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6ème Groupe de
Chasseurs Cyclistes - 1914
Livre d'or du 6e Groupe
de Chasseurs Cyclistes
Capitaine Buisson
Ed. Paris - 1919
I
LA LORRAINE.
(1er août - 9 septembre 1914.)
31 juillet 1914.
- L'Allemagne veut la guerre. Les soldats de
France marchent à la frontière pour défendre la
patrie menacée.
La 6e division de cavalerie s'embarque pour la
Lorraine. 11e hussards et 13e chasseurs à cheval, 2e
et 14e dragons, 7e et 10e cuirassiers, artilleurs à
cheval du 54e régiment, section cycliste du 4e
génie, 6e groupe de chasseurs cyclistes, tels sont
les beaux soldats de cette division.
1er août. - Le 6e groupe cycliste débarque à
Châtel-sur-Moselle et se porte le même jour à Hablainville. Aucune troupe française ne doit
s'approcher à moins de dix kilomètres de
la-frontière. Le 4 août, l'Allemagne déclare la
guerre à la France.
5 août. - Le groupe se porte sur Herbéviller, et les
reconnaissances commencent aussitôt dans la région
Leintrey - Aménoncourt - Gondrexon - Autrepierre -
Chazelles - Verdenal - Blamont - Frémonville - Cirey.
Les patrouilles de cavalerie allemande ont franchi
la frontière; ce sont les escarmouches et les
surprises dans les taillis de Lorraine. Le 3e
peloton, avec le lieutenant de Cazenove, capture un
officier et deux cavaliers des hussards de la mort.
Le caporal Tourre et le chasseur Berthier, du 1er
peloton, sont parmi les meilleurs patrouilleurs et
réussissent quelques beaux coups de fusil. C'est la
guerre d'aventures, où on attend sournoisement son
adversaire au point choisi; - elle n'est point pour
déplaire, mais sa durée sera courte.
9 août. - Les cyclistes vont recevoir le-baptême du
feu. L'ennemi a franchi la frontière en nombre; la
6e division de cavalerie s'oppose à son avance. Le
groupe, après quelques escarmouches, prend position
sur la crête de Notre-Dame-de-Lorette, au nord de Herbéviller.
Les premiers obus de 77 éclatent en shrapnells, les
mitrailleuses crépitent, les balles claquent. Le
combat s'engage; sur la crête, à mille mètres à
peine, on distingue la batterie allemande en action;
le feu répond au feu. L'ordre arrive de se replier
sur Herbéviller, puis sur Hablainville. Les flocons
blancs des shrapnells accompagnent le groupe en
colonne de route. Dans l'après-midi, par un retour
offensif, les cyclistes chassent les Boches de
Herbéviller.
Ce ne fut pas une très rude épreuve que ce Baptême
du feu, la peur ne fut pas grande, on rit de ces
obus éclatant à 30 ou 40 mètres du sol avec un bruit
plaintif plus harmonieux que méchant; mais c'était
la guerre cependant : le sergent Champion était tué
net d'une balle en pleine tête; quelques blessés -
parmi lesquels le sergent Pommier, les chasseurs
Albert et Claudio - déploient les premiers paquets
de pansement.
Il y a de belles choses à raconter aux fantassins du
8e corps qui, le soir, relèvent les chasseurs aux
avant-postes. A d'autres, pour quelques jours, le
soin de veiller à la frontière; et le groupe roule
gaiement, le 10 août, vers Azerailles et, le 11
août, vers Saint-Clément.
Le repos est de courte durée puisque, le 13, il faut
rejoindre Herbéviller et reprendre, jusqu'au 17
août, les reconnaissances et les escarmouches.
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La marche sur
Sarrebourg.
17-20 août. -
Tandis que des forces importantes d'infanterie,
précédées de corps de cavalerie, se portent en
Belgique au secours de la vaillante armée belge, nos
troupes de Lorraine et d'Alsace vont prendre
l'offensive : les 20e et 15e corps marchent sur
Château-Salins et Dieuze; les 8e et 13e corps se
portent sur Sarrebourg.
Par Domèvre et Blamont, le 6e groupe cycliste marche
vers la frontière. Il pleut, mais qu'importe,
puisqu'on va de l'avant. Le groupe, placé au centre
du mouvement de la division, suit la route nationale
Paris-Strasbourg. Voici le poteau frontière et,
tout à côté, trois caissons et quelques centaines
d'obus que l'ennemi n'a pas eu le temps d'emmener
dans sa fuite. C'est la Lorraine, c'est le petit
village de Saint-Georges où on passe la nuit. Ils
sonnent français ces noms lorrains et, si une partie
des habitants est d'origine allemande, il est
quelques vieux - ceux de la « protestation » - qui
crient : « Vive la France ! » avec tout leur coeur.
