| La sorcellerie à 
						Saint-Dié - G. Save(notes renumérotées)
 
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						le Blâmontois 
 
						Bulletin de la Société 
						philomatique vosgienne 1887-1888 
						
               			 
						La sorcellerie à Saint-Dié 
						Pour se faire une idée de la 
						contagion de sorcellerie qui ravagea notre région 
						pendant le XVIe et le XVIIe siècle, on peut méditer ce 
						passage de la Démonolâtrie de Nicolas Remy (1), 
						Procureur général de Lorraine :«  Je compte, dit-il, que depuis seize ans (1580-1596) 
						que je juge à mort en Lorraine, il n'y a pas eu moins de 
						huit cents sorciers convaincus envoyés au supplice par 
						notre Tribunal, outre un nombre à peu près égal de ceux 
						qui ont échappé par la fuite ou par leur constance à ne 
						a: rien avouer dans les tortures. »
 Ce serait donc, pour cette période, une moyenne de cent 
						accusés par année; et si nous avions, pour le reste de 
						ces deux cents ans, des documents aussi précis, on 
						arriverait sans doute à un chiffre total épouvantable.
 C'est peut être un bien, pour l'honneur de ces deux 
						siècles si féconds en grands hommes lorrains, que les 
						écrivains contemporains se soient abstenus de faire ce 
						compte et qu'il soit impossible de le reconstituer 
						exactement aujourd'hui, à l'aide de nos Archives qui 
						n'ont presque rien conservé de tant de procédures 
						iniques.
 Nous tenterons cependant de donner ici quelques chiffres 
						approximatifs.
 Quelles traces reste-t-il par exemple, dans les 
						Archives, de ce nombre incroyable de procès dont se 
						glorifie Remy, seize cents en seize ans ?
 M. Dumont (2), après de longues et patientes recherches 
						dans les documents de l'époque, n'a retrouvé, pour cette 
						période, que les noms de 290 sorciers. En y ajoutant une 
						trentaine de noms trouvés depuis, on n'arrive encore 
						qu'au cinquième du chiffre donné par Remy.
 Sur ce total, 18 cas seulement appartiennent aux 
						localités comprises dans l'arrondissement de Saint-Dié, 
						chiffre que, par de nouvelles recherches, nous avons pu 
						élever à 28 cas (3), soit moins du cinquantième du total 
						de Remy.
 Nous verrons cependant, par d'autres documents, que 
						notre arrondissement participait en moyenne pour un 
						sixième dans le contingent total des sorciers en 
						Lorraine. Ce ne serait donc pas 28, mais plus de 250 
						victimes (4) qui ont dû marquer les étapes de Remy 
						autour de Saint-Dié. Car on le voit, dans son livre, 
						parcourir les Vosges, pourchassant lui-même jusque dans 
						les forêts des bandes effarées de prétendues sorcières; 
						comme à Marzelay où, en Décembre 1584, il fait brûler 
						toute la famille Fellée; à Fraize où, en Septembre 1589, 
						il fait jeter au feu six jeunes femmes; à Bertrimoutier 
						où il campe six jours en 1598, décimant le village; à 
						Étival où il revient trois fois, en 1586, 1589 et 1590, 
						et partout où il passe, suivi de ses estafiers 
						sinistres, de nouvelles victimes hurlent dans les 
						tortures et se tordent dans les flammes.
 Cet homme s'est peint du reste tout entier dans une 
						phrase féroce : «  Ceux, dit-il, qui estiment que dans ce 
						genre d'accusation il faut avoir pitié de l'âge, du 
						sexe, de la simplicité ou de la séduction, sont des 
						insensés et je les maudis. Pour moi qui, par un long 
						usage, suis au fait de juger les sorciers, j'en dirai 
						franchement mon avis, que je crois être la pure lumière 
						de la vérité : c'est que je ne doute pas que, suivant 
						toutes les lois, il ne faille, après les avoir déchirés 
						par toutes sortes de tortures, les jeter au feu (5 ). »
 Bien avant 1580, l'année où Charles III intima à son 
						nouveau procureur «  de ne donner aux sorciers un instant 
						de repos, » la sorcellerie régnait déjà dans nos pays. 
						M. Dumont n'a donné le nom d'aucun condamné, avant cette 
						date, pour toute la Lorraine, et nous n'avons pu en 
						découvrir que 10 dans l'arrondissement de Saint-Dié. Il 
						faut attribuer ce faible chiffre aux lacunes de nos 
						Archives dont la plus grande partie, et surtout la 
						procédure judiciaire, écrite sur papier, fut considérée 
						comme «  sans intérêt » et vendue au poids sous la 
						Restauration.
 Depuis le Xllle siècle, il y a des procès de sorcellerie 
						dans les Vosges. On connaît le décret du duc Raoul : «  
						Que celui qui fera magie, sortilèges, billets de sort, 
						pronostic d'oiseau, ou se vantera d'avoir chevauché la 
						nuit avec Diane ou telle autre vieille qui se dit 
						magicienne, sera honni et paiera 10 (sols) tournois (6). 
						»
 Errard, valet de chambre du duc Thiébaut, assure 
						également que sont en certains lieux gens de malencontre 
						et mauvouloir qui par sorcellerie diablerie et 
						négromancie ont pouvoir et métier d'affiquer en noeuds 
						d'aiguillettes les pauvres époux ..., etc. (7). »
 Les juifs, à qui les ducs Mathieu II et Ferry III 
						concédèrent à Saint-Dié toute la partie de la Grande Rue 
						comprise entre l'Hôtel de ville et le grand pont, furent 
						souvent accusés de sorcellerie. Richer, de Senones, 
						raconte (L. IV, ch. 37) un fait de ce genre arrivé de 
						son temps. Nous en donnerons le récit d',après Ruyr (8), 
						qui y ajoute quelques détails.
 
 Il advint que quelque temps après que ces juifs furent 
						introduits en l'endroit de la ville que nous avons dit, 
						un des leurs, estimé des plus subtil en nécromance, 
						avoit suborné une pauvre fille de la ville, encore que 
						chréstienne, pour servir aux affaires domestiques 
						d'icelui. Elle, pour gagner les commodités de sa vie 
						disetteuse, luy sert en tout ce qu'elle peut 
						honnéstement. Un jour, comme à cet effect elle se fust 
						transportée en la maison de ce juif, où il éstoit seul, 
						viens, dit-il, mange, car aussi faut-il que tu 
						travaille. .Mais à peine a-t'elle beu et mangé ce qu'il 
						lui avoit préparé, qu'elle se retreuve tellement 
						assoupie par la violence des drogues et enchantements de 
						ce perfide, qu'elle s'endort et perd tout sentiment: 
						Quoy voyant, il serre les portes de son losgis, prend en 
						mains certains outils et ferrements, ouvre les cuisses 
						de cette pauvrette et luy tire, par la nature, la 
						matrice ou les enfants peuvent èstre conçeus, et se la 
						reserve. Une heure après, comme le sort eust opéré son 
						effect, cette fille s'ésveille, misérablement ésplorée 
						par des douleurs insupportables qu'elle avoit 
						innocemment encourues par le maléfice de ce juif, qui de 
						cette occasion veut la consoler, lui promettant 
						merveille afin qu'elle n'en sonne mot. Mais quoy ! la 
						douleur trop véhéente qu'elle souffre, et ne scachant 
						encor bonnement le faict de sa mésaventure, s'éschappe 
						de la maison, redoublant ses gémissements, au bruit 
						desquels les femmes chréstiennes accourans et la voyans 
						sortir de ce Iosgis, luy demandent la cause de ses cris. 
						Je ne scay, dit-elle, mais je pâtis d'une extrême 
						douleur en mes intestins, par le maléfice de cet homme 
						juif qui a fait je ne scay quoy en moy, après m'avoir 
						donné à boire et à manger. Ces matrones l'ayant 
						conduitte en une maison, et recherchant curieusement 
						recongneurent le mésfait, un certain bourgeois de la 
						ville, prenant compassion de la fille, va la présenter 
						au prévost du Duc, lequel ayant fait venir à soy le 
						juif, luy fait son procès sur ses dénégations 
						précédentes. Les chréstiens, ésmeus de l'indignité du 
						faict, luy représentent et confrontent la fille 
						maléficiée par ses oeuvres. Convaincu finalement, il 
						confesse, sinon qu'il ne veut déclarer à quelle fin 
						méschante il avoit perpétré un faict si horrible. Il est 
						néantrnoins condamné à la mort, on l'attache à la queue 
						d'un cheval pour l'enmener au supplice. Il s'éscrie vers 
						celuy qui le traîne de vouloir interrnettre son cours et 
						qu'il a à déclarer chose d'importance, mais éstant 
						iceluy corrompu par les juifs à force d'argent, il ne 
						luy permet de proférer un mot en présence du peuple, 
						affin que ses consorts n'encourent disgrace de personne. 
						Parvenu au signe patibulaire, il est soudainement 
						éstranglé. Deux jours après, les juifs ayans rédimé son 
						corps, l'ensepvelirent en un certain canton de terre qui 
						leur éstoit désigné dans le ban et finage de Sainct-Dié, 
						lequel depuis se nomme le cemitière des Juifs. Le 
						manuscrit ne parle point que devint la pauvre fille.
 
 Un autre genre de sorcellerie est encore signalé dans ce 
						passage des mémoires de Florentin le Thierriat (9) qui 
						n'a pas encore été donné en entier et que le chroniqueur 
						dit avoir tiré d'un ancien manuscrit.
 En l'an que fut -1408 fut grande déconfiture de femmes 
						que disait on avoir privaultés et blandities avec 
						certain gentilhomme qu'avoit châtel en Vosges et qu'avoit 
						nom Romaric Bertrand (10). Fut le sire de Nancey qu'estoit 
						Senechal que fut en ordre por faire et parfaire ledit 
						procès dont advint jugement. Parquoi fut le susdit 
						Bertrand accusé d'avoir science de négrornance et 
						sorcellerie. Si fut onc qu'en eut et advint qu'icelui 
						avouat que par rnalengin et sorcellerie du diable avait 
						mis à mal rneintes filles et femmes en tant que naguère 
						en certain jour de la minuit à la deuxiesrne heures 
						avait eu joyeuses amours et acointances de femmes que 
						furent dix-huit de bon nombre en même jour, lequel 
						méfait les susdites femmes disoient et confessoient 
						avoir enduré, à leur grand contentement, et saoulement 
						de plaisir que n'avoient eu one en leur vie un tel 
						pourchas. Mais advenant que le susdit Bertrand avoit 
						grande repentance de sesdicts faicts et estoit au 
						demeurant bonhomme et loyal sujet, fut par grâce de Mgr 
						le Duc gratifié d'un prestre qui l'entendit à confesse 
						et rècipiscence, ce qu'on n'avoit usé en nos pays : 
						encore que fut d'environs sept ans l'us de nos voisins 
						de France.
 
