Conflit
des anciennes coutumes - Régime matrimonial
Recueil des arrêts rendus par la cour royale de Nancy, sur les questions de droit civil, criminel et
commercial
Publié par MM. Chatillon et Laurent, avocats près ladite cour.
1825
DOMICILE. - STATUT MATRIMONIAL. - COUTUME.
(Loi du 17 nivôse an 2)
1° Les droits respectifs des époux mariés sous l'empire des anciennes coutumes, doivent-ils se régler par la coutume du lieu domicile du mari, ou bien par celle du lieu de la célébration du mariage, qui était aussi le domicile de la femme ?
Réponse. C'est par la coutume du domicile du mari.
2° La loi du 17 nivôse an 2 a-t-elle aboli, pour les mariages contractés avant sa promulgation, les dispositions statutaires des anciennes coutumes, notamment celle de l'art. 13 tit. 2 de la coutume de l'évêché de Metz, portant que la femme n'a aucun droit dans les acquêts faits par son mari constant le mariage, si elle ne s'y trouve expressément dénommée ?
Rép. négative.
FAIT.
Le 29 mai 1786, Pierre Haumaud, domicilié à Cirey, (commune régie par la coutume de l'évêché de Metz), se marie sans contrat de mariage, avec Marguerite Francois, demeurant à Embermenil (commune régie par la coutume de Lorraine). Immédiatement après la célébration qui a eu lieu à Embermenil, les époux sont allés demeurer momentanément à Vaucourt, (régi par la coutume de l'évêché de Metz), delà ils vinrent se fixer à Cirey, où Marguerite François est décédée sans enfans, le 23 avril 1794.
Avant la dissolution du mariage, Pierre Haumaud avait acheté quelques immeubles; sa femme n'a pas figuré ni été dénommée dans les actes d'acquêts.
La cause présentait devant la Cour les questions de savoir si les effets de ce mariage devaient être réglés par la coutume de Lorraine, qui attribue à la femme commune en biens, la moitié des acquêts faits constant le mariage, ou bien par la coutume de l'évêché de Metz, qui exclut au contraire la femme de tous droits aux acquêts, lorsqu'elle n'a pas été expressément dénommée dans les actes.
Pour faire rejeter cette disposition défavorable à la femme, ses héritiers soutenaient en outre devant la Cour, que la loi du 17 nivôse an 2 avait aboli toutes les conséquences résultant de l'art. 13 tit. 2 de la coutume de l'évêché de Metz; qu'ainsi les immeubles acquis pendant le mariage, devaient pour moitié être dévolus aux héritiers de Marguerite François.
Arrêt du 23 novembre 1824.
Considérant que lors de son mariage avec Marguerite Francois, Pierre Haumaut était domicilié dans la commune de Cirey, régie par la coutume de l'évêché de Metz, qu'immédiatement après son mariage, il s'est établi momentanément à Vaucourt, situé sous le ressort de la même coutume, et ensuite dans le lieu de Cirey : qu'à défaut de traité de mariage, les droits des époux ont été réglés par les dispositions de la coutume de l'évêché, et non par celles de la coutume de Lorraine qui régissait le village d'Embermenil, où le mariage a été célébré.
Considérant que Marguerite François n'ayant pas été expressément désignée dans l'acte d'acquisition des fermes de Repaix et Cirey, elle ni ses héritiers n'ont aucun droit sur la propriété de ces biens, aux termes de l'art. 13 du tit. 2 de la coutume de la coutume de l'évêché de Metz.
Considérant, relativement aux moyens puisés dans la loi du 17 nivôse an 2, et aux conséquences que rappelant voudrait en induire, que le mariage de Marguerite François et de Pierre Haumaut a eu lieu antérieurement à la loi du 17 nivôse an 2, que Marguerite François est décédée sans avoir d'enfans, que dans ces circonstances le statut sous l'empire duquel le mariage a été contracté, n'a pu redevoir aucune atteinte des dispositions de la loi du 17 nivose, qu'au contraire les effets de ce statut ont été formellement maintenus;
Qu'ainsi c'est avec justice que le tribunal de Sarrebourg a déclaré l'appelant non recevable dans sa demande. Par ces motifs, la Cour met l'appellation au néant. Plaidant MM. Henriot et Fabvier.
