Arbeitern, welche
sie beschäftigt, sind etwa zwei Fünftel deutschen Ursprungs.
Alle Rohstoffe kauft die Fabrik in Frankreich auf, und da sie
dort keine Concurrentin hat, würde die Maßregel der Schließung
besonders Frankreich hart getroffen haben. Das wird denn auch
wohl der Grund für die Rücknahme der durch blinden Deutschenhaß
veranlaßten Maßregel gewesen sein.
Le Figaro
9 août 1887
A L'ÉTRANGER
A la Frontière allemande
Il est dit qu'il ne se passera pas de semaine sans qu'un
incident quelconque ne vienne troubler les relations entre la
France et l'Allemagne. Et ces incidents, quelque peu importants
qu'ils soient en général, la presse allemande prend un véritable
plaisir à les augmenter, à les aggraver et à les raconter à ses
lecteurs avec des commentaires que nous connaissons depuis le
mois de janvier.
Car il y a bel et bien sept mois que cela dure, sept mois
pendant lesquels chaque arrestation faite par un garde champêtre
français devient une affaire d'Etat en Allemagne. Mais rarement
la mauvaise foi n'a été poussée plus que dans ce que la Gazette
de Cologne et ses congénères appellent pompeusement « l'Affaire
d'Emberménil ».
Nos lecteurs savent déjà de quoi il s'agit. Un Allemand, M.
Weisbach, avait fondé à Emberménil, près de Lunéville, une
fabrique de poupées et de jouets d'enfants. Il y avait,
paraît-il, primitivement de l'argent français dans l'affaire.
M. Mézières, de Blamont, qui depuis a fait faillite, s'était
intéressé à la fabrique.
Mais depuis quelques mois, la fabrique, gérée par des Allemands,
n'employait plus que des ouvriers allemands et des matières
premières allemandes. On avait même été obligé de dresser
plusieurs procès-verbaux pour des actes de contrebande qui
étaient facilités par le voisinage de la frontière, distante
d'un kilomètre à peine de la fabrique Weisbach.
À la suite de réclamations de tout genre, M. Schnerb, préfet de
Meurthe-et-Moselle, a ordonné la fermeture de la fabrique, en
vertu de la loi de 1791, loi dont il avait été fait mention dans
l'arrêté du maire d'Emberménil, qui autorisait la construction
de la fabrique Weisbach. Or, que dit-elle, cette loi ? « Pour la
construction des fabriques dans la zone douanière, les
constructeurs auront à se munir non seulement d'une autorisation
des autorités locales, mais encore d'une autorisation spéciale
de l'autorité douanière. » Et, ajoute la Gazette de Cologne :«
Il paraît, en effet, que cette autorisation n'a pas été accordée
en 1881. »
Mais alors, de quoi se plaint-on ?
Pourquoi agite-t-on le spectre de M. Déroulède ? Pourquoi
va-t-on incriminer jusqu'aux paroles de M. de Hérédia ?
L'arrêté de M. Schnerb est-il légal ?
Oui, on l'avoue même en Allemagne, où l'on aurait singulièrement
mauvais gré de se plaindre de ce qu'un préfet français applique
strictement la loi.
Ne fait-on pas plus que l'appliquer strictement en Alsace ?
Qu'on le demande aux Français actuellement en villégiature dans
les Vosges, qu'on le demande aux Alsaciens-Lorrains qu'on
expulse journellement, qu'on le demande même à certains journaux
allemands, qui se permettent de dire timidement, très
timidement, qu'on a peut-être été un peu loin dans la voie de la
répression.
Non, le gouvernement allemand n'est pour rien dans ces
criailleries des journaux officieux. Il sait fort bien que tout
gouvernement a le droit de prendre les mesures qu'il lui plaît
de prendre à l'égard des étrangers. Il se reconnaît ce droit et
il en use, largement même, puisqu'il vient d'expulser en une
fois cent trente employés français du chemin de fer d'Igny-Avricourt.
Il en a usé, il n'y a pas deux jours encore, en expulsant de
Colmar un malheureux qui avait émigré il y a trente-quatre ans,
et qui revenait dans sa patrie chargé d'une nombreuse famille.
On lui a donné vingt-quatre heures pour partir parce qu'il
n'avait pas opté pour l'Allemagne en 1871 et qu'il était resté
Français, tout en vivant en Amérique. M. le kreisdirector de
Colmar a fait usage de son droit. Pourquoi la Gazelle de Cologne
et la Gazette de la Croix ne veulent-elles pas que M. Schnerb
fasse usage du sein ? M. Weisbach était peut-être plus dangereux
avec ses 200 ouvriers allemands que le pauvre expulsé de Colmar
avec ses quatre filles.
M. le prince de Bismarck ne peut être pour rien dans ces
articles comminatoires ; il doit se rappeler les expulsions
ordonnées dans les provinces polonaises, les rapports de ses
préfets, les circulaires du ministère de l'intérieur prussien,
et les réponses faites par la chancellerie de l'Empire aux
observations des agents russes. Ces réponses pourraient se
résumer en ceci : « Charbonnier étant maître chez soi,
chancelier l'est aussi. » Nous ne sommes pas des charbonniers et
nous n'avons pas de chancelier. (Doit-on ajouter hélas ! ou
heureusement ?) Mais nous avons tous, tant que nous sommes,
l'ardent désir de vivre en paix ; que les Allemands s'occupent
donc de ce qui se passe chez eux, et veuillent bien laisser nos
autorités policières faire leur devoir comme elles l'entendent !
II ferait beau voir que l'on emploie en France les procédés
allemands ! C'est pour le coup que le Courrier de la Bourse
demanderait : « Quand en finira-t-on ? » que la Gazette de
Cologne crierait : Vengeance ! et que M. de Bismarck ferait les
remontrances qu'on lui demande de faire ! Mais les journaux
allemands perdent leurs peines et leurs cris : l'arrêté de M.
Schnerb est légal, et M. Weisbach fermera sa fabrique dans trois
mois, puisque M. Schnerb veut bien lui accorder ce délai,
nécessaire pour écouler les marchandises déjà fabriquées. Et, il
ne restera de tout cet incident que beaucoup de bruit pour
quelques poupées.
Jacques St-Cère.
L'Indépendant de Mascara
18 août 1887
LES ALLEMANDS EN FRANCE
Paris, 8 août.
La fermeture de la fabrique de jouets d'Embermenil n'a donné
lieu à aucun incident diplomatique. Cette mesure est légale et
le gouvernement allemand n'a fait aucune démarché, parce qu'il
en reconnaît sans doute la légalité.
Nancy, 8 août.
Le Préfet de Nancy a pris un nouvel arrêté accordant un délai de
trois mois à M. Weissbach pour la fermeture de la fabrique de
poupées d'Embermenil. Le premier arrêté avait ordonné la
fermeture immédiate; mais il est probable que l'administration
préfectorale aura voulu accorder un délai de 3 mois à M.
Weissbach, afin d'écouler le stock des marchandises qui se
trouve en magasin.
20 novembre 1887
Expulsion d'Allemands. - Au mois de septembre dernier le préfet
de Meurthe-et-Moselle avait signifié aux frères Weisbach, qui
fabriquaient, au seuil même de la frontière, des jouets
Allemands, d'avoir à cesser leur industrie sur le territoire
français. Le délai de trois mois étant expiré, l'usine a été
fermée. |