Incidents de
frontière - Presse jusqu'en 1888
Journal des débats - 9 janvier 1873
On lit dans l'Indépendant
de l'Est du 7 janvier
Le Niederrheinischer Kwier publie dans son numéro du 3
janvier les lignes suivantes :
« Des voyageurs qui ont passé la frontière hier à
Avricourt nous racontent que les employés de police
continuent à demander des passeports et ont répondu aux
personnes qui leur disaient que le contrôle des
passeports était supprimé, qu'en France rien n'était
changé à cet égard.
» II est possible que ces fonctionnaires n'aient pas
encore- reçu des instructions de leur gouvernement mai s
dans ce cas, en ce qui concerne la ligne principale d Avricourt à Paris, cet oubli aurait assez l'air d'être
volontaire. En résumé, il paraît nécessaire
provisoirement, afin d'éviter des difficultés, que les
voyageurs se munissent de papiers de légitimation.
Le Gaulois -
27 juillet 1887 |
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NANCY. Hier est arrivé, par le train d'Avricourt, un déserteur allemand en grande tenue, appartenant au 136e régiment prussien. Il a été suivi de la gare au bureau central par une foule de curieux, et il a manifesté l'intention de contracter un engagement dans la légion étrangère.
Des vêtements civils lui ont été donnés, et il a été mis en subsistance dans un régiment de la garnison de Nancy, en attendant qu'il soit dirigé sur l'Algérie.
Journal des débats - 6 août 1887
Une dépêche de notre correspondant à Nancy nous informe que les autorités allemandes viennent de prendre une mesure d'expulsion contre les employés fiançais, célibataires et mariés, du chemin de fer d'Igney à Avricourt. La mesure s'applique à 38 personnes. Les employés célibataires devront, avoir quitté l'administration dans un mois ; les employés mariés ont trois mois pour se conformer à cette décision.
Toutefois, le commissaire de surveillance de la gare de Nancy n'aurait reçu aucune nouvelle concernant cette expulsion.
On télégraphie de Nancy, le 5 août, que le préfet vient de prendre un arrêté ordonnant la fermeture d'une fabrique de jouets allemands établie à Emberménil.
Cette fabrique était installée depuis six ans sans autorisation, dans un rayon douanier où cette autorisation est nécessaire.
Le préfet avait déjà pris dernièrement un arrête semblable pour une manufacture du même genre établie à Maranvillers.
Journal des débats - 3 avril 1888
Alsace-Lorraine.
On télégraphie d'Avricourt, le 2 avril, à l'agence
Havas
« On signale de nouvelles rigueurs de l'autre côté de
la frontière. La police allemande renvoie tous les hommes
non munis d'autorisation pour entrer en Alsace. »
Journal des débats - 11 avril 1888
Alsace-Lorraine.
La Landeszeitung du 10 avril, annonce que le décret
d'amnistie pour l'Alsace-Lorraine est signé.
Ainsi que le Journal d'Alsace-Lorraine l'annonçait, les
mesures prises à la gare d'Avricourt et interdisant
l'entrée des Français en Alsace-Lorraine ont pris fin.
Ces mesures venaient d'un excès de zèle du commissaire
de police allemand.
Dorénavant, les Français pourront pénétrer en
Alsace-Lorraine comme d'habitude mais, s'ils veulent y
séjourner, ils devront être munis d'un permis du
kreisdirector.
Journal des débats - 2 mai 1888
Alsace-Lorraine.
M. le baron Charpentier, membre du Conseil général de la Basse-Alsace, premier secrétaire de la Délégation d'Alsace-Lorraine, adresse la lettre suivante au Journal d'Alsace :
Strasbourg, le 30 avril 1888.
Monsieur le rédacteur,
En réponse à un article de votre estimable journal au sujet des difficultés faites à Avricourt aux voyageurs arrivant à la frontière d'Alsace-Lorraine, la Landeszeitung, journal officiel, a reconnu qu'il s'était, en effet, produit un fait pouvant vous donner raison, mais que des ordres avaient été envoyés pour que, à moins de cas particuliers et exceptionnels, la frontière puisse être franchie comme par le passé.
Le public croyait pouvoir ajouter foi à une déclaration aussi catégorique faite par l'organe du gouvernement. Malheureusement, les faits semblent ne pas être conformes à cette déclaration.
