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Guerre dans les
Vosges - 1870
(Notes renumérotées)
Histoire générale de la guerre franco-allemande (1870-71)
par le commandant Léonce Rousset
1895-1898
LIVRE QUATRIÈME
PREMIÈRE CAMPAGNE DE L'EST
CHAPITRE PREMIER
LA GUERRE DANS LES VOSGES
Situation après Froeschwiller. - La retraite précipitée qu'après le désastre de Froeschwiller avaient accomplie les corps placés sous les ordres du maréchal de Mac-Mahon, livrait aux Allemands l'Alsace tout entière et la partie septentrionale du bassin de la Saône. Il ne restait de ce côté aucune force organisée, en sorte que l'armée du Prince royal avait pu traverser les Vosges, en ne laissant derrière elle que la division badoise chargée de faire le siège de Strasbourg, et les détachements d'étapes nécessaires à la protection des communications. Etourdies par le choc aussi rude qu'imprévu de nos premiers désastres, les populations si patriotiques de ces régions avaient assisté, atterrées, à la catastrophe, et subi, dans une sorte de torpeur étonnée, l'envahissement qui préludait à leur servitude. La périlleuse traversée des montagnes s'était donc opérée sans encombre pour les Allemands.
Cependant, sous l'angoisse du danger dont ils comprenaient toute l'imminence, parce que, mieux que personne, ils savaient quelles étaient les convoitises avouées du chauvinisme germain, les habitants des départements frontières ne tardèrent pas à se ressaisir (1). Dès le milieu d'août, la garde nationale s'organisa dans les villes; des compagnies de francs-tireurs, formées de jeunes gens qui fuyaient devant le vainqueur détesté, se constituèrent dans les forêts vosgiennes; enfin les gardes mobiles, convoquées depuis le 18 juillet, mais à peine incorporées, armées et équipées, commencèrent à affluer dans les places que l'ennemi n'avait pas encore investies et dont les avenues étaient restées libres. Ces places étaient, en Alsace, celle de Schlestadt et celle de Neuf-Brisach, qui, bien qu'insuffisamment armées et pourvues de garnisons trop faibles, avaient cependant fait le nécessaire pour se mettre sur la défensive, et commencé, quinze jours à peine après Froeschwiller, à inquiéter les derrières de l'envahisseur.
Le 17 août, dans la soirée, une compagnie de mobiles du Bas-Rhin, partie de Schlestadt pour faire une reconnaissance, surprenait aux environs de Villé, à une quinzaine de kilomètres vers le nord-ouest, deux escadrons badois bivouaqués, et les rejetait en désordre sur Strasbourg. Le 30, une affaire plus sérieuse avait lieu à Bellingen, et montrait aux Badois que, dans l'Alsace aux trois quarts conquise, se trouvaient maintenant certains contingents avec lesquels il allait leur falloir compter.
Le lieutenant-colonel Lostie de Kerhor, commandant de la place de Neuf-Brisach, avait appris qu'à Neuenberg, gros bourg situé sur le Rhin, à vingt-deux kilomètres en amont, l'ennemi accumulait des bateaux destinés à la construction d'un pont. Il dirigea de ce côté la compagnie des francs-tireurs de Neuf-Brisach, qui, aidée d'une cinquantaine de francs-tireurs de Colmar rencontrés en route, réussit à passer le fleuve sur des nacelles de la douane, alla couper à Bellingen, en plein grand-duché de Bade, le chemin de fer et le télégraphe de Bâle à Fribourg, et captura sept des chalands ennemis. Tandis que nos hommes s'occupaient à couler ceux-ci, un parti allemand, accouru sur la rive droite, avait ouvert le feu sur eux. Il s'en suivit un vigoureux combat de mousqueterie auquel vint prendre part une compagnie de la garde nationale de Mulhouse, et qui ne se termina qu'à la nuit. Cet incident, suivi peu de jours après de nouvelles escarmouches à Soultz et à Bollweiller, où des reconnaissances badoises furent repoussées par les gardes nationaux, indiqua à l'ennemi que la possession de l'Alsace n'était pas encore pour lui un fait accompli. Bien plus, il jeta l'alarme dans le grand-duché de Bade, où les bruits les plus absurdes commencèrent à circuler. Des francs-tireurs de Lyon, disait-on, évalués à 5,000 hommes, arrivaient sur le Rhin, dans le but de se réunir aux ouvriers des fabriques de Mulhouse, alors privés de travail, pour tenter de concert une « incursion de représailles » dans la partie méridionale du grand-duché (2). Il fallut, pour calmer l'émotion des Badois, que le général de Werder envoyât, de Strasbourg dans le Brisgau, le 31 août, un détachement de quelques centaines d'hommes (3). En même temps, le ministre de la guerre grand-ducal dirigeait de
Rastadt sur Mülheim un bataillon d'infanterie chargé, avec quelques autres troupes, de « garder l'Oberland (4) » et il le renforçait, dès le 7 septembre, par quatre batteries d'artillerie. Les Badois purent désormais dormir tranquilles; leur frayeur avait cependant été bien vaine, car il n'était pas, et il ne pouvait plus être, hélas ! question de les menacer !
Tandis que ces événements se passaient en Alsace, les départements limitrophes, Vosges, Meurthe, Haute-Saône et Haute-Marne, organisaient aussi leurs gardes mobiles et leurs gardes nationales (5). De Langres, où sous le commandement du général Chauvin s'était formé un camp d'instruction, une petite colonne de 1,500 hommes environ avait été dirigée par chemin de fer, le 2 septembre, sur Neufchâteau, et de là, à pied, sur Vaucouleurs, où elle surprit le détachement d'étapes et captura 40 hommes dont 3 officiers (6). Mais, pas plus ici qu'ailleurs, il n'existait de direction supérieure pour donner à ces diverses tentatives la moindre coordination.
Chaque préfecture, chaque place forte, chaque ville agissait à sa guise et restait livrée à elle-même, de sorte que, bien qu'ils fussent assez désagréables aux Allemands, les mouvements offensifs plus ou moins accusés de nos contingents de nouvelle formation n'apportaient, à proprement parler, aucune interruption, ni même aucune gêne sensible dans les communications de l'ennemi. Survint sur ces entrefaites la révolution du 4 septembre, avec les préfets proconsulaires et les comités locaux. L'avènement du nouveau gouvernement imprima une vive et indéniable impulsion à la constitution des éléments militaires destinés à remplacer l'armée disparue, mais il ne remédia nullement, bien au contraire, à la dispersion funeste de ces éléments, non plus qu'au défaut de centralisation du commandement. Il eut cependant l'heureuse idée de constituer quelques centres de rassemblement et d'organisation de troupes, et d'y faire affluer des contingents qui devaient former les noyaux d'agglomérations postérieurement plus importantes. C'est ainsi qu'à Epinal, où se trouvaient un certain nombre d'officiers de toutes armes échappés de Sedan, on réunit dans les premiers jours de septembre cinq à six bataillons de mobiles (7), un corps de 1,200 volontaires alsaciens-lorrains connu sous le nom de Bataillon franc des Vosges (8), et le bataillon des mobiles de la Meurthe ramené de Lunéville par son chef, le commandant Brisac (9). Ces troupes n'étaient armées que de fusils médiocres, à tabatière ou à piston, et plus mal équipées encore. Elles ne tardèrent pas cependant, sous l'impulsion énergique donnée par le préfet George et le capitaine du génie Varaigne, envoyé de Paris par le général Trochu, à prendre de la valeur et de la cohésion. Il en fut à peu près de même à Vesoul et à Besançon.
Premières escarmouches. - Le grand état-major allemand, qui n'ignorait rien des efforts vigoureux accomplis sur le flanc gauche de sa ligne d'opérations pour mettre de nouveaux contingents en campagne, avait fini cependant par s'émouvoir à son tour, et, dès le 9 septembre, il jugea nécessaire d'inviter par télégramme le général de Werder à faire parcourir la haute Alsace par des colonnes volantes, chargées de désarmer et de contenir les habitants (10). Celui-ci confia immédiatement au général-major Keller un détachement de quatre bataillons, huit escadrons et demi et trois batteries, pris dans la division badoise, et lui donna pour mission de se porter sur Colmar et Mulhouse après avoir rallié le petit corps stationné à Mülheim depuis l'affaire de Bellingen (11). Trois escadrons de hussards de réserve, qui devaient arriver devant Schlestadt le 12 septembre, étaient chargés d'établir la liaison entre le général Keller et le corps de siège de Strasbourg (12).
