Le Journal des
chambres de commerce
Mars 1883
Cour d'appel de Paris
CHAMBRE CORRECTIONNELLE
Une très importante question
de droit, intéressant au plus haut point l'industrie française,
vient d'être discutée à l'audience de la Chambre des appels
correctionnels. Il s'agissait de savoir si, juridiquement, les
objets fabriqués à l'étranger pour le compte de commerçants
établis à Paris peuvent recevoir la marque de produits français.
Sur la plainte de nombreux commerçants parisiens, la douane
française opéra, à Avricourt, au mois d'avril 1882, la saisie de
caisses de boutons qui, fabriqués en Saxe, en Prusse et en
Bohème, portaient cependant la marque : Articles de Paris,
Dernières nouveautés de Paris.
Cette désignation constituant aux yeux du ministère public de
délit « d'apposition, sur des objets fabriqués à l'étranger de
la marque d'un lieu autre que celui de la fabrication. »
MM. Grellon, Schindler, Franck, Prévost, Margelidon, Dehlm,
Angot et Persant furent poursuivis en police correctionnelle.
Ces huit inculpés étaient tous des commerçants en boutons,
établis à Paris, et faisant fabriquer leurs produits à
l'étranger.
La main d'oeuvre coûtant beaucoup moins cher en Saxe, en Prusse
et en Bohême qu'en France, MM. Grellon et consorts obtenaient
par ce procédé une diminution de 20 pour 100 net sur le prix de
revient de leurs marchandises.
La neuvième chambre de police correctionnelle condamna chacun
des prévenus à 50 fr. d'amende.
Sur appel, l'affaire est revenue devant la cour. Mes
Clunet et Lyon, de Caen, se sont présentés pour le appelants.
Me François Ducuing, au nom de plusieurs notables
commerçants de Paris, s'est porté partie civile. L'honorable
avocat a démontré avec une grande éloquence l'utilité qu'il y a
pour notre industrie nationale à empêcher que les produits de
fabrication étrangère ne puissent être revêtus de marques- de
fabrication française.
En effet, s'il était permis à un commerçant, par le seul fait
qu'il a un établissement à Paris, de faire fabriquer en Prusse
ou ailleurs des marchandises portant une marque française, il
s'ensuivrait que le premier étranger venu pourrait, établissant
un comptoir à Paris, obtenir aussi le droit d'inonder la France
de produits étranger revêtus cependant de la marque : ARTICLES
DE PARIS. Cela incontestablement occasionnerait un immense
préjudice à l'industrie française.
Malgré ces considérations, la cour, après avoir entendu M.
l'avocat général Calary, a rendu un arrêt aux termes duquel « un
commerçant a le droit de se servir de la marque du lieu où il a
son établissement. »
En conséquence, le jugement de première instance a été infirmé
et MM. Grellon et consorts ont été renvoyés des fins de la
poursuite.
C'est fâcheux pour notre industrie nationale. Aussi
souhaitons-nous que la Cour de cassation réforme cet arrêt.
Bulletin de la
papeterie
Décembre 1885
PROBITÉ ALLEMANDE
II paraît que les Allemands, non contents de nous avoir pris les
pendules que l'on sait, fraudent sur un article de bureau qui
semble au premier abord n'avoir pas d'importance.
Il existe à Nuremberg des fabriques de crayons. L'article est
modeste, comme on voit. Eh bien, si modeste qu'il paraisse, les
truqueurs allemands n'en retirent pas moins, bon an mal an,
141,750 francs; par suite d'agissements inavouables, ouf si vous
préférez, par suite de fraudes à l'entrée de ces crayons en
France, à la douane d'Avricourt.
Les crayons en bois de cèdre payant 140 francs de droit d'entrée
par 100 kil. et ceux de sapin ne payant que 35 francs,
l'Alsacien-Lorrain explique ainsi la fraude allemande :
« Pour être aussi savants que nous, les employés de la douane
n'auraient qu'à inventorier soigneusement les 150 boites qui lui
sont mensuellement déclarées aux droits de 35 francs.
» La première rangée de ces boites comprend douze grosses de
crayons en bois blanc. A la seconde, on en trouve encore six
autres, adroitement réparties. Dans toutes les autres grosses de
la boite de chaque douzaine, on voit sortir deux modestes
crayons. Mais en retour, les autres crayons de la boite sont en
cèdre, soit 19,440 sur 25,920.
» En additionnant tous les crayons de cèdre des cent cinquante
boîtes, on arrive à un total de 2,919,000, c'est-à-dire la
contenance de cent douze boites et demie sur les cent cinquante
boites; soit pour la douane, par mois, une perte de onze mille
huit cent douze francs cinquante centimes. »
Et qu'on dise après cela que les Allemands ne possèdent pas
toutes les vertus !
Avec des commerçants aussi probes, il est urgent que les
douaniers français aient non seulement un bon pied, mais encore
un oeil un peu plus investigateur lorsqu'ils auront à vérifier
les provenances d'outre-Rhin.
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