Recueil général
des lois et des arrêts en matière civile, criminelle,
commerciale et de droit public
J.-B. Sirey
Tome XXIII. - 1823
1°. DOMAINE DE L'ÉTAT. - ALIÉNATION.
2°. TERRES VAINES ET VAGUES. CONCESSIONS DOMANIALES.
3°. DOMAINE PRIVÉ. - ALIÉNABILITE,
1° et 2° Des terres en friche, échues par déshérence aux anciens
ducs de Lorraine, avant la réunion à la France, tombaient dans
leur domaine privé, aliénable, et non dans le domaine de l'Etat.
En conséquence, les concessions de ces terres, consenties par
les anciens ducs, ne peuvent être considérées comme, aliénations
du domaine de l'Etat, révocables, aux termes de la loi du 14
ventose an 7.
(Loi du 14 ventose an 7, articles 2, 3 et 4- -Edit du duc de
Lorraine, du 14 juillet 1729, art. 6.)
3°. D'après les règles du droit public ancien, les terres échues
au prince, par déshérence, tombaient dans son domaine privé,
aliénable, et non pas dans le domaine de l'Etat, inaliénable.
(La direction de l'enregistrement. - C. - Gadel.)
13 décembre 1713, arrêt de la Chambre des comptes ce Lorraine,
qui acense au sieur Lombard la terre et seigneurie de Lintray,
avec les cens, droits et rentes qui en dépendaient, moyennant un
cens annuel de 300 francs barrois.
A cette époque, ce domaine ne comprenait d'autres terres que
deux immeubles, l'un de six fauchées, l'autre d'une fauchée et
demie; mais le sieur Lombard acquit de divers particuliers, et à
titres onéreux, d'autres terres.
Il faut remarquer que ces terres acquises à l'État par
déshérence, avaient été acensées par le duc de Lorraine, en
1707, à divers particuliers qui les transmirent au sieur
Lombard. - Il faut également savoir que ces terres étaient en
friche à l'époque de la concession.
Ultérieurement, le sieur Claudin s'était approprié environ 58
jours de ces terres, au moyeu d'interlignes et d'apostilles
marginales, insérées au procès-verbal de remembrement. Instruit
de cette falsification, le sieur Lombard agit en dépossession
contre le sieur Claudin.
31 janvier 1717, arrêt du Conseil d'État qui adjuge ces terres
au sieur Lombard.
Celui-ci compose successivement de ces terrés une ferme qui prit
la dénomination de Haut-de-Serolles.
Après être passée successivement entre les mains de plusieurs
propriétaires, cette ferme appartenait en 1811 au sieur Gadel.
19 mars 1811, arrêté du conseil de préfecture du département, de
la Meurthe, qui décide, sur la demande du directeur des
domaines, qu'il y a lieu d'appliquer à la ferme de Haut-de-Serolles
les dispositions de la loi du 14 ventose an 7, qui révoquent les
aliénations faites par l'ancien Gouvernement des biens des
domaines de la couronne, et qui déclarent, quant aux
aliénations, faites dans les pays réunis à la France avant la
réunion, s'en référer aux lois existantes, aux traités de paix
et autres actes diplomatiques. La réunion de la Lorraine à la
France remonte à l'année 1736.
En exécution de cet arrêté, le directeur des domaines fit
signifier au sieur Gadel, que faute par lui de s'être soumis à
payer le quart du prix, il serait procédé à la vente de la ferme
de Serolles.
Le sieur Gadel déclare consentir à payer le quart de la valeur
des deux fonds énoncés dans l'acensement de 1713, lesquels
faisaient partie de cette ferme; mais, pour le surplus, il
annonce l'intention de résister aux prétentions du directeur des
domaines.
Il soutient que ce surplus se composait des terres acquises par
le sieur Lombard, de divers particuliers à qui le duc de
Lorraine les avait acensées en 1709; que ces terres étant échues
au duc de Lorraine, par déshérence, étaient tombées dans son
domaine privé; que ce domaine privé était aliénable ; qu'ainsi,
et dans l'origine, les concessions n'avaient pas été des
aliénations du domaine de l'État, que dès-lors les dispositions
de la loi du 14 ventôse an 7 n'étaient pas applicables à ces
terres, comme elles l'étaient au domaine de Lintray, acensé en
1713 au sieur Lombard.
18 juin 1815, jugement du tribunal civil de Lunéville, qui
accueille la prétention du domaine.
Appel de la part du sieur Gadel.
23 août 1819, arrêt de Cour royale de Nancy, ainsi conçu :
« Considérant que les dispositions des anciennes lois relatives
à l'aliénabilité des domaines de l'Etat, étaient fondées sur ces
principes d'intérêt public, que les domaines de l'État n'étaient
pas la propriété particulière du souverain, et que le prince ne
devait en être considéré que comme usufruitier, chargé d'en
conserver la propriété entière et intacte à son successeur; mais
considérant que le prince qui s'était fait un devoir de
conserver dans son intégrité le patrimoine dont avait joui ses
prédécesseurs, pouvait cependant avoir un domaine privé qui
était sa propriété particulière et dont il ne s'était pas
interdit la faculté de disposer; que le domaine particulier du
prince se composant, non-seulement de ce qu'il
pouvait-personnellement acquérir, mais encore de toutes les
casualités qui pourraient lui écheoir pendant son règne, tels
que droit d'aubaine, déshérence, confiscation ; que ces droits
casuels étaient moins le domaine public que des fruits du
domaine public, dont le prince avait la disposition libre et
sans réserve; qu'à la vérité, lorsqu'il avait prononcé la
réunion de ces droits au domaine public de l'État, ils
devenaient alors partie intégrante de ce domaine et inaliénables
à l'avenir, parce qu'alors le prince avait contracté envers
l'État un engagement qu'il ne lui était plus libre de révoquer.