Il était temps pour le corps badois de prendre des mesures de protection vis-à-vis de nos francs-tireurs, car ceux-ci devenaient réellement entreprenants. Le 11, tandis que le général Keller rassemblait son monde, ils bousculaient à Bernardsweiler les détachements chargés de couvrir vers l'ouest le siège de Strasbourg, et les rejetaient dans la plaine avec des pertes assez sensibles (13). Le général Keller lui-même, quand il arriva le 13 à Marckolsheim (14), eut son avant-garde attaquée et obligée de soutenir un combat où elle perdit 11 hommes et 19 chevaux (15). Il se porta néanmoins le lendemain dans la direction de Colmar; mais en arrivant au pont de l'Ill, à l'ouest de Horbourg, il le trouva défendu par 300 hommes environ, qu'il lui fallut repousser à coups de canon ; pendant ce temps, un petit détachement de flanqueurs, qu'il avait envoyé pour se couvrir du côté de Neuf-Brisach, était contraint de s'ouvrir un passage dans la forêt de Künheim, défendue par une cinquantaine d'hommes, et d'enlever le village de Biesheim à la garde nationale, à laquelle la cavalerie badoise infligea une perte de 38 hommes (16). Malgré tout, le détachement Keller put entrer à Colmar, où il réquisitionna des vivres, se saisit des caisses publiques et des armes, et détruisit le chemin de fer de Mulhouse. Le lendemain, il reprenait sa marche sur cette dernière ville, où il entrait sans difficulté le 16, après avoir opéré sa jonction avec la petite colonne de Mülheim, venue par Chalampé, sous les ordres du colonel Baüer. Comme on avait eu le temps de replier sur Belfort le matériel de guerre et les deniers publics, les Allemands firent buisson creux; mais ils détruisirent le chemin de fer de Belfort et le viaduc de
l'Ill (17); après quoi, ils repartirent le 17, pour rejoindre leurs points de départ respectifs.
Bien que la résistance opposée au général Keller par quelques braves gens agissant presque isolément n'ait pas été très sérieuse, elle montrait cependant que la haute Alsace offrait encore aux colonnes allemandes une très médiocre sécurité. Le pays n'était rien moins que conquis, et la participation constante des habitants aux escarmouches dirigées contre les reconnaissances ennemies témoignait du peu d'enthousiasme provoqué par l'idée d'une prochaine annexion. Du côté des Vosges, la situation n'était pas meilleure, ni la tranquillité plus assurée. Des bandes de francs-tireurs, venues d'Epinal, franchissaient constamment la montagne, et venaient battre les pentes du versant oriental (18) ; il s'en suivait des escarmouches constantes. A Epinal d'ailleurs, on agissait avec une certaine méthode et d'après un plan mieux étudié qu'ailleurs. Tout d'abord, le capitaine Varaigne, apprenant que le tunnel de Lützelbourg n'était gardé que par une sentinelle, avait songé à le faire sauter. Le 15 septembre, il s'y rendit habillé en paysan avec le commandant Brisac, et en fit la reconnaissance technique; mais des indiscrétions ayant, paraît-il, été commises par certaines personnes de l'entourage du préfet (19), sa ruse fut éventée, et, au retour, les deux officiers faillirent être enlevés par une reconnaissance badoise lancée à leurs trousses. Le coup était manqué. On se borna donc à faire occuper successivement, et au fur et à mesure de l'augmentation des contingents, les cols des Vosges, en remontant du sud au nord; on voulait ainsi former un rideau derrière lequel les troupes, au fur et à mesure également de leur constitution, seraient dirigées vers le nord pour menacer et attaquer, aussitôt qu'elles seraient en état de soutenir la lutte, la grande voie de communication de l'ennemi. Ces dispositions amenèrent des rencontres sans grande importance, mais dont les Allemands s'irritaient; l'une d'elles se produisit à Rothau, près de Schirmeck, où les reconnaissances badoises qui voulaient remonter la vallée de la Brüche furent arrêtées dans leurs mouvements et maintenues au bas des pentes.
Le général de Werder, agacé par ces incidents et préoccupé du danger que pouvait courir, d'un moment à l'autre, le tunnel de Lützelbourg, se décida à envoyer de ce côté une nouvelle colonne. Le 18 septembre, le major d'Elern, quittant les abords de Strasbourg avec un bataillon, deux pelotons de hussards et deux pièces (20), se porta par Saverne et Sarrebourg sur Blamont, où il arriva le 20. Trois jours après, comme une reconnaissance envoyée par lui de Badonvillers dans la vallée de la Celle débouchait près de Pierre-Percée (21), elle se heurta au bataillon de mobiles de la Meurthe venu d'Epinal, dans le but indiqué ci-dessus, avec trois compagnies de francs-tireurs (Neuilly, Luxeuil et Colmar). Après un combat très vif qui dura près de deux heures, les Allemands durent se replier sur Badonvillers, où ils se retranchèrent. La veille, un petit détachement badois envoyé à Mützig pour maintenir sa liaison avec la colonne d'Elern avait été brusquement assailli à la fois par une bande de francs-tireurs embusqués dans les vignes à l'est de Dinsheim, qui, aussitôt après, s'étaient rapidement repliés sur Flexbourg, et par un autre groupe, posté dans la vallée de la Bruche, qui soutint une lutte assez vive auprès d'Heiligenberg. Quant à la colonne d'Elern elle-même, toujours à Blamont, elle avait ramené ses troupes avancées vers l'ouest, à Montigny, entre Blamont et Baccarat (22). Le 27, elle dirigea sur ce dernier point une nouvelle reconnaissance, qui rencontra encore le bataillon de la Meurthe, sortant de Raon-l'Etape où il s'était retiré après le combat de Pierre-Percée; il était accompagné, outre les trois compagnies de francs-tireurs, par un bataillon de mobiles des Vosges et une nouvelle compagnie de francs-tireurs (Doubs) qui lui avaient été envoyés comme renfort. La lutte s'engagea aussitôt, mais les Allemands ne la soutinrent qu'avec une certaine mollesse et se replièrent, assez heureux, du moins les termes qu'emploie leur Relation le laissent à penser, de ne pas être inquiétés dans leur retraite (23). D'ailleurs, le général de Werder, inquiet des bruits mis en circulation, et renonçant à vaincre l'activité patriotique des populations, s'était décidé à rappeler à lui les divers détachements lancés dans la campagne, et à se borner à une protection rapprochée. La chute de Strasbourg, survenue dans le même moment, allait, au surplus, donner aux événements un cours sensiblement différent.
Le grand quartier général n'avait pas attendu cet événement, malheureusement trop présumable, pour prendre des dispositions en vue de l'occupation complète de la haute Alsace. Il comprenait la nécessité de « mettre fin aux entreprises des francs-tireurs en les privant de l'appui des places fortes de cette région, et d'assurer en même temps les districts allemands de la rive droite du Rhin contre toute déprédation (24) ». L'échec de nos opérations maritimes dans la Baltique, en supprimant toute inquiétude au sujet des côtes, rendait disponibles un certain nombre de contingents, et permettait d'en former de nouvelles unités mobiles. Le 20 septembre, le roi de Prusse ordonna donc la constitution d'une quatrième division de réserve, qui fut rassemblée aussitôt dans le grand-duché de Bade, entre Fribourg et Vieux-Brisach. Elle était commandée par le général de Schmeling, et comptait 15 bataillons, 8 escadrons, 36 pièces et une compagnie de pionniers (25); elle reçut pour mission d'assiéger Neuf-Brisach et Schlestadt, et d'observer le pays vers Belfort; elle devait franchir le Rhin à Neuenberg. Puis, lorsque, quelques jours plus tard, le 27 septembre, survint la capitulation de Strasbourg, le grand quartier général donna la destination suivante aux troupes qui étaient devant la place. Tout d'abord la division badoise, réunie aux différents contingents prussiens qui avaient participé au siège, forma le XIVe corps, dont le commandement fut dévolu au général de Werder, promu général de l'infanterie. Fort de 4 brigades d'infanterie, 2 brigades de cavalerie et de 12 batteries, soit 23 bataillons, 20 escadrons et 72 pièces, au total 36,000 hommes, ce corps d'armée avait ordre de se porter sur Châtillon et Troyes, de disperser sur son passage toutes les formations nouvelles et de chercher à rétablir la voie ferrée de Blainville, Epinal et Chaumont. Chemin faisant, il devait tenter un coup de main sur Langres, en s'entendant avec le général de Schmeling pour se couvrir du côté de Belfort (26). Quant aux troupes du corps de siège, elles étaient, la division de landwehr de la Garde, envoyée devant Paris, la 1re division de réserve laissée à la disposition du gouverneur général d'Alsace, pour occuper le pays.
La 4e division de réserve franchit le Rhin du 1er au 3 octobre et vint investir les deux places dont l'attaque lui avait été confiée. Puis elle envoya à Colmar un détachement de 2 bataillons, 2 escadrons et 2 batteries, avec mission de purger les Vosges des bandes de francs-tireurs qui y devenaient réellement dangereux; c'est-à-dire que plus de 60,000 Allemands (27) étaient mis en action dans le but unique de dissoudre les groupes à peine armés que le seul patriotisme, à défaut d'une conception raisonnée, venait de faire éclore dans nos départements de l'Est. L'audacieuse énergie des francs-tireurs et des paysans, bien que s'exerçant presque uniquement au hasard, causait à l'ennemi de telles inquiétudes, troublait si profondément le moral de ses troupes, qu'il se voyait contraint de consacrer des forces très imposantes à la dispersion de ces soldats de hasard, et de rétablir, par une action disproportionnée au but, la confiance ébranlée. Ceci prouve combien la guerre de partisans, méthodiquement menée dans ce pays qui lui est si complètement favorable, eût pu donner de grands résultats; mais, pour obtenir ceux-ci, une direction d'ensemble était, ici comme ailleurs, indispensable, et, malheureusement, personne n'était assez qualifié pour l'imposer, outre qu'elle eût heurté peut-être sans succès les idées fâcheuses de décentralisation et de défense locale, alors si fort en honneur.