 On trouve dans Gravier (11) le procès d'Idate, femme de 
						Colin Paternostre, du Ménil, «  convaincue de triage, 
						genocherie et matière contre la sainte foi ... (etc.), 
						que fut arsue, brûlée et fulminée » le 26 Août 1482 à 
						Senones, et l'on voit, par certains termes de la 
						condamnation, que d'autres exécutions avaient déjà eu 
						lieu dans cette localité.
 Ce- procès précède de deux ans la bulle d'innocent Vlll, 
						Summis desiderantes, par laquelle il règle la procédure 
						à suivre contre les sorciers (12).
 Au XVIe siècle, la sorcellerie prend tout son 
						développement. En 1530, Jeannon Didière est brûlée à 
						Saint-Dié, et son jugement, résumé par Gravier (13), 
						montre que bien d'autres avaient déjà été exécutées dans 
						cette ville. En l'année 1540, des chaleurs excessives 
						affectèrent certains tempéraments et les jetèrent dans 
						de telles agitations qu'on les crut possédés du démon et 
						que beaucoup furent jetés au bûcher. Puis l'arrivée des 
						troupes allemandes allant au siège de Metz, en 1552, et 
						qui apportaient de nouveaux germes de la religion 
						réformée, fit confondre les crimes d'hérésie et de 
						sorcellerie et les bûchers s'élevèrent de nouveau.
 Les sabbats se tenaient à Ormont, sur les 
						Roches-des-Fées, si régulièrement qu'il fallut les 
						exorciser en 1555, et on y lit encore cette inscription 
						:
 A. D. 1555. DIE 2° FEB. J. D. E. Wildestèn Exorcavit 
						hunc lapidem.
 