De même, lorsque les revenus provenant de ces casualités avaient
été perçus confusément avec les revenus de l'État pendant dix
années consécutives, cette seule circonstance opérait encore la
réunion des fonds au domaine de l'État; mais que, hors de ces
deux hypothèses de réunion formelle ou tacite, ces casualités
n'avaient pas cessé d'être le domaine particulier du souverain,
qui ne trouvait, dans le principe de l'inaliénabilité des
domaines de la couronne, aucun obstacle à l'aliénation, qu'il
voulait en faire; considérant que ces distinctions et ces
principes ont été reconnus par la loi de ventôse an 7; qu'ainsi,
dans l'application de cette loi, il est encore une première,
question à examiner, celle savoir si l'aliénation dont la
révocation est demandée était d'un bien faisant, partie du
domaine de l'État.
Considérant que les terres que M, le préfet demande être
soumises à la disposition de la loi de ventôse an 7, étaient des
terres advenues, à titre de déshérence, par l'effet d'un
remembrement commencé en 1695, lorsque le roi de France occupait
la Lorraine à titre de conquête; mais lorsque déjà Léopold en
était souverain, par le droit de sa naissance; qu'on ne
représente aucune déclaration par laquelle Léopold, rentré dans
ses Etats, ait prononcé la réunion et l'incorporation de ces
terres au domaine de la couronne; qu'on ne justifie pas qu'avant
1707, époque où une partie de ces terres à été acensée à divers
particuliers, elles étaient comprises dans les recettes des
revenus de l'Etat et que les receveurs en aient touché le
produit et rendu compte ;
Que ces acensemens particuliers annoncent que ces terres étaient
en friche pour la majeure partie, et par conséquent non
productives de fruits ;
Que n'y ayant eu aucune incorporation soit réelle ou tacite, la
partie des terres acensées en 1707 n'était donc point dépendante
du domaine public de l'Etat, et que le Souverain n'a fait
qu'aliéner un bien qui était de son domaine privé, par les
différens acensemens de 1707; de là résulte la conséquence que
les censitaires ont acquis, à titre de patrimonialité, ces
héritages moyennant le paiement d'un cens ;
Considérant que le contrat d'acensement, passé à Claude Lombard,
par la chambre des comptes de Lorraine en 1713, des fruits,
profits„ droits et émolumens de la terre et seigneurie de
Lintray, rentes et redevances en dépendantes, ne comprend point
la propriété de ces terres déjà acensées en 1707; mais seulement
le cens fixé par les titres des acensemens.
Que dans la déclaration fournie antérieurement au contrat de
1713, par le substitut du procureur-général au comté de Blamont,
signé encore du maire et des sous-fermiers du domaine de Lintray,
ne se trouvent pas énoncées les terres de déshérence comme étant
alors une dépendance de ce domaine; que l'on y rappelle
seulement que ces terres ont été acensées; qu'ainsi ce ne
pouvait être le contrat d'acensement de 1713 qui pouvait devenir
pour Claude Lombard un titre à la propriété des terres; que
seulement il lui donnait droit à la perception du cens;
Considérant que si, en 1714 et 1715, Claude Lombard a réuni aux
droits qu'il tenait du domaine la propriété des terres acensées
en 1707, ce n'a été qu'en conséquence de transactions
particulières qu'il a passées avec les censitaires primitifs,
transactions qui n'ont pu changer la nature de ces propriétés,
et faire que, de patrimoniales qu'elle étaient dans l'origine,
elles devinssent domaniales dans la personne de Claude Lombard ;
qu'il est indifférent que, dans une partie des actes de
rétrocession, on ait inséré quelques expressions qui
annonceraient que Claude Lombard avait droit, en sa qualité de
seigneur, d'exiger cette rétrocession; que ces fausses
énonciations ont pu déterminer des paysans peu instruits; mais
qu'il faut toujours reconnaitre que Claude Lombard n'avait aucun
droit à demander ces rétrocessions, sous prétexte qu'il était
devenu seigneur de Lintray ; que mal-à-propos, encore, on
voudrait attribuer ces rétrocessions à l'exercice d'un retrait
féodal ou censuel, puisque rien n'indique dans la cause que les
terres adjugées en 1707, à titre d'acensement, aient passé, par
aucun moyen d'aliénation, entre les mains, d'autres détenteurs
sur lesquels seuls le retrait féodal ou censuel eût pu être
exercé ;
Considérant que la partie de ces terres de déshérence que, lors
du remembrement du finage de Lintray, Antoine Claudin s'était
fait distribuer, comme étant sa propriété, et, que l'arrêt du
Conseil, du 31 janvier 1717, adjuge à Claude Lombard, ne peut
être considérée encore comme ayant jamais fait partie du domaine
public ; que Claudin avait joui de ces terres dans l'intervalle
du remembrement et de l'acte de 1717 ; qu'il ne pouvait donc y
avoir réunion tacite ; qu'il n'y a pas eu davantage de réunion
expresse, et que conséquemment c'est encore un bien non-domanial
que cet arrêt a adjugé à Claude Lombard, qui alors a dû en jouir