Cependant le général de Werder, avant même de recevoir les instructions du grand quartier général, avait songé à profiter de la liberté d'allures que lui donnait la chute de Strasbourg pour en finir avec les bandes qui se montraient sur la Meurthe et qui venaient de repousser le détachement d'Elern. Le 2 octobre, il forma, sous les ordres du général de Degenfeld, un détachement mixte de la division badoise, auquel il donna pour mission de franchir les Vosges en deux colonnes et de se porter à la fois par Schirmeck sur Raon-l'Etape, et, par Sénones, sur Etival (28). Ces troupes, en arrivant, le 4, devant les cols, les trouvèrent interceptés par des abatis et des coupures que le comité de défense des Vosges avait fait établir. Malheureusement, les contingents qui gardaient les passages étaient trop faibles pour résister longtemps ; nous n'avions là que le bataillon de la Meurthe et quelques francs-tireurs (29). Les Allemands n'eurent donc pas de peine à refouler nos postes de la Tronche et de Champenay, et débouchèrent à la fois devant Raon-l'Etape et devant Etival. Le commandant du génie Perrin, investi du commandement supérieur de la défense des Vosges, ne se croyant pas en mesure de tenir sur ces deux points, donna l'ordre à ses troupes de se replier sur la Bourgonce (30) ; l'ennemi entra dans Raon-l'Etape après un simulacre de combat et quelques coups de canon, s'empara également d'Etival, puis se mit à poursuivre nos soldats en retraite, dont il atteignit l'arrière-garde à la Chipotte. Là, les francs-tireurs essayèrent de contenir l'assaillant; mais, après une- demi-heure de lutte, toute la colonne française se replia sur les positions indiquées par le commandant Perrin et qui étaient : pour le bataillon de la Meurthe et le 1er bataillon des Vosges, la Bourgonce; pour le 3e bataillon des Vosges, le Haut-Jacques (31) ; les avant-postes, jetés sur le nord, s'étendirent entre la Salle et Nompatelize, en avant de la route de Rambervillers à Saint-Dié (32).
Commandement du général Cambriels. - L'ennemi était donc maître de deux des principaux débouchés des Vosges; l'aisance avec laquelle il s'en était emparé provenait surtout de la rapidité avec laquelle il avait agi, car à ce moment même, une organisation nouvelle du commandement allait donner aux groupes de forces éparses dans l'Est un peu de la cohésion qui leur manquait, et imprimer à leurs efforts une impulsion plus méthodique qui devait, sous peu de jours, singulièrement augmenter la tâche du général de Degenfeld.
Dès les premiers jours de septembre, en effet, le général Le Flô s'était préoccupé de certains projets visant les communications allemandes, c'est-à-dire ayant pour objet la constitution, dans la région de l'Est encore libre, de plusieurs corps dont la mission serait de harceler sans relâche les flancs et les derrières de la longue ligne d'opérations de l'ennemi. L'idée était heureuse ; elle pouvait devenir féconde. En s'avançant chaque jour davantage vers Paris d'abord, vers la Loire et la Seine ensuite, les Allemands étaient obligés, pour maintenir les communications avec leur base d'opérations, d'exploiter des lignes de chemins de fer et d'étapes qui prenaient d'autant plus de développement que leurs progrès s'accentuaient davantage. La garde de ces lignes était confiée à des détachements plus ou moins importants, dont la majeure partie se composait de troupes de landwehr, venant au fur et à mesure relever celles de l'armée active qu'on ne pouvait, sans diminuer l'effectif des combattants, employer trop longtemps à un pareil service. Elle était donc souvent précaire, et certains points demeuraient même assez vulnérables pour qu'un coup de main dirigé sur eux eût chance de réussir. Sur la principale artère de communication, la voie ferrée de Strasbourg à Nancy et Châlons, il en était un, en particulier, que l'armée du maréchal de Mac-Mahon avait malheureusement négligé de mettre hors de service, et dont la destruction aurait apporté certainement les entraves les plus sérieuses au fonctionnement du service de l'arrière des armées allemandes. C'est le tunnel de Lützelbourg ou de Saverne, que le capitaine Varaigne avait vainement cherché à atteindre, mais contre lequel une nouvelle tentative, bien combinée et soudainement exécutée, pouvait réussir. Il était donc très logique qu'on songeât à paralyser par un acte de ce genre les progrès de l'invasion, et la pensée du général Le Flô était de celles qui pouvaient amener les plus grands résultats ; malheureusement, le blocus de Paris vint en interrompre le développement. Mais, avant le combat de Châtillon, le ministre avait déjà désigné un vigoureux officier général, le général Cambriels, pour aller à Belfort prendre la direction supérieure des forces qui se constituaient dans l'Est, et agir avec elles en conformité du plan d'opérations que nous venons d'indiquer.
Le général Cambriels, nommé, le 18 septembre, commandant supérieur de Belfort, arriva dans cette place le 23. Echappé de Sedan, où à la tête de la 1re brigade de la division Grandchamps (12e corps), il avait reçu une blessure extrêmement grave, il allait apporter à la mission si importante qui lui était confiée cette même activité dont il avait déjà donné maintes preuves, et une ardeur dont seules des souffrances incessantes et cruelles devaient finir par triompher. Il était investi de pouvoirs très étendus, qui englobaient les autorités civiles et les forces militaires de la Meurthe, des Vosges, du Haut-Rhin. Il avait même la promesse d'être appuyé par un mouvement exécuté dans la Haute-Saône par le 15e corps, organisé en ce moment sous les ordres du général de La Motte-Rouge à Nevers, Bourges et Vierzon; mais cette dernière assurance était de celles, comme nous l'avons vu déjà, sur lesquelles il n'eût guère été prudent de faire état (33). Ne comptant donc, au moins pour l'instant, que sur ses propres ressources, le général Cambriels s'occupa de les organiser et d'en tirer parti le mieux possible. La place de Belfort ne lui donnait pas pour elle-même grand sujet d'inquiétude ; ainsi que nous aurons l'occasion de le constater, en étudiant son siège mémorable, elle se trouvait déjà dans des conditions assez satisfaisantes de défense et d'occupation. Mais il n'en allait pas de même sur les autres points de la région, ou presque tout était à faire, où les mobiles agglomérés au hasard manquaient à peu près de tout, où les approvisionnements de toute espèce faisaient complètement défaut, où l'état moral des troupes et des populations se ressentait parfois trop vivement de la dépression causée par les premiers désastres. Le général Cambriels aborda avec une énergie admirable et l'entrain qui était le fond de son caractère la lourde tâche qui lui incombait. Le gouvernement, aussitôt après la création des grands commandements régionaux (26 septembre), lui avait confié celui de la Ie division militaire, augmentée des départements des Vosges, du Haut-Rhin et de la Côte-d'Or. Son premier soin fut de donner une organisation régulière aux troupes qu'il avait directement sous la main, c'est-à-dire de les embrigader ; puis il s'occupa de faire garder les débouchés de l'Alsace, où l'on apprenait l'entrée de la 4e division de réserve, afin de couvrir les rassemblements de la Haute-Saône et de les garantir contre les entreprises de l'ennemi. Utilisant pour ce service les ressources précieuses que lui fournissaient les douaniers et les gardes forestiers, il leur confia, avec quelques compagnies de francs-tireurs, le soin de garder les abords sud de Mulhouse et la vallée de Saint-Ama.rin. Les mobiles de Saône-et-Loire allèrent tenir les cols de Bonhomme et de Bussang, tandis qu'un groupe de francs-tireurs, de gardes nationaux et de mobiles du Haut-Rhin occupaient Thann, sous les ordres du colonel auxiliaire Keller (34). La protection rapprochée de Belfort était assurée par 9 bataillons et demi et 6 pièces, couverts en avant par le V chasseurs à cheval, venu de Lyon. Ces dernières troupes étaient commandées par le colonel Thornton ; le reste des forces disponibles |
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Carte des environs de la
Bourgonce.
était disposé sur deux lignes, entre Lure et Montbéliard (35).
