Journal de
la Société d'archéologie et du Comité du Musée lorrain
Janvier 1888
Document concernant l'abbaye de Haute-Seille pour faire suite à
la notice de M. de Martimprey de
Romécourt (mémoires de la société d'archéologie, 1887, p. 86
et suivantes).
Les Archives de l'ancien chapitre de
Saint-Thomas à Strasbourg possèdent quatre documents, qui
permettent d'ajouter quelques détails à l'intéressante notice de
M. de Martimprey. En voici le résumé.
Parmi les domaines qu'au XIIIe siècle l'abbaye de Haute-Seille
possédait en Alsace, un des plus importants était la métairie
(curie) du Kochersberg. Le Kochersberg est la moins basse des
collines qui à huit ou dix kilomètres au nord de Strasbourg,
s'étendent de l'ouest à l'est. Les évêques ont eu là un
château-fort on ne sait à quelle époque remonte sa construction.
En 1249, Henri de Stahleck évêque depuis cinq ans, offrit à
Haute-Seille de lui échanger la métairie du Kochersberg contre
une autre de valeur égale, soit que ce fut lui qui le premier
formât le projet d'élever le château, soit qu'il désirât joindre
à cet établissement déjà formé une exploitation rurale. L'abbé
Jean et les frères y consentirent; l'échange eut lieu le 4 juin
(1). L'évêque cédait à Haute-Seille sa curie d'Achenheim, que
jusqu'alors le seigneur Louis de Lichtenberg avait tenue de lui
comme fief il y joignait le droit de patronage de l'église dudit
village et les dîmes, à la condition que Haute-Seille continuât
de fournir au curé 30 resaux de blé par an et de lui laisser la
jouissance des menues dîmes et des oblations ; à l'avenir, ce
sera l'abbé qui présentera le curé, lequel dépendra, quant au
spirituel, de l'évêque et de son archidiacre. Henri de Stahleck
promit en outre à Haute-Seille 40 marcs d'argent ; jusqu'au
paiement de cette somme, il délivra chaque année-à l'abbaye
quatre charretées (carradae) de vin de qualité moyenne, à
prendre lors de la vendange au pressoir épiscopal de Molsheim.
Il était enfin entendu que si le couvent était molesté dans la
libre possession de sa nouvelle acquisition, l'évêque le
dédommagerait au moyen de 200 resaux de seigle et de froment
provenant de ses terres de Molsheim. Il parait qu'on n'eut pas
besoin de recourir à l'exécution de cette clause ; pendant un
siècle, Haute-Seille resta propriétaire paisible du domaine.
Dans l'intervalle, les religieux acquirent aussi des biens dans
la banlieue de Breuschwickersheim, qui touche à celle d'Achenheim.
La curia dont il s'agit n'était pas une cour colongère mais une
simple métairie, dont le fermier cultivait lui-même les terres
avec son propre train de labour et ses gens (2). Le noyau du
corps de biens était formé, selon toutes probabilités, de 50
arpents qu'en 910 un certain Dietbaldus avait abandonnés à
l'église de Strasbourg et à l'évêque Otbert, en s'en réservant
pour lui et ses descendants légitimes, l'usufruit contre un cens
annuel de six deniers. C'était une de ces precariae, comme on en
faisait tant, depuis le VIIIe jusqu'au Xe siècle. Il faut croire
que, dans le cours de trois siècles, la famille de Dietbaldus
s'était éteinte, puisqu'en 1249 l'évêque avait la libre
disposition du bien. Outre cette propriété, l'évêché en avait
possédé à Achenheim une autre, assez étendue pour constituer une
colonge. Il faut ajouter enfin que les avoués d'Achenheim
étaient les chevaliers de Hohenstein, qui avaient en même temps,
pour un tiers, la qualité de seigneurs du village, comme vassaux
épiscopaux.
Vers le milieu du XVIe siècle, l'état des finances de
Haute-Seille parait avoir été déplorable; déjà, en 1384, comme
le dit M. de Martimprey (p. 100, note 3), le pape Jean XXII
avait accordé à l'abbaye une bulle contre ceux qui la
molestaient et cherchaient à s'emparer de ses biens. Pour des
raisons qui ne nous sont pas connues, le couvent avait contracté
des dettes; il était magnis debitis praegravatus, sans
ressources pour satisfaire ses créanciers, incapable même de
payer les intérêts de ses emprunts. Dans cette détresse, l'abbé
Pierre et ses religieux prirent le parti d'aliéner le domaine d'Achenheim.
