Sorcellerie,
sorciers en Lorraine - J.B. Ravold
(notes renumérotées)
Voir
Sorcellerie dans
le Blâmontois
Histoire démocratique
et anecdotique des pays de Lorraine, de Bar et des trois
Évêchés (Metz, Toul, Verdun), depuis les temps les plus
reculés jusqu'à la Révolution française. Tome 3
J.-B. Ravold
Éd. Paris 1889-1890
Sorcellerie,
Sorciers. - A lire le panégyrique qui précède, on se
croirait arrivé au XVIIIe et même au XIXe siècle. Hélas
! l'exposé de faits d'une brutalité inouïe, relatifs aux
malheureux accusés de sortilège, maléfice et vénéfice,
nous ramène vite à la sombre réalité de ces temps
d'ignorance et de fanatisme aveugle, et fait justice des
dithyrambes des écrivains aux gages de Charles III. Dans
tout le pays, le seigneur haut justicier possédait
marques, échelles, piloris, carcans et prisons, qui
devaient êtres sures, larges, hautes et non infectées.
Pendant une heure entière, il avait le droit de faire
donner la question aux malfaiteurs. Cette latitude
allait être étendue aux prétendus sorciers et sorcières.
Le geôlier devait veiller â ce que le patient « le
prisonnier n'usât de sçavoir, raison ou mots
extraordinaires ou inconnus, qui souvent invoquait le
démon », et ne portât sous les ongles et sur d'autres
parties du corps des caractères mystérieux qui
détruisaient le sentiment de la douleur. C'est sous
l'empire de pareilles billevesées qu'on allait procéder
contre les sorciers qui surgissaient sur tous les points
du territoire. Charles III lui-même y croyait (1). Moins
éclairé sur ce point que son père, Antoine, qui, en
1529,avait décidé qu'on ne procéderait légèrement à leur
prise (des sorciers) (2) « si doncques ne fust qu'il y
eust partie formelle », il permit à son procureur
général Remy (3) de s'acharner à la poursuite de ces
malheureux hallucinés, auxquels d'atroces tortures
arrachèrent des aveux où l'odieux, le grotesque, le
disputent à l'absurde. Or, voici ce que généralement on
reprochait à ces infortunés. Les pauvres sorciers qui
avaient vendu leur âme à Satan pour des richesses
imaginaires, réduites, en fin de compte, à des feuilles
sèches d'arbres, tenaient avec le diable des assemblées
nocturnes dans des campagnes désertes ou au milieu de
sombres forêts. Au moment du pacte, ils recevaient de
leur nouveau maître un onguent magique; il suffisait
d'en oindre son corps pour pouvoir se transporter avec
une inconcevable rapidité dans le lieu où les sorciers
de la contrée devaient se réunir, sous la présidence de
leur possesseur infernal. C'était à cheval sur un bouc,
un chien ou même un manche à balai qu'on accomplissait
ce mirifique voyage, et le tuyau de la cheminée était la
voie que l'on prenait pour sortir de sa demeure. En
arrivant, on s'asseyait à un prétendu festin où les
convives ne voyaient paraître que des viandes fades,
sans saveur, sans sel et grossièrement apprêtées. Elles
n'apaisaient pas même la faim. Le repas terminé, on
formait une ronde, animée par un orchestre dont les
instruments n'étaient rien moins qu'harmonieux. Les
flûtes se composaient de tibias percés de trous; les
violons de têtes de chevaux sur lesquels on avait tendu
des fils de cuivre; enfin la basse consistait en un
tronc de chêne creusé par les ans et sur lequel on
frappait avec un marteau. Après la danse, les sorciers
se livraient â des actes infâmes où les hommes et les
femmes se mêlaient sans choix ni distinction; les
plaisirs honteux qu'on espérait goûter se trouvaient
être feints, stériles, froids et sans effet
satisfaisant; avant l'aurore chacun se retrouvait dans
sa maison. Le démon se montrait à ses esclaves sous les
apparences d'un bouc, d'un chien ou d'un chat noirs,
d'un cheval ou d'un loup; quelques fois cependant il
avait la figure humaine; mais des ongles démesurés et
une longue queue suffisaient alors pour le reconnaître.
Une des grandes faveurs octroyées parfois aux
privilégiés c'était de le baiser au derrière. Satan se
faisait appeler Persil, Persin, Jolibois, Verdelet ou
Saute-Buisson. Quand il daignait adresser la parole aux
sorciers, c'était d'une voix si faible et si cassée
qu'on avait peine à l'entendre.
En dehors de la fantasmagorie de posséder de l'or, les
sorciers et sorcières étaient alléchés par l'attrait de
pouvoir exercer des actes de vengeance sur leurs
ennemis. Satan, pour les corrompre, s'adressait surtout
aux femmes, aux pauvres, aux gens qui se trouvaient dans
de fâcheuses affaires ou animés de violentes passions,
haine, avarice, amour, etc. II enseignait à ses adeptes
l'art de préparer des philtres, de broyer des poisons,
de Jeter des sorts, et leur remettait certaines poudres
dont une petite dose opérait les effets les plus
extraordinaires: la blanche rendait la santé, la grise
causait des maladies, et la noire donnait la mort. On
s'en servait pour frapper les hommes aussi bien que les
animaux (4). Les opérations magiques et diaboliques
avaient le pouvoir de gâter les fruits de la terre,
d'exciter des tempêtes, de produire des animaux
dangereux et des insectes qui désolaient la campagne,
corrompaient l'air et les eaux, excitaient et
nourrissaient dans les hommes des passions honteuses et
criminelles.