Que le fonctionnaire chargé du service de la frontière se renseigne sur l'identité des personnes qui entrent en Alsace ou qui en sortent, chacun peut l'admettre à la rigueur mais que ce fonctionnaire exige qu'on soit munis d'un permis de séjour, que des personnes appelées dans le pays pour des raisons majeures et urgentes soient arrêtées dans leur voyage et ne puissent le continuer que par un des trains suivans ou qu'elles se voient obligées de rebrousser chemin, voilà ce qui paraît incompréhensible à l'époque où nous vivons. Et cependant ces faits se passent journellement et les noms des personnes ne sont pas difficiles à citer. On semble ne pas comprendre qu'on atteint ainsi dans des relations de famille, d'affaires et d'amitié, qui ne s'effacent pas d'un trait de plume, les habitans mêmes de l'Alsace-Lorraine,
A toutes les réclamations, le gouvernement répond par un non possumus en invoquant les ordres reçus de Berlin.
Nous avons, à Strasbourg, un statthalter d'Alsace-Lorraine et un ministère d'Alsace-Lorraine investis d'une autorité suffisante pour n'avoir pas à recevoir d'ordres directs de Berlin dans des questions aussi peu importantes, au point de vue politique, que l'arrivée de quelques voyageurs sur le territoire d'Alsace-Lorraine.
Quand les mesures rigoureuses ont été prises, on espérait qu'elles n'auraient qu'une durée temporaire.
Ces mesures, ont été la suite des élections du mois de février 1887. Je ne discuterai pas s'il était politique de ne pas reconnaître aux électeurs d'Alsace-Lorraine le droit de voter selon leurs idées, puisque ceux des autres pays de l'Allemagne ont pu le faire sans qu'on ait usé et sans qu'on use encore envers eux; de mesures portant le caractère d'une punition. Si telles doivent être les conséquences du vote libre, peut-être serait-il plus logique de le supprimer.
Quoi qu'il en soit, après la dernière élection de Strasbourg, nous espérions que les promesses faites seraient tenues et que les rigueurs excessives prendraient fin.
Je ne veux pas discuter la question plus longuement. Je tenais simplement à dire que, toutes les fois que l'occasion s'en est présentée, j'ai protesté contre l'opportunité des mesures de rigueur. Aujourd'hui, je le fais publiquement, afin que mon opinion soit connue sur des mesures que je considère comme inutiles d'abord et comme nuisibles ensuite à la pacification des esprits.
Veuillez agréer, etc.
Baron FL. CHARPENTIER.
Le Gaulois - 3 juin 1888
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Les passeports
à la frontière
(De notre correspondant particulier)
Avricourt, 2 juin.
Le gouvernement allemand a atténué dans une certaine
mesure la rigueur de ses instructions en faveur des
voyageurs, quels qu'ils soient, de l'Orient-Express à
condition de ne pas descendre de leur wagon pendant la
traversée de l'Alsace-Lorraine. Les voyageurs ayant des
billets pris à Paris, pour aller au moins jusqu'à
Munich, seront désormais dispensés de l'obligation du
passeport.
Le Gaulois -
4 juin 1888 |
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LES PASSEPORTS
A LA FRONTIERE D'ALSACE-LORRAINE
L'enquête du GAULOIS
DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL
Notre collaborateur, M. Jean de Bonneton a pris samedi
soir l'Orient-Express pour voir comment les choses se
passent à la frontière. Voici ses premières dépêches
En route, 2 juin soir.
Quelques étrangers traversant un coin d'empire pour aller
en Suisse, en Autriche ou plus loin ; quelques douzaines
de Français se rendant en Allemagne pour leurs affaires ;
quelques centaines d'Alsaciens-Lorrains passant et
repassant la frontière, voilà ce qui a suffi, parait-il,
le 30 mai 1888, pour mettre en danger la formidable
Allemagne !
On ne passe plus à Pagny, on ne traverse plus Avricourt
sans montrer des passeports tout frais signés de
l'ambassade. La compagnie de l'Est à dû prendre des
mesures pour sauvegarder ses intérêts et ceux des
voyageurs. L'Orient-Express que je prends est le dernier
train qui doive passer par Avricourt et l'Alsace-Lorraine.
A partir d'aujourd'hui, la compagnie tournera la
difficulté en tournant la frontière.
Le dernier train ! ces trois mots sonnent comme une cloche
d'alarme aux oreilles françaises. Quand repartira le
premier train ? Quand recommenceront, réguliers, les
services interrompus. Questions qu'on ose à peine se
poser ! Questions de paix ou de guerre !
Peu de voyageurs dans ce dernier train. Presque tous des
Allemands qui rentrent chez eux, comme l'oiseau de proie
au moment de l'orage.
Dans mon compartiment, je suis seul le train va partir,
quand monte essoufflé, haletant, un haut et puissant
personnage, à longue barbe blonde: c'est un Allemand - un
Allemand au nom polonais. Je l'ai connu cet hiver, à
San-Remo, puis à Berlin. Il a ses grandes entrées à la
cour de Frédéric III. Nous causons. Mon compagnon de
voyage, qui arrive d'Angteterre, déclare ne rien
comprendre aux mesures prises.