 Cette année, on fit périr de nombreuses victimes et, en 
						résumé, il faut évaluer à plusieurs centaines le nombre 
						des condamnations pour sorcellerie, dans notre 
						arrondissement, pendant les cent ans qui précédèrent la 
						nomination de Nicolas Remy.
 li reste à étudier la période du XVIIe siècle. Si 
						pendant les seize ans, dont parle Remy dans son livre, 
						on poursuivait en moyenne, chaque année, cent sorciers, 
						cette moyenne ne semble pas baisser pendant les trente 
						premières années du XVIIe siècle, d'après les documents 
						qui nous restent. M. Dumont a relevé, pour cette 
						période, 564 procès de sorcellerie en Lorraine, auxquels 
						il faut ajouter près d'un tiers de cas inconnus de lui 
						et mentionnés par divers auteurs modernes. A son 
						exemple, nous avons rassemblé tous les noms des sorciers 
						condamnés dans notre arrondissement et nous en avons 
						dressé une liste par localités et par dates, que l'on 
						trouvera à la suite de cette notice. Cette liste, plus 
						complète que celle de M. de Chanteau, qui ne contient 
						que 61 noms, s'élève à 250 cas; mais forcément 
						incomplète, par suite des lacunes des archives, elle ne 
						nous paraît même pas représenter le tiers du total 
						véritable, d'après l'estimation que nous avons faite 
						plus haut du nombre de condamnations sous Remy et 
						pendant les XVe et XVIe siècles. Nous évaluons donc le 
						nombre total des sorciers brûlés dans notre 
						arrondissement à plus de 600, et à 400 environ le nombre 
						de ceux qui résistèrent aux tortures ou échappèrent aux 
						supplices. Malgré les lacunes inévitables de notre 
						liste, nous avons cependant cru pouvoir utiliser ces 
						données pour tracer le tableau graphique qui se trouve 
						en tête de cette étude, et qui, résumant les divisions 
						de cette liste, permettra de comparer l'intensité et la 
						date des diverses périodes de l'épidémie, pour chacune 
						des parties de l'arrondissement, de 1600 à 1630.
 La courbe (A) du nombre des cas en Lorraine (en y 
						comprenant le Bassigny et les trois Evêchés) (14), est 
						sensiblement parallèle à celle (B) des cas appartenant à 
						notre arrondissement, et l'on voit que le total de ces 
						derniers est, comme nous l'avons dit plus haut, le 
						sixième du total des cas en Lorraine. De 1601 à 1606, 
						nous sommes loin d'atteindre cette proportion, et tandis 
						que la Lorraine élève de nombreux bûchers, nos 
						populations sont calmes; sans doute l'attention de Remy 
						est-elle détournée d'un autre côté. Remarque curieuse, 
						l'année de la retraite du Torquemada vosgien, 1606, est 
						aussi celle du minimum des cas. Le maximum lorrain de 
						1608 n'a qu'une faible influence à Saint-Dié, l'année 
						suivante. Mais de 1611 à 1616 se trouve notre maximum où 
						nous fournissons plus de la moitié des cas, et en 1629 
						nous atteignons les 7/8 du chiffre total. Enfin, en 
						1652, les Suédois occupent le val de Saint-Dié, et cette 
						année il n'y a aucun cas de sorcellerie.
 Les courbes (C) et (D) permettent de comparer la partie 
						de notre arrondissement dépendant de la juridiction du 
						Chapitre, de celle qui en était indépendante, comme Raon, 
						Etival, etc. Cette dernière semble avoir amené la 
						contagion. En effet, à ses trois maxima de 1609, 1611 et 
						1616 correspondent trois maxima sur le territoire du 
						Chapitre, mais régulièrement en retard de deux ans, 
						c'est-à-dire en 1611, 1613 et 1618; celui de 1629 est 
						seul concordant. Si le total des cas est légèrement plus 
						élevé sur les terres du Chapitre, cela tient à une sorte 
						d'état latent de la contagion, dans les dix premières 
						années du XVIIe siècle; mais en tenant compte de la 
						différence de superficie des deux territoires, celui du 
						Chapitre ayant une population triple de l'autre, et 
						comme nous lui avons encore ajouté 22 procès jugés à 
						Saint-Dié contre les sujets de ses possessions en dehors 
						de notre arrondissement, il faut en conclure que les cas 
						étaient relativement moins nombreux dans le val de 
						Galilée, ou que la juridiction du Chapitre était plus 
						douce que celles du Duc de Lorraine et des monastères 
						voisins.
 Les courbes suivantes caractérisent chacune des grandes 
						divisions de notre arrondissement. C'est dans celle de 
						Raon (courbe E) que commence la recrudescence de 
						l'épidémie en 1609, et qu'elle atteint le plus haut 
						degré en 1616 et 1629; c'est à elle qu'appartiennent 
						plus de la moitié des sorciers de notre région (46 sur 
						73). Le ban d'Etival (F) a son maximum, en 1611, deux 
						ans après Raon; mais mieux surveillé, la décroissance y 
						est rapide, et cette région, riche et bien cultivée, 
						n'est entraînée que pendant cinq ans. Le ban de Fraize 
						(G) a son maximum la même année qu'Etival, en 1611 ; 
						mais il en diffère en ce que la sorcellerie y reste en 
						permanence dans les montagnes, où chaque année on 
						découvre quelques sorciers dans les masures isolées. La 
						vallée de la Fave (H) est en retard sur les précédentes, 
						ayant son maximum de 1611 à 1618, avec une recrudescence 
						en 1629, comme Raon. Puis Saint-Dié (ville) (15), où la 
						sorcellerie semble à l'état latent, mais sans 
						effervescence, n'a que trois faibles maxima en 1605, 
						1612 et 1630 (K). Enfin les domaines du Chapitre (I), 
						compris dans le département de Meurthe-et-Moselle, mais 
						dont les accusés sont jugés à Saint-Dié, ont leur 
						maximum en 1613 (16).
 Il est donc visible que la contagion de sorcellerie a 
						suivi le chemin suivant : Raon, 1609; Etival, 1610; le 
						ban de Fraize, 1611; Saint-Dié, 1612, et la vallée de la 
						Fave, 1613.
 A quelle cause attribuer cette marche régulière du fléau 
						? Nous le dirons après avoir étudié ce qu'était la 
						sorcellerie dans nos pays et recherché si elle 
						présentait vraiment un caractère de contagion morale.
 Cette étude ne peut se faire que par la lecture 
						attentive des procès. Un certain nombre de dossiers plus 
						ou moins complets ont été conservés dans les archives 
						(17), et quelques-uns déjà ont été publiés par MM. 
						Dumont, Duhamel (18) et de Chanteau. En y joignant le 
						procès inédit et complet que nous allons donner, ces 
						documents suffiront pour se rendre un compte exact de ce 
						qu'on appelait un sorcier au XVIIe siècle, car ceux qui 
						se sont occupés de ces matières ont remarqué 
						l'uniformité singulière de tous les procès, dans les 
						accusations, dans les interrogatoires, et jusque dans 
						les réponses des accusés. Les aveux, même arrachés par 
						la torture, sont semblables et se suivent dans le même 
						ordre; en un mot, la ressemblance est tellement patente 
						que, comme l'a dit très justement M. Reuss (19), dans 
						son étude sur les sorciers d'Alsace, «  quiconque a 
						parcouru trente dossiers en a parcouru une centaine. »
 Le procès de Bastien-Jean Viney fait partie des 
						manuscrits de la bibliothèque de Nancy (20). Il provient 
						de la vente de M. Noël qui, dans son catalogue (n° 
						3945), dit le tenir de Gravier, qui lui-même l'acquit 
						sans doute lors de la vente de nos archives.
 Cette procédure date de l'année où l'on brûla le plus de 
						sorciers dans notre arrondissement, en 1611, la dernière 
						année de la vie de Nicolas Remy, celle où le ban d'Etival 
						et celui de Fraize fournissent les trois quarts des 
						exécutions de toute la Lorraine. Dans le canton de 
						Fraize, une petite localité, Ban-Saint-Dié (21), eut 
						cinq sorciers exécutés en 1611 ; c'est la dernière de 
						ces victimes dont nous donnons le procès.
 Bastien-Jean Viney, d'après les pièces du dossier, est 
						un cultivateur âgé de 50 ans; sa soeur Mougeatte est 
						mariée au lieutenant de Maire du Ban-Saint-Dié. Il est 
						riche, achète souvent des terres, prête facilement son 
						argent, quelquefois à gros intérêts, et l'offre aussi 
						libéralement à des connaissances de rencontre, qu'il le 
						refuse brutalement aux quémandeurs. Il subira donc à la 
						fois les rancunes des obligés et des évincés. Il s'est 
						marié deux fois : de sa première femme, Catherine, il a 
						un fils établi à Wisembach, de la seconde, Jacquette, il 
						a un jeune garçon nommé Adam. On lui connaît deux 
						défauts: quand il a bu, il fait de grands gestes et 
						divague tout haut; quand il discute, il use de cette 
						locution dangereuse : que le diable m'emporte ! Donc il 
						est sorcier. Le fait a été révélé par Catherine 
						Bartremey, sa voisine qui, sorcière elle-même, fut mise 
						à la torture quelques mois auparavant et, forcée de 
						nommer des complices, l'a désigné comme l'ayant 
						accompagné au Sabbat, sur le Brézouard. Catherine 
						Bartremey a été brûlée, ainsi que Claudatte du Joué de 
						Habaurupt, et Agathe Urbain, de Sachemont, et Michel 
						Bartremey, dénoncés également par elle; cette quadruple 
						exécution en appelle d'autres, et chacun s'empresse, en 
						chargeant Bastien Viney, de se débarrasser d'un 
						créancier gênant.
 Voici d'abord les dépositions des témoins :
 Informations préparatoires faites par M. du Bois, 
						lieutenant de maire pour le Chapitre de Saint-Diëz, 
						suivant les réquisitions du procureur d'office, contre 
						Bastien-Jean. Viney, accusë des crimes de sortilège et 
						vénéfice. (16 Décembre 1611.)
 1er Témoin. Marguerite, veuve de Jean Tisserand, du Ban 
						de Saint-Diéz, déclare que sont cinq ou six ans, un sien 
						fils nommé Claudel, pouvant lors avoir cinq ou six ans, 
						se print en jouant à disputer avec le fils dudit 
						prévenu, nommé Adam, dont son père fut rnary et commença 
						à menacer ledit Claudel, l'apellant jeune diable, et 
						qu'il l'aurait dans peu de temps ou que le diable ait 
						son corps et son ame, l'exhortant de se donner garde de 
						luy ; ce que la déposante ouït dire de ses oreilles au 
						prévenu. Environ l'este et l'automne suivant 
						immédiatement, ledit Claudel estant accompagné dudit 
						Adam, il monta sur le toit de la maison et venant par le 
						tuyau de la cheminée, tomba du haut en bas dans la 
						cuisine et se rompit une des courbes (côtes) en tombant 
						sur icelles. Ladite déposante ouït le bruit et accourant 
						à ladite cuisine, trouva ledit Claudel son fils tombé 
						pasmé : revenu à soy, déclara laquelle cheute provenir 
						de son imprudence. Néanmoins elle a doubté plutôt 
						provenir des vénéfices dudit prévenu, réputé dès 
						longtemps sorcier par bruit commun, pour se venger dudit 
						Claudel au nom dudit et dans son fils.
 Dit encore que trois mois ou tant après, estant ledit 
						Claudel son fils tout seul en un meix, joindant leur 
						maison, tenant un cousteau en main, il cheut de son 
						haut, et comme elle déposante n'estoit guère esloignée, 
						elle l'entendit pleurer et le trouvant depuis s'enquit 
						de la raison de son pleur, aquoy il respondit pour la 
						cheute qu'il avoit faicte dont il avoit reçu quelque 
						douleur en un sien oeil, mais qu'il n'y avoit plus mal, 
						aussy n'y vit ladite déposante aucune marque ou 
						cicatrice de pointe du cousteau. Or néanmoins dès le 
						lendemain ledit oeil recommença à pleurer et ledit 
						Claudel à se plaindre, de manière que tous les 
						médicaments y apportés et applicqués n'ont pu empescher 
						que ledit oeil ne soit esté perdu, lequel accident elle 
						déposante soubçonne aux vénéfices dudit prévenu pour se 
						venger dudit Claudel, suivant ce qu'il en avait promis.
 A encore déposé que sur les derniers jours de son marit, 
						le prévenu lui avoit preste argent, et pour asseurance 
						passé obligation, et par espécial abbout affecté une 
						pièce de champ, ne l'ayant peu avoir d'acquest, comme il 
						pensait et en avoit l'envie. Au bout de quelque temps, 
						ledit son marit le laboura et y sema de l'orge, de quoy 
						se moquant, ledit prévenu dit que Jean Tisserand avait 
						semé un beau champ d'orge, mais qu'il en serait empesché 
						d'y beaucoup moissonner ou recueillir, ce qui advint, 
						car combien que ledit champ, d'un journal et derny ou 
						environ, fut en bon estat et apparence de produire, sy 
						n'y leva il rien, ce qui fit croire à elle déposante que 
						sont esté les vénéfices dudit prévenu, en hayne de ce 
						qu'il ne peut avoir ledit champ par acquest et fut 
						ladite obligation achevée de payer par elle qui dépose. 
						Autre chose ne scait.
 2ème Témoin. Didier Barthrémey, du Ban-Sainct-Diez (22), 
						âgé de quarante ans, dit qu'un certain nommé Michiel 
						Pastioris, ayant eschappé des prisons de Tainctru, où. 
						il estoit détenu pour faict de vénéfice, fut poursuivy 
						par les Officiers qui taschoient de le ratrapper, et 
						comme à cest effect ledit prévenu les vit arriver parmi 
						le ban de Fraisse, il dit à luy déposant qu'en toute sa 
						vie il n'eut plus grand paour. Ce qui fit penser au 
						déposant que ledit prévenu craignait de soy mesme pour 
						pareil crime, ainsy qu'il en est ung bruit commung.
 3ème Témoin. Jean Biétrix, du Ban-Sainct-Diez, âgé de 60 
						ans, a dit que sont sept ans ou environ, ledit prévenu 
						retournait de Plainfain, et semble qu'il avait beu, 
						auquel il dit, l'ayant trouvé devant sa maison, que s'il 
						avoit affaire d'argent, il luy en presteroit, et qu'il 
						avoit je ne scay quel diable dans soy, frappant contre 
						sa poitrine, disant j'auray de l'argent, ne scait comme 
						il l'entendait, qu'est ce qu'il a dit, fors que par 
						bruict commun il est réputé sorcier.
 4ème Témoin. Claudon Jean-Claude, de Plainfaing, âgé de 
						60 ans, dépose que sont quatre ans qu'il print d'admodiation 
						la maitresse du Maire, Antoine Ferri, de Clevecy, audit 
						lieu de Plainfain, et à quoi faire ledit prévenu l'ayda, 
						pour de quoy se recongnoistre lui déposant lui promit de 
						bonne volonté, sans y estre invité, de luy donner un 
						voilon laictant (veau de lait), et comme ledict prévenu 
						n'y faisoit la demande de luy mesme, et voyant que luy 
						déposant ne satisfaisait à sa promesse, la femme dudict 
						prévenu vint au logis de luy déposant, mais ne peut dire 
						si elle y étoit envoyée par son marit, laquelle 
						s'adressant à sa femme, luy dict que son marit avoit en 
						sa maison un petit tourélat (taureau), et que le sien 
						lui en avoit aussy promis un, et sy elle le voulait 
						donner pour les nourrir ensemble. La femme de luy 
						déposant, oyant ce, se print de parolles à celle dudit 
						prévenu et dit que son marit avait seulement promis un 
						voilon laictant et non un tourelat, ainsy se partit sans 
						rien avoir. Ne peut dire sy elle déclara audit son marit 
						telle responce, mais a bien retenu que dès lors ils 
						n'ont pu nourrir ny eslever aucun taureau en leur 
						maison, et en ont du achepter s'ils en ont voulu avoir, 
						d'où ils soubçonnent vrayment que ledict prévenu, dès 
						longtemps réputé sorcier, les aura empesché pour se 
						venger de ne luy avoir délivré ledit tourelat demandé.
 5ème Témoin. Mougel Voinequin, du Ban-Sainct-Diez, âgé 
						de 56 ans, a déclaré que sont trois ou quatre ans, un 
						sien cousin nommé Jean Olry luy avoit octroyé de prendre 
						par vendition un sien champ pour vingt-quatre sous, ce 
						qu'il révéla au prévenu, l'ayant trouvé au logis de 
						Mangeon Pastioris, à quoy il respondit que le diable ait 
						son ame s'il en vouldroit donner dix-sept. Voyant luy 
						déposant que c'estoit peu de telles offres, et que luy 
						prévenu le dissuadait de le prendre pour les 
						vingt-quatre, il se doubta qu'il avoit envie de l'achepter 
						et lui déclara le doubte qu'il en avoit, à quoy il flt 
						responce que le diable eut son corps et son ame sy ainsy 
						estoit. Nonobstant telles affirmations, ledit prévenu 
						achepta ledit champ pour vingt-sept. Cela
 fait, trouvant ledit desposant, dict qu'il estoit fasché 
						contre luy pour l'aschapt dudit champ, mais que s'il le 
						vouloit pour le même prix qu'il avoit fait et en plus un 
						resal d'avoine qu'il avoit meslé en ladite somme, qu'ainsy 
						il lui céderoit son marché. Mais n'y voulut ledit 
						déposant entendre, mais répliqua qu'il en feroit la 
						rectraicte, se prétendant la pouvoir et debvoir faire 
						dans l'an du contraict, au moyen de la nourriture de 
						beaux bestiaux qu'il avoit, Mais il arriva tout à 
						rebours de son intention, car il fit perte des deux plus 
						beaux touriaux qu'il eut, tout soudainement, de manière 
						qu'il ne put faire ladicte retraicte. A l'opinion que 
						telle infortune est due aux vénéfices dudit prévenu, dés 
						longtemps réputé sorcier.
 Dit de plus qu'il avoit une jument à laquelle vint le 
						frouarre (?), et que ledit prévenu lui conseilla de s'en 
						dessaisir et qu'elle mourerait, suivant quoy il la 
						changea contre une vache dont ils ont refusé vingt escus 
						et du faict peu après mourut, comme aussi ladite jument 
						de Colas Humbert, la mort de laquelle ledit prévenu 
						prédit, et doubte le déposant qu'il les aura fait mourir 
						pour leur faire desplaisir.
 Déclare pareillement que depuis deux ou trois ans il a 
						achepté une pièce de pré d'une sienne belle-soeur dont 
						ledit prévenu fut desplaisant, parce qu'il la vouloit 
						achepter et avait promis donner un costilon (robe) à 
						sadite belle-soeur pour estre préféré au marché, 
						nonobstant quoy ledit déposant l'achepta. Depuis ledit 
						prévenu luy dit qu'il ne viendrait à ses prises et qu'il 
						lui en conviendrait renauder (regretter ?) En suitte de 
						ceste année, ledit déposant a fait perte, tant de 
						taureaux, génisses, vaches et chevaulx pour plus de 
						trois cents francs qu'il a toujours soubçonné provenir 
						des menaces précédentes et doubte qu'il avoit envie de 
						l'appauvrir.
 Dict finalement qu'estant en compagnie, il l'a ouï 
						appeler meschant homme et larron par Colas Viney, sans 
						qu'il en ayt poursuivy ni protesté de poursuyvre, raison 
						de telle injure.
 6ème Témoin. Jean Colin Malgenre, de Plainfaing, agé de 
						50 ans, a déposé que sont sept ou huit ans, qu'ayant 
						sorti de la maison ou hotellerie de Jacquot St Dizier et 
						s'en retournant au sien accompagné dudit prévenu, et 
						venu jusqu'es au jardin Borgne assez près d'un pray 
						joingnant le bois, ledit prévenu dit à lui déposant 
						qu'il avoit affaires, il ne le délaisserait jamais, et 
						qu'il avoit de l'argent quand il vouloit, et que le 
						diable lui en donnoit, ce qu'entendu, ledit déposant luy 
						respondit qu'il n'en vouloit avoir de telle façon. D'aussy 
						tôt il le quitta et ne le suivit plus !oing, se doubtant 
						de luy. Le lendemain matin, Blaison Jean Biétrix 
						s'enquit de luy déposant de ce qu'avoit dit ledit 
						prévenu.
 Lequel Jean Biétrix, 3ème témoin en ordre de la présente 
						informaon, s'est ressouvenu de dire soubs le meme 
						serment qu'il a presté que retournant un jour d'un 
						finage avec ledit prévenu, lui dit que l'on parloit 
						qu'il manioit un diabolicque, que communément l'on 
						appelle mariotte ou diable familier, et qu'il le Iuy 
						prestat un peu de temps pour voir s'il luy donneroit 
						argent. Respondit iceluy qu'il ne le voulait faire et 
						qu'il ne le scauroit nourir .
 7ème et 8ème Témoins. Confirment la déclaration 
						précédente.
 9ème Témoin. Jacquotte, femme de Colas Dany du Crény, 
						agée de 24 ans, a dit que son marit, chapelier de son 
						estat, et elle, estant nouvellement mariés, empruntèrent 
						audit prévenu sept francs, monnaie du pays, pour les 
						ayder à trafficquer et gaigner leur vie, soub parolle de 
						payer chacune sepmaine deux blancs d'intérest le fran. 
						Ce qu'ils manquèrent de faire deux sepmaines ou environ 
						qu'ils allaient hault et bas, et luy firent présent d'un 
						chappeau pour un sien garçon, mais on leur renvoya, ne 
						scait s'il n'estoit propre. Puis acquitèrent l'intérest 
						desdites deux seprnaines. Ne scait s'il fut indigné, 
						mais a bien retenu que lesdits sept francs ne leur 
						firent aucun profit, ains s'en allaient comme rosée et 
						toute la marchandise qui en provenait. Voire en ayans un 
						jour achepté des carpes, elles moururent et eux 
						pensèrent périr dans la neige du chemin, dequel accident 
						elle a estimé pouvoir devenir des vénéfices dudit 
						prévenu réputé sorcier communément.
 10ème Témoin. Humbert Colas Humbert, agé de 33 ou 34 
						ans, a dit que peu avant la St Jean, une sienne jument 
						avec un poulain d'un an furent prins par ledit prévenu 
						en dommaige dans un sien blé et les en mit dehors, puis 
						vint dire à luy déposant que s'ils y allaient encore 
						avant qu'il fut deux ans, il n'y iroient plus. Et jaçoit 
						le peu de temps qu'il y a de telles menaces, il en a 
						néanmoins senty les effects, car bien tost après, ladite 
						jument devint malade, laquelle enfin se guérit et du 
						depuis, ledit poulain devint malade, qui parfosi 
						continue en son mal auquel on ne peut trouver guérison, 
						ce qu'il estime provenir des faicts du prévenu dès 
						longtemps soubçonné sorcier, afin de se venger dudit 
						dommage.
 11ème Témoin. Colin Divoy, age de 40 ans, dit qu'estant 
						à un festain de Blaise Voinequin où estoit aussi ledit 
						prévenu, il eut dispute avec luy après vin boire, de 
						façon qu'il l'appela larron et dont il ne luy demanda 
						aucune réparaon ni amyable, ni par justice.
 12ème Témoin. Jeannon, femme à Colin Mengeon Colin, de 
						Plainfaing, agée de 45 ans, a dit que résidante assez 
						près du voisinage dudit prévenu, elle a voit un bas de 
						laine qui lui fut robé et ne scachant a qui le mescroire, 
						fut enfin advertie qu'iceluy prévenu le chaussait. Pour 
						de quoy estre mieux informée, se transporta au logis d'iceluy 
						et cerchant parmy la cuysine, trouva sondit bas de laine 
						dans des tricosses, qu'elle print aussi tost et sortant 
						du logis, commença à crier haultement que ledit prévenu 
						estoit un larron, en la maison duquel elle avoit 
						retrouvé sondit bas, de manière qu'encor il ayt menacé 
						ladite déposante de la faire mettre en prison pour telle 
						imposture, cy est il néanmoins qu'il n'en fit rien. Au 
						contraire fut envoyé devers elle un certain nommé Jean 
						Musnier qui la conseilla de se taire et luy donna trois 
						francs de la part dudit prévenu avec sondit bas. Depuis 
						ce temps la lui sont survenues beaucoup d'infortunes de 
						pertes de bestiaux qu'elle inféroit présentement audit 
						prévenu, attendu la réputation qu'il a d'être sorcier, 
						afin de tirer vengeance de l'insulte qu'elle luy avoit 
						faite.
 Les quatre témoins suivants déposent de faits 
						semblables. Ils ont fait des marchés avec le prévenu, ou 
						lui ont emprunté des sommes dont ils n'ont pu payer 
						régulièrement les intérêts, et se plaignent que leurs 
						chevaux ou leurs boeufs sont tombés malades.
 Le 17ème et dernier témoin, Jeannon, femme à Mougel 
						Blaison Jean Biétrix, agée de 40 ans, dit que sont 
						environ neuf ans, retournant de son ouvrage comme aussy 
						ledit prévenu, elle le rencontra tout joindant la maison 
						d'Andreas Colas Pierredon. Voyant un nommé Claudon 
						Quimbrot qui travaillait à un sien prey tout près, il 
						commença de dire à la déposante que ledit Quimbrot 
						venoit bien à ses peines ou au bout de ses affaires avec 
						contentement, semblant en estre mary ou envieux, que de 
						luy il prenoit grande peine et ne prospéroit rien. 
						Adjoutant que s'il avoit un compagnon, il irait à la 
						fougir (au sabbat) le soir de la veille Saint Jean, qui 
						n'estoit guère loin de ce tems la, et si son compère 
						Mougel marit d'elle déposante y vouloit aller, qu'ainsy 
						ils'y en iroient de compagnie. Ce qu'ouy, elle s'enquit 
						où on alloit et pourquoi faire, que quant à elle, elle 
						avoit entendu que certains jeunes hommes alloient à la 
						fougir pour éviter d'estre coupé ou blessé en batteries 
						ou querelles. Surquoy respondit ledit prévenu qu'il 
						fallait aller au prey de Raves ou sur le Brixouard, et 
						qu'il suffisoit de partir contre nuit fermant pour y 
						estre environ la minuit et que la estant, il se falloit 
						jecter le visage contre terre après avoir premièrement 
						invocqué le diable à trois diverses fois et quoyque l'on 
						entendit ou vit, il ne convenait sonner mot et laisser 
						emmy place un chappeau ou autre chose; dans quoy par 
						après le diable venait mettre une graine ou branche de 
						fougir ou fougière pour avoir du bien. S'enquit si 
						premier il fallait point se confesser ou communier. 
						Réplicqua que non et que quand un homme avoit prins 
						cela, il s'en venoit et estoit tousjours homme de bien 
						pourveu qu'il se signast. Ce qu'entendu, elle se partit 
						de luy sans luy dire autre chose. Qu'est tout ce quelle 
						a peu dire, fors qu'un jour elle le trouva es preix du 
						Praindu qui estait seul et se démenoit des bras, jurant 
						sa foy par deux diverses fois et s'arrestant sur ses 
						pieds, sans compagnie d'hommes ou femmes avec luy.
 Dit encore qu'elle ouit ledit prévenu dire à Jean 
						Biétrix que par Dieu il fallait boire et avoir de 
						l'argent, auquel ledit Biétrix repartit: Preste moi ton 
						diable. Auquel il respondit qu'il n'avait point de foin 
						pour le nourir. Qu'est tout qu'elle a pu déclarer.
 Signé : M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. RICHARD, 
						tabellion. Pour copie extraicte de l'original : N. 
						MIETTE.
 