et l'a possédé patrimonialement; qu'ainsi, jusqu'à cette époque
de 1717, les terres de déshérence n'ont pu être soumises aux
dispositions des lois sur l'inaliénabilité des domaines de la
couronne ;
Considérant que l'ordonnance du 24 décembre 1714 et la
déclaration du 31 décembre 1719, rendues dans l'intérêt du
domaine, n'avait d'autre but que d'éviter la confusion, que le
temps pouvait entraîner des biens et droits aliénés du domaine
public et des biens patrimoniaux, que les détenteurs des
domaines pouvaient posséder, dans les mêmes lieux; que c'est
dans cette, vue qu'il a été ordonné que ceux qui, dans le lieu
où sont situés lesdits biens du domaine, possédaient auparavant
ou ont acquis depuis des droits indépendans du domaine, en
feraient mention, dans les déclarations ou dénombremens qu'ils
donneraient ; que c'est pour satisfaire au prescrit de ces lois
que Claude Lombard a fourni la déclaration, du 21 mars 1720,
dans laquelle, après avoir rappelé les biens et droits à lui
acensés en 1713, il énuméra Tes terres et seigneuries
dépendantes de la seigneurie de Lintray qu'il a retirées de
plusieurs particuliers et celles à lui adjugés par l'arrêt de
1717 ; que s'il n'a pas annoncé que ces terres lui étaient
patrimoniales, le procureur-général et la chambre des comptes
n'a pas non plus demandé qu'elles fussent déclarées domaniales;
qu'ainsi la question était restée intacte, et que, par
conséquent la déclaration fournie en 1720 ne peut fournir la
preuve de la domanialité de ces terres;
Considérant que l'édit du 14 juillet 1729 n'était relatif qu'au
domaine de la couronne, que dans le préambule, le prince
annonce, d'après les lois fondamentales de seule souveraineté,
et les ordonnances des ducs, ses prédécesseurs, être inaliénable
et toujours réversible à la couronne, selon le bon plaisir des
donateurs ou de leurs successeurs ; que Claude Lombard détenteur
tout à la fois des droits et biens qui lui avaient été acensés
en 1713 et des biens qu'il avait réunis en 1714 et 1715 et 1717,
devait, pour conserver les droits qu'il tenait du domaine de
l'Etat, se pourvoir aux commissaires nommés pour l'exécution de
l'édit; que la déclaration que faisait Claude Lombard des soins
qu'il avait pris et des dépenses qu'il avait faites pour mettre
en valeur les terres de déshérence qu'il avait trouvées en
friche, a pu déterminer la confirmation de la concession qu'il
avait obtenue en 1713, pour l'augmentation des cens à payer par
ses successeurs; mais que de cette circonstance que le sieur
Lombard a été maintenu dans la possession du domaine de Lintray,
on ne peut pas induire que la révocation de l'acensement de 1713
eût entraîné pour lui la perte, ou pour le domaine la réunion
des terres qui lui étaient advenues en 1714, 1715 et 1717.
Nécessairement Lombard les eût conservés, car, en parlant des
termes de l'édit qui rappelait les lois fondamentales de toutes
les souverainetés, c'était à ces lois fondamentales qu'il
fallait recourir; il fallait donc aussi recourir à la
distinction qu'elles ont aussi établie entre le domaine public
de l'État et le domaine privé du souverain ;
Considérant que cette distinction, et les circonstances qui en
résultent, étaient admises dans la province de Lorraine par la
chambre des comptes chargée spécialement de veiller au maintien
des droits du domaine; qu'ainsi, dans les arrêts d'admission des
lettres réversales fournies en 1772, 1777, relativement à la
terre de Lintray, la chambre des comptes a reconnu la terre et
seigneurie domaniale de Lintray; que ces arrêts ont été rendus
sans blâme ni opposition de la part du procureur-général; que
Gadel, appelant, représente ces arrêts qui ont distingué la
nature de l'un et de l'autre de ces biens, qui, quoique entre
les mains des mêmes propriétaires, leur appartenaient sous deux
rapports différens; que ces arrêts, notamment celui de 1772, ont
été rendus après production de titres; que prétendre aujourd'hui
faire décider, que la terre de Serolles n'était point
patrimoniale, ce serait remettre en question la chose jugée par
un tribunal souverain et compétent;
La Cour a mis l'appellation et ce dont est appel au néant ;
émendant, donne acte à Gadel, appelant, de la déclaration par
lui faite qu'il consent que les deux prés énoncés en ses
conclusions, provenant du domaine de Lintray, soient assujétis
aux dispositions de la loi du 14 ventôse an 7, de payer en
conséquence le quart de leur valeur estimative, suivant
évaluation dans la forme voulue par la loi; maintient et garde
ledit Gadel dans la propriété incommutable, possession et
jouissance de la ferme du Haut-de-Sérolles, ban de Lintray ;
déboute, en conséquence, le préfet de la Meurthe, en sa qualité,
des conclusions par lui prises en première instance, tendantes à
ce que cette ferme soit déclarée domaniale, condamne, etc. .
- POURVOI, en cassation de la part du préfet de la Meurthe.
