| Le Courrier des 
				tribunaux. Journal de jurisprudence et des débats judiciairesMai 1829
 ASSISES DE LA MEURTHE. 
				(Nancy)(Correspondance particulière.)
 
 Accusation de fratricide.
 
 La Cour d'assises du département de la Meurthe s'est ouverte le 
				4 du présent mois. Plusieurs causes peu intéressantes y ont été 
				jugées. Mais il en est une dont les débats se sont prolongés 
				pendant trois jours. Elle a mérité de fixer l'attention par 
				l'importance et la gravité de l'accusation, ainsi que par tes 
				circonstances extraordinaires dont elle était accompagnée.
 Si l'on en croit l'accusation, un intérêt sordide et une basse 
				cupidité auraient été les seules causes d'un fratricide dont la 
				justice poursuivait le châtiment.
 Voici les faits tels qu'ils résultent de l'exposé qui en a été 
				fait à l'audience par le ministère public.
 Joseph Albert accusé, résidait dans la commune d'Attigny; il 
				possédait une fortune assez importante pour un habitant de la 
				campagne.
 Il avait fait avec son beau-frère, François Verrier, une 
				convention par laquelle celui-ci lui abandonnait la jouissance 
				de quelques héritages qu'il possédait, à charge de lui fournir 
				l'entretien, la nourriture et logement.
 Verrier non seulement était disgracié de la nature sous tes 
				rapports physiques, mais son intelligence avait reçu peu de 
				développement. Il était dans un état voisin de l'imbécillité. Il 
				avait déjà atteint plus de moitié de sa carrière; ainsi l'un 
				avait de justes motifs de croire qu'il ne s'engagerait jamais 
				dans les liens du mariage. Sa succession devait donc un jour 
				appartenir à sa soeur (la femme d'Albert) sa seule héritière 
				présomptive.
 Cependant il était à craindre que Verrier, dans la position où 
				il se trouvait, ne cédât à quelque conseils pernicieux et qu'il 
				disposât de sa fortune eu faveur de personnes étrangères. Pour 
				éloigner ce danger, l'accusé se fit vendre, par deux contrats 
				successifs, les immeubles dont Verrier était propriétaire, avec 
				stipulation que le prix en avait été payé comptant, quoiqu'il 
				n'ait rien été délivré lors de la passation des actes.
 Cependant, à raison du second contrat, portant un capital de 400 
				fr. l'accusé avait fait un billet de pareille somme. Verrier 
				l'avait déposé en main tierce, sans doute dans la crainte qu'il 
				ne lui fut enlevé.
 Mais bientôt l'accusé parvint à se faire remettre ce titre par 
				le dépositaire, en lui montrant une procuration générale qu'il 
				avait reçue de Verrier, pour gérer et administrer ses affaires. 
				Il obtint de la même manière 180 fr. que Verrier avait aussi 
				confiés à un tiers pour les lui conserver.
 Albert exécutait mal, ou plutôt il violait ouvertement les 
				obligations qu'il avait contractées vis-à-vis de son beau-frère. 
				Au lieu de lui donner la nourriture et le logement d'une manière 
				convenable, il lui refusait souvent les alimens; il l'avait 
				placé dans un lieu humide et souterrain ; enfin il se portait 
				souvent à des actes de violences vis-à-vis de cet être 
				malheureux, dont il aurait dû être l'appui et le protecteur.
 Pour se soustraire aux mauvais procédés qu'il éprouvait, Verrier 
				quittait souvent le domicile d'Albert, et particulièrement 
				pendant toute la belle saison ; il se plaçait en service chez 
				des étrangers, soit dans la commune d'Attigny, soit dans lieux 
				circonvoisins. Il économisait avec le plus grand soin les 
				salaires qu'il recevait pour son travail, et aux approches de 
				l'hiver il venait résider chez son beau-frère.
 En 1828, il y était rentré au commencement de septembre, ayant 
				en sa possession une somme d'environ 165 francs en pièces de 
				cinq francs. Il en avait placé une partie dans un coffre dont il 
				conservait toujours la clef sur lui; elle était attachée à une 
				ficelle qu'il avait fixée à l'une de ses boutonnières. Le reste 
				de cette somme, il l'avait mis dans une ceinture qu'il portait 
				ordinairement sur lui.