Cette folie n'était pas particulière à la Lorraine; elle
sévissait dans d'autres pays. A Toul (5), du 5 novembre
1584 au 26 septembre 1623, on jugea soixante-sept procès
de sorcellerie dont un seulement se termina par un
acquittement. (DAULN., p. 265.) A Metz, on brûla, le
samedi 8 août 1588, huit sorciers d'un coup. et. le 20
du même mois, douze autres.
Tous étaient catholiques: pas un juif, pas un protestant
ne se trouvait au nombre des malheureux hallucinés
poursuivis par la justice.
A côté des sorciers figuraient les possédés qu'on
rencontre même au XVIIIe siècle. On tenait pour certain
(GRAVIER, p. 240) que les démons qui se logeaient dans
des corps humains donnaient à leurs hôtes la science
universelle, et qu'ils connaissaient à fond toutes les
langues anciennes et modernes. C'est par le défaut de
ces connaissances que les exorciseurs de bonne foi
parvenaient à découvrir la supercherie des compères à
qui l'on faisait jouer le rôle lucratif de possédés;
mais ces exorciseurs étaient rares. On n'aimait pas en
général, que les médecins se mêlassent d'interroger les
possédés, lorsqu'ils étudiaient encore Hippocrate dans
le texte grec: souvent ils mettaient le diable en
défaut. A côté des sorciers, il y avait les morts qu'on
supposait revenants. Pour ceux-ci c après prières, on
enlevait la terre qui les couvrait; si le cadavre se
trouvait entier, on lui enfonçait un pieu qui devait lui
traverser le coeur ».(D. CALMET, des Vampires et des
Apparitions.) (NOËL. Mém. V. notes, p. 61.)
Parmi les nombreuses contradictions qui rendent ce
siècle si remarquable, la plus frappante, et peut-être
la moins aperçue, c'est que les femmes supportaient tout
le poids des iniquités du genre humain. Les cinq
huitièmes des sentences de mort prononcées contre les
prétendus sorciers ont pour objet des femmes... Si l'on
a brûlé moins de femmes de qualité que de filles du
peuple, c'est que les dames ne vont au sabbat qu'en
masque et qu'on ne peut les reconnaître qu'à l'allure, à
la taille: ce qui doit rendre un juge plus réservé sur
les preuves. Un véritable sorcier, d'après l'auteur, ne
doit peser que quinze livres. Dans l'épreuve de l'eau
froide, il fallait qu'il surnageât pour être brûlé; s'il
allait au fond de l'eau il était innocent, mais il
mourait asphyxié. (Démonolât. de Remy. Arch. de
Saint-Dié. Traité de l'épreuve de l'eau froide dans
l'examen des sorciers. Francfort, 1686.)
(1) Le duc Charles III (A... I..., t.
XIII, p. 121) « ayant vu, dit-il, lui- même, les heureux
effets des exorcismes faits par les religieux de
Saint-Barnabé et de Saint-Ambroise ad Nemus de Milan,
sur plusieurs personnes qui se trouvaient molestées par
sorts, possessions et obsessions des malins esprits, et
considérant le grand bien et soulagement que telles
personnes pourraient apporter, tant en ces pays qu'es
circonvoisins » leur permit, en 1604, de fonder un
monastère à Saint-Nicolas. Les historiens (DIGOT, t. IV,
p. 319) prétendent que ces religieux furent appelés
d'Italie, à l'occasion de la maladie du cardinal de
Lorraine, lequel voyant que la médecine était
impuissante, pensa que les exorcismes auraient plus de
pouvoir.
Ce prince (comme nombre des plus notables gentilshommes)
(DUMONT, t. Il, pp. 17-18) ne craignant pas d'attribuer
les guerres, la peste, la famine et la stérilité aux
jurements aussi impuissants qu'insensés de quelques
ivrognes, étendit l'amende de dix, vingt, cinquante,
soixante et cent sous à l'arbitraire du juge. Un tiers
devait être attribué aux pauvres, un tiers à la fabrique
et un tiers aux travaux publics, pour les cas peu
graves. Mais si le blasphème était si exécrable, méchant
et indigne d'un chrétien qu'il ne pût être assez puni
d'une amende, on infligeait une peine corporelle
arbitraire. Pour la septième fois, le carcan, la
huitième, même peine ou section de la lèvre supérieure,
la neuvième, percement de la langue (pp. 17-18).