1er. Moyen. Violation d'un édit de Charles III, duc de Lorraine,
du 7 août 1581, ainsi conçu : « Statuons et ordonnons que
désormais tous et chacun les deniers qui nous seront échûs et
pourront échoir de droits seigneuriaux, confiscation,
représentation d'héritiers absens, aubaines biens vacans,
épaves, et généralement tous profils et deniers casuels, seront
mis et incorporés à notre domaine, sans qu'ils puissent être
distraits, destinés ni donnés à quelque personne que ce soit. »
La Cour royale, a dit le demandeur, a reconnu elle-même que des
biens dépendans du domaine privé du Prince étaient réunis au
domaine de l'Etat lorsque les revenus des deux domaines avaient
été perçus confusément pendant dix ans; ce principe doit être, à
plus forte, raison, appliqué à des biens dont les revenus sont
déclarés, par un édit formel, faire, perpétuité, partie
intégrante du domaine de l'Etat.
Il est constant, et le défendeur en convient, que les acensemens
du 15 janvier 1707 ont été faits par les officiers dé la prévôté
dé Blamont, à la diligence des fermiers-généraux du domaine ; il
s'agissait donc alors de biens qui faisaient partie du domaine
public le l'Etat, et dont l'aliénation était par conséquent
prohibée. Le droit de retrait n'avait pas été, à la vérité,
formellement concédé au sieur Lombard, par l'arrêt de la chambre
des comptes du 13 décembre 1713; mais ce droit n'avait pas non
plus été excepté de la concession générale des droits utiles
contenus dans cet arrêt; aussi, postérieurement à cette
concession, exerce-t-il le retrait contre les divers
particuliers en faveur desquels les acensemens du 15 janvier
1707 avaient été passés.
La Cour royale de Nancy n'a eu, cependant, aucun égard à ces
retraits, sous prétexte que les actes de 1713 et 1714, qui les
contenaient, énonçaient des faits faux et n'avaient pu
déterminer que des paysans peu instruits; mais le dol et la
fraude ne se présument pas, on doit en faire la preuve, et à
défaut, les contrats font foi de leur contenu, conformément aux
articles 1319, 1320 et 1341 du Code civil. Peu importe que le
sieur Lombard fût bien ou mal fondé à retirer ainsi ces terres
des mains des censitaires. La loi du 14 ventôse an 7 ne
distingue pas, en effet, entre l'usage et l'abus de la puissance
féodale ; cette loi ne considère que le fait des réunions
exercées par l'engagiste en vertu de la puissance féodale; or,
ce fait constaté par lesdits actes, ne pouvait être écarté par
la Cour royale, qu'en contrevenant, à ces articles.
Afin d'établir que ces terres avaient conservé leur nature
domaniale, et que le sieur Lombard l'avait lui-même reconnu, le
demandeur rappelle le décret rendu, le 5 mars 1714, sur la
demande formée par ledit sieur Lombard, en qualité d'engagiste
de la seigneurie de Lintray. Le prince n'accorde pas au sieur
Lombard la permission de bâtir une maison de ferme, près les
terres dont s'agit, qu'à la charge de construire sur un terrain
qui lui appartiendrait; mais le sieur Lombard n'aurait
certainement pas eu besoin de cette permission, s'il eût été
véritablement propriétaire de ces terres, et le prince n'aurait
pas ainsi restreint la permission.
Le demandeur convient que les terres vacantes par déshérence
appartenaient au seigneur haut-justicier.
Ce fut aussi à ce titre qu'en vertu de l'acensement de 1713, le
sieur Lombard revendiqua la terre en déshérence usurpée par
Antoine Claudin. Deux arrêts, l'un du 15 mars 1716, l'autre du
31 janvier 1717, condamnèrent le sieur Claudin à déguerpir les
mêmes terres au profit du sieur Lombard. Ces deux arrêts, en
réintégrant l'engagiste, ne changèrent nullement la nature de sa
possession précaire, qui était ainsi déterminée par l'acte
d'acensement du 13 décembre 1713.
Le demandeur s'étaie, en outre, de la déclaration fournie par le
sieur Lombard à la chambre des comptes de Lorraine, le 21 mars
1720. Le sieur Lombard reconnut, par cette déclaration, que les
terres par lui retraitées, moyennant de grosses sommes, et
celles qui lui avaient été adjugées, étaient toutes dépendantes
de la seigneurie de Lintray, dont il était engagiste.
Vainement la Cour royale de Nancy a-t-elle considéré que,
d'après les ordonnances des 24 décembre 1714 et 31 décembre
1719, ceux qui possédaient dans le même lieu des biens domaniaux
et des droits non domaniaux, étaient tenus de faire mention des
uns et des autres dans leur déclaration. Le demandeur répond à
ce motif de l'arrêt, qu'il ne s'agissait, dans cette déclaration
du 21 mars 1720, que de biens et droits dépendans de la
seigneurie de Lintray, dont le sieur Lombard déclarait être
engagiste; on ne trouve, dans cette déclaration, aucune
expression dont on puisse induire qu'aucune partie des terres
déclarées fut possédée à litre patrimonial par l'engagiste.
L'arrêt rendu le 24 décembre 1725 par les commissaires chargés
de l'édit de réunion des domaines, du 14 juillet de la même
année, fournit encore une nouvelle, preuve de la domanialité
desdites terres. Il résulte de cet arrêt que le sieur Lombard
demandait la maintenue en possession du domaine utile de Lintray,
et qu'il comprenait dans ce domaine le corps de ferme qu'il
avait composé desdites terres en déshérence; il invoquait
lui-même, à l'appui de sa demande, l'exception consacrée par
l'article 5 de l'édit de réunion qui s'appliquait exclusivement
à des biens de nature domaniale, mais, vains et vagues, lors des
concession. Il ne fut cependant rétabli en possession de ces
terres, à l'aide-de la main-levée qui lui fut donnée de la
saisie faite sur les revenus, qu'à la charge par ses héritiers
d'une augmentation de 200 francs de cens sur l'acensement du 13
décembre 1713; il fut donc souverainement décidé que le sieur
Lombard ne possédait qu'à titre d'engagement, même lesdites
terres, et que l'art. 5 de l'édit de réunion n'était pas
applicable.