 Trois jours après cette Information préparatoire, le 19 
						Décembre 1611, le prévenu subit un interrogatoire du 
						même lieutenant de maire, M. du Bois. Le procès-verbal 
						(in-folio de 16 pages) relate toutes les questions du 
						lieutenant et toutes les réponses du prévenu. Nous n'en 
						donnons que les passages importants.
 Interrogé s'il scait la cause de sa détention, dit n'en 
						rien savoir fors que Ion luy a adverty que Caterinne 
						femme à Didier Bartrémey (le 2ème témoin), précédemment 
						détenue pour le faict de sortilège, l'a chargé et accusé 
						d'être son complice.
 Requis s'il est bien net du faict de sortilège, dit 
						qu'il n'en pense point estre chargé.
 Enfin luy avons enjoinct de renoncer au diable et à ses 
						adjuvans, ce qu'il a faict.
 Puis vient un interrogatoire où le lieutenant reprend 
						tous les faits de l'instruction. L'accusé n'en nie pas 
						la partie sérieuse, telle que marchés, argent prêté, 
						rencontre avec divers témoins, mais proteste qu'il n'y a 
						rien de vrai, ni de possible dans les maléfices qu'on 
						lui prête, et répond par des négations de ce genre :
 Dit qu'il ne voie jamais la face de Dieu, s'il en est 
						ainsy.
 Dit qu'il ne plaise pas à Dieu.
 Dit qu'il ne l'a fait non plus que l'enfant qui est au 
						ventre de sa mère.
 Dit que son visage luy tourne sans devant derrière s'il 
						a usé de telles parolles, etc.
 Il se défend, du reste, avec énergie et présence 
						d'esprit; ainsi les bas qu'on l'accuse d'avoir volés, il 
						dit les avoir trouvés sur un fumier, sa femme les lava 
						et les mit parmi les siens, voyant que personne ne les 
						réclamait.
 L'interrogatoire se termine ainsi :
 Luy avons encore remonstré qu'il est impossible qu'il n'ayt 
						commis quelqu'ung des maléfices dont l'avons interrogé, 
						et que nonobstant il en disconvient indifféremment, ce 
						qui nous fait croire qu'il se parjure notoirement, que 
						pourtant il advise une fois pour toutes d'en dire la 
						vérité, autrement que nous luy confronterons les témoins 
						contre luy ministres qui luy soutiendront leurs 
						dépositions véritables et dont il sera convaincu des 
						faits par luy présentement déniés.
 Il a encore respondu qu'il ne nous scaurait autre chose 
						dire que ce qu'il nous a dit cy devant et qu'il est 
						homme de bien.
 N'ayant sceu tirer de luy aucune autre confession, nous 
						l'avons renvoyé en une chambre jusques à autre 
						ordonnance.
 De tout quoy sont esté présents, David, l'orphèvre, et 
						André Cairion, ambdeux bourgeois à Saint-Diey, tesmoins 
						à ce requis.
 Signé: M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. RICHARD, 
						tabellion. Pour copie tirée de l'original : N. MIETTE.
 