(2) On compte neuf cents arrêts rendus en Lorraine, dans
l'espace de quinze ans, pour crime de sorcellerie. A
Metz, dans les seuls mois d'août et de septembre 1588,
trente-trois sorciers furent brûlés vifs. Voltaire fait
remarquer qu'ils ont disparu depuis qu'on a cessé de les
livrer aux flammes. (VIVILLE t. I., p. 192, note.) v
(3) Remy Nicolas (l'abbé BEXON, pp. 264 et suiv.),
magistrat en Lorraine, sur la fin du XVIe siècle, dont
il reste un livre intitulé : Démonolatriae libri tres,
ex judiciis capitalibus nongentum plus minus hominum,
qui sotilegi erimen, intra annos quindecim, in
lotharingia capite luerunt. Lugduni 1595. En quinze ans
neuf cents hommes mis à mort en Lorraine pour crime de
sorcellerie. O misérable humanité ! Le livre porte pour
épigraphe ce verset du Lévitique : Vir, sire mulier in
quibus Pythonicus, sire dicinationis fuerit spiritu,
morte moriatur. Il serait difficile de trouver un
monument tout â la fois plus horrible et plus honteux de
cruauté et d'extravagance. C'est une tête perdue,
frappée et remplie de visions monstrueuses et de tous
les fantômes de la manie et de la peur; c'est un
inquisiteur sanguinaire qui raconte froidement les
supplices qu'il a fait souffrir â des malheureux moins
ensorcelés que lui. Tout ce que le plus sombre délice
peut enfanter de songes impurs et affreux ; tout ce que
la vile scélératesse imagina jamais de noir et
d'impuissant, trouve croïance dans ce dépôt de stupidité
-, une profusion d'érudition ridicule et dégoûtante ;
une continuelle profanation des paroles de l'Ecriture y
servent d'assortiment et d'appui. On trouve en tête les
gratulations que font â leur père deux fils imbéciles,
pour avoir mis au jour cette oeuvre de ténèbres. Dès les
premières pages, on lit en frémissant ces mots écrits de
sang-froid : « Je compte que depuis seize ans que je
juge à mort en Lorraine, il n'y a pas eu moins de huit
cents sorciers convaincus, envoyés au supplice par notre
tribunal. Outre un nombre à peu près égal de ceux qui
ont échappé à la mort par la fuite ou par leur constance
à ne rien avouer dans les tortures » (suit le texte
latin). Car cet homme était leur juge ; on l'eut cru
leur bourreau. Si nous en partons ici, ce n'est jus sans
doute que nous prétendions illustrer ce Torquemada de la
Lorraine ; c'est que malheureusement le délire et
l'absurdité tiennent toujours une grande place dans
l'histoire de l'esprit humain ; c'est qu'il faut
conserver ces images hideuses pour épouvanter du moins
les âmes atroces, encore, toutes prêtes peut-être à
renouveler ces barbares fureurs. On fouettait les
enfants nuds à l'entour du bûcher où l'on brûlait leurs
pères... Ce qui a, dit-il, été pratiqué communément
depuis que mon collègue et moi pensâmes l'ordonner. Et
il ne nomme pas le Cannibale qui déchirait avec lui ces
déplorables victimes ; mais il doute, si par là, les
loix sont encore satisfaites; il eut voulu pour la
sûreté publique, exterminer aussi toute cette race
perverse... Du reste, continue-t-il, les lois contre les
enfants ont quelque fois été bien plus sévères ; et il
le prouve par les Athéniens qui condamnèrent l'enfant
qui avait crevé les yeux â son moineau, et par les
quarante enfants dévorés par deux ours, pour s'être
moqués du prophète Elisée qui était chauve. Il cite les
noms, les lieux, les personnes... Le Démonolâtre termine
le roman informe de ses contes absurdes et impies, par
ces paroles dignes de tout le reste : « Ceux, dit- il,
qui estiment que dans ce genre d'accusation il faut
avoir pitié de l'âge, du sexe, de la simplicité ou de la
séduction, sont des insensés et je les maudis... »
Pour moi qui par un long usage suis au fait de juger les
sorciers, j'en dirai franchement mon avis que je crois
être la pure lumière de la vérité : c'est que je ne
doute pas que, suivant toutes les lois, il ne faille,
après les avoir déchirés de toutes sortes « le tortures,
les jeter au feu... Ce qui est incompréhensible, c'est
que, sous le grand, le sage Charles III, ces scènes
d'horreur et de folie aient couvert toute la Lorraine.
Tel est donc le pois de l'opinion sur les têtes les plus
fortes et les plus saines. Mais quand on pense qu'il
faut peut-être absoudre Nicolas Remy de tout l'odieux de
ces jugements ; quand on pense que ce fut le crime de
son temps beaucoup plus que le sien ; que son siècle le
vit, le souffrit, l'applaudit sans doute ; on tremble,
on se trouble, on frémit : ô misérable humanité !
Saint-Mauris (I. Il, p. 46) dit à ce sujet: A lui seul,
Nicolas Bemy, ce magistrat, ou plutôt ce boucher,
pendant l'espace de quinze ans que durèrent ses
fonctions inquisitoriales, fit brûler neuf cents
prétendus sorciers, et encore déplora-t-il dévotement â
sa dernière heure de n'en avoir pas exterminé un plus
grand nombre... Le malheureux cite les noms et surnoms
des personnes ; il marque les dates, les familles, les
demeures et villages des témoins qui ont été ouïs, et
qui ont comparu devant lui, depuis les années 1580
jusqu'en 1590, à Nancy et dans les villages des
environs. (LYONNOIS, t. II, p. 351.) N'oublions pas que
lès procès en première instance par les divers juges de
la Lorraine étaient révisés par les maitres-échevins et
échevins de .Nancy.
Comment se persuader (D. CALMET, t. III, pp. 31-32)
qu'une infinité de procédures faites avec tant de soin
et de maturité, par de très graves magistrats, par des
juges très éclairés, soient toutes fausses...