Le frère Witschard, abbé du couvent dit Theoloci (3), dans le
diocèse de Langres, qui se trouvait alors à Haute-Seille comme
visiteur chargé sans doute d'examiner la situation, donna son
consentement à la vente. L'acquéreur fut le chapitre de
Saint-Thomas de Strasbourg, qui possédait déjà un certain nombre
d'arpents à Achenheim.
L'abbaye lui céda la curia, avec ses édifices et dépendances,
les droits qui y étaient attachés, les dimes, les cens, les
redevances, et en général tous les biens qu'elle possédait dans
la banlieue du village, ainsi que dans celle de
Breuschwickersheim, ces derniers rapportant 70 resaux de seigle
par an. L'abbaye de Haute-Seille ne retint que le patronage de
l'église et 40 resaux dûs chaque année au curé. L'acte fut
conclu à Strasbourg, pardevant le juge de la Cour épiscopale, le
19 mai 1345 (4); l'abbé Pierre, le prieur Jean, le bancarius (5)
Albert, le cellérier Nicolas le sous-prieur Nicolas et Jean de
Sarrebourg, fils du feu seultetus de cette ville, attestèrent
solennellement que les biens vendus n'étaient grevés d'aucune
charge, d'aucune hypothèque. Sur le prix de vente, stipulé de
855 livres strasbourgeoises, Saint-Thomas paya immédiatement 555
livres; pour fournir le reste, le chapitre attendit qu'il fût
mis en possession.
La précaution n'était pas inutile. L'avoué, Bourcard de
Hohenstein, souleva des difficultés; appartenant à une race
turbulente, peu amie du clergé, il trouvait sans doute plus
commode d'avoir affaire à un couvent criblé de dettes et situé
de l'autre côté des Vosges, qu'à une corporation puissante et
riche, qui établie à Strasbourg, à quelques lieues seulement d'Achenheim,
était en mesure de le surveiller et d'empêcher ses usurpations.
Saint-Thomas en informa l'abbé Pierre, en lui rappelant
l'article du contrat de vente par lequel le vendeur devait
garantir à l'acheteur la possession tranquille de ce qu'il avait
acquis et le défendre contre toute agression. En conséquence,
l'abbé et le couvent donnèrent, le 28 janvier 1346, un nouvel
acte (6) par lequel ils déclarent leur intention de mettre le
chapitre à l'abri des « molestations » de l'avoué ; désireux de
recevoir les 300 livres, restant du prix de vente, ils
autorisèrent Saint-Thomas, si à la Pâque prochaine (16 avril) il
n'avait pas la jouissance incontestée du domaine, à faire
saisir, même par force, les biens et revenus de Haute-Seille à
Dorlisheim, jusqu'à concurrence de 300 livres. L'affaire,
parait-il, s'arrangea; Saint-Thomas put occuper la cour d'Achenheim
sans plus être inquiété par l'avoué.
Enfin, le 16 août 1390, l'abbé Jacques et le couvent vendirent
au même chapitre, pour 9 livres le patronage de l'église d'Achenheim
et une redevance de 2 resaux de seigle, qui leur revenait encore
sur quelques arpents de la banlieue (7). A partir de ce moment,
Haute-Seille ne possède plus rien dans cette partie de l'Alsace
(8).
C. SCHMIDT
(1) Vidimus de 1413; sceau de la
Cour épiscopale de Strasbourg.
(2) En 1249, le fermier, auquel Louis de Lichtemberg avait
acensé le bien, s'appelait Albert Wissemberg.
(3) Quel est le nom français de cette abbaye cistercienne? Nous
n'avons rien trouvé d'approchant dans la Gallia Christiana.
(4) Original sceaux de l'abbaye, de l'abbé Pierre, de l'abbé
Witschard et de la Cour épiscopale.
(5) Bancarius, probablement le caissier, appelé dans d'autres
abbayes cisterciennes bursarius. V. aussi le Glossaire de Du
Cange aux mots : bancarius, thesaurarius.
(6) Original, sceaux de l'abbé et du couvent.
(7) Original, sceaux de l'abbé et du couvent.
(8) On voit par ce qui précède qu'à la liste des abbés de
Haute-Seille donnée par M. de Martimprey, il faut ajouter Pierre
(1345, 1346), et que Jacques de Sarrebourg était déjà abbé en
1390. |