Ne chantions-nous pas dans notre Sidi-Brahim, si
chère aux « vitriers » :
Bientôt, nos pas réveilleront
Nos morts de Lorraine et d'Alsace.
Et, de la Suisse à la Moselle, ce sont les « diables
bleus », en effet, qui les premiers, arrachant les
poteaux frontières, portent le salut de la mère
Patrie aux coeurs français de nos provinces
meurtries.
18 août. - Au petit jour, la marche en avant est
reprise par Landange et Lorquin. L'artillerie
ennemie entre en danse; le groupe prend ses
dispositions de combat et les pelotons s'engagent
successivement en lignes de tirailleurs. Le canal de
la Marne au Rhin et la voie ferrée sont franchis, et
les cyclistes prennent position à Imling. Sarrebourg
est là, à 3 kilomètres à peine. A 11 heures du
matin, le groupe y pénètre. Des cavaliers de la
brigade légère gisent à l'entrée de la Grand'Rue. On
fouille les maisons pour y rechercher les Boches -
militaires ou civils - qui s'y cachent. Tandis que
les 1er et 2e pelotons occupent les casernes et
opèrent des destructions à la gare, le 3e peloton,
avec le lieutenant de Cazenove, dépassant la ville,
couvre la division par des avant-postes.
Le succès est de bien courte durée : Sarrebourg ne
verra les soldats français que deux heures à peine.
Menacé d'encerclement, le groupe reçoit l'ordre de
se replier sur Imling. Le mouvement s'exécute par
peloton, en ordre impeccable, sous les rafales de
l'artillerie allemande qui balayent la route.
On s'arrête à Imling, oh fait face. Maintenant,
c'est l'artillerie lourde qui fait entendre sa voix
de basse, et les premiers 150 et 210 de la campagne
écrasent les positions qu'occupe le 2e peloton. Les
chasseurs Brousse, Grange, Roux sont mortellement
atteints. Le sergent Buisse, les chasseurs
Meunier-Carus, Bender, Dandelot, Janin, Delorme,
Descours, Bernés, Bergougnoux, Trouillet, Crouzet,
Gay, Caillat, Richard, Fayon, Duboz... sont blessés.
Sur toute la ligne, la bataille fait rage. Le
capitaine Gueytat, commandant en second du groupe
cycliste, au galop dans la plaine, pour assurer son
service de liaison, est frappé à mort par un obus.
Il est cité à l'ordre de la 6e division de cavalerie
:
« Le 18 août 1914, devant Sarrebourg, a assuré avec
un complet mépris du danger, sous un violent
bombardement, d'artillerie lourde, les liaisons
entre le général de division et le groupe cycliste.
»
Le lieutenant de Cazenove, laissant le 3e peloton au
commandement du lieutenant Camus, remplit les
fonctions de capitaine en second.
Le 18 août au soir, le groupe se reporte sur
Lorquin. On dort quelques heures, et en route pour
Kerprick-aux-Bois, à 7 kilomètres à l'ouest de
Sarrebourg.
Toute la journée du 19 et jusqu'au 20 août au soir,
le groupe cycliste surveille et défend les
directions de Langatte et de Haut-Clocher. Mais il
faut battre en retraite encore et les cyclistes,
couvrant le mouvement, viennent occuper Hertzing, en
cantonnement d'alerte.
L'attaque de nuit d'Hertzing.
21 août 1914. -
Il fait nuit noire; le 2e peloton, avec les
lieutenants Barthélemy et Mottas-d'Hestreux, est aux
avant-postes. Les 1er et 3e pelotons dorment à
poings fermés. Tout est calme, quand brusquement la
fusillade éclate de tous côtés. Les Boches, guidés
par des habitants, sans doute, sont entrés par les
jardins, et le groupe est cerné. La fusillade
crépite sur la ligne des avant-postes; des
sentinelles tombent à leur poste d'honneur. Les rues
sont balayées par des feux de salve; les grenades
éclairantes et l'incendie éclairent d'une lueur
sinistre ce village où on va s'égorger.
Le capitaine Chrétiennot et le lieutenant Vergnes, à
la tête du 1er peloton, dégagent à la baïonnette une
issue du village, dans un corps à corps sanglant et
sans merci. Le valeureux commandant du groupe tombe
mortellement atteint de plusieurs coups de
baïonnette dans le ventre et dans la poitrine. Le
caporal Becquié se distingue par son acharnement à
la lutte; le chasseur Bastide tombe tué à bout
portant après avoir terrassé plusieurs adversaires.