 La pièce suivante, datée du 21 Décembre 1611, est le 
						procès-verbal de la confrontation du prévenu avec les 
						témoins :
 Estant amené par devant nous, après qu'il a esté adjuré 
						solennellement de dire vérité, luy avons remontré 
						qu'avant fait il fut par nous interrogé sur beaucoup de 
						faicts résultant de la procédure préparatoire contre luy 
						instruite, desquels il en avait absolument disconvenu. 
						Ce qui nous a donné subject de le faire convenir par 
						devant nous, afin de scavoir si il a prins meilleur 
						advis et si il est délibéré de nous déclarer tous et 
						chacun des maléfices qu'il a commis depuis le temps 
						qu'il est sorcier. Autrement que nous serons contraincts 
						luy faire venir en confrontaon tous et chacun des 
						tesmoings requis en informaon contre luy, lesquels luy 
						maintiendront leurs dires véritables.
 Il a respondu que jamais il ne fit mal.
 Le voyant cy estre résolu de ne vouloir rien avouer, 
						avons jugé estre expédient de passer oultre, et à cest 
						effet, avons faict introduire et convenir par devant 
						nous les tesmoings suyvants :
 Chacun des dix-sept témoins répète alors ses 
						déclarations, et le prévenu y répond exactement comme 
						dans son premier interrogatoire, acceptant les faits 
						vrais, repoussant toutes les accusations de maléfices. 
						Le procès-verbal se termine ainsi :
 Laquelle confrontaon ainsy faicte, avons remonstré audit 
						prévenu qu'il veoit comme en sa présence tous lesdits 
						tesmoings, ouys en informaon contre luy, luy ont 
						maintenu leurs dires véritables, sans qu'il en ayt voulu 
						reproscher aucuns et auxquels étant adjoutée plus de 
						foid que non pas à toutes ses dénégations. C'est 
						pourquoy nous l'admonestons encore ceste fois pour 
						toutes, qu'il ayt à nous dire et déclarer franchement 
						tous les maléfices et sortilèges qu'il a commis, avant 
						que nous procédions contre luy avec les rigueurs de la 
						question, laquelle nous serons contraints luy faire 
						endurer au cas il persistera dans ses dénégations.
 Il a respondu qu'il ne dira que ce qu'il scaura et ne 
						veult damner son ame.
 Voyans qu'il n'y avoit moyens de tirer de luy aucunes 
						confessions, nous l'avons renvoyé en une chambre avec 
						gardes jusques a autre ordonnance.
 Desquelles ont été présents Andreu Cairion et David, l'orfebvre 
						de Sainct-Diey, tesmoings.
 Signé: M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. MIETTE.
 
 On voit que cette première partie des interrogatoires ne 
						révèle encore aucun fait patent de sorcellerie. Les 
						témoins attribuent la maladie de leurs bestiaux aux «  
						sorts » jetés par l'accusé, ne cherchant point d'autre 
						raison des épizooties si fréquentes à cette époque, par 
						suite de la communauté des pâturages.
 Sur ces dix-sept témoins, douze reconnaissent 
						spontanément avoir emprunté de l'argent à Bastien Viney, 
						et l'un d'eux, qui n'a pu en payer les intérêts, se 
						plaint naïvement d'avoir gaspillé cet argent «  qui s'en 
						alloit comme rosée. » Les rancunes mesquines et les 
						haines secrètes ont beau jeu: l'inimitié héréditaire 
						entre familles, des paroles de menace prononcées dans un 
						moment de colère, l'âpreté du gain qui travaille 
						l'esprit du paysan et même l'ingratitude pour les 
						services rendus, tout se réunit pour accabler un 
						innocent. On peut juger par là de l'état des esprits 
						dans nos villages, à une époque pourtant éclairée et 
						féconde en hommes instruits.
 La justice ne fait rien pour contrôler ces faux 
						témoignages, le serment de dire la vérité n'existe même 
						pas. Aussi comprend-on les magistrats de Strasbourg qui, 
						terrifiés de cette épidémie de dénonciateurs de 
						sorciers, les faisaient coudre en un sac et jeter dans 
						l'Ill du haut du Pont-du-Corbeau, quand leur témoignage 
						était reconnu faux.
 Pendant les confrontations, ces témoins qui n'épargnent 
						ni les invectives, ni les menaces à l'accusé dont ils se 
						croient les victimes, l'accablent d'inculpations 
						absurdes et semblent croire de bonne foi à leurs propres 
						inventions.
 Et quelle défense peut opposer le malheureux à ces 
						accusations terribles ? Il ne lui est permis ni de citer 
						un témoin contradictoire, ni d'avoir un défenseur. Il 
						n'a plus ni parents, ni amis, ni soutien. Dans un 
						millier de procès, on n'a pas trouvé un seul témoin à 
						décharge, un seul accusé soutenu par un avocat. Les 
						magistrats étaient d'avis que tout témoignage, tout 
						plaidoyer en faveur des sorciers était payé par Satan, 
						et le témoin ou l'avocat devenaient eux-mêmes suspects 
						de sorcellerie.
 Si l'accusé, fort de son innocence, persiste dans ses 
						dénégations et refuse d'inventer les mystères du Sabbat, 
						qu'on le presse de révéler, les juges ne voient dans 
						cette attitude qu'un résultat de sa profonde perversion. 
						Ils ont un moyen infaillible d'arracher ses aveux : la 
						torture. li suffit que le procureur du Chapitre rende 
						une ordonnance le condamnant à la question et qu'elle 
						soit approuvée par les échevins de Nancy. Cette 
						approbation était une barrière que le Duc Antoine avait 
						cru placer entre la vie et la mort de ses sujets; mais 
						en réalité, les échevins de Nancy semblent n'user de 
						leurs lumières et de leur influence que pour encourager 
						à frapper les malheureux. L'avis qu'ils donnent n'est 
						jamais que la sanction des sentences impitoyables, 
						encore en aggravent-ils souvent la dureté. Aussi 
						l'histoire a-t-elle réuni leurs noms à celui de Remy, 
						dans la même réprobation (23).
 On verra avec quelle rapidité se traitent ces formalités 
						: le dernier interrogatoire de Bastien Viney est du 21 
						Décembre, le même jour l'ordonnance du procureur est 
						rendue, et le 25 elle revient approuvée de Nancy. Voici 
						ces deux pièces:
 Le soubscrit Procureur d'Office de Messieurs les 
						Vénérables, Doyen, Chanoines et Chapitre de Sainct-Diey, 
						qui aveu la procédure extraordinaire instruite à sa 
						requise par les Lieutenant de Maire et gens de justice 
						pour mesdits sieurs audit Sainct-Diey, à l'encontre de 
						Bastien-Jean Viney, leur subject du ban Sainct-Diey, 
						prévenu et accusé du crime de sortilège et vénéfice, 
						savoir l'informaon préparatoire, son audition de bouche, 
						les récolements et confrontaons des tesrnoings, un 
						extraict d'accusation de luy faicte par Catherine, femme 
						à Didier Bartremey, convaincu dudit crime, par lesquels 
						actes ledit prévenu se trouve chargé d'avoir causé la 
						mort par maladie de plusieurs bestiaux et d'avoir 
						invocqué le diable par jurements pour avoir argent de 
						luy, mesme soubconné de l'avou dans sa maison, 
						nonobstant qu'il en fait négation, requiert ledit 
						procureur, pour purger les indices violents qui 
						résultent de ladite informaon, que le dénommé Bastien 
						soit condamné d'ètre applicqué à la question ordinaire 
						en y observant la médiocrité due à justice, pour durant 
						les tourments d'icelle estre exactement interrogé sur 
						tous et chacquun des faicts dont il se trouve atteint, 
						afin qu'estant du tout procès-verbal dressé et à luy 
						procureur communicqué, il y puisse prendre telles fins 
						et conclusions qu'il incombe à faire raison, sans 
						préjudice néanmoins au cas qu'il ne se trouverait 
						convaincu dudit crime, de faire informer ampliativement 
						contre luy cy-après pour les faicts dont il est 
						notoirement suspect, si faire le veult.
 Faict audit Sainct-Diey, le XXI Décembre. Signé: J. 
						CLÉMENT.
 
 Cette ordonnance est approuvée par les échevins de 
						Nancy, ainsi qu'il suit :
 Les Maistre Eschevin et Eschevins de Nancy, qui ont veu 
						le présent procès extraordinairement faict contre 
						Bastien-Jean Viney, prévenu et déféré du crime de 
						sortilège et vénéfices, client qu'il y a matière 
						d'appliquer les appareils de la question audit prévenu, 
						et au cas que pourtant il ne vouldroit confesser chose 
						aucune de ses prétendus maléfices, lui faire sentir les 
						grésillons seulement avec médiocrité, et cependant de 
						l'interroger bien particulièrement sur toutes et 
						chacunes charges résultantes contre luy dudit procès, 
						pour le tout rédigé en escript et procès-verbal dressé y 
						estre en après ordonné ce que de raison. Faict à Nancy, 
						le XXIII Décembre 1611.
 Signé : GUICHARD, DE GONDRECOURT, NOIREL, REGNAULDIN et 
						MAIMBOURG.
 Pour copie prinse et extraicte de l'original : N. 
						MIETTE.
 