Du côté des Vosges, le danger paraissait plus immédiat, en raison des progrès accomplis par le général de
Degenfeld. L'état des troupes, dans le rayon de la place d'Epinal, était des plus misérables; il y avait là une dizaine de mille hommes, insuffisamment exercés, mal habillés, dont beaucoup, encore en blouse, portaient leurs cartouches dans un mouchoir, et qui, pourvus d'armes de modèles trop variés, semblaient hors d'état de produire une résistance quelconque. Le général Cambriels demandait avec instance au gouvernement qu'il envoyât là quelque noyau de vieilles troupes, si c'était possible, afin d'encadrer au moins ces levées si jeunes et si inexpérimentées. Mais le gouvernement, qui avait eu le tort de laisser enfermer dans Paris les deux seuls corps de l'ancienne armée qui subsistassent, n'en possédait plus. Il put cependant mettre sur pied une brigade composée du 32e de marche, du 34e mobiles (Deux-Sèvres), et l'envoya, avec une batterie, de Vierzon à Epinal par chemin de fer. Elle était commandée par le général Dupré. C'était, sinon absolument ce qu'aurait souhaité le général
Cambriels, du moins un renfort sérieux. Cette brigade débarqua le 4, trop tard malheureusement pour soutenir les troupes du colonel Perrin dans la défense des passages des Vosges ; son arrivée permit cependant de reprendre le plan primitif du capitaine Varaigne, et d'essayer une nouvelle tentative contre le tunnel de Lützelbourg (36). Mais il s'agissait d'abord de lui faire rejoindre les troupes de la Bourgonce ; le général Dupré transporta donc sa colonne sur ce point le 6 octobre, de grand matin, et réunit sous son commandement toutes les forces qui s'y trouvaient, soit 9,500 hommes environ (37).
Combat de la Bourgonce. - De son côté, le général de Werder, en possession maintenant des instructions de M. de Moltke, avait résolu de suivre avec tout son monde le mouvement offensif du général de
Degenfeld. Les ordres qu'il donna pour le 6 étaient les suivants : la division badoise, concentrée autour de Mùtzig, devait se porter sur Saint-Dié et Etival ; les autres troupes du 14e corps suivraient jusqu'à Schirmeck, puis marcheraient de là sur Raon-l'Etape par
Raon-sur-Plaine.
Quant à la fraction commandée par le général de Degenfeld, devenue avant-garde du corps d'armée, elle gagnerait Saint-Dié, où, couverte par des partis jetés vers le sud et l'ouest, elle réquisitionnerait les approvisionnements nécessaires aux troupes. L'intention du général Dupré étant, ce même jour, d'entamer son mouvement offensif dans la direction du Donon, les dispositions prises de part et d'autre devaient fatalement amener une rencontre. Elle se produisit, en effet.
A huit heures et demie du matin, le 6 octobre, les troupes françaises se mettaient en marche sur trois colonnes : à droite, le lieutenant-colonel
Dyonnet, du 58e mobiles (Vosges), se dirigeait par Nompatelize sur Etival avec trois bataillons et demi et deux pièces (38) ; à gauche, le lieutenant-colonel Rouget, du 34e mobiles (Deux-Sèvres), s'avançait sur le même point par Saint-Rémy, à la tête de deux bataillons et demi et deux pièces (39) ; au centre enfin et un peu en arrière, marchait, formant réserve, une colonne de trois bataillons et deux pièces, aux ordres du lieutenant-colonel Hocédé, du 32e de marche (40). Dans le même temps, le général de
Degenfeld, qui n'avait laissé à Raon-l'Etape et à Etival que deux bataillons et un escadron pour garder les débouchés des Vosges, s'avançait avec tout le reste de ses forces par les deux rives de la Meurthe(41). Il s'attendait à une rencontre sérieuse, car depuis plusieurs jours déjà Saint-Dié lui avait été signalé comme le foyer principal du mouvement de résistance armée des populations de la région (42) ; c'est-à-dire qu'il se faisait précéder par des patrouilles nombreuses. A peine celles-ci débouchaient-elles dans la combe de
Nompatelize, vers huit heures, qu'elles essuyaient déjà des coups de fusil de nos avant-gardes. Mais le brouillard était tel qu'il n'y avait pas possibilité de prendre des dispositions quelconques. A neuf heures seulement, on commença à y voir clair (43).
Sur ces entrefaites, les troupes du colonel Dyonnet avaient occupé
Nompatelize, malgré les obus allemands qui commençaient à tomber sur le village ; elles garnissaient également les hauteurs environnantes. Les Allemands dirigèrent aussitôt de ce côté un bataillon de fusiliers, tandis qu'un autre bataillon, marchant sur Barville et dans la direction des Feignes, menaçait notre flanc droit, et obligeait les mobiles de la Meurthe à se déployer entre ce dernier point et
Nompatelize, qui se trouva démuni d'autant. Profitant de cette circonstance, l'ennemi fit canonner le village par ses deux pièces, puis lança sur lui deux compagnies de fusiliers, qui s'emparèrent de la partie nord; les deux autres, pendant ce temps, appuyaient vers la Salle et engageaient le combat avec la colonne du colonel Rouget, en marche dans la direction de Saint-Rémy. Enfin, le bataillon badois qui s'était avancé sur les Feignes enlevait, avec deux compagnies, la lisière nord de ce hameau, et, avec les deux autres, la partie sud de
Nompatelize, encore occupée par deux compagnies de mobiles des Vosges.
Chassés de leurs deux points d'appui, les troupes du colonel Dyonnet, sauf deux compagnies du 32e de marche qui tenaient encore dans la partie sud des Feignes, avaient pris position un peu en arrière, à la lisière du bois des Jumelles. Le général Dupré renforça alors leur faible artillerie par les deux pièces de la réserve et essaya de les reporter en avant; mais elles étaient trop ébranlées par la secousse qu'elles venaient de subir, et il lui fut impossible, au moins pour l'instant, de les déterminer à ce retour offensif.
De son côté, le colonel Rouget avait, malgré la fusillade dirigée sur lui, continué de marcher et fait occuper un instant Saint-Rémy (44). Il ne put s'y maintenir, car, en présence de l'intensité croissante du combat, le général de Degenfeld s'était empressé de faire passer successivement sur la rive gauche la majeure partie de la colonne qui marchait sur l'autre rive (45), et même d'appeler sur le champ de bataille les troupes laissées en arrière pour couvrir les débouchés des Vosges (46). Celles-ci arrivèrent les premières ; un bataillon des grenadiers du corps badois, accouru
d'Etival, reprit tout d'abord Saint-Rémy aux mobiles des Deux-Sèvres. Peu de temps après, d'autres contingents, venus de la rive droite, se joignaient aux grenadiers et repoussaient les retours offensifs, cependant assez vigoureux, que, sur l'ordre du général Dupré, le colonel Rouget avait successivement tentés avec l'appui des deux bataillons du 32e de marche, envoyés de la réserve (47). Il fallut se replier d'abord sur la Salle, puis sur la Bourgonce (midi et demi) ; la ferme attitude de l'artillerie permit à cette retraite de s'effectuer sans trop de désordre, et contint les progrès de l'ennemi.
Cependant les renforts commençaient à arriver en nombre au général de
Degenfeld. De la rive droite de la Meurthe, où ne restaient que trois compagnies qui poussèrent jusqu'à Marzelay (48), un bataillon s'était porté droit de la Voivre sur les Feignes et avait amené l'évacuation complète du hameau ; d'autres contingents avaient poussé jusqu'à
Sauceray, où ils menaçaient gravement notre aile droite; enfin, les effets de l'artillerie allemande s'étaient très sensiblement accrus par l'arrivée successive, depuis onze heures, de huit pièces qui, après avoir à peu près éteint le feu des nôtres, s'étaient réunies aux deux primitivement en action au nord-ouest de Nompatelize pour canonner à la fois le village en flammes et le bois des Jumelles (49). La situation de nos soldats, refoulés dans ce bois, devenait grave; ils étaient fusillés de l'est et du nord par les tirailleurs ennemis qui s'étendaient de Nompatelize à
Sauceray, et très violemment canonnés par dix pièces allemandes, auxquelles quatre seulement répondaient à peine; enfin, le mouvement débordant de l'ennemi sur leur aile droite allait sans cesse s'accentuant. Fort heureusement, celui-ci, impressionné par ce qu'il a appelé notre « supériorité numérique bien constatée » (50), ne jugea pas prudent de pousser plus loin son offensive (51); il ralentit graduellement son feu et resta sur les positions qu'il occupait, sans chercher à déboucher. Ce que voyant, le général Dupré crut le moment arrivé de profiter d'une aussi inconcevable mollesse, et donna l'ordre de reprendre l'attaque sur tout le front. Lui-même se mit à la tête du bataillon de la Meurthe, qui, garnissant le bois de Jumelles, avait encore une poignée d'hommes dans
Nompatelize, réoccupé sur une très faible partie, et il entraîna tout le monde en avant.
Électrisés par son exemple, nos conscrits sortent à la fois du bois de Saint-Benoît, du bois des Jumelles et du village de la Salle; les deux pièces de la
Bourgonce, celle de la hauteur des Jumelles encore en état de faire feu accompagnent de leurs obus cette brusque contre-attaque, et qui ne trouve devant elle qu'une ligne de compagnies badoises sans consistance et sans profondeur. L'ennemi, surpris et déconcerté, abandonne le hameau de Han en flammes et recule dans un bouquet de bois situé plus au nord, où il se voit bientôt menacé sur son flanc droit par les troupes du colonel Rouget, revenues jusqu'aux abords de Saint-Rémy. Sa situation devient instantanément très périlleuse (52), et il va peut-être se trouver contraint à une retraite générale, quand, très à propos pour lui, débouchent à ce moment sur le champ de bataille trois compagnies de grenadiers et un peloton de dragons arrivant de Raon-l'Etape (deux heures et demie), ainsi que deux pièces restées jusque-là à la
Voivre. Couvrant alors son flanc sur Saint-Rémy au moyen de toute sa cavalerie disponible, le général de Degenfeld lance les grenadiers en avant, vers la Salle et la
Bourgonce, c'est-à-dire contre le centre même de la ligne formée par les Français.