- De tout cela, dit-il, de ces difficultés accumulées,
de ces questions de frontière sans cesse renaissantes,
ressort une constatation enfantine. L'Alsace et la
Lorraine sont une grande plaie vive accrochée aux flancs
de l'empire. Mais ce ne sont pas deux provinces. Je
connais un peu ce pays. Eh bien je vous avouerai
franchement que je ne trouve à la mesure prise qu'une
explication. Les gens de frontière sont également taquin
d'un côté et de l'autre ; les Allemands jouent de
méchants tours aux Alsaciens-Lorrains, et les vaincus
rendent à leurs vainqueurs la monnaie de leur pièce. Le
gouvernement a cru faire cesser ces tracasseries de tous
les instants en créant des difficultés de passage.
« Malheureusement, on n'a pas réfléchi que ces
vexations atteignent aussi bien; les grandes relations
internationales que les communications locales. On n'a pas
réfléchi mais on réfléchira. Tout cela se tassera, et
il n'y aura pas de blessés. Autant de morts que de
blessés... »
Un silence se fait. Mon interlocuteur prend la Gazette ed
Voss, parcourt l'illustre et diplomatique feuille, puis
me la tend.
- Lisez, dit-il.
Et je lis l'article que vous connaissez à Paris, ce long
et subtil plaidoyer où le journal de Berlin donne avec
art, mais fermeté, son opinion. L'article se termina par
ces mots :
« Le règlement nouveau au sujet des passeports atteint
le trafic international. On en constatera bientôt les
effets désastreux, même pour les intérêts allemands.
La Gazette de Voss, comme mon interlocuteur, appartient à
cette Allemagne savante, lettrée, politique, que j'ai
connue à Berlin, à ce que l'on appelle le nouveau parti.
J'ai entendu cette cloche au départ. J'en entendrai une
autre à l'arrivée.
Avricourt, 3 juin, 2 h. 50 matin.
Il y a deux Avricourt : Avricourt-France,
Deutsch-Avricourt. Quand nous arrivons à la seconde
station, le jour commence à paraître.
Sur le quai de la gare, voici la casquette noire et la
giberne rouge du convoyeur, voici aussi le gendarme
allemand avec son casque en paratonnerre.
Tout le monde sur pied ! Un commissaire de police en
civil, orné de lunettes noires, accompagne de deux
agents, monte dans le train. Il examine lentement,
mûrement, en épelant, les passeports. Un Français n'a
pas la fameuse clé nécessaire. Il n'ira pas plus loin.
Ce voyageur est inspecté, surveillé comme s'il portait
la guerre dans les plis de sa jaquette. En attendant le
train de six heures cinquante qui le ramènera à
Avricourt (France), on l'enferme au buffet. Comme le
prisonnier, je reste dans la gare : mais je suis libre, et
j'en profite pour faire une enquête.
Le train parti, je me risque à faire la conversation avec
le commissaire.
- Vous avez un service pénible, dis-je.
- Oui.
-Vous êtes seul ?
- Non.
- Combien de commissaires ?
- Nous étions deux. Nous serons trois ce soir.
- Arrêtez-vous beaucoup de voyageurs ?
- Le plus possible.
Cette réponse me suffit; j'ai peur d'une seconde
inspection de mon passeport, et, au petit jour, à pied,
je prends la route de France.
Je passe près du poteau emmirlitonné de noir et de
blanc, sur lequel est écrit en rouge : Deutschland.
J'arrive a la borne blanche qui porte : France, et j'entre
dans la douane française.
Employés de la gare, employés de la douane, gendarmes me
questionnent. On veut savoir si j'ai été arrêté, et on
me raconte les arrestations des jours précédents.
C'est d'abord le consul général de Suède à Vienne qui,
malade, revenant de Paris, accompagné de son médecin, a
dû retrousser chemin. Il en a été de même pour un
consul de Grèce.
Hier, une vieille femme de quatre-vingts ans, qui revenait
de l'enterrement de sa petite-fille et ramenait au village
son arrière-petite fille - une enfant de trois mois -
s'est jetée suppliante aux pieds du commissaire. Elle a
dû, en pleine nuit, retourner à Nancy.
Pour les Alsaciens-Lorrains, on ne demande pas de
passeports. Ils sont Allemands ! Mais on demande la
permission de sortie. Au premier passage, on renvoie
simplement les malheureux; mais, en cas de récidive, la
prison est au bout du Voyage. C'est ce qui est arrivé aux
deux retraités - deux vieillards - qui ont été toucher
leur pension à Lunéville. Ils ont voulu tourner la
frontière. On les a pris, et depuis deux jours ils sont
en prison, comme des voleurs.