Les héritiers et ayant-cause du sieur Lombard reconnurent aussi
la domanialité et l'inaliénabilité de ces terres; cela résulte,
1°. d'un contrat du 7 novembre 1736, par lequel ces héritiers
vendirent aux sieurs Brenon leur moitié indivise de la
seigneurie de Lintray, consistant en haute, moyenne et basse
justice, maison, terres, près, cens, rentes et redevances. Les
vendeurs s'obligèrent, en cas d'éviction, par le fait du prince,
à indemniser l'acquéreur. Par décret du 11 novembre 1736, rendu
sur la requête du sieur Brenon, la princesse régente confirma
cette vente et en ordonna l'annotation, tant sur la minute de
l'engagement du 10 décembre 1713, que sur la minute de l'arrêt
du 24 décembre 1729. L'acquéreur, en demandant cette nouvelle
confirmation, reconnut encore la domanialité desdits biens.
Le sieur Gadel a vainement opposé que ces lettres réversales
furent admises par deux arrêts de la chambre des comptes de
Lorraine, l'une du 15 mai 1772, l'autre du 18 juillet 1777, sans
blâme ni opposition du procureur général, et qu'on ne peut plus
contester aujourd'hui une patrimonialité, souverainement et
irrévocablement jugée; il n'en résulte pas que la chambre des
comptes ait vérifié les titres produits à l'appui des lettres
réversales, il n'en résulte pas non plus, ni que ces titres
aient été communiqués au procureur général, ni que ce magistrat
ait donné ses conclusions. Ces arrêts préjugent même si peu la
patrimonialité de la terre de Serolles, qu'on y trouve la
réserve des droits du Roi et de ceux d'autrui.
2e. Moyen de cassation. Violation des ordonnances et des édits
des ducs de Lorraine, des 21 septembre, 1393, 21 décembre 1446,
27 juin 1561, 27 septembre 1661, 18 mars 1722 et 14 juillet
1729, ainsi que des articles 2, 8 et 14 de la loi du 14 ventôse
an 7.
D'après ces ordonnances et ces édits, le domaine de l'État était
inaliénable et imprescriptible; ainsi, l'acensement fait, le 13
décembre 1713, au sieur, Lombard de la terre et seigneurie de
Lintray, cens, rentes et droits utiles et dépendances, était
essentiellement révocable; c'est aussi ce qui résulte de l'arrêt
du 24 décembre 1739, rendu sur la réclamation de l'engagiste de
ce domaine. Cette révocation s'est étendue non-seulement aux
biens dépendant de l'engagement, mais encore aux terres en
déshérences réunies par l'engagiste, en sa qualité de seigneur
de Lintray, en 1713, 1714 et 1717. Là Cour royale de Nancy, en
décidant que ces terres n'étaient pas comprises dans la
révocation prononcée par les articles 2, 8, et 14 de la loi de
ventôse, en 7, a violé ces articles, ainsi que les ordonnances
sur l'inaliénabilité des domaines de l'Etat.
MB. Guillemin, avocat des défendeurs, a soutenu que les biens
dont s'agit faisaient partie du domaine privé, aliénable, des
ducs de Lorraine, qu'ainsi les concessions de ces biens
n'étaient pas révocables, aux termes de la loi du 14 ventôse an
7, comme aliénations du domaine public ; qu'au surplus, il y
avait sur ce point chose jugée, et qu'enfin l'arrêt dénoncé
décidait, en fait, que les terres réclamées étaient
patrimoniales et non domaniales.
ARRÊT.
LA COUR, - Attendu que les acensemens consentis par le domaine
en 1707 au profit des particuliers qui traitèrent ensuite avec
le sieur Lombard à titre onéreux, ne comprenaient que des terres
qui avaient été laissées en déshérence;
Que la Cour royale de Nancy a reconnu que la majeure partie de
ces terres était, lors de ces acensemens, en friche, et ne
produisait par conséquent aucun fruit;
Attendu que les terres adjugées au sieur Lombard, par arrêt du
Conseil d'Etat, provenaient aussi de déshérence ;
Attendu que de le déclaration faite en détail par le sieur
Lombard, devant, la chambre des comptes de Lorraine, le 20 mars
1720, il résulte que les terres acensées en 1707 étaient en
friche lors des concessions ;
Qu'il résulte en outre de cette déclaration, que postérieurement
à ces concessions, une partie seulement de ces terres fût
défrichée ; et, que tout le reste desdites terres était encore
en friche au moment de la déclaration;
Que par cet arrêt du 1er juillet 1720, la chambre des comptes,
après avoir vérifié cette déclaration, en donne acte au sieur
Lombard, et en ordonne l'inscription dans ses registres,
conformément aux conclusions du procureur général;
Attendu que les terres vaines et vagues, lors des concessions,
ont été exceptées de la réunion par l'article 5 de l'édit du 14
juillet 1729 ;
Attendu enfin, que la patrimonialité desdites terres a été
reconnue en 1772 et 1777 par des arrêts de la chambre des
comptes de Lorraine, en présence et sans opposition du procureur
général ;
Que, par conséquent, la Cour royale de Nancy, en décidant que
ces terres n'était pas domaniales, a fait une juste application
de l'article 5 de l'édit du 14 juillet 1729, ainsi que de
l'autorité de la chose jugée, et n'est contrevenue ni à la loi
du 14 ventôse 7, ni à aucune des autres lois invoquées; Rejette,
etc.