Le général Dupré, voyant le danger, avait aussitôt massé en avant du village de la Salle ce qu'il avait à sa portée, les mobiles de la Meurthe, des Deux-Sèvres, des Vosges, plus quelques gardes nationaux accourus des environs. Ces braves gens résistèrent avec une remarquable opiniâtreté et, pendant plus d'une heure, réussirent à tenir l'ennemi en échec. Mais, vers quatre heures, le général Dupré, qui était l'âme de cette résistance, dut abandonner le champ de bataille, grièvement blessé. A ce moment les Badois, maîtres de Han et de la
Valdange, débordaient la Salle à l'est et à l'ouest ; le 32e de marche, après plusieurs attaques infructueuses contre Nompatelize et une défense pied à pied du bois des Jumelles contre toute l'aile gauche badoise (53), reculait sur la
Bourgonce, découvrant ainsi complètement le flanc droit des mobiles, sur lequel les contingents ennemis, qui descendaient les pentes occidentales du bois des Jumelles, faisaient déjà pleuvoir une grêle de projectiles. Il n'était plus possible de tenir.
La Salle fut évacué, et, bientôt après, la Bourgonce; nos jeunes troupes, épuisées par cette longue lutte de sept heures, se replièrent, à la faveur des bois et sous la protection de quelques hommes du 32e de marche, dans la direction de Bruyères, laissant sur ce terrain si chaudement disputé 65 officiers (donc 5 tués), 242 hommes (dont 24 tués) et 539 disparus. Elles avaient combattu avec honneur, car nullement exercées pour la plupart même au maniement du fusil, à jeun depuis la veille au soir, exténuées par trois nuits passées en chemin de fer et une quatrième en marche ou au bivouac, elles s'étaient cependant montrées pleines d'ardeur et de bravoure, et avaient failli un moment bousculer les bataillons de vieux soldats qui leur étaient opposés (54). En tout cas, elles avaient épuisé à ce point l'adversaire qu'il se reconnaissait incapable de les poursuivre, et bivouaquait, à bout de forces, sur le champ de bataille (55). Lui-même avait perdu 25 officiers et 411 hommes, dont 5 officiers et 92 hommes tués.
Retraite derrière la Vologne. - Après un temps d'arrêt assez long au lieu dit le
Mont-du-Repos, où l'on avait songé un instant à résister encore, la majeure partie des troupes, auxquelles vivres et munitions faisaient défaut, fut repliée sur Bruyères. Il ne resta au Mont-du-Repos que la légion d'Antibes et le corps franc des Vosges, qui, arrivés le soir, s'établirent là en arrière-garde et s'y fortifièrent. La légion d'Antibes poussa même le lendemain une pointe sur la
Bourgonce, où elle n'eut affaire qu'à quelques dragons badois, mais elle ne chercha pas, et elle ne pouvait pas chercher, à s'aventurer davantage (56). Le général Cambriels était arrivé à Bruyères sur ces entrefaites; il décida que les forces dont il disposait seraient massées derrière la Vologne et essayeraient de défendre le massif compris entre cette rivière et la haute Moselle, dans le quadrilatère Bruyères-Arches-Remiremont-Gérardmer; on avait là un terrain mouvementé et difficile qui se prêtait à une résistance pied à pied et paraissait plus propice que la rase campagne à l'utilisation de la bravoure incontestable, mais absolument inexpérimentée, de nos jeunes soldats. D'ailleurs Remiremont et Gérardmer, où étaient transportés une partie des approvisionnements d'Épinal, pouvaient fournir deux magasins précieux.
Les troupes furent alors réparties en deux brigades, respectivement placées aux ordres du commandant Perrin, nommé colonel de la garde mobile, et du lieutenant-colonel Rouget. Renforcées de quelques bataillons arrivés du 6 au 11 (57), elles garnirent la rive gauche de la Vologne sur un front assurément bien couvert, mais incontestablement trop étendu (35 kilomètres); car ce n'est pas avec 15,000 hommes à peine que l'on pouvait, sans s'affaiblir partout, occuper une position de cette longueur. Sur le flanc droit, des corps francs, des gardes nationales et mobiles tenaient certains points importants, tels que les cols de la Schlucht (mobiles du Haut-Rhin), ceux de Bussang et
d'Oderen (légion du colonel Keller et mobiles de la Haute-Loire); en avant, la position de Mont-du-Repos était toujours occupée par la légion d'Antibes et le corps franc des Vosges. Derrière, 9 bataillons de garde mobile gardaient les routes des Faucilles; « mais ces hommes, armés uniquement de fusils à piston, n'étaient pas exercés, ce qui rendait bien douteuse la défense de ces lignes de retraite au cas où elles seraient menacées (58). » Enfin, les levées continuaient dans les départements de la Haute-Marne et de la Haute-Saône, et mettaient sur pied 21,000 hommes environ, dont 14,000 seulement avaient reçu une instruction rudimentaire et quelques bribes d'habillement ou d'équipement (59). Schlestadt et Neuf-Brisach tenaient toujours. Telle était, d'une façon générale, la situation des forces de l'Est, quand, vers le 7 octobre, le général Cambriels vint en prendre le commandement effectif.
Combat dans les massifs vosgiens. - Cependant le XIVe corps allemand avait continué sa marche à travers les Vosges. Fractionné en quatre brigades, renforcées chacune d'un régiment de cavalerie et d'un groupe plus ou moins important d'artillerie, ce qui, comme le fait remarquer la Relation prussienne, « se justifiait par la nécessité de ménager aux diverses fractions du corps d'armée, en raison de la mission dont il allait être chargé, une indépendance tactique aussi grande que possible (60) ». il avait atteint, le 9, Saint-Dié et Étival avec ses éléments de tête, Raon-l'Étape avec sa brigade de queue (troupes prussiennes). Celle-ci lança aussitôt vers la vallée de la Mortagne un détachement dont une partie poussa jusqu'à Rambervillers, qui était occupé seulement par des gardes nationaux et des pompiers. Refoulée à coups de fusil, cette avant-garde dut faire appel au détachement tout entier (un bataillon et un escadron), lequel se heurta à une résistance si tenace, qu'il fut obligé de s'arrêter aux premières maisons, remettant au lendemain la reprise d'une attaque dont il ne pensait pouvoir venir à bout qu'avec de nouveaux renforts (61). Mais, le lendemain, Rambervillers était évacué par nous ; les braves gens qui avaient essayé de le défendre, redoutant les conséquences d'une lutte trop inégale, s'étaient repliés sur Charmes, au moment même où arrivaient
d'Epinal, pour les soutenir, deux compagnies de francs-tireurs des Alpes. Les Prussiens entrèrent donc dans la petite ville où, en manière de représailles, ils fusillèrent 26 habitants inoffensifs (62), et pillèrent le plus qu'ils purent. Ils y furent rejoints, le 11, par le reste de leur brigade, et par le quartier général qui s'y installa.
Le XIVe corps s'avançant dans un pays boisé et difficile, était obligé, pour progresser vers le sud-ouest, de s'étendre sur un très large front, entre la Mortagne et la Meurthe. Refoulant devant elle les partisans qui tenaient la forêt, ses quatre brigades cheminaient le long des vallées qui échancrent le massif de la forêt de
Mortagne; celle de droite (prussienne), arrivée à Rambervillers le 11, se bornait à jeter une avant-garde sur Sainte-Hélène, et celle d'extrême gauche (2e) occupait Saint-Anould et Corcieux; entre elles, la 3e avait atteint la Houssière, tandis que la lre s'engageait dans la haute vallée de la
Mortagne. Cette dernière n'avait parcouru que quelques kilomètres, quand elle se trouva aux prises avec les avant-postes de notre corps avancé du
Mont-du-Repos, qui accueillirent sa tête de colonne à coups de fusil. Pour s'ouvrir un passage, les Badois durent déployer successivement deux bataillons, afin de prendre nos hommes à revers, et une batterie (63); ils réussirent ainsi à pénétrer dans Brouvelieures et
Domfaing. Puis, lorsqu'ils se trouvèrent dégagés du couloir de la
Mortagne, ils se déployèrent au sud de Brouvelieures et marchèrent sur Bruyères. Il était alors deux heures et demie (64).
Sur les pentes qui s'élèvent des deux côtés de la ville, du moulin de la Bataille au Haut de Hélédraye, les francs-tireurs des Vosges (Bourras) et la légion d'Antibes avaient pris position. Mais, découverts par la retraite des défenseurs de
Domfaing, ils n'opposèrent qu'une résistance assez molle (65). Après une fusillade peu efficace de part et d'autre, l'ennemi détermina nos francs-tireurs à la retraite, et, à quatre heures et demie du soir, il pénétrait dans Bruyères. De là il lançait sur le village de Laval, où les nôtres s'étaient repliés, une reconnaissance qui, après être entrée à la mairie et avoir traité avec la plus sauvage brutalité des habitants désarmés, revint à Bruyères la nuit (66).