 Transportons-nous donc «  en la tour dite Mathiatte, en 
						laquelle on a accoustumé questionner. » L'accusé y est 
						conduit six jours après, le 29 Décembre, devant le même 
						Dubois, lieutenant de maire. Cette tour, de sinistre 
						mémoire, car elle fut le donjon de Mathieu de Lorraine, 
						Grand-Prévôt, était située au point culminant des 
						jardins de l'évêché actuel (24). Sous le sol se trouvent 
						les cachots, d'où les condamnés peuvent entendre les 
						plaintes des victimes, et au-dessus, dans une salle 
						basse, la chambre de torture. Là se tient le juge et ses 
						deux assesseurs, sur une tribune, et en face, auprès des 
						instruments de torture, le bourreau de la ville, ses 
						aides et la vile personne, c'est-à-dire le tondeur de 
						chiens et écureur d'égouts, dont le rôle était de raser 
						entièrement l'accusé, homme ou femme, jusqu'au dernier 
						poil, sous l'imbécile prétexte d'enlever tout refuge au 
						malin esprit.
 Les instruments de torture que l'on va appliquer à 
						Bastien Viney sont les grésillons, l'échelle et les 
						tortillons.
 Les grésillons se composent de trois lames de fer se 
						rapprochant à l'aide d'une vis qui les serre à volonté. 
						Le bout des doigts du patient est introduit entre les 
						lames jusqu'à la racine des ongles, pour les mains et 
						pour les pieds, puis on serre cet étau jusqu'à 
						l'écrasement. Il suffit d'avoir eu le doigt pincé, une 
						fois dans sa vie, entre deux corps durs, pour se faire 
						une idée de la douleur qui devait en résulter.
 Le patient est ensuite couché nu sur une échelle 
						horizontale de deux mètres et demi de long, les pieds 
						attachés au barreau inférieur et les mains liées à une 
						corde qui s'enroule sur un treuil fixé à l'autre bout. 
						Par la traction, le corps se tend jusqu'à ne plus 
						toucher l'échelle que par un point sous lequel on place 
						une bûche taillée en couteau. La traction redouble, 
						jusqu'à la désarticulation des membres, et cependant le 
						patient, pour échapper à la douleur de ce couteau qui 
						sous le poids du corps lui entre dans les chairs, fait 
						d'horribles efforts pour s'arc-bouter en arc de cercle.
 Enfin on lui applique les tortillons, c'est-à-dire des 
						cordes enroulées plusieurs fois autour des bras, dans 
						lesquelles, après les avoir nouées, on passe un bâton 
						qui, servant de tourniquet, fait entrer les cordes dans 
						les chairs à chaque impulsion.
 Cependant, avant d'employer la torture, le juge fait un 
						dernier effort pour obtenir des aveux spontanés, comme 
						le constate le procès-verbal.
 Interrogé s'il a pris meilleur advis et si il est 
						délibéré de nous confesser la vérité de tous les 
						maléfices et sortilèges qu'il a commis depuis qu'il est 
						hanté et abusé du diable, il a répondu qu'il ne saurait 
						dire aultre chose, sinon qu'il est homme de bien et que 
						faisions de luy ce que nous plaira.
 Voyant qu'il s'estoit arrêté à ceste résolution de ne 
						rien confesser sans contrainte, l'avons fait razer de 
						toutes les parties de son corps par la vile personne de 
						Sainct-Diey, et admonesté de penser au salut de son ame 
						et s'acquitter du serment, et le prester, en déclarant 
						tous les maléfices qu'il a commis, il a respondu qu'il a 
						toujours vescu à la crainte de Dieu, son bon maître, et 
						non aultrement.
 Luy avons encore faict veoir les appareils de la 
						question avec ménasses que la ou il ne vouldroit 
						déclairer librement la forme et origine de la tentaon, 
						comme aussi le nom du malin qui l'a tanté, qu'ainsy nous 
						serons contraincts lui faire sentir les rigueurs et 
						tourments d'icelle. Il a dit que le bon Dieu luy soit en 
						ayde et lequel il n'a jamais quitté.
 Interrogé combien de temps il peult avoir qu'il est 
						sorcier, dit qu'il ne fut jamais aultre que homme de 
						bien.
 Remarquans que nonobstant plusieurs interrogats à luy 
						faicts, il n'y avoit moyen de tirer aucune confession de 
						ses maléfices, avons ordonné à maître Poirson, exécuteur 
						de haulte justice au duché de Lorraine, de l'applicquer 
						à la question, suyvant les advis qu'en avons. Et de 
						laquelle, ayant ledit prévenu senty les douleurs et 
						tourments, il a prié pour l'honneur de Dieu d'estre mis 
						a delivre et qu'il nous dira la vérité de tous les 
						maléfices qu'il a commis depuis qu'il est sorcier.
 Donnant lieu à sa prière, l'avons faict mettre à délivre 
						et fait asseoir auprès du feu où estant il a commencé à 
						dire : Que sont environ vingt ans, qu'allant à la 
						montagne appelée Lamangarde, sise au-dessus de leur 
						village, il trouva un petit homme habillé de noir, sans 
						barbe, qui luy dit qu'il estait bien fasché contre 
						Catherine, sa femme, pour ce qu'elle n'avoit pas bien 
						faict à son gré, mais qu'il la fallait excuser, même 
						qu'il n'avoit pas beaucoup de moyens, et que si il 
						vouloit croire à luy, il luy en donnerait assez, à quoy 
						il s'accorda, lequel luy fit (à son grand regret) renier 
						Dieu, aussitôt luy disant qu'il s'appelait Maître Napnel, 
						puis le pinça sur l'espaule gauche, et duquel il reçut à 
						deux fois de l'argent, comme il disoit, mais y 
						regardant, ce n'estoit que de la poulcière, plus d'une 
						sorte de pouldre de couleur jaulne, laquelle il disoit 
						estre bonne pour faire mourir gens et bestes, adjoutant 
						qu'il luy en donnerait encore d'aultre façon.
 Interrogé sur qui il esprouva premièrement ladite 
						pouldre, dit sur un sien petit porcq, lequel après avoir 
						mangé de ladite pouldre qu'il avoit jecté au devant de 
						son logis, fut mort soudainement. A confessé avoir faict 
						mourir feue Catherine, sa première femme, au moyen de 
						ladite pouldre jaulne qu'il luy mit dans du potage, et 
						ce en hayne de ce qu'elle avait donné du blé à manger à 
						leurs porcs, et laquelle ledit maître Napnel luy avoit 
						dit qu'il guériroit, mais l'en ayant requis de le faire 
						pendant sa maladie, il ne le voulut faire, adjoutant 
						qu'il n'y pouvoit rien apporter, parcequ'elle avait esté 
						communier, et tiennent communément entre eulx qu'ils 
						n'ont nulle puissance de donner guérison pour sortilège, 
						lorsque les personnes unt receu le sainct sacrement de 
						l'autel.
 A déclaré encore avoir avec de ladite pouldre voulu 
						faire mourir un porcq à Mangeon Colas Humbert, et ce en 
						hayne de ce qu'il prenait l'eau dans son prey pour 
						abreuver un autre sien le joignant, qu'il avoit acquesté.
 A convenu que depuis qu'il est constitué prisonnier le 
						dit maitre Napnel l'a esté visiter et trouver en prison, 
						luy disant qu'il ne dise rien et qu'il endure tant qu'il 
						pourrait.
 Quoy sont entièrement tous les maléfices qu'il nous a 
						peu confesser, nous suppliant de luy donner délay 
						jusques à demain matin pour s'adviser de tout ceux qu'il 
						peut encore avoir commis et desquels il ne manquera de 
						nous en faire déclaraon, afin de faire le salut de son 
						âme.
 Interrogé en quel lieu il a esté au Sabat et assemblées 
						du diable, a dit en un lieu dit à Mengin Fontaine où il 
						banquetait avec plusieurs personnes y estant, mengeant 
						de beaucoup de sorte de chair qui n'était guère bonne 
						parce qu'elle n'était salée et faisait la cuisine 
						Catherine, femme à Didier Bartremey du Ban St Diey, qui 
						l'a cy devant accusé pour complice, et à son absence 
						Marion, femme à Colas le Xongre.
 Quelles personnes il aveu et recongneu audit Sabat, l'advisant 
						de n'accuser personne à tort et malveillance ou désir de 
						vengeance sous peine de perdre son ame. A dit qu'il y 
						aveu et recogneu Colas Colignon décédé, Humbert Jeandel, 
						Catherine, femme audit Didier Bartremey, Marion, femme à 
						Colas le Xongre, Hantzotte de Habarux, Mengeatte, femme 
						à Andreas Colas Pierre, sa soeur, Didier Claudel, Didier 
						de Noiregoutte et la vesve Jean Menginat de Scaurux.
 Interrogé pourquoy il ne nous a pas déclaré librement, 
						sur les remonstrances que luy avons faites, avant que 
						d'endurer aucun tourment de la question, la forme de sa 
						tentation, ensemble les maléfices qu'il nous a déclarés 
						avoir commis, a respondu que ledit maitre Napnel, son 
						maître, estoit en son corps qui l'empeschait de dire la 
						vérité, lequel en est sorty par la bouche comme une 
						fumée.
 Voyant le tard arriver, avons laissé ledit prévenu avec 
						gardes en ladite tour Mathiatte, jusques à demain matin, 
						et à cest acte sont esté présents Dieudonné Virionni et 
						David l'orfebvre, de Sainct-Dié, témoings.
 Signé : M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. MIETTE.
 