Nota. La circonstance que le mariage des époux Haumaut avait été contracté avant la loi du 17 nivôse an 2, et que l'art. 13 du tit. 2 de la coutume de l'évêché ne portait pas sur un gain de survie, mais était une disposition statutaire des effets de la communauté, rendait évidemment improposable la prétention de l'appelant.
Il en eut été différemment d'un mariage contracté depuis la promulgation de cette loi, et s'il se fût agi de régler le sort d'un gain de survie établi par la coutume de l'évêché de Metz.
Ce point de jurisprudence important, a donné lieu aux discussions les plus célèbres devant plusieurs Cours royales et la Cour de cassation, qui notamment dans un arrêt rendu les sections réunies, sous la date 8 janvier 1814, a cassé celui de la Cour de Nancy du 2 mars 1812.
Nonobstant cette décision suprême, M. Merlin n'en a pas moins persisté dans son opinion conforme à celle de la Cour de Nancy - depuis, la même question s'est présentée devant la Cour suprême des Pays-Bas, qui a jugé dans le même sens. - Il est curieux de recourir aux savantes discussions ont lieu sur cette matière, notamment devant cette dernière Cour.
Voir au répertoire de jurisprudence, au mot gains de survie, paragraphe 3 et 4, Page 136; au volume 15 des additions, même mot, page 557; au volume 6, additions aux questions de droit du même auteur, au même mot, paragraphe 3, page 291.
Quoique l'arrêt de la Cour royale de Nancy, du 22 févier 1812, n'ait pas été maintenu ; cependant il n'est pas certain qu'elle changerait sa jurisprudence si la question se présentait de nouveau; car il est à observer qu'il a été rendu en audience solennelle sur le renvoi fait par la Cour de cassation, qui avait
annulé un arrêt de la Cour Metz ; c'est pourquoi nous croyons, devoir faire connaître les faits et les motifs sur lesquels est basée cette décision importante qui, jusqu'à présent a servi de règle devant les tribunaux du ressort, toutes les fois qu'il s'est agi de faite l'application de la loi du 17 nivôse de l'an 2, aux mariages contractés depuis sa promulgation.
Le sieur Leclerc et une demoiselle Pierrard domiciliés dans un pays régi autrefois par la coutume de Luxembourg, se marièrent sans contrat civil, en l'an 4, et par conséquent dans un temps où la loi du 17 nivôse an 2 était en pleine vigueur.
La coutume de Luxembourg accordait au survivant des époux, la propriété de tous les meubles, de la moitié des conquêts, et l'usufruit de l'autre moitié, ainsi que de tous les propres du prédécédé.
Après la mort du sieur Leclerc, arrivée au commencement de l'an 7, sa veuve se mit en possession de tous ses biens.
Les héritiers formèrent une demande en délaissement, fondée sur la loi du 17 nivôse an 2, par laquelle suivant eux, les dispositions de la coutume de Luxembourg étaient abrogées.
Le 11 août 1807, intervint un jugement qui déclara les héritiers non recevables, attendu que la loi du 17 nivôse an 2 n'avait eu pour objet que de régler la transmission des biens par succession ou par donation, ce qui ne portait aucune atteinte aux coutumes dont les dispositions remplaçaient les conventions entre époux, à défaut de contrat de mariage.
Appel; et le 28 juin 1808, arrêt de la Cour de Metz qui confirme par les motifs énoncés au jugement.