Si l'on nous citoit des choses éloignées, arrivées dans
un autre pays, et dans un siècle d'ignorance et reculé,
je m'en défierois beaucoup davantage; mais les auteurs (REMY,
BINFELD, suffragant de Trêves) vivoient dans le siècle
même où ces choses se passoient. Ils les entendoient,
ils en étaient très bien informez. Ils ont écrit dans le
temps le plus éclairé et le plus fécond en hommes
habiles qu'ait eus la Lorraine...; l'on ne peut nier que
les princes, les évêques et les juges n'ayent tenu, en
les poursuivant par les plus sévères châtiments, une
conduite tres sage et très louable, puisqu'il était
question d'arrêter le cours d'une impiété très
dangereuse et d'un culte sacrilège, ridicule,
abominable, rendu au démon, qui séduisoit et perdoit une
infinité de personnes et causoit dans l'Etat mille
désordres très réels. »
(4) Pour donner une idée de la procédure suivie dans les
cas de sorcellerie, et des billevesées dont on chargeait
les malheureux accusés, nous transcrivons presque
textuellement les pages suivantes du tome II, (p. 361 à
363), de l'Hist. de Nancy, par l'abbé J.-J. Lionnois
(Nancy 1811):
« L'an 1629 (longtemps après la retraite de Remy), le 22
septembre, vers neuf heures du matin, au château de
Fontenoy, en la seigneurie de Haulmont, nous, Démange
Vannerot, maire en ladite seigneurie, assisté de Jean
Carbot, Jean Durand, jurez, et Nicolas Bernard, échevin,
en exécution des requises du sieur Procureur fiscal,
après des dénégations de la part de l'accusée, avons
fait raser et visiter par toutes les parties de son
corps, en nos présences, la nommée Claudon Voillaume, d'Amecy,
prisonnière pour cas de sortilège et vénéfice dont elle
est présumée, afin de voir si on pourrait reconnaître
quelques marques diaboliques sur son corps. Me Claude
Picart, chirurgien, demeurant â Conflans, homme expert
et usité, commis à cet effet, nous a fait voir à l'oeil,
quatre marques sur la personne de ladite Claudon, l'une
au derrière de la tête, une autre au bras dextre, une
autre sur la cuisse dextre, et la quatrième sur la
hanche senestre. Dans toutes quatre ledit Picart a
planté de grandes épingles assez profondément et
jusqu'aux os sans que ladite Claudon ait fait aucun
semblant d'en ressentir douleur, ni que desdites piqûres
en soit sorti aucune goutte de sang, ainsi que nous
l'avons vu et reconnu. Ledit Picart, sous la foi du
serment, a déclaré que ces marques, en tout semblables à
celles qu'il a précédemment constatées sur d'autres
sujets, étaient vraiment des marques du malin esprit...
»
Ensuite de cette constatation, la malheureuse Claudon
fut condamnée par les juges susnommés, à subir devant
eux la question ordinaire et extraordinaire, avec cette
seule différence que Me Jacob, autre chirurgien audit
Fontenoy, prit la place de Picart.
Solennellement ajournée (adjurée) et enquise par le
Président de dire si elle est sorcière, ayant renoncé â
Dieu pour prendre le Diable pour maître, l'accusée a
fait réponse qu'elle n'est pas sorcière, mais femme de
bien.
Lui avons remontré que sa maltraite renommée, les
indices violents qui résultent contr'elle par son
procès, lesquels vérifiés, témoignent assez qu'elle est
sorcière, enjoint pourtant de confesser la vérité,
autrement qu'il sera passé outre à ladite question,
l'intimidant de plusieurs tourments qu'elle voit lui
être préparés.
A dit qu'on fasse ce qu'on voudra.
Sur son refus persistant d'avouer, nous l'avons fait
prendre par l'exécuteur des hautes-oeuvres, lequel l'a
déshabillée en chemise, puis l'a fait asseoir sur la
petite sellette. A cet effet il lui a appliqué les
grésillons aux pouces des mains. En sentant la douleur,
elle s'est écriée: Jésus Maria, douce vierge Marie !
Enquise si elle n'a pas fait mourir une vache à Vaubourg
CoIinchard, a dit : Nian, sire, par ma foi.
Lesdits grésillons appliqués aux doigts, s'est écriée :
Je vous crie, mercy, Messieurs.
S'il n'est pas véritable qu'elle a fait malade et mourir
Nicolas, fils de ladite Vaubourg, a dit: Que non.
Interrogée, depuis quel temps elle est séduite, et que
le malin esprit l'a tentée, a dit : Qu'elle n'a pas été
tentée.
Lesdits grésillons appliqués aux orteils des pieds, et
enquise si elle ne fit aussi malade Colin Colin.
Répond, faisant semblant de pleurer, sans néanmoins
jetter larmes, qu'elle n'a fait mal ni à bêtes ni à
gens.
Si elle n'a fait mourir deux autres vaches de ladite
Vaubourg?
Dit que nenny, et qu'on la fasse mourir.
Et ayant été environ un quart d'heure auxdits
grésillons, l'exécuteur l'a couchée sur l'échelle, lui a
lié les pieds avec cordes au bois d'icelle, et les bras
à une autre corde attachée autour, puis lui a mis le
bois triangle sous le dos, et avant que la tirer, lui a
enjoint de dire la vérité, et s'il n'est pas vrai
qu'elle donna une maladie à Nicolas Raguel, d'Anery.
A dit: Nian, sur ma foi, s'écriant: Jésus. - De tirer un
quart détour, s'est écriée : Jésus Maria !
Enquise depuis quel temps elle est sorcière ? - N'a
voulu répondre.
Si, en la même année, elle ne fit encore mourir une
vache â ladite Nicole ?
Répond : Nany, ma foi.
S'il n'est pas véritable qu'elle fit encore mourir deux
veaux â Claude Girardin ?
A dit qu'elle n'a fait mourir ni veaux ni vaches.
Par quels moyens elle fit mourir lesdits veaux? - A dit
qu'on la lâche et qu'elle dira la vérité.
Si elle ne fit, par ses imprécations, rompre la jambe du
cheval de Maison Grillot ?
A dit: Que non; ne sachant toute fois, si au moyen
desdites imprécations ledit accident arriva ou non.