Pendant ce temps, la 2e brigade badoise avait bousculé sur Anould d'abord, et Ban-sur-Meurthe ensuite, les mobiles du Jura, chargés d'observer les débouchés des cols aboutissant à Fraize (le Bonhomme) et Gérardmer
(Lonchpach), c'est-à-dire que les routes d'accès de la Vologne, par Bruyères, la Houssière et le col du Plafond étaient complètement aux mains de l'ennemi. La situation devenait d'autant plus grave que l'arrivée, en Alsace, de la 4e division de réserve prussienne pouvait, d'un jour à l'autre, constituer un terrible danger pour nos derrières, si, comme c'était à redouter, elle se portait sur les cols de la Schlucht et de Bussang, gardés, eux aussi, par des troupes dont il ne fallait pas trop escompter la solidité. Le temps était détestable et la pluie ne cessait de tomber. Nos mobiles, à peine vêtus, souffraient cruellement; les cartouches, mal garanties, étaient trempées, le moral des hommes très abattu (67). Dans de pareilles conditions, la résistance devenait problématique; des défaillances étaient à craindre, qui auraient livré à l'ennemi une quelconque des voies d'accès du massif occupé, ou permis son enveloppement tactique. D'ailleurs, les Allemands possédaient maintenant une supériorité numérique telle que leur tenir tête ne semblait plus possible. Le général
Cambriels, après en avoir conféré avec le général Thornton, le colonel Perrin et le commandant Varaigne, devenu son chef d'état-major, jugea que le seul parti à prendre était d'évacuer au plus vite des positions aussi périlleuses, et d'éviter un désastre certain en allant en chercher d'autres moins exposées, tandis que les routes des Faucilles étaient encore libres (68). Un instant il avait songé à appeler à lui tout ce que Belfort comptait de troupes disponibles, pour tenter de prolonger la résistance avec elles; la crainte très justifiée d'exposer à la destruction ou seulement à la dispersion les éléments encore fragiles qu'on avait constitué à si grand'peine lui dicta la seule résolution que pouvait comporter sa situation compromise, à savoir de gagner la vallée de la Haute-Saône et d'y continuer la campagne. Ajoutons qu'avec un sentiment très exact et malheureusement trop rare alors des véritables principes de la guerre, le général Cambriels sut éviter la funeste attraction des places fortes, et passer à côté de Belfort sans aller s'y engouffrer. Il comprit combien était fallacieuse la protection momentanée qu'une armée battue va chercher à l'abri de remparts au pied desquels elle dépose toute liberté et toute espérance. Il ne voulut pas s'annihiler, et préféra l'indépendance, avec tous ses hasards, à une sécurité qui n'est qu'un suicide anticipé. Cette inspiration à la fois heureuse et sage conserva, avec les ressources précieuses accumulées dans le bassin de la Saône et désormais protégées, des troupes dont assurément la patrie avait grand besoin.
Retraite sur Besançon. - Le 11, dans l'après-midi, les troupes se mettaient en retraite, celles de la Vologne sur Remiremont, celles de Gérardmer et des cols sur le
Tillot. Deux jours après, elles avaient atteint l'Ognon, à Melizey et Lure, ayant une arrière-garde à
Faucogney. Leur mouvement s'était accompli avec toutes les précautions nécessaires (69), mais dans des conditions extrêmement pénibles, à travers des routes coupées de tranchées et d'abatis, par un temps affreux, sans distributions régulières, sans repos même la nuit. Pour échapper à l'ennemi, il avait fallu parcourir les 10 kilomètres qui séparent la Vologne de l'Ognon avec une rapidité exclusive de tout arrêt prolongé, en sorte que, quand elle arriva aux positions qui étaient pour elle le salut, la petite armée des Vosges présentait le plus triste spectacle. « Le froid et le besoin de sommeil s'étaient fait sentir d'une manière cruelle; à chaque halte, les officiers étaient contraints d'employer la force contre les hommes qui ne pouvaient résister à la fatigue et se couchaient à terre là où ils s'arrêtaient. Quelques-uns dormaient en marchant, tombant au moindre obstacle que leur pied rencontrait. Le général souffrait cruellement de sa blessure ; la neige accumulée sur son képi, et coulant en eau glacée sur sa tête, lui causait des douleurs tellement vives qu'au Tholy il fut obligé de s'arrêter et s'enferma pour pouvoir se plaindre sans témoins (70). » Cependant, malgré des souffrances aussi terribles, le général dirigea cette retraite avec un admirable dévouement et une remarquable habileté. A Mélizey, certains de ses officiers songeaient à reprendre immédiatement l'offensive contre les têtes de colonnes ennemies qui s'avançaient, comme on va le voir,
d'Epinal sur Luxeuil. Lui ne le voulut pas, pensant qu'il y avait mieux à faire que de s'user dans de petites opérations sans portée, et que la seule tactique était pour le moment de réorganiser un noyau de forces susceptibles d'agir ensuite avec ensemble et vigueur. L'échec qu'on venait de subir prouvait surabondamment, suivant lui, qu'il n'y a rien à espérer des actions éparses et des résistances laissées à la direction du hasard.
Cependant le général de Werder avait, dès le 11 octobre, donné ses ordres d'attaque pour le lendemain, Quand, dans la matinée du 12, il s'aperçut du départ de nos colonnes, il comprit que ce serait folie de se lancer à notre poursuite à travers un pays aussi coupé et aussi difficile, et que, puisque nous lui avions échappé, le mieux était, pour lui, de revenir à l'exécution pure et simple de ses instructions. En conséquence, il dirigea ses forces sur
Epinal, pour les porter de là vers la haute Seine. La 4e brigade (prussienne) se rendit droit à la ville par Girécourt, que la 1re (badoise) vint occuper dans l'après-midi; les 2e et 3e gagnèrent Bruyères et
Deycimont. Mais, en débouchant de Deyvillers (71), les Prussiens trouvèrent embusqués devant eux quelques détachements de la garde nationale; ils les repoussèrent dans la ville, malgré une résistance des plus honorables (72). Ils mirent ensuite en batterie douze pièces qui canonnèrent le château et le cimetière, situé au débouché nord-ouest, et contraignirent les défenseurs à se retirer définitivement, laissant sur le terrain six tués, huit blessés et douze prisonniers (73). Les Allemands, qui prétendent n'avoir perdu que quatre hommes (74), entrèrent en ville à quatre heures du soir, et y installèrent un préfet (75). Quant aux braves gens qui avaient essayé de défendre leur cité, et tenu tête pendant près de quatre heures à toute une brigade ennemie, ils purent s'échapper à la faveur de divers déguisements, et gagner soit Besançon, soit Lamarche, où ils allèrent grossir un corps franc en formation, dont nous dirons plus tard les prouesses.
Dès le lendemain, le XIVe corps tout entier se concentrait autour d'Epinal, couvert sur la rive gauche de la Moselle par une forte avant-garde, qui, pour gagner ses positions, eut encore à batailler contre des francs-tireurs, 300 environ, postés dans les bois de
Louvroie. Elle les refoula à coups de canon, subit d'assez grosses pertes, mais n'en accomplit pas moins sa mission. Il semble que tant d'insuccès auraient dû faire comprendre enfin l'inutilité et le danger de cette lutte incohérente, qui n'amenait que représailles et pertes inutiles ; malheureusement, la plupart de ces indépendants, dont certains n'avaient pris un fusil que pour échapper aux exigences de la vie militaire réelle, et se signalaient beaucoup plus par leurs rapines ou leurs désordres que par autre chose, répugnaient à toute contrainte et se dérobaient à toute autorité. Combien il eût été préférable de les incorporer purement et simplement dans les régiments de marche ou de mobiles, où, du moins, le dévouement des uns et l'ardeur des autres auraient été certainement utilisés de façon plus correcte et dans un but moins incertain ! Combien surtout il eût été plus profitable aux intérêts des populations et de la défense nationale de mettre un frein à ces entreprises presque toujours irraisonnées, souvent stériles quand elles n'étaient pas funestes, qui parfois même se terminaient par des débandades d'un exemple absolument pernicieux. Sur les quatre cents et quelques corps francs que vit éclore la guerre de 1870-71, quelques-uns « se sont bravement et régulièrement battus ; le plus grand nombre n'a servi qu'à priver l'armée nationale de plusieurs milliers d'hommes dont les services, si tant est qu'ils en aient rendus, ont à coup sûr été fort onéreux (76).
