1627-1643 :
la guerre et la peste chassent les Soeurs tantôt de
Saint-Nicolas à Blâmont, tantôt de Blâmont à
Saint-Nicolas
Débuts
difficiles
En 1627, la peste qui sévissait à Saint-Nicolas
obligea les Soeurs à se disperser.
Quelques-unes d'entre elles s'installèrent à
Blâmont, ville du comté de Blâmont, au diocèse de
Toul. Blottie au pied des ruines du château, cette
petite ville se trouve aujourd'hui en
Meurthe-et-Moselle.
Dès son arrivée, le petit groupe des Soeurs se logea
près du château de la duchesse douairière Marguerite
de Gonzague (1). Sans tarder, les Soeurs ouvrirent
une école qui plut aux bourgeois de la ville. La
duchesse apprit le fait et en témoigna sa surprise
au Bon père lui-même qui note, dans une lettre du 28
octobre 1627 au P. Petitjean, prieur des Chanoines
réguliers de l'abbaye de Saint-Remy de Lunéville :
«
Je ne sçais s'il nous faudra point en demander
permission à Son Altesse. Nos Pères de Toul tenaient
qu'il n'est point expédient pour ce coup, mais je
vis hier que l'Altesse de Madame admiroit et
sembloit trouver aucunement étrange que deux Filles
étoient entrées à Blâmont pour y résider et tenir
communauté sans sa permission. Votre avis là-dessus
aussy. Je prévois que nous appréhenderons par
avanture d'être hurtez tout aussy tôt que nous
demanderons ; mais toujours nous faut-il venir à ce
choc ou tôt ou tard à ce que l'on nous dit. »
Néanmoins elle ne leur refusa pas sa bienveillance.
L'établissement dura, soutenu par les religieux de
Domèvre et d'autres bienfaiteurs. Le monastère
s'établissait peu à peu. S'adressant au R. P.
Clément Philippe à Domèvre, le 23 décembre 1628,
Pierre Fourier précise : « Il faut avoir permission
de Mgr de Scythie pour établir à Blâmont la
Congrégation des Filles de la ville, et pour
continuer à dire messe en ce nouvel oratoire.
J'aurai soin d'en solliciter la poursuite mais il y
faut un peu plus de temps et peut-être de peine que
ne s'imaginent ces pauvres Filles, qui sont si
pieusement impatientes et importunes en leurs
dévotions. » Il suffira, ajoute-t-il, qu'elles
«
servent Dieu avec silence et patience en attendant
le reste ».
La guerre et la peste se chargèrent de chasser les
religieuses de leur maison de Blâmont, dès le début
de l'année 1630. Le 19 février 1630, Pierre Fourier
leur écrit: « Je suis très aise, et très consolé, et
très édifié de la fidelle assistance et démesurée
charité qu'avez par la grâce de Dieu rencontré si
opportunément à Domepvre et à Saint-Nicolas. » Le
Bon Père songe alors à une fondation à Sorcy, bourg
situé dans la riante vallée de la Meuse, à quelque
distance de Toul. Profitant de la dispersion
provisoire et providentielle des Soeurs de Blâmont,
il voudrait détacher Soeur Catherine pour cette
nouvelle implantation. Aux religieuses de Lunéville,
il confie le 22 avril 1630: « Je crains que nos Soeurs ne pourront s'accommoder à Blâmont, et seront
contraintes de n'y plus retourner, se contentans d'y
avoir une école simple sans religieuses ainsy que du
passé. Nous désirerions d'en retenir notre bonne
soeur et sainte Catherine pour donner commencement à
une maison tout autre que celle de Blâmont, dans le
bourg de Sorcy. Mais à l'avis des Soeurs de Saint
Nicolas et de Lunéville et de Blâmont, ce serait
ruiner la maison de Blâmont d'en ôter présentement
cette toute dévote, et toute adroite, et toute utile
brebiette Soeur Catherine. »
Au début de 1631, Pierre Fourier doit calmer
l'ardeur des Soeurs retournées à Blâmont qui
achètent des maisons et des terrains « pour y bâtir
à chaux et à sable, comme l'on dit ». Il faut au
préalable « des patentes de l'Altesse de Madame pour
l'affermissement de leur monastère ou demeure qui ne devoit jà se tant avancer sans la permission bien
expresse et par écrit de cette bonne dame ».