Du 15 juillet 1823. - Cour de cassation. -Section civile. -
Rejet. -Prés. M. Desèze, p. p. -Rapp. M. Vergés. - Concl. M.
Joubert, av.-gén.- Pl. MM. Teste-Lebeau et Guillemin, av.
Journal des
audiences de la Cour de cassation, ou Recueil des arrêts de
cette cour, en matière civile et mixte
M. Dalloz
Paris, 1824
DOMAINE DE L'ÉTAT. - TERRES
VAINES ET VAGUES. - DÉSHÉRENCE. - LORRAINE
Les concessions de terres vaines et vagues consenties par les
anciens ducs de Lorraine, avant la réunion de ce pays à la
France, ne peuvent être considérées comme des aliénations de
domaines de l'état dont la loi du 14 ventôse an 7 prononce la
révocation, surtout si la patrimonialité de ces terres a été
reconnue par d'anciens arrêts de la chambre des comptes.
(Le préfet de la Meurthe C. le sieur GADEL.)
Dans l'ancien droit public français, on distinguait le grand
domaine du petit domaine (1)Les biens qui faisaient partie du
grand domaine étaient inaliénables; ceux qui composaient le
petit domaine pouvaient être aliénés d'une manière irrévocable.
Ce dernier point résulte originairement d'un édit donné par
Charles IX en février 1566, à la suite de la fameuse ordonnance
de Moulins, et qui porte qu'attendu l'utilité et la nécessité de
mettre en culture et labour les terres vaines et vagues, prés,
palus et marais vacans, il en serait fait aliénation à
perpétuité, sans que ces aliénations pussent être par la suite
révoquées pour quelque cause et occasion que ce fût. Voile ce
que l'on entendait alors par petits domaines. Depuis, on y avait
donné une plus grande extension, en y comprenant des biens en
valeur et d'un prix considérable; mais les lois des 22 novembre
1790 et 14 ventôse an 7 ont ramené cette partie de la
législation domaniale, aux termes de l'édit de 1566.
La première de ces lois après avoir (art. 24) déclaré simples
engagemens les ventes et aliénations de domaines nationaux
postérieures à l'ordonnance de 1566 n'excepte de cette
révocation ( art. 31) que les terres vaincs et vagues landes
bruyères, palus marais et terrains en friche; et l'art. 5 n° 3
de la loi du 14 ventôse an 7 contient une disposition semblable,
en y ajoutant néanmoins, n° 4, les parcelles éparses de terrains
en valeur au-dessous de la contenance de cinq hectares qu'elle
déclare aussi, sous certaines conditions exemptes de la
révocation. (Voir le Répertoire, v° Domaine public §5 n. 4, et
les Questions de droit, v° Engagement, § 1).
Quant aux pays réunis à la France, voici ce que porte l'art, 2
de la dernière de ces lois: « En ce qui concerne les pays réunis
postérieurement à la publication de l'édit de 1566, les
aliénations de domaines faites avant les époques respectives des
réunions seront réglées suivant les lois lors en usage dans les
pays réunis, ou suivant les traités de paix ou de réunion.»
La Lorraine, qui n'a été réunie à la France qu'en 1756, par le
traité de Vienne, était régie, à l'égard des petits domaines,
par les mêmes principes que l'ancien territoire français.
Un édit de Charles III duc de Lorraine, en date du 7 août 1581
qui déclarait inaliénable le domaine de la couronne, et qui
énumérait les espèces de biens qui devaient le composer,
n'exceptait point, à la vérité de l'inaliénabilité les terrains
en friche, dont il ne parlait même pas.
Mais cette exception a été expressément prononcée par un édit
rendu par le duc François-Etienne, le 14 juillet 1726. Cet édit,
qui avait pour objet de réunir au domaine de l'état les biens
qui en avaient; anciennement fait partie, excepte de la réunion
« les acensemens qui ont été accordés à plusieurs particuliers
de quelques portions de terres vagues, friches et crues en bois
pour les défricher, remettre en valeur et y bâtir, etc. »
(Recueil des ordonnances de Lorraine, T. 4 édit. de Nancy,
1772.)
C'est cette ordonnance que la cour de cassation a appliquée dans
l'espèce que nous allons rapporter.
Espèce : Un arrêt de la chambre des comptes de Lorraine, du 13
décembre 1715, acense au sieur Lombard la terre et seigneurie de
Lintray, avec les cens, droits et rentes qui en dépendent,
moyennant un cens annuel de 300 fr. barrois.
Cette terre ne comprenait alors que deux immeubles. l'un de six
fauchées, l'autre d'une fauchée et demie.
En 1714 et 1715 le sieur Lombard acquit de divers particuliers
d'autres terres à titre onéreux. Il les réunit successivement au
domaine de Lintray, et forma du tout une ferme qu'il appela le
Haut-de-Serolles.
Les parcelles de terrain qu'il avait achetées de ces divers
particuliers avaient été originairement acensées à ceux-ci en
1707 par le duc de Lorraine. Elles étaient en friche à l'époque
de la concession, et provenaient de successions tombées en
déshérence.
Postérieurement, un sieur Glaudin s'étant approprié une partie
des terrains vendus, le sieur Lombard forma contre lui une
demande en revendication qui fut admise par arrêt du conseil
d'état du 31 janvier 1717.