Dans la circonstance présente, les. francs-tireurs qui, au lieu d'aller rejoindre l'armée du général
Cambriels, persistaient à vouloir battre l'estrade dans les massifs vosgiens, ne surent point empêcher le général de Werder d'établir, aussitôt son installation faite à
Epinal, ses communications avec le gouverneur général de la Lorraine, d'une part, avec Lunéville, d'autre part, afin de se relier à la grande voie de communication des armées allemandes (77). Ils ne gênèrent pas davantage la lre brigade badoise, qui, le 14 au matin, poussa tranquillement jusqu'à
Luxeuil, et y entra sans incidents. Werder, en effet, ayant reçu du grand quartier général l'ordre d'attaquer l'ennemi le plus à portée (78) avant de continuer son mouvement vers Châtillon-sur-Seine, se préparait à prendre avec toutes ses forces la direction de Vesoul et avait envoyé cette brigade en avant-garde. Le 16, il mit tout son corps d'armée en mouvement, et, deux jours après, il atteignit le chemin de fer de Gray à Belfort (79). Il ne nous y trouva plus, car le général
Cambriels, fort heureusement prévenu de son approche, s'était hâté, après avoir détruit le viaduc de Lure, de replier ses troupes autour de Besançon, et déjà il s'occupait, sous la protection de la place, de les réorganiser et de les équiper moins sommairement.
Werder, convaincu de l'impossibilité de joindre son adversaire, sinon sous le canon même des fortifications, renonça une seconde fois à la poursuite, malgré une dépêche de M. de Moltke qui lui enjoignait de continuer celle-ci, même jusqu'à Besançon, si c'était nécessaire, et de ne marcher qu'ensuite sur Dijon et Bourges. Le 19, il faisait déjà appuyer ses troupes vers la Saône, quand il apprit que l'armée française, renforcée assez sérieusement, tenait toujours la ligne de l'Ognon, entre Etuz et Mornay, c'est-à-dire au nord de Besançon ; une patrouille badoise avait même, près de Rioz (80), été bousculée par un parti de cavalerie française, du 7e chasseurs. Laisser ainsi sur son flanc gauche des forces qui semblaient décidées à agir était dangereux; le général allemand espérait au surplus venir aisément à bout de conscrits déjà ébranlés par les combats de la Bourgonce et de Bruyères (81). Pour la troisième fois donc, il modifia ses projets d'opérations et se décida à marcher sur l'Ognon; il allait s'y heurter à une résistance inattendue.
(1) Les Alsaciens avaient eu fréquemment l'occasion de voir ces cartes fameuses qui, depuis nombre d'années, étaient répandues à profusion de l'autre côté du Rhin, et sur lesquelles l'Alsace, ainsi que le territoire de l'ancien évêché de Metz, étaient représentés comme faisant partie intégrante de la Confédération allemande. (Nous possédons nous-même le fac-similé d'une de ces cartes remontant à 1861.) Ils ne pouvaient donc se faire beaucoup d'illusion sur le sort qui les attendait en cas de victoire décisive de la Prusse. Celle-ci voulait avant tout s'annexer nos provinces de langue allemande, et ce qui le prouve clairement, c'est l'aveu même des officieux
bismarckiens. Voici, en effet, une phrase caractéristique extraite du numéro du 21 septembre 1800 de la Gazette de
l'Allemagne du Nord : « Nous croyons savoir avec certitude que, quelques semaines avant Sedan, après les grandes batailles livrées sous Metz, le comte de Bismarck, dans un entretien avec un agent officieux de l'empereur Napoléon, mit comme conditions à la paix la cession des pays de langue allemande et le payement des frais de la guerre (dont le chiffre restait à débattre). » Voilà qui détruit brutalement et l'assertion du roi Guillaume qu'il ne faisait la guerre qu'à Napoléon III, et l'illusion de ceux qui croient, ou feignent de croire, qu'après Sedan, la guerre pouvait se terminer, sans aucune perte de territoire, par le simple payement d'une forte indemnité.
(2) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 122.
(3) Deux compagnies d infanterie, un peloton de cavalerie et quatre pièces. (Ibid., page 121.)
(4) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 122.
(5) La loi autorisant la création et la constitution de la garde nationale sédentaire dans toutes les communes ne fut votée par le Corps législatif que le 9 août, sur la proposition de Jules Favre. Dans les deux départements de la Meurthe et des Vosges, il avait été créé, en 1868, sous le patronage du maréchal Niel, un certain nombre de compagnies de francs-tireurs, qui prétendaient imiter les chasseurs tyroliens et s'adonnaient à la pratique du tir. Elles envoyèrent à l'Exposition de 1867 des délégations dont le costume assez théâtral obtint un certain succès ; mais, comme elles témoignaient vis-à-vis du pouvoir et de l'autorité de quelques velléités d'indépendance, elles ne tardèrent pas à être dissoutes. En 1870, il n'en existait plus aucune.
(6) Cette colonne était formée de mobiles (Haute-Marne et Vosges) et de deux compagnies du 50e de ligne, dont le dépôt était à Langres. Parmi ses prisonniers était le directeur de la police de Berlin, qui venait d'être appelé par le chancelier au grand quartier général.
(7) Deux de Saône-et-Loire, trois des Vosges et un formé avec des jeunes gens fuyant les départements envahis du Bas-Rhin, de la Moselle et de la Meurthe.
(8) Il fut placé sous les ordres du capitaine du génie Bourras.
(9) Ce bataillon, commandé par un capitaine d'artillerie démissionnaire, avait pu, grâce aux mesures prises par son chef, échapper à l'ennemi et rejoindre Langres. De là, il fut, le 19 septembre, envoyé à Epinal pour coopérer à une mission dont il sera question plus loin.
(10) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 123.
(11) Cette colonne comprenait, en outre, un détachement de pionniers et un équipage de ponl léger.
(12) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 123.
(13) Ibid., page 124.
(14) Marckolsheim est situé sur le canal du Rhône au Rhin, entre Schlestadt et Colmar.
(15) Elle eut affaire a des troupes venues de Neuf-Brisach. Une patrouille allemande (dragons badois), envoyée vers cette place, fut assaillie par des chasseurs à cheval français (40 cavaliers appartenant au dépôt du 4e régiment), et ramenée à travers la forêt de Kunheim. - La garnison de Neuf-Brisach était, d'ailleurs, assez forte, et devait être, quelques jours après, portée à 5,000 hommes par l'arrivée d'un bataillon de mobiles du Rhône et d'une compagnie de francs-tireurs de Mirecourt (25 septembre).
(16) « Ces braves gens (les gardes nationaux) avaient sans doute puisé leurs seules notions d'art militaire dans quelques romans nationaux, et n'avaient pas hésité à se former courageusement en carré au milieu du village, au lieu de défendre leurs maisons en s'y retranchant. Le résultat d'une pareille tactique était facile à prévoir, la troupe n'ayant aucune instruction militaire ; le carré avait été enfoncé, et les paysans sabrés fuyaient vers Neuf-Brisach. » (Capitaine J.-B. DUMAS, La guerre sur les communications allemandes en 1870 ; Paris,
Berger-Levrault, 1891, page 22.) - La garde nationale de Biesheim fut dégagée par les francs-tireurs qui avaient défendu la forêt de Künheim, et put se replier sur Neuf-Brisach. - (En ce qui concerne l'affaire du pont de
Horbourg, voir à l'appendice la pièce n° 8.)
(17) La Guerre franco-allemande, 2° partie, page 125. - Les Badois eurent même à réprimer une émeute à la maison centrale, où les détenus avaient profité de la circonstance pour se soulever.
(18) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 126.
(19) Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 24.
(20) Un bataillon de landwehr des grenadiers de la Garde, deux pelotons de hussards de réserve et deux pièces de réserve de la Garde.
(21) Elle se composait de trois compagnies et d'un demi-escadron.
(22) La colonne d Elern s'était, sur ces entrefaites, renforcée de deux compagnies d'étapes saxonnes et d'un détachement de uhlans de réserve. Elle comptait environ 1,800 hommes et au moins 300 chevaux.
(23) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 127.
(24) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 297.
(25) Voir à l'appendice la pièce n° 4
(26) Voir, pour la composition du XIVe corps, la pièce n° 5.
(27) XIVe corps (37,000hommes), 4e division de réserve (19.000 hommes) et 1re division de réserve (15 ou 16,000 hommes), plus les troupes d'étapes.
(28) La colonne du Nord comprenait deux bataillons, un escadron et une batterie ; la colonne du Sud, quatre bataillons, cinq pelotons de cavalerie et une batterie.
(29) La route de Schirmeck était défendue par une compagnie de la Meurthe ; celle de Sénones par une autre compagnie de la Meurthe, appuyée de 100 francs-tireurs de la Seine. En arrière, à
Raon-l'Etape, se tenaient en réserve le reste du bataillon de la Meurthe et deux bataillons des Vosges (1er et 3e).
(30) Le commandant Perrin avait fait au préalable sauter le viaduc de Thionville, près de Baccarat, sur le chemin de fer de Lunéville à Saint-Dié.
(31) Sur la route de Bruyères à Saint-Dié, à la sortie orientale du massif des
Rouges-Eaux.
(32) Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 44.
(33) Voir tome IV, livre Ier, chapitre Ier.
(34) Député au Corps législatif et depuis à l'Assemblée nationale.
(35) Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 39.
(36) Le capitaine Varaigne était adjoint au général Dupré comme chef d'étal-major.