Qu'elle ne se contenta de causer la perte dudit cheval
audit Grillot, mais encore, huit jours après elle fit
rompre la jambe d'un autre cheval, appartenant audit
Grillot? - Répond: Que de Dieu soit-il maudit, celui qui
l'a fait.
Comment elle fit rompre la jambe audit cheval?
N'a voulu répondre autre chose.
De tirer d'un autre quart de tour. - Et enquise si elle
n'a pas fait malade et guéri l'enfant d'Isabel Rouyer de
Moyenpal ? A dit que : Par si digne foy, elle ne l'a pas
fait.
Depuis quel temps elle a été séduite par le malin
esprit?- Dit qu'elle ne l'a pas été, que ce sont tous
faux témoins qui ont déposé contre elle.
Et ayant été environ demi-heure étendue sur ladite
échelle, l'exécuteur lui a appliqué les tortillons aux
jambes et aux cuisses, et bras droit, et avant que de
lui en faire sentir la douleur, enquise s'il n'est pas
vrai qu'ayant icelle guérie ledit enfant, elle lui
tordit le bras d'une autre sorte qu'il n'était et comme
il est encore â présent?
A répondu : Par ma foy, je ne l'ai pas fait.
Si elle n'a pas donné une maladie et lait mourir Claudel
Gérardin d'Annery ?
A dit que non.
Aux douleurs desdits tortillons, enquise si elle n'a pas
fait mourir une vache à Claudel Gérardin ?
Répond : Que non, par ma foy.
Si elle n'a pas fait tarir le lait d'une vache de
Pierron Vaubourg ?
A dit : Que non, disant ces mots : Ha ! les méchants
laix.
De qui elle entend parler ? De Mongeotte, veuve de Jean
Vaubourg à laquelle elle guérit une vache du lanqueux.
Comment elle fil pour la guérir ? Dit qu'elle ne peut
dire autre chose que ce qu'elle a dit en son audition,
et que ce fut par une prière y mentionnée et écrite.
Si elle ne fit pas malade et mourir Jean Vaubourg, d'Annery?
A répondu : Nian, par ma foy.
Si, il y a environ neuf ans, elle ne fit pas tarir le
lait à ladite Mougeotte, en haine de ce qu'elle ne
s'était pas servie d'elle à son accouchement ?
A dit : Nian, je vous promets, ma digne foy.
Et ayant été ladite Claudon aux tortillons, ainsi comme
est dit, ledit exécuteur l'a mise â l'estrapade, et
avant de la soulever lui avons enjoint de nous dire la
vérité, et s'il n'est pas vrai qu'elle fit aussi tarir
le lait â Marguerite Mourel, femme de Claude Demangel ?
A dit : Nian, par ma foy.
Comment elle a été le lait à ladite Mougel ?
A dit : Par ma foy, je ne l'ai pas fait.
Depuis quel temps elle est sorcière ?
A dit qu'elle ne l'est pas.
Soulevée d'environ un pied et demi de terre, enquise si
elle n'a pas aveuglé le cheval de Vaubourg-Gauthier ?
Dit : Que non.
Si elle ne fit mourir une chèvre de ladite Vaubourg
Gauthier ?
Dit : Nenny, par ma foy.
Finallement l'avons admonestée de sauver son âme et
confesser la vérité des crimes qu'elle nie : et sur ses
dénégations avec invocations â Dieu, l'avons fait ôter
de ladite question, approcher du feu et r'habiller, puis
mettre en prison, ce vingt-huit desdits mois et an,
comme le lendemain où, après avoir ouï lecture de notre
besogne de la veille, elle a persisté dans ses
négations, déclarant ne vouloir dire autre chose.
....L'abbé Lyonnois (Id. t. II, pp. 560-561) cite la
condamnation à 500 et a 200 francs d'amende des juges,
et à la mort, des Procureur d'office et bourreau, sur
l'appel de la veuve de Jean Gaudel, mort, parce que les
dits Procureur et bourreau avaient complotté entre eux
de le mettre sur une chaise hérissée et parsemée de
chevilles pointues pour inhumainement tourmenter ledit
Gaudel, comme il aurait été fait la nuit du jour qu'il
eut la question, avec telle inhumanité et cruauté que la
mort s'en serait ensuivie la même nuit. Ce jugement du
26 septembre 1620 devait être exécuté pour les condamnés
à mort, sur la place du marché de la ville neuve à
Nancy.
- Voici quelques faits qui attestent l'ignorance et la
cruauté qui ani- maient les esprits à cette époque.
Simon le Malfait, ainsi nommé parce qu'il avait une
figure difforme, fut traité d'une manière inouïe. On le
mit (à Metz) dans une cage ou geôle de fer et on l'y
brûla à petit feu. Selon sa propre confession, dit la
Chronique, il avait fait mourir environ soixante-dix
personnes, outre celles dont il ne se souvient pas ; et
en avait d'ailleurs rendu plusieurs percluses de leurs
membres, ou tourmenté d'infirmités cruelles, (Hist. de
Metz, t. III, p. 163.)