 Ainsi, après avoir soutenu son innocence avec la plus 
						grande fermeté, tant qu'il n'a pas subi les horreurs de 
						la torture, l'accusé s'avoue sorcier dès que le bourreau 
						lui a fait sentir les tourments. Il se déclare possédé 
						du démon Napnel, démon de second ordre, car la véritable 
						incarnation de Satan dans les Vosges, c'est maître 
						Persin. S'il n'a pas avoué plus tôt, c'est que maître 
						Napnel l'a visité dans sa prison et lui a défendu de 
						parler, qu'il est même entré en lui, durant les 
						interrogatoires, et n'en est sorti, sous forme de fumée, 
						qu'aux premières souffrances de la torture.
 Peut-on supposer qu'une telle réponse n'ait pas été 
						dictée, ou tout au moins suggérée par les juges ? On la 
						retrouve invariablement la même dans tous les procès. 
						L'accusé était enfermé dans ce dilemme : ou il s'avouait 
						coupable, ou il se déclarait innocent, preuve qu'il 
						était encore plus possédé du démon, et il serait brûlé 
						dans les deux cas.
 Il ne faut, du reste, prendre la rédaction de ce 
						procès-verbal que pour ce qu'elle vaut. Sous forme 
						d'aveux spontanés de l'accusé, le juge transcrit ses 
						propres réponses aux questions qu'il fait, se contentant 
						d'un signe affirmatif du malheureux rompu par la 
						torture. S'il était sténographié, l'interrogatoire 
						aurait cette forme :
 En quel lieu se tenait le Sabbat ? N'est-ce point à 
						MenginFontaine? - Oui. - N'y avez-vous point banqueté 
						avec plusieurs personnes ? - Oui. - Qui faisait la 
						cuisine ? N'est-ce point Catherine Bartremey ? - Oui, 
						etc.
 L'effroi et la souffrance paralysant l'imagination du 
						patient, le juge le dispensait d'inventer lui-même les 
						mystères du Sabbat et le détail des maléfices, en lui 
						posant une interminable série de questions de détail, 
						qu'un formulaire et son expérience de procès semblables 
						lui fournissaient. Sous la pression des intolérables 
						douleurs de la torture, le patient répondait par un 
						geste, se hâtait d'avouer tout ce qu'on voulait, 
						préférant la mort, qu'il savait maintenant inévitable et 
						prochaine, à ces incessantes souffrances.
 Quelques-uns cependant résistèrent aux plus cruelles 
						tortures et nièrent jusqu'au dernier moment. Parmi ces 
						courageuses victimes, il faut citer Jennon, femme de 
						Claudon Georges, de Sainte- Marguerite (1599), Claudatte, 
						fille de Jehennon Marchal, de Moyemont (1615), Jennon, 
						veuve Je Colas Paticier, de Saint-Dié (1610), et surtout 
						Dominique Cordet, curé de Vomécourt, torturé à Saint-Dié 
						et à Toul, en 1632, et dont il est impossible de lire, 
						sans frémir d'épouvante, le long procès-verbal de 
						torture qui relate fidèlement tous les cris d'angoisse 
						du patient. La fermeté de ces innocents fit pâlir les 
						bourreaux; elle aurait dû convaincre des magistrats, 
						elle ne les rendait que plus impitoyables.
 
 Mais les aveux de Bastien Viney n'ont pas encore 
						satisfait ses juges. Il lui faut passer par toutes les 
						questions du formulaire. On l'amène de nouveau à la 
						Chambre de torture.
 Le lendemain matin, nous, Lieutenant de Maire et gens de 
						justice susdits, sommes de rechef allé trouver ledit 
						Bastien prévenu, auquel avons demandé s'il est bien 
						commémoratif des confessions que nous fit hier du jour 
						et si c'est la vérité, mesme qu'il ayt à nous déclarer 
						les aultres maléfices qu'il peut avoir commis, tant 
						ceulx portés en son informaon qu'autres, suyvant la 
						promesse qu'il nous en fit hier, à notre partement 
						d'auprès de luy, et s'acquitter du serment que luy avons 
						faict prester derechef de dire vérité.
 li a respondu qu'il a fort bonne souvenance de tous les 
						maléfices qu'il nous a confessés et que c'est la pure 
						vérité et a dit qu'il se veult acquitter totalement de 
						ses faultes et les veult dèclairer librement et a 
						desuitte déclairé que sont environ cinq ans qu'il s'en 
						allait à Visembach veoire un sien fils qui y réside, il 
						rencontra devers luy en son chemin un grand homme noir 
						qui luy dit qu'il étoit bien fasché contre Jacquotte sa 
						femme, et que si il voulait croire à luy, il auroit du 
						bled assés, ce qu'il fit, et à l'instant luy fit. renier 
						Dieu et son baptème et le pinça sur l'espaule gaulche et 
						sur le front et luy dit qu'il s'appeloit maître Persyn, 
						luy donna de l'argent dans un cornet de papier, mais y 
						ayant regardé peu après, ce n'estoit que de la poulcière 
						et de la pouldre de deux sortes, l'une noire pour faire 
						mourir, et l'aultre verte pour guérir.
 Interrogé si lorsque ledit maître Persyn le tenta, il 
						recongnut pas quelle estoit sa forme et comment cela se 
						peult faire d'avoir deux. maitres au Sabat, il a encore 
						respondu que comme ledit Persyn le tanta en la forme cy 
						dessus, et le pinçant comme il a déclaré, il luy dit 
						qu'il estoit desjà séduit d'ailleurs et recongnoissant 
						la marque du diable qui l'avait tousché, luy déclarant 
						le nom d'iceluy et l'appelant maître Napnel, ores que 
						luy ne luy en eut aucunement parlé, luy spécifiant le 
						temps, le lieu et quantité des années qu'il y avoit 
						qu'il estoit sorcier, veoir le prix qu'il avoit convenu 
						de donner annuellement audit Napnel le soir des Noires 
						Rois, qu'estoit une poulle noire qu'il luy donnait en 
						main sur heure prime de nuict, puis l'ayant prinse se 
						disparasoit, le tout afin qu'il fut exempt de commettre 
						beaucoup de maléfices, à sa solicitance qui le menassoit 
						de le tuer et le pincait avec des grosses pattes, avec 
						griffes fort longues et noires.
 Dit encore qu'il esprouva ladite pouldre noire dudit 
						Persyn sur deux siens jeunes vailons (veaux) et deux 
						siens porcs, par chacune année un, donnant audit vailon 
						à leschie de ladite pouldre dans sa main, et auxdits 
						porcs y en jectant dans l'auge où ils mengeaient, meslée 
						avec des anoydiés (?) quand ils retournaient des champs.
 A confessé qu'ayant le fils de feu Jean Tisserand, nommé 
						Claudel, disputé avec Adam son fils et s'entrebattu, luy 
						prévenu en fut mary et n'osant s'en venger de paour du 
						malgré du dit Tisserand, ledit Percyn s'apparut 
						soudainement a luy et dit qu'il exécuterait son 
						intention s'il voulait, sans rien craindre. A l'instant 
						mème, comme ledit Claudel estoit monté sur le tuyau de 
						leur cheminée avec autres jeunes garçons, iceluy tomba 
						du hault en bas dans la cuysine, aussitot ledit Persyn 
						trouva en son chemin ledit prévenu et luy déclara l'effect 
						de son entreprinse et que ledit prévenu en avoit esté 
						transsy. Mais qu'aussitot il le fit revenir à soy, et 
						que comme son intention n'estoit de le faire mourir, 
						ains de luy apporter quelqu'incommodité en son corps, 
						dès lors mème l'oeil luy commença à troubler et 
						continuant de mal en pis, l'a perdu comme nous l'avons 
						veu.
 A déclairé qu'ayant envie de nuire a Mougel Voinequin 
						pourcequ'il avoit envie de retirer des mains dudit 
						prévenu un champ qu'il avoit achepté de Jean Olry, se 
						trouvant en un Sabat, ledit Persyn luy ayant demandé que 
						si il ne voulait pas effectuer sa mauvaise volonté et 
						luy ayant respondu que si Iuy la voulait mettre à effect 
						il en estoit content, iceluy Persyn et une nommée 
						Cathelon, femme à Colas Simon le Vieux en prindrent 
						charge, et du faict firent mourir aux Voinequin deux 
						touriaux, une vache et un cheval.
 Il dit estre vray qu'à plusieurs et divers tesmoings 
						produits des informaons contre luy, il a dit qu'il avoit 
						de l'argent quand il vouloit, mais entendoit cela 
						desdits maîtres Napnel et Persyn, desquels il en a receu 
						plusieurs fois, leur en demandant, estimant qu'une fois 
						entre autres, ils luy en donnoient du bon, mais ils 
						l'ont toujours trompé, d'aultant qu'en y advisant, il a 
						tousjours trouvé des feuilles de chesne et de la 
						poulcière.
 A convenu de l'usure des dix-sept francs qu'il presta à 
						Jacotte la chapellière et recevoit d'elle ou de son 
						marit deux blancs du franc par chacune sepmaine. A dit 
						que ledit maître Persyn, son maitre, le vint trouver et 
						luy persuada que Marie, femme à Didier Jean Méline, qui 
						l'apelloit meschante femme, lui faisoit tort pour la 
						maison qu'il avoit acheptée de son maryt, qu'il lui 
						fallait faire quelque destourbire pour se venger d'elle, 
						à quoy il donna son consentement et ainsy Iuy fit ledit 
						Persyn mourir des chèvres.
 Convient qu'à l'aide dudit Persyn, son maître, il a fait 
						mourir à Blaison Voinequin deux touriaux, l'un une fois 
						et l'autre six sepmaines après, et une vache demi-an 
						après, pour ce qu'il luy rendait l'argent qu'il luy 
						avoit preste.
 Dit qu'estant fasché d'avoir trouvé en dommage dans un 
						sien prey le cheval de Jean Mandray, ledit maitre Percyn, 
						le plus contrefaict de ses deux maîtres, se transforma 
						en loup, estrangla ledit cheval et le destrippa, l'ayant 
						trouvé dans le prey Mangeon Colin, du consentement de 
						luy prévenu, auquel ledit Persyn vint dire le lieu où il 
						avait exécuté son faict, et ce pour se venger dudit 
						dommage.
 A confessé que sont sept ou huit ans qu'un vendredy soir 
						ledit maître Napnel vint heurter à sa porte du côté du 
						meix (jardin), accompagné qu'il estoit de Marion, femme 
						à Colas le Xongre de Noiregotte, les sommant d'aller à 
						la fougire par compagnie, afin d'avoir argent. Si tost 
						que luy prévenu et ladite Marion eurent pissé sur le 
						pied dudit Napnel, ils se trouvarent au prey de Rauve et 
						au Bresvoir, où ils se jectarent la face en terre, 
						appelants le diable par deux fois, qui arrivant leur 
						donna de l'argent dans un cornet, mais il n'y avait rien 
						dans le sien, non plus qu'en celuy de ladite Marion, 
						ainsy qu'elle lui a recongneu, que des feuilles de 
						chesne, et laquelle Marion ledit Napnel emmena ..... et 
						qu'il en fit ..... et luy ne la trouva que longtemps 
						après au prey de Rauves,
 A finalement confessé qu'à diverses fois ledit maître 
						Napnel, son premier maître, l'a bien battu, parce qu'il 
						ne vouloit faire mourir plusieurs bestes, comme il l'en 
						sollicîtoit, jusqu'à ce qu'il eut accord avec luy de la 
						poule noire cy dessus mentionnée.
 Que sont entièrement tous les maléfices que dît avoir 
						commis et qu'il en a soubvenance, nous suppliant de le 
						croire ainsy que de nous contenter de ce qu'il a 
						déclaré.
 Interrogé quelles personnes il a veu et recongneu audit 
						Sabbat, outre iceulx cy devant déclarés, l'advîsant de 
						n'accuser personne à tort, sous peine de dampnaon 
						éternelle, a dit qu'il a veu et recongneu outre les 
						précédents, Mougel Pastioris, de Plainfaing, 
						présentement absent du pays, Cathelon, femme à Colas 
						Simon le vieux, subject à Messieurs les comtes et barons 
						(de Ribeaupierre ?), Louys Combault et Claudate des 
						Joyes, de Habarux (25).
 En quel lieu se tenoit ledit Sabbat et ce qu'il y 
						faîsoît avec ses complices, et combien de fois il y 
						alloit par an, dict à Mengin Fontaine six ou sept fois 
						par an, où les susnommés banquetaient et mangeaient des 
						oisillons, outre les chairs qu'il nous a dit, mais mal 
						assaisonnés, d'autant que le sel manquait, que n'y 
						voyoit pain ni vin, que le feu ne cuysoit pas bien les 
						viandes et n'estoit semblable à cet ange de Dieu qu'il 
						voyoit, qu'estoit le feu auprès duquel il estoit (26), 
						et ledit Sabat fini, ne se voyoit aucune marque du feu 
						ni de ladite cuisine. Que il a dansé avec ses complices 
						audit Sabat, ains avec menestrier, ains en rondeau, 
						comme font les filles, chantant à qui mieux, tournant 
						néanmoins dos contre dos.
 Enquis ce que de plus il a veu faire audit Sabat, dit 
						que lesdits banquet et rondeau finis, il a diverses fois 
						aydé à faire de la gresle, et ce par le moyen de petites 
						baguettes blanches que ledit maitre Napnel à eux 
						baillait, avec lesquelles ils battoient sur l'eau d'un 
						ruisseau qui estoit audit lieu de Mengin Fontaine ou à 
						l'environ, dans laquelle au préalable ledit maitre 
						Napnel avoit mis la main, puis se levaient des 
						brouillards en l'air et en tombait instant de la gresle,
 A finalement déclaré qu'au moyen de ladite poule noire 
						qu'il donnait audit Napnel il a eu tresve avec luy afin 
						de ne faire mourir gens ni bestes, mais avec ledit 
						maître Persyn il n'a sceu composer de façon que ce soit, 
						qu'il ne luy ayt faillu tousjours obéyr, soit par 
						maléfices de soy-mesme commis ou par consentement. 
						Lequel l'a toujours assisté tant en prison qu'en la 
						chambre où l'avions faict mettre auprès du feu, 
						menassant de l'estrangler en l'un et l'autre lieu, le 
						jour qu'il serait tiré de prison, s'il entrait en 
						confession de ses maléfices.
 Qu'est entièrement tout ce que avons peu tirer de luy, 
						avec promesse qu'il nous a faict que si il se remict en 
						mémoire d'avoir commis aultres maléfices que ceulx qu'il 
						nous a déclarés, il ne mancquera de nous les dire et 
						desclarer. A ceste promesse ayant obtempéré, nous avons 
						laissé ledit prévenu auprès du feu avec ses gardes.
 Et à ceste sont esté présents Francois Colas Francois et 
						David l'orfebvre de Sainct-Diey, tésmoings.
 Signé : M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. MIETTE.
 