Deux édits du duc de Lorraine, des 24 décembre I714 et 31
décembre 1719, avaient ordonné que ceux qui, dans les lieux où
sont situés les biens du domaine, possédaient auparavant ou
auraient acquis depuis des droits indépendant du domaine, en
feraient mention dans les déclarations ou dénombremens qu'ils
donneraient.
Le 21 mars 1720, le sieur Lombard fournit en conséquence une
déclaration dans laquelle il énuméra les terres qui lui avaient
été personnellement acensées en 1713 et celles acensées en 1707
aux particuliers qui les lui avaient vendues, et il annonça que
celles-ci étaient en friche lors des concessions.
Un arrêt du 1er juillet 1720 donna au sieur Lombard acte de
cette déclaration, et en ordonna l'inscription dans ses
registres, conformément aux conclusions du procureur général.
Le sieur Lombard étant décédé ses héritiers présentèrent, en
1772 et 1777, des lettres reversales afin d'être maintenus dans
la possession de la seigneurie de Lintray. Ces lettres
reversâles furent admises par arrêts rendus en 1772 et 1777.
Dans ces arrêts, on a parfaitement distingué la terre de Lintray
des autres terres qui y avaient été annexées; la patrimonialité
de celles-ci y a été reconnue, de même que la domanialité de la
terre de Lintray. Ces arrêts ont été rendus après production des
titres qui ont été visés par la chambre des comptes et il ne
s'est élevé aucune opposition du procureur général sur la
reconnaissance de la patrimonialité des terres jointes à celle
de Lintray.
Après avoir passé entre les mains de plusieurs acquéreurs
successifs la ferme du haut de Serolles, composée de toutes ces
terres réunies, se trouvait, en 1811 appartenir au sieur Gadel.
Le 19 mars 1811, arrêté du conseil de préfecture du département
de la Meurthe, qui, sur la demande du directeur des domaines
décide qu'il y a lieu d'appliquer à la ferme du Haut-de-Serolles
tout entière, les dispositions de la loi du 14 ventose an 7 qui
révoquent les aliénations des domaines de la couronne.
En exécution de cet arrêté, le directeur des domaines fait
signifier au sieur Gadel que la ferme sera mise en vente, faute
par celui-ci de s'être conformé aux art. 13 et l4 de la loi de
ventôse en payant le quart du prix.
Le sieur Gadel proteste contre les prétentions de la régie, en
ce qui concerne les terres patrimoniales faisant partie de la
ferme. Il soutient que ces terres, acquises par le sieur
Lombard, étant échues originairement au duc de Lorraine par
déshérence, étaient tombées dans le domaine privé. Il ajoute que
ce domaine privé était aliénable et qu'ainsi les acensemens
faits par le duc en 1707, aux particuliers qui avaient vendu
ensuite au sieur Lombard, étaient irrévocables; que dès-lors on
ne pouvait les considérer comme des aliénations du domaine de
l'état, auxquelles la loi du 14 ventôse an 7 fut applicable.
La prétention du domaine est accueillie par jugement du tribunal
civil de Lunéville du 18 juin 1815.
Sur l'appel, arrêt de la cour royale de Nancy, du 23 août 1819,
qui réforme ce jugement.
Ses motifs, qui sont extrêmement étendus, couvent se réduire aux
trois points suivans : 1° Les terres acquises par le sieur
Lombard, de divers particuliers, étaient originairement
aliénables à perpétuité; 2° le sieur Lombard n'a point acquis
ces terres comme domaniales, et elles n'ont jamais été
considérées comme telles; 3° au contraire, leur patrimonialité a
été expressément reconnue par des décisions rendues par la
chambre des comptes, en 1772 et 1777, et passées en force de
chose jugée.
Sur le premier point, la cour royale établit une distinction
entre le domaine de l'état et le domaine privé du souverain,
distinction admise, selon elle, avec ses conséquences, dans les
provinces de Lorraine; elle considère que, d'après les
dispositions des anciennes lois, les biens composant le domaine
public ont été de tout temps inaliénables, le souverain n'en
étant regardé que comme usufruitier mais que les biens composant
le domaine privé du prince étaient absolument et sans réserve à
sa disposition; que les terres en friche, les terres en
déshérence, et en général les droits casuels, tombaient dans ce
dernier domaine, comme fruits du domaine public. La cour fait
observer ensuite que les biens du domaine privé n'étaient censés
faire partie du domaine public et ne devenaient inaliénables que
lorsque le prince en avait prononcé expressément la réunion, ou
que cette réunion avait eu lieu d'une manière tacite, par le
versement, pendant dix ans, du revenu de ces biens dans le
trésor public. Selon elle la loi de ventose an 7 consacre ces
principes et ces distinctions. La cour ajoute que les biens dont
il s'agit dans l'espèce provenaient de déshérence, que les
acensemens particuliers de ces terres annoncent qu'elles étaient
en friche pour la majeure partie, et, par conséquent non
productives de fruits, et qu'il n'y a eu incorporation réelle ni
tacite de ces biens au domaine de l'état d'où elle tire la
conséquence que les censitaires les ont acquises, en 1707 à
titre de patrimonialité.
Le préfet de la Meurthe a demandé la cassation de cet arrêt pour
violation 1° de l'édit de Charles III due de Lorraine, du 7 août
1581; 2° de plusieurs édits et ordonnances des ducs de Lorraine
et des art. 2, 8 et 14 de la loi du 14 vent, an 7 qui déclarent
inaliénables les biens faisant partie du domaine public.
