Plaque de cheminée
aux armes de Salm
(notes renumérotées)
Bulletin de la Société philomatique vosgienne - 1895
Note sur une plaque de cheminée aux armes d'un comte de
Salm
(1559)
Dans le vestibule de la salle de lecture de la
bibliothèque de Lunéville, à droite de la porte
d'entrée, se trouve une des plus belles plaques de
cheminée historiées connues; à elle seule, elle vaut un
voyage à Lunéville pour un amateur.
Le dessin ci-joint dû au crayon élégant de notre
confrère et ami M. G. Save, d'après un croquis fait par
mon frère en 1873, en donne une excellente idée (1). La
description que nous en ferons sera courte : à gauche,
l'on voit les armes bien connues des comtes de Salm,
voués de l'abbaye de Senones, « de gueules à deux
saumons adossés d'argent, l'écu semé de croix
recroisetées au pied fiché d'argent (2). » Armes
parlantes, car Salm en allemand signifie saumon.
L'écusson est surmonté d'un heaume couvert du bonnet des
comtes de Salm, sur lequel sont deux saumons adossés.
Des lambrequins hardiment travaillés entourent
l'écusson.
C'est avec le costume si pittoresque des lansquenets au
XVIe siècle que le porte-étendard des comtes de Salm est
représenté à droite. Costume excentrique, on peut le
dire hautement, et que se plaisaient à porter ces hardis
soldats, rie connaissant en fait de patrie que leur paye
et prêts à servir qui les soldait le mieux, le grand
turc comme le pape, et affectant cependant des idées
religieuses; témoin cette réponse énergique que
faisaient aux soldats réformés français les lansquenets
allemands luthériens au moment des sanglantes guerres de
religion en France : les Allemands déclaraient hautement
ne vouloir pas être confondus, eux « associés et
participants de la vraie et pure Confession d'Augsbourg,
» avec ces nouveaux chrétiens « de la secte fausse et
abominable de Calvin, qui ne se sont faits connaitre que
par les feux, brulemens, démolissemens d'église,
brisemens d'images et autres semblables cruautés, que
chacun doit estre ému d'un bon zèle pour empêcher une
totale ruine et perdition des sujets et pays » de Sa
Majesté très chrétienne (3).
Entre le porte-étendard et le blason des comtes de Salm
est le blason de forme allemande du fermier des forges
de Framont à cette époque. L'année de la fonte de cette
belle plaque 1559 occupe la moitié de l'écusson;
au-dessous occupant l'autre moitié le chiffre du fermier
I. (Jean), G. (Georges), 0...
La plaque a 0 m 95 de hauteur sur 0 m 70 de largeur. Le
bas qui est entièrement vide a été omis sur le dessin.
Cette belle oeuvre d'une forge renommée peut peser près
de 120 kilogrammes.
Après cette courte description, disons quelques mots sur
les plaques de cheminée, qui commencent à être
recherchées par les amateurs (4), et qui depuis
longtemps ont pris dans les Musées la place qui leur
était si légitimement due, et à l'une desquelles, M.
Mather, l'aimable bibliothécaire de la ville de
Lunéville, a donné une place d'honneur dans les
collections confiées à ses soins (5).
Les plaques de cheminée, dites aussi contrefeux, et en
Lorraine, taques de cheminée, ont une origine des plus
anciennes. On n'en connait cependant qu'à partir du
quinzième siècle. Les siècles suivants en ont produit de
superbes où s'étale au grand jour l'art païen de la
Renaissance. Le dix-huitième siècle en montre où se
déploie le style rococo si vilipendé par ceux qui ne
peuvent l'imiter, et plus tard le style noble de Louis
XVI .
D'autres plaques datent de l'époque de la Révolution.
Celles portant des armoiries eurent l'honneur de la
proscription: un « décret de la Convention nationale du
22e jour du 1er mois de l'an Ile de la République
Françoise, une et indivisible, » décréta que « les
propriétaires de maisons, et à leur défaut, les
locataires ou fermiers, aux frais desdits propriétaires,
seront tenus, sous un mois pour tout délai, sous les
peines portées par la loi, de faire retourner toutes les
plaques de cheminée ou contrefeux qui porteront des
signes de féodalité ou l'ancien écu de « rance, soient
qu'ils aient trois fleurs de lys ou un plus grand
nombre, le tout provisoirement et jusqu'à ce qu'il ait
été établi des fonderies en nombre suffisant dans toute
l'étendue de la République (6). »
Ce décret explique pourquoi l'on voit encore tant de
plaques retournées et dont les propriétaires sont tout
étonnés de les voir ornées d'un blason, etc. Le décret a
eu aussi un résultat tout contraire à ce qu'il
demandait, car il a aidé beaucoup à la conservation de
ces remarquables ornements du foyer.
Le décret de la Convention ne. fut pas une lettre morte.