Les chasseurs Boudon, Boisset (mortellement
atteints), Bouyssi, Champalet, Berthon, Thomas, le
caporal Jacquelin, l'adjudant-chef Gobern., d'autres
encore, sont blessés au cours de l'assaut.
De nombreux cadavres de cyclistes allemands gisent
le long de la route. Tandis que le groupe se replie
derrière la canal, le lieutenant de Cazenove, avec
un superbe sang-froid, reste dans Hertzing entouré
d'une quinzaine de chasseurs, fouille toutes les
maisons et met définitivement l'ennemi en fuite.
Le groupe perdait dans cette sanglante mêlée son
valeureux chef, estimé de ses officiers et aimé de
ses hommes. Le capitaine Chrétiennot fut décoré de
la Légion d'honneur et cité à l'ordre de l'armée
avec le motif suivant :
« Atteint de nombreuses blessures en chargeant à la
tête de son groupe, pour repousser une attaque de
nuit. »
Le lieutenant de Cazenove prend le commandement du
groupe avec, comme second, le lieutenant Vergnes.
Le jour maintenant est levé : il est 6 heures; la
bataille gronde de toutes parts. Le groupe reçoit
l'ordre d'appuyer un régiment du 8e corps d'armée au
nord-ouest d'Hertzing; il prend ses emplacements,
mais, par une regrettable erreur, des batteries du
48e régiment d'artillerie arrosent nos lignes.
Trompettes et clairons sonnent : « Cessez le feu »;
la sonnerie se répète et, dix minutes après, les
artilleurs avertis mettent fin à ce tir démoralisant
et, hélas, sanglant.
La retraite continue et, dans l'après-midi du 21
août, le groupe revient sur Deutsch-Avricourt par
Gondrexange et Réchicourt-le-Château. Derrière nous,
c'est la frontière, à mille, mètres à peine; va-t-on
laisser entrer l'Allemand dans nos foyers ?
Les troupes françaises prennent position, le combat
s'engage contre les Bavarois de l'armée du prince de
Bavière; l'artillerie mêle sa voix stridente ou
grave à la bataille; mais l'ordre vient de se
replier encore. Nos artilleurs à cheval couvrent la
retraite avec leur cran habituel, - tirant à vue sur
les lignes ennemies, restant jusqu'au bout à leurs
pièces. Il faut que les chasseurs cyclistes, leurs
dignes partenaires, dégagent la position par un
retour offensif et permettent d'emmener les pièces.
Ce fut la première solidarité de combat de nos deux
troupes : l'amitié et l'estime en naquirent et,
après quatre ans et demi de lutte côte à côte,
artilleurs à cheval et chasseurs cyclistes ont une
confiance réciproque absolue.
Le groupe tient ses positions jusqu'au soir; les
chasseurs Souche, Vial (Joseph) et Peyrol sont
blessés. Les cyclistes sont très en retard dans le
mouvement de retraite de la division; ils se
dégagent et se portent à 15 kilomètres au sud-ouest,
à Ogéviller.
L'offensive sur Sarrebourg est durement ramenée :
les 8e et 13e corps se replient sur la Meurthe; à
notre gauche, les 20e et 15e corps retraitent entre
Nancy et Lunéville; à notre droite, notre repli
entraîne le recul des 21e et 14e corps sur les
Vosges.
22 août. - Le 6e groupe cycliste, après avoir passé
la journée à Ogéviller, traverse la forêt de Mondon
et va cantonner dans une papeterie, entre
Saint-Clément et Chennevières.
23 août. - Encore la retraite. Le groupe, passant la
Meurthe au pont de Sauley organisé et gardé par des
chasseurs du 2e bataillon, se dirige sur Gerbéviller
et la Mortagne. Le 1er peloton, avant de passer la
Meurthe, pousse une reconnaissance vers Moncel-les-Lunéville;
les chasseurs entendent distinctement les musiques
des régiments ennemis qui, à 3 kilomètres de là,
entrent à Lunéville. Après avoir patrouillé sur la
rive gauche de la Mortagne, face à Lunéville, le 6e
groupe cycliste repasse la rivière et occupe les
villages de Moyen et de Magnières.
24 août. - Le groupe traverse la Mortagne, se fait
canonner ferme jusqu'à Mattexey et vient prendre
position près de la côte d'Essey. Au loin, Mattexey
brûle; en direction de Gerbéviller, la fusillade
crépite.
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