 A cette époque. Verrier se plaignait amèrement de sa soeur et de 
				son beau-frère. Il disait qu'on lui refusait des alimens, qu'on 
				le frappait sans motif, que «  sa soeur était méchante comme une 
				louve qui a des petits. Si je suis tué, ajoutait-il, vous saurez 
				que c'est par lui; cela n'ira pas loin. »
 Le è décembre. Verrier avait voulu acheter des pistolets, en 
				disant : «  On m'attaque, il faut bien que je me défende. »
 D'un autre coté, des menaces alarmantes étaient sorties de la 
				bouche de l'accusé : «  Si ma femme m'avait laissé faire, 
				disait-il, il y passerait ou moi. »
 Trois semaines avant l'assassinat, il battait à la grange avec 
				une fille à laquelle il disait : «  Je ferai un malheur ; le bon 
				Dieu n'est pas juste; il laisse vivre un homme comme cela; il y 
				passera ou moi; je me f... de ma vie. »
 Le 10 décembre, le jour où le crime a été commis, Verrier était 
				allé dans un cabaret voisin ; il y avait acheté une petite 
				bouteille d'eau-de-vie, dont il avait bu une partie. En payant 
				ce qu'il devait il avait montré la clef de son coffre, disant 
				que c'était là cette de sa bourse. Il rentra chez son beau-frère 
				pour dîner, et immédiatement après il revint dans le cabaret en 
				se plaignant de ce qu'on voulait le faire aller travailler au 
				bois, qu'il désirerait pouvoir s'en abstenir, mais qu'il s'y 
				rendrait, «  ayant peur d'être grondé ».
 Effectivement, Verrier se dirige vers la forêt de Blamont où il 
				est aperçu par plusieurs individus qui lui parlent; il était 
				alors occupé à faire un fagot. Deux ouvriers qui travaillaient à 
				proximité entendent Verrier couper du bois, et causer 
				familièrement avec quelqu'un qui se trouvait alors avec lui.
 Le soir, Albert est aperçu rentrant au village, précisément par 
				la route qui conduisait à l'endroit où Verrier s'était arrêté 
				pour travailler.
 Albert soutient qu'il n'est pas allé dans la forêt de Blamont, 
				mais qu'il s'est rendu dans celle de La Blanche, et qu'en 
				revenant, voulant visiter une de ses propriétés, il avait été 
				obligé de faire un détour qui l'avait naturellement conduit sur 
				le chemin par lequel il était rentré au village.
 Cependant le lendemain matin 11 décembre, un témoin aperçoit, 
				sans le reconnaître, le corps inanimé de Verrier, gisant dans la 
				forêt; ce malheureux avait reçu sur la tête un coup si violent 
				que le crâne était entièrement brisé. Le sang avait jailli avec 
				une telle abondance que tous les arbres qui environnaient le 
				cadavre en étaient couverts.
 La ficelle à laquelle était attachée la clef du coffre était 
				coupée, ainsi que la ceinture dans laquelle Verrier avait mis 
				une partie de l'argent qu'il avait économisé.
 Verrier était tombé mort du premier coup, puisque ses habits 
				n'étaient pas en désordre, qu'ils n'étaient ni souillés ni 
				déchirés, et que surtout le reste de son corps il n'y avait 
				aucune contusion ni aucune trace de violences.
 Le maire d'Attigny, averti seulement dans la soirée du 11, qu'un 
				assassinat avait été commis dans la forêt de Blamont, donna 
				ordre à plusieurs habitans de la commune du nombre desquels 
				était l'accusé, de veiller à la garde du cadavre pendant la 
				nuit, et de ne toucher à aucun des objets qui pouvaient 
				l'environner.
 Arrivés sur le lieu de la scène, plusieurs des gardiens, à 
				l'aide des lanternes dont ils étaient porteurs, cherchèrent à 
				savoir quel était le nom de celui qui avait été homicidé avec 
				tant de barbarie. L'un d'eux crut reconnaître Verrier ; l'accusé 
				seul était indigent; il ne mettait aucun empressement à 
				découvrir qu'elle était la victime d'un si horrible attentat. Ce 
				fut seulement le lendemain qu'il parut ne plus douter que 
				c'était son beau-frère qui avait expiré sous les coups d'un 
				lâche assassin.
 Le même jour, 11 décembre, vers trois heures du soir, le juge 
				d'instruction accompagné du maire vinrent pour opérer la levée 
				du cadavre, ils ne trouvèrent sur lui qu'un couteau, et malgré 
				les recherches les plus minutieuses, ils ne virent aucune trace 
				de la serpe dont Verrier s'était servi pour abattre le bois, 
				dont était composé le fagot qu'il faisait, au moment où il reçut 
				le coup mortel.
 Un des individus présens fit observer au juge d'instruction que 
				la serpe avec laquelle on avait coupé le morceau de bois dont 
				Verrier avait été frappé était nécessairement ébréchée, puisque 
				l'on apercevait les traces des dents qu'elle portait. La même 
				remarque s'appliquait aux brins dont le fagot était formé.
 Ces réflexions sont faites en présence de l'accusé: De retour 
				chez lui, il prend sa serpe et va l'aiguiser sur la meule d'un 
				maréchal-ferrant, demeurant a proximité.