Vaincues par les douleurs de la torture, les victimes,
pour faire cesser le supplice, avouaient tout ce qu'on
voulait. C'est ainsi que Barbe, femme de Jean Remy, de
Moyemont (Docum. inéd. de l'Hist. des Vosges, t. I),
entre autres crimes, communs â tous les sorciers et
sorcières, avoue (après la torture de l'échelle) avoir
porté au diable des hosties consacrées. Par sentence,
confirmée à Nancy, le 17 juillet 1613, elle fut brûlée
vive.- On condamna en 1603 un enfant de onze ans pour
crime de sortilège, (Id.,, de pp. 133 à 441.) « Le bruit
ayant couru dans la ville de Saint-Dié, qu'un jeune
garçon qui y mendiait son pain, du nom de Claude, fils
de Claude Jean Perrin, du village de Remeymont, exécuté
trois ans auparavant par le feu, après avoir été
convaincu du crime « de sorcerie », que ce garçon se
déclarait lui-même sorcier, et avouait avoir donné le
mal à Marie Thouvenin, bourgeoise dudit Saint-Dié, mal
dont elle languissait encore, le maire et gens de
justice des seigneurs de la ville le firent arrêter et
interroger après l'avoir emprisonné. »
L'extrait suivant résume assez exactement
l'interrogatoire et donne une idée de la procédure.
... « Le procureur d'office des sieurs vénérables, doyen
et chapitre de Sainct-Diey souscript, qui a veu (vu) la
présente procédure instruicte allencontre de Claude,
fils de Claude Jean Perrin, de Remeymont, prévenu de
sortilèges et vénéfices, notamment l'act du tesmoing de
l'aage du dit Claudel et tout ce que faict à veoir et
considérer, dit que par les confessions propres et
volontaires d'iceluy, il est suffisamment attainct et
convaincu d'avoir esté aux sabbats et assemblées du
diable, par deux diverses fois, y ayant été porté par le
dict Claude, son père, renoncé nostre créateur, prenant
le diable pour son maître, et par les moyens de la
pouldre qu'il luy a donné, aurait causé l'estrange
maladie à Marie Thévenin (en lui jetant de la poudre
dans le dos) encore de présent allictée, et à une autre
seconde fois se mis en debvoir d'en donner à ung jeune
garson qui l'avait battu, en quoy faisant, il a fait
acte de sorcier et vénéficien, ne le pouvant son bas
aage qu'est de onze ans, exempter de la peine dicte
contre les sorciers. Pour réparation de quoy requiert
ledit procureur, qu'iceluy Claudel soit condamné d'être
exposé au carquant, à la vue du peuple, puis conduit au
lieu où l'on al accoustumé supplicier les délinquants,
attachés à ung posteau, qu'à ceste fin y sera dressé,
estre estranglé, son corps bruslé et rédigé en cendres,
ses biens déclairés acquis et confisqués aux seigneurs
qu'il appartiendra sur iceulx au préalable prins les
frais de justice raisonnable. Faict â Saint-Diey, ce
XXII janvier 1603. Signé: Ruiz.
« Les maitre-eschevin et eschevins de Nancy ayant veu la
présente procédure, extraordinairement faite à rencontre
de Claudel, fils de Claudel Jean Perrin, de Remeymont
(hameau de Remémont), prévenu de sortilège et vénéfice,
disent qu'iceluy prévenu est suffisamment allaient
convaincu des dictz crimes, et parlant y a matière
d'adjuger au procureur d'office ses conclusions
d'autres... Signé Bourgeois, Guichard, de Bernécourt,
Gondrecourt...»
- Les bourreaux des sorciers ne respectèrent pas plus la
vieillesse que l'enfance. Ainsi (Livre des Enquerreurs,
p. 220), en 1617, messire Jean, prêtre à Offraucourt,
âgé de 70 ans, atteint et convaincu de sortilège, fut en
premier lieu condamné à être dégradé ; ce qui eut lieu
au cloître de l'église Saint-Mansuy ; puis il fut brûlé
à Offraucourt.
- Dumont (t. II, p. 47) montre que la non-observation
des commandements de l'Eglise amenait l'accusation du
crime de sorcellerie.
« Jean Grégoire Matins, en 1609, est mis à la torture et
interrogé sur le reproche de n'avoir pas communié â
Pâques précédent.
« Interrogé s'il n'est pas vrai que, sur la remontrance
qu'on lui fit d'aller crier merci à Révérend M. le grand
prévôt, de ce qu'il n'avait pas fait son devoir de bon
chrétien à Pâques dernier, il ne répondit pas que le
diable l'emporte, s'il y allait, ou propos semblable ?
« A répondu qu'il n'en a usé, qu'il est homme de bien,
ou que Dieu le veuille faillir.
« Interrogé s'il est donc pas vrai qu'il n'a été
confessé ni communié à Pâques dernier ?
« A dit que oui ; mais que ce fut bien malgré lui et
pour ce qu'il ne peut être mis hors de saonne et de quoi
il crie merci à Dieu et audit sieur Révérend.
« Enquis s'il n'a pas dit que plutôt d'aller demander
pardon à MM. les vénérables, ses seigneurs, on le
traînerait plutôt par sa cheminée.
« Dit, qu'il n'en a usé, ou que Dieu le faille....
- Le 27 jour d'avril 1576, une poure femme, demeurant au
Wa-de- Bollon, fut appréhendée de justice, accusée
d'être sorcière et mise en prison. Après quelques jours
en fut mis hors comme innocente. Lors le peuple s'en
émut de telle façon qu'elle fut tuée, oyant ce bruit
qu'elle avait fait engeler les vignes. Ce nonobstant,
les vignes, au bout de cinq ou six jours furent engelées.
(Mém. des choses advenues à Metz, Bibl. de M. Noël.) -
En 1622, des enfants poursuivirent tellement une femme
estimée sorcière, qu'ils la lapidèrent. (DUM., t. II,
p.61, note.) Là même année une pauvre veuve avoua dans
les tortures que depuis vingt-trois ans elle était
possédée par le diable. On la brûla vive dans le village
de Talange, à trois lieues de Metz. (VIVILLE, p. 41.)