Il faillit coûter cher à un malheureux cultivateur du
département de la Côte-d'Or, qui avait laissé une plaque
de cheminée, sur laquelle étaient des fleurs de lis,
sans la retourner. Il avait vu sa maison séquestrée pour
ce fait. Mais un député de son département, C.-J. Oudot
(7), eut la générosité de prendre sa défense en main et
d'en parler à la Convention nationale à la séance du 23
Aout 1794. Il fit observer à ses collègues que la loi du
1er Août 1793, en vertu de laquelle le séquestre avait
été prononcé, se trouvait modifiée par celle du 18
Vendémiaire, portant ordre aux municipalités et aux
corps administratifs de prévenir huit jours à l'avance
les particuliers avant d'opérer la visite, et cette
formalité n'avait pas été remplie à l'égard du citoyen
dont il s'agit. Il demanda donc que les séquestres de
cette nature soient déclarés nuls et comme non advenus
(8).
Les conventionnels devenus un peu plus libres depuis le
9 Thermidor, qui les avait débarrassés de Robespierre et
de ses séides, chargèrent le Comité de législation de
leur faire un rapport sur cette affaire qui dut être
terminée à la satisfaction du malheureux habitant de
Châtillon-sur-Seine, et des jours plus heureux permirent
de conserver les plaques armoriées en toute sécurité, et
de les classer maintenant, selon l'heureuse inspiration
de M. le baron de Rivières, avec celles présentant des
chiffres, des emblèmes et des légendes et celles avec
sujets mythologiques et épisodes tirés de la Bible et de
l'Évangile.
Il est facile de savoir qui était, en 1559, date que
porte notre plaque de cheminée, comte de Salm. C'était
Paul, fils de Jean VIII de Salm et de Louise de
Stainville, enterrés tous les deux à l'abbaye de Salival,
près de Vic-sur-Seille. Paul était en outre baron de
Brandebourg-sur-l'Inn, baron de Viviers, de Fénétrange,
etc., grand chambellan du duc de Lorraine (9). Il
succéda à son père décédé en 1548 et épousa Marie le
Veneur, dame d'une illustre famille de Normandie, fille
de Tannequi le Veneur, comte de Tillières, seigneur de
Carouges, lieutenant-général pour le roi en Normandie,
chevalier de ses ordres, etc., et de Madelaine de
Pompadour. Ils n'eurent qu'une fille, Christine de Salm,
épouse de François de Lorraine, comte de Vaudémont.
Paul, comte de Salm, mourut en 1622; il fut enterré à
Salival, lieu de sépulture de sa famille. Peut-être
est-ce sa statue funéraire que l'on a, il y a quelques
années, retrouvé enfouie en terre sur l'emplacement de
l'église abbatiale, démolie seulement vers 1827 et dont
M. le conseiller Beaupré avait un dessin reproduit par
la lithographie. Cette statue était celle d'un chevalier
armé de toutes pièces à la mode du temps. Déposée dans
le jardin à côté, elle ne tarda pas à s'en aller en
miettes, et de nos jours on n'en voit plus que le torse
et les jambes couvertes de fer.
Les comtes de Salm étaient copossesseurs avec les
Bénédictins de l'abbaye de Senones des mines de Framont.
Ce n'est pas dépasser le champ des conjectures en
attribuant aux fonderies de cet établissement industriel
la plaque de cheminée qui a fait l'objet de cette note.
A. BENOIT.
(1) Au verso du dessin, mon frère a écrit
: Contrefeu donné par M. Didier, maitre de forges ; il
provient des forges de Framont.
(2) Les rhingraves de Salm, branche cadette, ont un
blason différent. Le comté de Salm était indivis avec
eux en 1559. Les armes de Salm figurent seules sur la
tombe de Jean VIII, à Salival.
(3) Réponse faicte par les seigneurs allemands estans au
service du Roy, traduit de l'Allemand en Francois.
Paris, 1586, in-8°, 6 pages. Signée par Philbert,
marquis de Bade, Jean Philippe Rhingrave, Frédéric
Rhingrave, Georges, comte de Linange, seigneur de
Westerbourg, et Cbambou toujours franc, Christophe,
baron de Bassompierre, seigneur d'Haroué, Albert, comte
de Dietz.
(4) Il y a déjà deux brochures parues sur ce sujet :
1° Les Plaques de foyer par M. le baron de Rivières.
(Extrait du Bulletin archéologique de Tarn et Garonne).
Montauban, 1893, in-8°, 34 pag., 5 dessins.
2° Biblischen Szenen auf oefen im alten Hanauerland von
Dr Aug. Kassel, Hochfelden. Strassburq, 1894, in-4°, 28
pag., 1 dessin.
(5) A la séance de la Société des Antiquaires de France
du 4 Décembre 1893, M. de Marsy appelait l'attention sur
les plaques de fonte ornementées qui proviennent
d'anciennes cheminées. Plusieurs Musées de province en
forment des collections; « il ne faut pas négliger,
dit-il, de recueillir celles qu'on peut rencontrer ou
tout au moins d'en prendre le dessin. »
(6) Signé par L.-J.Charlier, président, P.-Fr. Piorry et
C .. Jagot, secrétaires. Imprimé dans les deux langues
par délibération du département du Bas-Rhin (8 Mars
1794). Kamin-platten est le nom allemand.
(7) Né à Beaune, avocat, il vota la mort du roi; il
devint conseiller à la. Cour de Cassation.
(8) Journal de Perlet, 7 Fructidor an II.
(9) Moreri. La capitale du comté de Salm était alors
Badonvillers. |