Journal de
la Société d'archéologie et du Comité du Musée lorrain
1896
LETTRE DE LA DAME DE BLAMONT AU CHAPITRE DE SAINT-DIE
(24 JUILLET 1444)
Nous avons publié ici même, il y a un an, deux documents du XVe
siècle tirés de la collection de notre confrère, M. Zeiller, de
Lunéville. Voici un nouveau document de la même époque que M.
Zeiller a bien voulu nous communiquer et nous permettre
d'insérer dans le Journal :c'est l'original d'une lettre
missive, écrite, comme il était d'usage, sur une feuille de
papier d'assez petites dimensions ; elle était fermée à l'aide
d'un cachet de cire rouge apposé sur le dos et dont il ne reste
plus que des traces insignifiantes.
A vénéraubles personnes, mes chiers et grans amis doien et
chapitre de l'esglise cathédra de Saint- Diei.
Vénéraublez personnes, mes chiers et grands amis, tontes
recommendations prémises, vous scaveis asseis coment par aultres
fois vous ais heut prier par mes lettres que vous pleut à avoir
pour recommender mon très chier et amé fil Oulri de Blammont,
chenonne de Straubourg, de Colloingne et de Toul, etc.,
estudient de présent à Paris, en lui proveoir en vostre esglise
quant li cas y enschairoit, comme ma fiance en estoit en vous.
Sur quoi moult admiablement me feistes respodce que en averiés
très bonne diligence, de la quelle responce pour lors ency à moi
faite vous remercie de boin cuer, vous priant ancor de richief
moult chièrement que quant li cas y enschairroit, vous l'aiéz en
mémoire, et en faire tellement comme escript et respondu le m'aveis,
et comme ma perfaite fiance en est en vous, affin que tous nos
amis en soient plus enclin d'aidier, soustenir et deffendre
vostre dicte esglise et vous tous aussy, en créant au sourplus,
s'il vous plait, Mongny, son clerc. portour de ces lettres, de
ce qui vous en dirait
de part moi pour ceste fois ; et s'aulcune chose vous plait que
faire puisse bonnement pour vous, rescripvéz le moi, et de boin
cuer l'acomplirais. Ce sceit Nostre Seignour, mes chiers et
grans amis, li quel vous ait en sa saincte garde. Escript le
XXIIIIe jour de jullet l'an quarante quatre.
Margueritte de. Lorrenne, dame vave de Blammont.
L'adresse de cette lettre qualifie l'église de Saint-Dié
d'église-cathédrale ; elle n'était alors qu'une simple
collégiale, et le restera longtemps encore, puisque l'évêché de
Saint-Dié n'a été créé qu'en 1776. L'erreur est assez étrange,
mais ne laisse pas d'être explicable, et ne suffit pas, en tous
cas, pour qu'on puisse mettre en doute l'authenticité de la
lettre.
L'auteur de la lettre, Marguerite de Lorraine, est une fille de
Ferry de Lorraine, - lui-même fils cadet du duc Jean 1er, - et
de Marguerite de Joinville, comtesse de Vaudémont. D'après M.
Léon Germain (1), elle était le sixième des sept enfants du
comte et de la comtesse de Vaudémont. Elle avait épousé en
premières noces Guillaume de Vienne, seigneur de Saint-Georges
et de Marinvilliers. Devenue veuve, elle se remaria avec un
seigneur de Blâmont sur le nom duquel nos historiens lorrains ne
sont pas d'accord. Le père Picard, dans son Histoire de Toul (p.
589), et M. Germain (ibid.) désignent Henri IV mais M. de
Martimprey dans son historique si détaillé et si consciencieux
des Sires et comtes de Blâmont, nous apprend qu'Henri IV, sire
de Blâmont, mourut en 1421, et qu'antérieurement à cet
événement, son fils aîné Thiébaut (II) avait épousé Marguerite
de Lorraine-Vaudémont (2). M. de Martimprey ayant étudié tout
particulièrement la généalogie et la chronologie des sires de
Blâmont, et son travail étant le plus récent, nous n'hésitons
pas à nous ranger à son avis, malgré l'attention que méritent
les recherches de M. Germain.
On voit par la suscription de la lettre que Marguerite était
veuve quand elle écrivit aux chanoines de Saint-Dié. En effet,
Thiébaut II était mort dès 1431, peut-être des suites d'une
blessure reçue à la bataille de Bulgnéville, à laquelle M. de
Martimprey (3) croit qu'il prit part dans les rangs de l'armée
lorraine, combattant, par conséquent, son beau-frère, le comte
de Vaudémont. Ses enfants étant encore mineurs, leur mère fut
charmée de la mainbournie qu'elle exerça jusqu'en 1437. La date
de sa mort n'est pas connue, mais elle survécut longtemps à son
mari, car son testament daté du 6 avril 1469 a été retrouvé et
publié par M. de Martimprey (4).
Quant à Olry de Blâmont, pour lequel Marguerite, sa mère,
demande aux chanoines de Saint-Dié une prébende dans leur
église, il est plus connu que ses parents, parce qu'il devint
évêque de Toul en 1495, et exerça ces hautes fonctions
ecclésiastiques jusqu'à sa mort, me 3 mai 1506. Cependant, la
lettre de sa mère nous apprend sur lui quelques particularités
qu'ont ignorées ses historiens, le père Picard et M. de
Martimprey. Ceux-ci (5) énumèrent les canonicats qu'Olry
cumulait avant de monter sur le siège de Toul, et ils ne citent
pas Cologne, qui est mentionné dans la lettre de 1444. Cette
lettre nous fait voir, en outre, qu'il était déjà à cette date
chanoine de Strasbourg, Cologne et Toul. Dans la suite, Olry
devint encore chanoine de Metz, Verdun et Saint-Dié; d'après le
père Picard, ce serait en 1445 qu'il aurait reçu cette dernière
prébende : les démarches de sa mère auraient donc été suivies
d'un prompt effet.
Nous voyons encore dans le texte publié plus haut que le futur
évêque de Toul avait fait ses études à l'Université de Paris, et
qu'elles n'étaient pas encore terminées en 1444. Il était donc
encore très jeune à cette époque, et devait être l'un des plus
jeunes des six enfants que Marguerite de Lorraine donna à son
second mari (6).
E. DUVERNOY. |