- Claudon Hardier, pâtre à Hesse, fut poursuivi, en
1608, par le maire de ce lieu qui exerçait la justice
pour l'abbé de Hauteseille. Son plus grand crime était
d'employer, pour la guérison des animaux, des prières
rimées. Quoique placées sous l'invocation de la
Sainte-Trinité, elles furent jugées diaboliques et
entraînèrent sa condamnation. Il avoua que l'un de ses
chiens, plus ardent que les autres, était le diable
déguisé; que plusieurs fois, sous la forme d'un loup,
l'ancien maire de Neuting et un surnommé Chausel étaient
allés harceler les troupeaux, et lui avaient parlé ainsi
métamorphosés. (DUMONT.)
-Le curé de Vomécourt, Dominique Cordet,par ses études
sur la sorcellerie, acquit la certitude que ce crime,
d'ailleurs très manifeste à ses yeux, ne méritait pas le
feu. Il exorcisait ses paroissiens pour les préserver du
bûcher. Accusé par Cathelinotte, femme perdue de
réputation, il fut traîné alternativement des cachots de
Saint-Dié en ceux de Toul, pendant près de deux ans. Le
malheureux prêtre, réclamé par ses paroissiens et par
ses compatriotes, n'obtenait de sursis que pour subir de
nouveau les cruelles épreuves de la question. Accusé
d'avoir introduit Cathelinotte au sabbat, de l'avoir
présentée à Maître Persin, homme grand, sec et noir,
froid comme glace (etiam in coitu),habillé de rouge,
assis sur une chaise couverte de poil noir, pinçait ses
néophytes au front pour leur faire renier Dieu et la
Vierge. Cordet était inculpé, en outre, d'avoir profané
les mystères en célébrant la messe à minuit, en
jacquette rouge et avec une hostie noire pour la
réception de Cathelinotte ; d'avoir fait rôtir et servir
aux convives diaboliques les enfants de Cathelinotte,
dont il était père, et enfin d'avoir exorcisé des gens
qu'il aurait dû faire brûler. Cordet fut condamné et
exécuté, en 1632, avec la malheureuse tante de l'infâme
accusatrice.
(5) Nous empruntons les curieux détails suivants à une
intéressante monographie composée par un de nos plus
jeunes écrivains, M. Albert Denis, avocat à Toul, à
l'aide de patientes recherches personnelles et de notes
laissées par son aïeul, qui avait consulté les archives
de la vieille cité épiscopale lorraine et colligé ses
procédures... (*)
La multiplicité des condamnations prononcées dans les
années 1619,1621 et 1622. est épouvantable: ainsi, en
1610, il y eut huit exécutions, dont six en un seul
jour, autant qu'on en compte aujourd'hui par année dans
toute la France, pour crimes de droit commun; en 1621,
dix condamnations dont sept suivies d'exécution ; soit
dix-huit personnes livrées au bûcher à Toul, dans le
cours de trois années... (p. 75).
Dans certaines dépositions des témoins contre des
prévenus de sorcellerie, nous trouvons les
particularités étranges, bizarres, que voici :
- 15 avril 1592. Le témoin Henri de Gye, laboureur â
Toul, âgé de 60 ans, dont la jambe enflée l'empêchait de
marcher et de travailler, blessa encore ce membre malade
avec sa hache en coupant une branche d'arbre. Se
regardant comme ensorcelé, il demanda â un tiers un
remède pour se guérir. On lui dit « de trouver moyen
d'avoir du pain et du sel secrètement de la maison de
celui ou de celle qu'il soupçonnait l'avoir ensorcelé,
et les ayant, de saler lui-même une partie du pain, le
couper en quatre morceaux et en jeter lui-même la moitié
au feu, avec ledit sel, après avoir fait un âtre pour
cet effet, le couvrir et le laisser consumer, puis
manger l'autre moitié...». Il exécuta la prescription et
vingt-quatre heures après il se trouva grandement allégé
de la jambe qui désenfla peu â peu, si bien qu'à présent
il n'y ressent que t bien peu de douleur...» (pp.
55-56).
- 28 mai 1594. Une dame Claudon, après avoir mangé de la
quiche et bu de la pique que lui présenta son ancienne
logeuse, devint très malade. Un premier remède resta
sans effet. Elle en obtint un second, fait avec du vin
blanc. Quand elle eut bu ce breuvage... elle tomba par
terre quasi comme en extase, ayant les dents serrées, et
sans mouvement aucun, de sorte qu'il a fallu la secouer
violemment par mouvements violents pour la faire revenir
à soi. Incontinent fut saisie
d'un grand vomissement ayant du premier coup jeté, à son
avis, un crapeau (sic), des cheveux, de la crasse de
maréchaux, des charbons, et plusieurs autres choses qui,
au passage de la gorge, lui faisaient grande douleur
comme plusieurs personnes ont vu...s (pp. 60 et 61).
En effet, deux témoins, Catherine... et Barbe,
attestent, - la première, que Claudon « lui montra un
verre rempli de villenies comme cheveux, petites bêtes,
le tout entortillé de la grosseur d'une noix et fort
qu'elle avait jeté par la bouche... » - la seconde, que
« ladite Claudon lui .raconta sans nommer ladite
Laurence (prévenue comme sorcière), que s'en étant allée
quelque temps en son logis, elle lui donna de la quiche
(et elle ajoute tous les détails précédents, même le
vomissement de crapeaux, de cheveux, crasse de
maréchaux, charbons et » plusieurs petites bêtes)... »
(pp. 60-61-62).