Les habitants du village français eux-mêmes ne peuvent
plus aller dans les maisons voisines qui sont en
Allemagne. La garde veille; non seulement elle veille,
mais elle nargue les Français. J'ai vu un douanier
allemand en uniforme traverser en sifflotant la gare
française/
Le laitier allemand va servir des pratiques de l'autre
côté de la frontière, et le laitier français ne peut
passer. Nos agents, nos gendarmes sont héroïques de
calme.
- Mais tout a une fin, me disait l'un d'eux, et, si cela
continue huit jours, je ne réponds pas de nos gars.
Pagny-sur-Moselle, dimanche 4 h 50s.
D'Avricourt (frontière alsacienne), je me suis
transporté à Pagny-sur-Moselle (frontière lorraine),
où le nombre des arrestations, diminue, faute de
voyageurs ; la gare de Nancy ne distribue presque plus de
billets pour la frontière. Je suis seul dans le train.
Quatre Italiens ont été refoulés : ce sont les seuls
voyageurs qui se soient présentés aujourd'hui.
Le calme est complet, mais l'émotion est fort grande.
On prétend, ici, que les mesures prises sont seulement la
préface de nouvelles vexations ; cependant, le
gouvernement allemand semble effrayé lui-même de ce
qu'il a fait.
Ainsi que je vous l'ai annoncé hier, tes voyageurs
transitant seulement par l'Alsace-Lorraine ne seront pas
inquiétés.
Mais la sévérité pour les Alsaciens-Lorrains augmente
tous les jours. Ce ne sont plus seulement les relations
commerciales, mais les relations de famille qui sont
interrompues. Un inspecteur général de la police
allemande circule le long de la frontière pour faire un
rapport direct au grand-chancelier; si ce rapport est
sincère, les conclusions seront faites pour effrayer le
gouvernement allemand.
JEAN DE BONNEFON
La Croix - 28 juin 1888
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Violation de frontière
Nancy, 26 juin.
Un officier allemand du 97e régiment d'infanterie, en garnison à Sarrebourg, en tenue militaire, est venu s'accouder pendant un quart d'heure à la barrière du passage à niveau d'Avricourt, sur le territoire français, visiblement délimité en cet endroit. Un groupe s'est aussitôt formé.
Le commissaire spécial de la gare a invité l'officier à repasser la frontière; il a obéi à cette invitation. L'autorité militaire allemande a été informée du fait.
La Croix - 7 juillet 1888 |
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QUESTIONS D'ALSACE
Consigne impitoyable
Les journaux de l'Est racontent en ces termes, l'histoire
navrante d'une jeune Alsacienne d'Haguenau qui, domestique
à Nancy, s'est vu barrer le passage à la frontière le
jour de la mort de sa mère.
Le 1er juillet, elle recevait une dépêche ainsi conçue
: « Maman dangereusement malade t'appelle, accours vite.
» Elle voulut immédiatement partir, quoiqu'elle n'eût
pas de passeport. Son maître l'accompagna jusqu'à
Avricourt pour plaider sa cause. Tout fut inutile le
commissaire allemand, quoiqu'elle se fût jetée en
pleurant à ses genoux, resta Inflexible. Revenue à
lgney-Avricourt, elle expédia le télégramme suivant :
« À Sa Majesté l'impératrice d'Allemagne à Potsdam.
» Une jeune fille alsacienne, appelée au chevet de sa
mère mourante, empêchée de passer frontière Avricourt,
supplie Sa Majesté de venir à son secours. Caroline
Staub. »
Quelques heures plus tard, elle reprit le train pour
Deutsch-Avricourt, dans l'espoir que la réponse de Berlin
serait arrivée. Elle l'était, en effet, et, cette
fois, elle put passer mais, lorsqu'elle arriva à
Haguenau, sa mère était morte depuis une heure.
La Croix - 14 août 1888 |
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Question d'Alsace
Manifestations allemandes â la frontière
La société allemande des anciens militaires s'est
réunie hier à Deutsch-Avricourt sur la frontière
française, où les autorités allemandes devaient lui
remettre un drapeau. Il y avait huit musiques militaires,
de nombreux fonctionnaires et plusieurs bannières. Le
cortège s'est avancé jusqu'à l'extrême limite de la
frontière française, et un porteur de bannière,
touchant le poteau de la frontière, a crié en allemand
« Jusqu'ici et quand il le faudra, encore plus loin. »
Quelques manifestants ont même franchi la frontière et
ont dû être rappelés à l'ordre par deux gendarmes
français.
Les anciens militaires sont allés ensuite faire un grand
banquet au buffet d'Avricourt où l'on avait prépare 310
couverts.
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