(37) Les troupes réunies a la Bourgonce comprenaient : le 32e de marche (3,600 hommes), le 34e mobiles (3,500 hommes), deux bataillons du 58e mobiles (Vosges : 1,300 hommes), le 2e bataillon de la Meurthe (575 hommes), trois compagnies de francs-tireurs (550 hommes) et 6 pièces de 4.
(38) Le bataillon de la Meurthe, deux compagnies du 32e de marche, le 1er bataillon de mobiles des Vosges et la moitié du 20 bataillon. (Rapports dit général Dupré et du colonel
Dyonnet. - Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 49.)
(39) Deux bataillons des mobiles des Deux-Sèvres et un demi-bataillon du 32e de marche.
(lbid.)
(40) Deux bataillons du 32e de marche et un bataillon du 34e mobiles. (Ibid.)
(41) Sur la rive gauche (ouest), deux bataillons, un demi-escadron et 2 pièces ; sur la rive droite, deux bataillons, cinq pelotons de cavalerie et 10 pièces.
(42) La Guerre franco-allemande., 2e partie, page 303.
(43) Ibid.
(44) Dans cette colonne étaient, on l'a vu plus haut, tous les francs-tireurs. La compagnie de Lamarche avait pour lieutenant Mlle Antoinette Lix, receveuse des postes, qui, par sa brillante conduite, mérita la médaille militaire et, plus lard, la croix. - La compagnie de Neuilly perdit son capitaine et son lieutenant, tués tous deux, plus 25 hommes environ ; levée et équipée aux frais de son capitaine, M.
Sageret, elle se trouva dissoute par sa mort. (Capitaine J.-B. DUMAS, loc, cit., page 52, en note.)
(45) Il disposait pour cela des ponts de la Voivre et d'Etival, qui n'avaient pas été détruits.
(46) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 304.
(47) Le lieutenant-colonel Hocédé fut mortellement blessé dans ce combat où le 32e de marche subit d'ailleurs des pertes très sensibles.
(48) A 2 kilomètres et demi au nord de Saint-Dié. La Relation allemande prétend que nous avions là 400 hommes; c'est possible, bien qu'aucun document autre n'indique la présence d'une force quelconque en cet endroit. Ils ne pouvaient être, en tous cas, que des partisans agissant isolément.
(49) Nous possédions six pièces en tout, comme il a été dit plus haut. Il y en avait quatre sur la hauteur du bois des Jumelles et deux avec la colonne de gauche, qui, ayant suivi le recul de celle-ci, étaient maintenant sur une hauteur au nord-est de la Bourgonce et cherchaient à protéger les épaves de notre infanterie refoulée de Saint-Rémy.
(50) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 306. - Nous avions 9,500 conscrits à peine armés et nullement instruits, avec six pièces ; l'ennemi disposait de 7,000 soldats aguerris et de dix pièces. Existe--il vraiment là une supériorité réelle à notre actif
(51) Ibid
(52) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 306.
(53) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 307.
(54) Il est permis de regretter, à un point de vue plus spécial, que le général Dupré n'ait pas mieux tire parti de la faute que le général de Degenfeld avait commise en fractionnant ses forces en deux groupes séparés par la Meurthe. En présence d'une situation semblable, il eut fallu, par une attaque plus concentrée de toutes nos forces, y compris la réserve du colonel Hocédé, foncer sur la colonne ennemie de la rive gauche; elle eut été probablement bousculée avant l'arrivée de tout secours. Il est permis de regretter encore davantage que, pendant les deux jours passés à la
Bourgonce, avant l'arrivée du général Dupré, le commandant Perrin n'ait pas détruit les ponts de la Meurthe et qu'il ait négligé la protection qu'aurait ainsi donnée à son flanc droit un obstacle infranchissable. La situation difficile où l'on se trouvait constitue, hâtons-nous de le dire, une circonstance très atténuante de ces erreurs ou de ces oublis. En définitive, le général de
Degenfeld, encore plus malhabile, n'a dû son succès qu'à l'arrivée d'un bataillon frais, tandis que semblable bonne fortune nous était malheureusement tout à fait interdite.
(55) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 307.
(56) Un dragon ayant été fait prisonnier, les Badois vinrent, quelques heures après, incendier deux maisons de la
Bourgonce. (Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 59.)
(57) Trois bataillons du 55e mobiles (Jura), un de mobiles du Doubs, deux compagnies de francs-tireurs (des Alpes et du Rhône) et un bataillon du 3e zouaves de marche.
(58) Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 62.
(59) Ibid., page 63. - Une difficulté grave, et à laquelle il n'y avait malheureusement aucun remède, était la prodigieuse diversité des modèles d'armes en service dans les différents corps. Presque tous les spécimens de fusils en usage s'y trouvaient représentes, et on juge quel désordre en résultait dans la constitution des approvisionnements en munitions. Il fallait des prodiges d'ingéniosité et de régularité dans les expéditions de cartouches, faites par le service de l'artillerie de Tours, pour éviter les confusions et donner à chaque corps les munitions dont il avait besoin.
(60) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 308.
(61) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 309.
(62) Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 66. - Nos pertes en cette affaire se montaient à près de GO hommes. Les Prussiens comptaient 4 hommes tués et 26 blessés, dont 4 officiers.
(63) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 310.
(64) Ibid.
(65) Les Vosges en 1870 et dans la prochaine campagne, par un ancien officier de chasseurs à pied ; Rennes, Hipte Caillère, 1887, page 99.
(66) La mairie fut incendiée et quatre habitants fusilles. (Ibid.)
(67) Lettre adressée, le 11, au soir, par le colonel Perrin au général
Cambriels.
(68) La route d'Épinal était déjà menacée par la brigade prussienne, dont l'avant-garde était à Sainte-Hélène. Celle de Remiremont pouvait être coupée avant deux jours par les troupes badoises
d'Anould; enfin, celle du Tillot se trouvait gravement menacée par la 4e division de réserve. « Rester dans mes positions vingt-quatre heures, douze heures de plus, a écrit le général
Cambriels, c'était, à mon sens, une faute impardonnable; c'était entraîner à un désastre évident, à une ruine complète, cette petite colonne que je considérais comme le noyau d'une armée redoutable dans un avenir peu éloigné. Comment, en effet, eêt-elle pu résister sans approvisionnements, sans réserves d'aucune espèce, dans un pays pauvre et pouvant à peine se suffire à lui-même ?... Pour rien au monde, je n'aurais consenti à sacrifier à un intérêt local une armée sur laquelle la République avait le droit de compter à un moment donné. » (Lettre au ministre de la Guerre, du 15 décembre 1870.)
(69) « Des feux de bivouac restaient allumés pour tromper l'ennemi et dissimuler le départ. Sur l'ordre du général
Cambriels, les ponts de laVologne avaient été minés par les soins du comité de la défense et sous la direction de M. de Fontanges, ingénieur en chef du département. Des mesures analogues avaient été prises pour détruire rapidement les voies de communication conduisant dans le bassin de la Saône. La retraite allait donc être protégée par les difficultés créées ainsi à l'ennemi, et, aussitôt après le départ des derniers éléments français vers le sud, le viaduc de Bertraménil sautait. » (Capitaine J.-B. DUMAS, loc. cit., page 72.)
(70) Les Vosges eu 1870 et dans la prochaine campagne, page 105.
(71) A 6 kilomètres d'Épinal, sur la route de Rambervillers.
(72) Il ne restait à Épinal que quelques gardes nationaux, pompiers, etc., au nombre de 250 à 300 ; le reste de la garde nationale, qui manquait absolument d'instruction militaire et constituait plutôt un embarras, avait été, dans la journée même, évacué par chemin de fer sur Lure.
(73) Le sous-lieutenant Enard, de la garde nationale, était grièvement blessé. Le caporal Michel, notable commerçant, qui, avec une poignée d'hommes, s'était barricadé dans la ferme du
Grand-Failloux, y dirigea la résistance jusqu'à la dernière extrémité. La forme ayant été cernée, il voulut se frayer un passage, mais tomba frappé de plusieurs balles. Son corps, resté sur le terrain, fut retrouvé le lendemain, méconnaissable et horriblement mutilé.
(74) La Guerre franco-allemande, supplément LXXXIII.
(75) Le conseiller intime et supérieur Ritter.
(76) Le chiffre des francs-tireurs levés en 1870-71 atteint 80,000 environ, soit la valeur de trois corps d'armée.
(77) Une route d'étapes fut constituée entre Epinal et Lunéville; on rétablit le chemin de fer de Nancy, que nous avions détruit sur plusieurs points; enfin on remit en état la ligne télégraphique allant sur cette dernière ville par Charmes. Epinal devint un magasin approvisionné par des trains arrivés à Rambervillers. La garde de ce point et des voies y aboutissant fut confiée à des troupes d'étapes envoyées par le gouverneur de Nancy.
(78) La Guerre franco-allemande, 2e partie, page 313.
(79) 1re brigade: Vesoul; 2e brigade: Luxeuil, avec une avant-garde à Lure ; 3e brigade: Conflans (sur la Lanterne); brigade prussienne à Saint-Loup et
Vauvillers.
(80) A 10 kilomètres au nord de l'Ognon, sur la route de Besançon à Vesoul.
(81) La Guerre franco-allemande, 2, partie, page 315.
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