- Dans les procès de sorcellerie, on trouve des faits
absurdes semblables à ceux-ci, articulés dans la
déposition de Claude Bourguignon contre Catherine, femme
de Démange Noël, de Barbonville.
... « Revenant une fois des champs â deux heures de
nuit, ce fut une nuée avec de grands éclairs et étoiles.
Approchés qu'ils furent de la maison de Guillaume, ils
aperçurent au devant une femme hideuse, noire, de grande
et grosse stature, appuyée contre la porte, sans
mouvement, dont il fut grandement effrayé; ce qui
l'occasionna de demander audit Guillaume ce que ce
pouvait être. Il lui répondit que c'était le taureau,
d'autant qu'il était rouge.
... « Un autre témoin dit qu'en battant à la grange il a
vu un chat noir qui est venu se jeter entre les fléaux,
sans que l'on ait pu toucher dessus, et se sauva. »
- Noël (Mém. lit), au sujet de la sorcellerie, raconte
le fait curieux suivant: « Catherine de Lorraine, fille
de Charles III, abbesse de Remiremont, étant tombée
malade, s'adressa aux Capucins qui, après de longues et
impuissantes prières, lui suggérèrent l'idée de faire
béatifier l'un des leurs. La princesse adoptant l'idée
envoya à Rome soixante-dix mille livres pour la
béatification de Félix Cantalice. En échange de son
argent elle reçut un os du bras de ce nouveau béatifié.
(CHEVRIER) Essai inutile ! On conclut alors que le
diable devait se mêler de l'affaire. La princesse,
interrogée avoua que le chevalier de Tr..., en
plaisantant avec elle, s'était permis une familiarité
inconvenante. Immédiatement on conclut qu'il était
sorcier, qu'il avait jeté un sort à la princesse, punie
ainsi de lui avoir permis une privauté. Il fut pendu
sans forme de procès sur la place de Châtel (pp. 29-30,
note). Le pape avait accordé à cette princesse un bref
pour faire gras les jours défendus. Au sujet de cette
princesse Chevrier (t. V, pp. 12 et suiv.) constate
l'esprit mystique permanent de la cour ducale lorraine.
Le duc Simon avait donné toute sa confiance aux
Bernardins, René II aux Cordeliers, etc.
- Tout était possible dans ces temps de grossière
superstition. « Ce fut un procès contre les rats qui, en
1531, fit la célébrité du jurisconsulte Chassané ou
Chassaneux (Chassaneus) qui ayant été nommé leur
défenseur a fait sur la matière un véritable traité
écrit en latin et imprimé sur vingt feuillets in-folio.
- Gravier (pp. 231-235) raconte, en ces termes, un
procès, dit du PORC CLAUDON (1572). « Arrêté en flagrant
délit de dévorer un enfant, le vorace animal fut, à la
diligence du procureur de l'abbé, traduit es prisons de
l'abbaye de Moyenmoutier et écroué sous le nom de porc
Claudon. Ce magistrat requit les informations usitées et
la confrontation des témoins avec l'accusé ; il dénonça
au prieur du monastère la négligence des pères et mères
dans la garde de leurs enfants. Les actes de cette
procédure furent soumis â la sanction des échevins de
Nancy qui opinèrent pour la mort du coupable.
La justice locale prononça donc la sentence suivante...
« Nous trouvons et disons par notre sentence que, heu
l'égard à l'inconvénient de mort, advenu de l'enfant
Claudon François, dévoré par un sien porc, et afin que
les pères et mères preignent meilleure garde à leurs
enfants ; que ledit porc doit être pendu et étranglé en
une potence, au lieu où on a accoutumé faire semblables
exécutions. Et quant â la pénitence et correction des
père et mère dudit enfant, cela appartient et est à la
charge de Monsieur le Prieur de céans... Comme de toute
ancienneté l'on a accoutumé, qu'ayant ledit Révérend
Seigneur Abbé aucuns criminels en ses prisons condamnés
à pugnition corporelle, sa justice les met et délivre en
ce lieu et place es mains d'un sieur prévost Saint-Dié,
tout nuds avecque leur procès, pour en faire les
exécutions ; et à cause que ledit porc, est une bête
brute estant lié d'une corde, les maire et justice vous
le délivrent en cedit lieu, et laissent ledit porc, lié
d'icelle corde, en grâce spéciale, et sans préjudice
dudit droit et usaige de vous rendre lesdits criminels
nuds ; aussi vous met tent et délivrent es mains
l'information et procédure sur ce fait, pour dudit porc
faire faire l'exécution au contenu de ladite sentence. »
(*) Ce respectable savant mourut en 1863 ; son père
était en ardent patriote. H. Etienne (Hist. de Lorr.)
cite de lui le trait suivant (p. 318) : « La bataille de
Waterloo ouvrit aux armées coalisées la Lorraine, qui
fut fort tourmentée par des passades continuels de
troupes. Un trait suffit pour montrer le patriotisme des
habitants au milieu, de toutes tes calamités d'une
seconde invasion. Un imprimeur de Commercy, M. Denis, à
qui l'on proposait une pièce de vers en l'honneur d'un
monarque étranger, imita l'exempte de Callot en
répondant qu'il aimerait mieux briser ses presses que de
se déshonorer par cette indigne publication »
C'est ce noble citoyen qui mit â découvert, en grande
partie à ses frais, la ville gallo- romaine de Nasium,
reconnu l'emplacement de temples, le tracé des rues, les
bains et les mosaïques, etc. |