Saint Pierre Fourier et la duchesse Marguerite de
Gonzague
Pierre Fourier avait beaucoup d'estime et
d'affection pour Madame Marguerite de Gonzague,
seconde épouse du duc de Lorraine Henri II décédé en
1624. Elle fut très affectée de ce décès et Pierre
Fourier prenait souvent de ses nouvelles auprès des
Soeurs de Nancy à qui il écrivait le 9 novembre 1624
: « L'indicible affection que je lui porte me rend
ainsi curieux et excusable de vous importuner si
souvent. » Cette estime était réciproque. Des propos
mal sonnants suivis d'une bature (2) avaient été
échangés entre le vicaire de Xaronval et le greffier
du lieu. Pour éviter que les registres de justice «
fussent chargéz pour le tems à venir d'actions ainsy
scandaleuses », Madame la duchesse douairière, dans
une lettre du 24 novembre 1630 datée d'Épinal,
s'adresse au Père de Mattaincourt pour lui demander
d'être le médiateur dans cette affaire. Il faudrait,
écrit-elle, qu'une « personne d'autorité s'entremît
à un accommodement entre les parties. J' ay cru qu'à
ma prière vous voudriez bien vous en rendre
l'entremetteur ainsy que je vous en supplie. Vous
m'obligerez véritablement de vous en donner la
peine, et de croire que je tiendray à courtoisie ce
qu'en aurez fait pour rechercher les occasions par
lesquelles je vous donnasse à connaître le sentiment
qui m'en demeurera, et de combien j'en resteray
toute ma vie, mon Révérend Père, votre bonne amie
Marguerite. » On peut supposer que Pierre Fourier
accepta de rendre ce service à la duchesse, « car,
avait-il écrit la même année aux Soeurs de
Saint-Mihiel, qui luy pourroit rien refuser, ou chez
vous ou chez nous, veu sa bonté, sa grandeur, son
pouvoir et crédit qui a toujours esté à nostre
dévotion toutes les fois qu'y avons eu recours ».
Faut-il poursuivre le projet ou « retirer de par
là tout doucement nos pièces » ?
Malgré la bienveillance de la duchesse
Marguerite de Gonzague, l'installation à Blâmont
s'avère difficile, comme le constate le Bon Père en
brossant ce bien sombre tableau dans sa lettre du 13
décembre 1631 : « La place est fort petite et
incommode pour un dessein si grand : fort peu de charitez [dons], fort peu de bons et parfaits amis,
fort peu de pensionnaires, fort peu d'escholières
externes, fort peu de filles de moyens qui se
présentent pour partir avec vous, et fort peu
d'apparence d'en avoir davantage. Si bien que je
doubte fort qu'il ne faille quelque jour nous tenir
prêts à retirer de par là tout doulcement nos
pièces. Il ne doit néantmoins se résouldre
légèrement et sans l'avoir au préallable meurement
digéré. »
Les relations avec leur monastère d'origine,
Saint-Nicolas, étaient toujours restées très
étroites. Or jusqu'à présent Blâmont n'avait pas de
supérieure et n'était pas un monastère érigé. Le 7
janvier 1632, Pierre Fourier suggère aux Soeurs de
Saint-Nicolas d'envoyer comme supérieure à Blâmont
Mère Élisabeth, à condition qu'elle soit contente
d'y aller. Mais il faut consulter la communauté et
surtout Mère Claude pour voir si elle est satisfaite
de l'avoir. « J'espère que si elles s'accordent
bien, écrit Pierre Fourier, il y aura du bon mesnage
et pour le spirituel et pour le temporel. »
Deux ans après une nouvelle fuite à Saint-Nicolas,
la situation semblait rétablie et les Soeurs
demandaient conseil au Bon père pour accepter une «
fondation » qui allait enfin leur donner un peu plus
de stabilité et d'aisance. Il vint lui-même à
Blâmont au début de l'été. Les Soeurs, gouvernées
par Soeur Élisabeth Lecocq, l'attendaient depuis
longtemps. La veuve de M. Jean Thirion, « très
honorable et très pieuse », s'était jointe à elles
et voulait leur donner tous ses biens. Pierre
Fourier régla cette question en conseillant la
prudence vis-à-vis d'éventuels héritiers. La
fondation fut signée le 31 mai 1634 (3).
1636 : nouvelle alerte, les Suédois
Les temps sont durs. Selon l'avancée des
troupes, nous trouvons les Soeurs tantôt à
Saint-Nicolas, tantôt à Blâmont. Le 8 novembre 1635,
Pierre Fourier adresse une lettre aux religieuses de
la Congrégation Notre-Dame où il leur dit : « Vous
serez averties que le 5 de ce mois de novembre vos Soeurs de Saint-Nicolas furent tout à l'improviste
et tout à fine force contraintes de sortir de chez
elles, et bien hâtivement abandonner la maison et
tout ce qui était dedans à la mercy d'un gros
régiment de soldats (desquels on n'entend pas la
langue et qui emportent tout) et se retirèrent, les
pauvrettes, après plusieurs détours et craintes et
fatigues, vers leurs Soeurs d'une ville voisine qui,
les voyant toutes effrayées, toutes éperdues, toutes
affamées et sans argent, sans pain et presque sans
habits, priment pitié d'elles, et les mirent dedans,
et dès lors jusques à l'heure présente, mêlant jour
et nuit leurs pleurs les unes aux autres, elles
toutes, jusques au nombre de cent et davantage, se
nourrissent à derny, ou pour mieux dire languissent
à l'entour d'un peu de pain qui étoit là-dedans. »
Le 10 novembre, Saint-Nicolas brûle mais le couvent
tout proche échappe partiellement aux flammes et
trois ou quatre religieuses parviennent à s'y
maintenir ou à y entrer.