Les héritiers se pourvurent en cassation. Ils prétendirent que le survivant des époux, relativement aux avantages que lui accordaient les anciennes coutumes, devait être regardé comme un donataire, et ils en conclurent que ces coutumes ne pouvaient opérer aucun effet depuis la loi du 17 nivôse an 2.
Le 16 mars 1811 ils obtinrent un arrêt favorable, et la cause fut renvoyée devant la Cour de Nancy.
Il est facile de sentir avec quelle force les héritiers ont fait valoir les motifs qui avaient déterminé la cassation. Mais la veuve ne s'est pas découragée, elle a étayé sa défense de tous les moyens qui pouvaient la faire réussir; elle a invoqué l'opinion des auteurs qui lui étaient favorables, et principalement celle de M. Merlin.
Le 21 février 1812 est intervenu un arrêt conforme aux conclusions de M le procureur-général;
En voici le texte :
« LA COUR, - Considérant que les termes généraux, disposition matrimoniales, placés dans l'art. 14, peuvent s'entendre des dispositions de la loi aussi bien que de celles de l'homme; d'où il suivrait qu'il n'y a pas dans cet article exclusion des avantages statutaires, mais qu'au contraire ils sont compris dans ceux résultant des stipulations, dans cette dénomination commune qui maintient également les unes et les autres, même pour l'avenir; qu'au surplus, à supposer que les premières fussent omises dans ledit article, la loi nouvelle ne contenant que des dispositions accidentelles et isolées, et non un règlement général sur cette matière, qui n'est pas même énoncée dans le titre, les statuts anciens n'auraient pas moins conservé leur autorité à cet égard, dès lors que leurs dispositions ne sont ni incompatibles avec les nouvelles, ni expressément abrogées ; »
« Considérant, en ce qui concerne l'art. 61, que tous les gains de survie, préciputs, douaires, et généralement tous les avantages matrimoniaux résultant des coutumes, usages et statuts ne sont déférés ni à titre de succession ni de donation; que le survivant ne les recueille ni du chef pu prédécédé et comme subrogé à ses droits, ainsi que fait l'héritier, ni à titre de libéralité de la part du même défunt, mais bien en son propre nom, et en conséquence du droit qui lui est acquis par le fait du mariage, en vertu de la coutume et comme condition de l'association conjugale; qu'aussi il est infiniment peu de coutumes où les réglemens sur ces avantages, ne soient placés sous des titres particuliers et tout-à-fait distincts de ceux relatifs aux donations et successions; que c'est ce qui se rencontre particulièrement dans la coutume de Luxembourg, régissant les biens en litiges qu'aujourd'hui encore le code a classé de même séparément les droits des gens mariés entr'eux, et que les art. 1516 et 1525 portent expressément que le préciput et l'attribution de la communauté entière au survivant ne sont pas considérés comme des donations, mais simplement comme des conventions de mariage et entre associés; qu'ainsi le droit ancien et le droit nouveau se réunissent avec les arguments puisés dans la nature des choses, pour ne réputer ces mêmes avantages, ni donations, ni successions, et pour faire décider; en conséquence, que les statuts anciens ne sont pas compris dans - l'abrogation prononcée par l'art. 61.
« Considérant que les lois interprétatives de celles du 17 nivôse an 2, n'ont rien ajouté à celles-ci en faveur du système d'abrogation établi par les appellants; que la quarante-neuvième réponse de la loi du 22 ventôse an 2, et la vingt-quatrième de celle du 9 fructidor de la même année, ne frappent que les statuts relatifs aux enfants, et que ce n'est pas du mot même inséré dans la vingt-quatrième question de la dernière, mot qui n'est pas répété dans la réponse, et sur lequel celle-ci ne donne aucuns développements, et dont on ne voit pas même que le législateur se soit occupé, que l'on pourrait induire une abrogation d'une conséquence aussi étendue que celle dont il s'agit ; que les termes transmission, dispositions, dont on s'est servi dans ces deux articles, se refusent nécessairement au cens fixé par l'art. 61 de la loi du 17 nivôse an 2, où il est dit par succession, donation, ce qui est inapplicable aux avantages matrimoniaux, ainsi qu on a établi ci-dessus; que tout ce que l'on peut recueillir des deux lois interprétatives susdites, c'est que dans la dixième réponse de la première, le cens restrictif n'est pas pour la disposition entre époux, et que ce serait aller directement contre le but de la loi, que de restreindre ou anéantir, lorsque le législateur déclare si positivement qu'il a voulu augmenter.