 L'accusé parait avoir craint que l'on ne vit dans quelle 
				situation était sa serpe, car quoiqu'il y eût là plusieurs 
				personnes et des enfants par lesquels il aurait pu se faire 
				aider, il tourne lui-même la meule d'une main et de l'autre 
				tenait la serpe.
 Le juge d'instruction ayant demandé à l'accusé la représentation 
				de sa serpe aperçut qu'elle avait été aiguisée : il l'interroge 
				sur cette circonstance, et il répond qu'il s'est servi pour 
				cette opération d'une petite pierre; mais bientôt voyant que 
				l'on va prendre des informations près du maréchal-ferrant, il 
				convient que c'est sur une meule que la serpe a été émoulée, et 
				que s'il ne l'avait pas déclaré d'abord, c'est qu'étant affecté 
				de surdité, il a mal saisi les questions qui lui ont été 
				adressées.
 Le juge d'instruction se fait représenter la blouse dont 
				l'accusé était vêtu le jour de l'assassinat, et l'on ne tarde 
				pas à voir qu'elle porte l'empreinte de nombreuses taches de 
				sang.
 L'accusé prétend qu'elles proviennent de ce qu'il a aidé à 
				placer le cadavre dans le cercueil mais ou lui répond que depuis 
				quarante-huit heures Verrier était mort que le sang étant 
				coagulé ne coulait plus; que d'ailleurs il n'y en avait pas sur 
				les parties inférieures du corps, et c'était de ce côte qu'était 
				placé l'accusé lorsqu'on avait enseveli Verrier.
 L'accusé soutient encore que quand on a descendu le cercueil de 
				la voiture il a reçu une blessure à la main; mais on lui 
				démontre que les taches ne peuvent provenir de là, puisqu'un 
				grand nombre de témoins déposent qu'il n'était pas alors vêtu de 
				sa blouse.
 Enfin l'accusé dit qu'il a été chargé de ramasser tous les 
				petits morceaux de bois et les branches coupées qui 
				environnaient le cadavre; qu'ils étaient ensanglantés ; que les 
				ayant placés dans sa blouse, elle a pu être tachée de sang; mais 
				on lui répond que les taches ont une forme ronde, et qu'elles ne 
				patent avoi l'origine qu'il leur assigne.
 La clef de coffre de Verrier avait été l'objet de recherches 
				inutiles. L'accusé la remet au maire disant qu'il l'a trouvée 
				dans la forêt, cachée sous des feuilles. On ouvre le coffre, et 
				l'on n'y trouve pas d'argent; il ne renfermait plus que des 
				vêtements déchirés.
 Aux charges qui résultaient de ces différentes circonstances 
				s'en joignaient d'autres que l'accusation considérait comme 
				accablantes.
 Une femme avait déposé, un mois après l'instruction commencée, 
				que le lendemain de l'assassinât, mais avant que l'on en eût 
				connaissance, elle se réfugia dans l'allée de la maison de 
				l'accusé pour laisser passer le troupeau du village, et que là 
				elle entendit l'accusé dire : «  Du premier coup il est tombé » ; 
				qu'aussitôt sa femme lui répondit : «  Malheureux, qu'as tu fait 
				? Nous sommes perdus ».
 L'accusation s'étayait ensuite de quelques propos échappés de la 
				bouche de la femme de l'accusé. Elle éprouvait les inquiétudes 
				les plus cruelles sur le sort de son mari ; mais elle se 
				rassurait lorsqu'elle pensait qu'il avait montré beaucoup de 
				fermeté et de persévérance dans les interrogatoires qu'il avait 
				subis.
 De toutes ces circonstances le ministère publie concluait que la 
				culpabilité était complètement démontrée, et que si ces preuves 
				ne suffisaient pas, il fallait renoncer à poursuivre les 
				assassins, parce que l'ou trouverait difficilement un aussi 
				grand concours d'indices et de présomptions accumulés sur la 
				tête d'un accusé.
 Me Fabvier, chargé de présenter la défense de Verrier, a su 
				employer toutes les ressources d'une éloquence douce et 
				persuasive pour combattre ou du moins atténuer les charges qui 
				pesaient sur son client.
 Après le résumé du président, les jurés sont entrés dans la 
				salle de leurs délibérations. Une demi-heure après, ils en sont 
				sortis pour faire connaître leur déclaration portant que 
				l'accusé était coupable, et que-cette décision n'avait été 
				rendue qu'à la majorité simple. La Cour en conséquence en a 
				délibéré : elle a déclaré adopter l'opinion de la minorité du 
				jury.
 L'accusé est alors reconduit sur son banc. Il verse des larmes 
				abondantes lorsque le greffier donne lecture de la déclaration 
				du jury; mais bientôt les sentiments douloureux auxquels il 
				était en proie se dissipent lorsqu'il entend prononcer son 
				acquittement.
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