Un petit groupe part fonder en Belgique tandis que
la ville se relève lentement de ses ruines. Et quand
la guerre gagne le Blâmontois, les Soeurs reviennent
en hâte à Saint-Nicolas où elles trouvent une
supérieure pour les accueillir.
1643-1791 :
installation définitive à Blâmont
Des mois
passèrent avant que Mère Élisabeth Mercier obtienne
de l'évêché de Toul l'autorisation d'aller à Blâmont
« recognoistre l'estat de leur maison ». Cette
permission arriva le 16 décembre 1642. Jean Midot,
vicaire général de l'évêché de Toul, député par le
Chapitre, pendant la vacance du siège épiscopal,
autorisa Soeur Élisabeth avec une autre religieuse,
désignée par la supérieure de Saint-Nicolas, à aller
à Blâmont, « à condition de se faire accompagner de
quelque honnête matrone pendant le voyage, et de se
comporter religieusement selon les Constitutions de
l'Institut (4) ».
Les Soeurs qui avaient perdu leurs meubles, papiers,
lettres, acte d'érection lors de l'incendie et du
pillage de la ville, obtinrent, le dernier jour de
janvier 1643, un nouveau certificat des officiers de
Blâmont. Ceux-ci certifièrent que « vers l'an 1629,
les Dames Religieuses de la Congrégation Notre-Dame,
ayant demandé l'entrée audit lieu pour s'y habituer,
elles y avaient été admises par la permission de
feue d'heureuse mémoire l'Altesse de Madame
Douairière de Lorraine, dame dudit Blâmont, et du
consentement commun tant des officiers que des
bourgeois et habitants du lieu. En suite de quoy,
les dites Dames religieuses avoient acqueté une
maison size en la rue tirante du Château, ayant son
issue au-dessous de l'Église Collégiale dudit lieu,
et sur une autre rue transversante dudit château
vers la dite Église. » Il est spécifié que dans
cette maison, elles avaient exercé les fonctions de
leur Institut : « instruire gratuitement la jeunesse
à l'édification et satisfaction très grande de tout
le peuple » jusqu'au désastre de 1636.
A la demande des Soeurs qui se proposent de revenir
à Blâmont « rendre au public semblable service que
du passé », les magistrats assurent « qu'elles y
seront toujours reçues avec pareil applaudissement
que ci-devant ». On était en 1643 (5).
Les Soeurs s'établirent donc pour de bon à Blâmont
et leur maison fut prospère et florissante au point
qu'elles purent, en 1731, envoyer à Vieux-Brisach
deux religieuses, Soeur Augustine Hessel et Soeur
Marie-Joseph Pierrette Pimpel, pour fonder, avec
trois Soeurs de Strasbourg, un nouveau monastère.
Puis Vieux-Brisach fonda à son tour Rastatt et
Ottersweier.
Les Soeurs de Strasbourg rapportent le séjour que
firent dans leur monastère, du 3 au 6 octobre 1785,
deux religieuses d'Ottersweier qui, sur leur chemin
de retour, avaient fait mi tour en Lorraine et
s'étaient arrêtées à Saint-Nicolas, Lunéville,
Blâmont et Saverne. Les Annales de Strasbourg
ajoutent : « Partout elles avaient été accueillies
au mieux, ce que nous crûmes facilement, connaissant
la cordialité et la bonté de nos chères Mères et Soeurs pour celles qui viennent les voir d'une autre
maison. »
La
Révolution française disperse définitivement les
Soeurs
À la Révolution,
la maison de Blâmont compte dix-sept religieuses de
choeur, six converses et une affiliée. Toutes
protestent énergiquement, le 3 juillet 1791,
qu'elles « aiment leur communauté comme un coin de
paradis ». Mais l'ordre de dissolution des
congrégations religieuses ayant été proclamé le 18
août, les Soeurs quittent leur maison au début
d'octobre ; plusieurs demandent un passeport pour
l'Alsace, leur patrie, d'autres restent à Blâmont ou
aux environs. Leur mobilier est transporté à
l'église de la paroisse et leur maison deviendra le
collège de la ville dont un bâtiment subsiste
encore. Leur chapelle abritera un certain temps les
classes primaires avant d'être démolie et remplacée
par un bâtiment plus fonctionnel.
(1) Marguerite de Gonzague, fille du
duc de Mantoue, seconde épouse du duc de Lorraine
Henri ll, nièce par sa mère de Marie de Médicis.
(2) Une bature est une dispute avec échange de
coups.
(3) Archives départementales de Meurthe-et-Moselle,
Série H, carton 2533 et 2534.
(4) lbidem.
(5) lbidem. |