Le demandeur cherche à établir que les terres dont il s'agit
étaient domaniales; que le sieur Lombard l'a reconnu lui-même;
enfin, que celui-ci ne peut tirer aucun avantage des arrêts de
1772 et 1777.
Les terres étaient domaniales. L'ordonnance de Charles III était
ainsi conçue « Statuons et ordonnons que désormais tous et
chacuns les deniers qui nous seront échus et pourront échoir de
droits seigneuriaux, confiscation, représentation d'héritiers
absens, aubaines, biens vacans, épaves, et généralement tous
profits et deniers casuels, seront unis et incorporés à notre
domaine, sans qu'ils puissent être distraits, destinés ni donnés
à quelque personne que ce soit. »
Ainsi d'après cet édit, les revenus des casualités tombaient
dans le domaine public et étaient inaliénables. La nue propriété
de ces biens casuels, qui faisaient partie du domaine privé du
prince, a donc dû au bout de dix ans être aussi réunie au
domaine de l'état, puisque les revenus, en vertu de cet édit,
ont dû être versés dans le trésor public, et que la cour royale
a elle-même reconnu le principe de la réunion tacite résultant
de cette circonstance.
Aussi, c'est comme biens dépendant du domaine public qu'ont été
acensées en 1707, les biens dont il s'agit dans l'espèce,
puisqu'il est constant et le défendeur en convient, que les
acensemens ont été faits par les officiers de la prévôté de
Blamont à la diligence des fermiers généraux du domaine.
Si le sieur Lombard s'est fait céder ces terres, et les a
réunies à la seigneurie de Lintray, ce n'est que par l'exercice
d'un retrait qui, à la vérité, n'était pas formellement compris
dans la concession à lui faite, en 1715 de tous les droits
utiles dépendant de la terre de Lintray; mais qui, n'en ayant
point non plus été excepté, était censé compris dans cette
concession.
Le demandeur soutient ensuite que le sieur Lombard lui-même, a
reconnu la domanialité de ces terres. Il discute à cet égard les
actes et pièces que la cour de Nancy a appréciées et desquelles
elle a pensé que cette reconnaissance ne résultait point.
Enfin pour repousser les arrêts de 1772 et 1777 qui ont jugé que
ces terres étaient patrimoniales et non domaniales, le demandeur
prétend qu'il ne résulte point de ces arrêts que la chambre des
comptes ait vérifié les titres produits à l'appui des lettres
reversales, ni que ces titres aient été communiqués au procureur
général, ni que ce magistrat ait donné ses conclusions. On y
trouve d'ailleurs la réserve des droits du roi et de ceux
d'autrui.
Le défendeur à la cassation justifie l'arrêt par le
développement de ses motifs.
Arrêt (après délibéré en la chambre du conseil).
LA COUR,- sur les conclusions de M. Joubert, avocat général; -
Attendu que les acensemens consentis par le domaine en 1707 au
profit des particuliers qui traitèrent ensuite avec le sieur
Lombard à titre onéreux, ne comprenaient que des terres qui
avaient été laissées en déshérence; que la cour royale de Nancy
a reconnu que la majeure partie de ces terres était, lors de ces
acensemens, en friche, et ne produisait par conséquent aucun
fruit; - Attendu que les terres irrévocablement adjugées au
sieur Lombard, par arrêt du conseil d'état, provenaient aussi de
déshérence; - Attendu que de la déclaration faite en détail par
le sieur Lombard devant la chambre des comptes de Lorraine le 2
mars 1720, il résulte que les terres acensées en 1707, et celles
adjugées en 1717, étaient en friche lors des concessions; qu'il
résulte en outre de cette déclaration que, postérieurement à ces
concessions, une partie seulement de ces terres fut défrichée,
et que tout le reste desdites terres était encore en friche au
moment de la déclaration; que, par cet arrêt du 1er juillet
1720, la chambre des comptes, après avoir vérifié cette
déclaration, en donna acte au sieur Lombard, et en ordonna
l'insertion dans ses registres, conformément aux conclusions du
procureur général; - Attendu que les terres vaines et vagues
lors des concessions, ont été exceptées de la réunion par l'art.
5 de l'édit du 14 juillet 1729; - Attendu enfin que la
patrimonialité desdites terres a été reconnue, en 1772 et en
1777, par des arrêts de la chambre des comptes de Lorraine, en
présence et sans opposition du procureur général que par
conséquent la cour royale de Nancy, en décidant que ces terres
n'étaient pas domaniales, a faît une juste application de
l'article 5 de l'édit du 14 juillet 1729, ainsi que de
l'autorité de la chose jugée, et n'est contrevenue ni à la loi
du 14 ventôse an 7, ni a aucune des autres lois invoquées; -
Rejette.
Du 15 juillet 1823. - Sect. civ. M. le comte Desèze, pair de
France pr. prés. - M. Verges, rapp. - MM. Teste-Lebeau et
Guillemin av.
(1) Nous ne parlons pas de la distinction du
domaine de l'état et du domaine privé; car on sait qu'il y avait
les plus puissantes raisons de douter que le prince, dans
l'ancienne monarchie, eût un domaine qui lui appartînt en
propre. (Voy. le Répert. au mot Domaine public, § 3.) - On verra
cependant que, dans l'espèce qui nous occupe, la cour royale de
Nancy a regardé ce principe comme certain. Il est consacré dans
notre droit public actuel, par le sénatus-consulte du 30 janvier
1810 et par la loi du 8 novembre 1814.
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