« Considérant que cette opinion sur la loi du 17 nivôse se fortifie par les déclarations du prince archi-chancelier, et de M. Berlier, conseiller d'état, qui tous deux avaient coopéré à cette même loi, et dont le premier a inséré dans le projet de code civil par lui présenté en l'an 4 : les époux règlent librement les conditions de leur union ; néanmoins ils ne peuvent stipuler qu'elles seront réglées suivant les lois, statuts coutumes et usages qui ont régi jusqu'à ce jour les diverses parties de la république; et le second, en présentant au nom de la section de législation, le projet du code actuel, disait : ces coutumes ont continué de régir les mariages faits dans leur ressort jusqu'à nos jours, et enfin le code civil lui-même, art. 1390, porte : lesdites coutumes sont abrogées par le présent code, ce qui exclut l'idée d'une abrogation préexistante.
« Considérant, qu'en supposant que les anciens statuts auraient été abolis par la loi de nivôse an 2, qui n'a rien substitué à leur place, il faudrait admettre en même temps que les mariages contractés sans stipulations auraient été abandonnés au hasard, puisqu'il ne serait pas possible effectivement d'y appliquer, comme droit commun, soit les dispositions d'une ancienne coutume quelconque, même du nombre de celles qui stipulaient un communauté parfaite, puisqu'elles seraient sans force par elles-mêmes, à défaut de l'autorité du législateur pour exercer son empire hors de son territoire; soit la règle générale des sociétés, puisque l'union conjugale ou les droits des parties ne sont pas les mêmes, et où la différence des mises varie à l'infini, est exorbitante de toutes autres sociétés.
« Considérant que l'union des époux, qui fut le fondement des états, a toujours été comme un des points les plus importants de la législation ; que les règles en étaient tracées en détail dans toutes les coutumes, et que les contrats de mariage et les droits respectifs des époux occupent encore un long titre dans le code civil, que si le législateur de l'an 2, qui a lui-même reconnu cette importance, et qui a voulu étendre la force de ces sortes d'unions, avait eu la volonté d'abolir les statuts concernant les droits respectifs des personnes mariées, on ne peut pas supposer qu'il l'eût fait sans les remplacer par d'autres dispositions, et qu il n'eut pas exprimé d'une manière non équivoque cette intention d'abolir, ainsi que cela a été exécuté depuis, dans deux articles du code civil, mais, qu'il eut glissé au contraire implicitement cette abrogation dans la loi, sans parler aucunement des avantages matrimoniaux et droits des gens mariés.
« Considérant enfin, que quand il y aurait quelques incertitudes sur la question, l'équité devrait la faire restreindre dans le sens qu'il n'y a pas d'abrogation, parce qu'on ne fait en cela aucun tort au petit nombre de ceux qui ont prévu différemment, et qui ont pu dans cette opinion faire usage de la ressource que la loi leur indiquait, celles des contrats de mariage ; tandis qu'en jugeant le contraire, on porterait le plus grand préjudice à des milliers de familles qui, se reposant, pendant dix années qu'a subsisté la loi de nivôse sur les statuts anciens qu'elles croyaient toujours en vigueur à cet égard, ont négligé de faire des stipulations particulières; qu'ainsi tout se réunit pour faire décider qu'il n'y a pas d'abrogation.
« Par ces motifs, la Cour met l'appellation au néant avec amende et dépens. » |