 On voit qu'à ce second interrogatoire Bastien Viney 
						étend ses aveux. Il reconnaît avoir un second démon, 
						maître Persin (27), dont la veille il n'avait pas la 
						moindre connaissance. Les détails de sa rencontre et de 
						sa tentation sont exactement les mêmes que pour maître 
						Napnel. Il est vrai que tous les sorciers des Vosges les 
						racontent presque identiquement. Faut-il donc supposer 
						que tous ces gens de contrées différentes se soient 
						donné le mot pour bâtir cette fable, ou qu'ils répètent 
						textuellement une histoire entendue dans les veillées et 
						qui ne varierait même pas avec les localités ? N'est-il 
						pas plus naturel de conclure de l'uniformité de ces 
						aveux que ces réponses étaient suggérées aux inculpés 
						par les juges. Il existait un formulaire de toutes les 
						questions à poser, peut-être rédigé par Nicolas Remy. M. 
						Stoeber a publié le formulaire complet du tribunal 
						d'Altkirch (28), les autres ne nous sont pas parvenus.
 L'accusé était ainsi amené à avouer des faits qui lui 
						étaient totalement inconnus, qui n'étaient jamais 
						arrivés et dont l'absurdité manifeste et l'impossibilité 
						absolue ne sont pas
 discutables.
 Que l'on compare, par exemple, toutes les révélations 
						sur les mystères du Sabbat contenues dans ces procès. 
						C'est sur ce point que l'imagination des sorciers devait 
						se donner libre carrière et inventer les cauchemars les 
						plus diaboliques. Loin de là; ces prétendues orgies 
						sataniques sont de la plus vulgaire monotonie. On y 
						retrouve invariablement les viandes mal cuites et sans 
						sel, sans pain ni vin, parce que ces substances sont 
						consacrées par la religion, puis la ronde dos à dos, les 
						cornets d'argent ne contenant que poussière, et enfin la 
						formation des nuages de grêle en battant l'eau de 
						baguettes blanches. Cette absence d'invention serait 
						singulière chez des gens suspects d'imagination 
						désordonnée, si elle ne provenait justement du 
						formulaire suivi invariablement par les juges.
 Mais Bastien Viney doit subir encore un dernier 
						interrogatoire.
 Cette fois le malheureux ne peut plus douter de la fin 
						qui lui est réservée, «  il convient l'avoir méritée, » 
						et s'il persiste dans les aveux ridicules que la torture 
						lui a arrachés, c'est qu'il espère qu'ils lui seront 
						comptés et qu'ils lui vaudront une mort moins horrible 
						et peut-être son pardon. Les juges, en effet, ne 
						reculaient pas devant un mensonge pour venir plus 
						facilement à bout de l'obstination de l'accusé, alors 
						même qu'ils savaient bien que la vie de ce malheureux 
						était irrévocablement perdue. Bodin explique longuement 
						cette théorie de l'oequivocatio verborum dans sa 
						Démonologie; il suffisait, pour mettre la conscience du 
						juge en repos, d'employer des paroles à double sens, en 
						faisant espérer son pardon à l'accusé s'il avouait 
						franchement. Quand le juge disait : Avouez tout et vous 
						serez sauvé, il sous-entendait : de la damnation 
						éternelle.
 Ainsi Bastien Viney montre jusqu'au dernier moment la 
						même complaisance à avouer toutes les inventions de ses 
						juges et à dénoncer de nombreux complices. C'est ce 
						dernier point surtout que le nouvel interrogatoire tient 
						à préciser.
 Le mesme jour, environ sur les trois heures après midy, 
						nous lieutenant de maire et gens de justice susdits, 
						avons allé trouver ledit prévenu, auquel nous avons 
						demandé s'il est bien recors et mémoratif des 
						confessions qu'il nous a faict, tant hier du jour qu'aujourd'huy 
						matin, et sy elles sont vrayes et y veult persévérer, il 
						a respondu que toutes les confessions qu'il nous a faict 
						touschant ses maléfices contiennent la pure et entière 
						vérité, et y veult persister jusques à la mort. Et pour 
						l'expiaon desquelles il convient l'avoir mérité, priant 
						à Dieu Iuy vouloir faire la grâce de l'endurer 
						patiemment quand il sera sa volonté de la luy envoyer, 
						auquel il crie mercy de l'avoir si griesvement offensé, 
						à ses seigneurs par justice, nous suppliant de croire 
						qu'il s'est acquitté entièrement du serment qu'il nous a 
						presté et déclairé tous ses maléfices sans en avoir 
						obmis aucun.
 Interrogé si pareillement il persiste à l'accusaon de 
						ses complices, l'exortant néanmoins de n'accuser 
						personne à tort, sur la perdition de son ame, il a dit 
						qu'il est bien asseuré d'avoir veu et recongneu tant 
						audit Sabat de Mengin-Fontaine qu'à un autre à 
						Noiregotte, auquel lieu il a esté seulement deux fois, 
						les prédéclarés auxquels il maintiendra son accusaon 
						s'ils luy sont présentés en confrontaon.
 Interrogé comment il alloit au Sabat, dit qu'il sortait 
						de sa maison en forme d'un gros rat, de paour d'estre 
						descouvert de sa femme et enfans, et par après s'en 
						alloit à son pied jusques audit lieu, où estant il y 
						avoit ledit Persyn qui estait à la main droite, joignant 
						luy Catherine, femme à Didier Bartremey, et luy prévenu 
						après, et aultres ensuivant, et ledit Napnel à la 
						gaulche, joingnant luy Marion, femme à Colas le Xongre 
						de la Noiregotte, et autres personnes après luy qu'il ne 
						peult bonnement déclairer et nommer, parce qu'elles a 
						voient des faulx visages.
 Voyant qu'il nous a asseuré estre entièrement tout ce 
						qu'il estime avoir faict et commis, tant par soy qu'à la 
						sollicitaon desdits maitres Napnel et Persyn, avec 
						parolle de nous dire s'il s'en remet en mémoire d'aultres, 
						luy avons livré la main du tout, à charge de déclarer à 
						son père confesseur ce qu'il aura peu mancquer de nous 
						déclairer.
 Et à cest sont esté présents David l'orfebvre et 
						Francois Colas Francois, demeurants à Sainct-Diey, 
						tesmoings.
 Signé : M. DU BOIS, lieutenant de maire, et N. MIETTE.
 
 Ainsi dans ces trois interrogatoires où l'on a surtout 
						remarqué l'insistance du juge pour obtenir les noms 
						d'autres sorciers ayant assisté au Sabbat, Bastien Viney 
						a désigné douze complices qui, torturés à leur tour, en 
						dénonceront de nouveaux. Comment ces noms sont-ils venus 
						à l'esprit de Bastien Viney, car on ne peut supposer 
						cette fois qu'ils lui aient été suggérés ? C'est que 
						forcé de donner des noms quelconques, il a choisi ceux 
						contre lesquels il nourrissait des ressentiments. 
						Dénoncé lui-même, il se venge en en dénonçant d'autres 
						(29). On voit sur quelles bases fragiles s'élèvent ces 
						accusations terribles et comment plus on brûle de 
						sorciers, plus on en voit surgir. Voilà la raison de 
						cette prétendue contagion, de ce mouvement de 
						translation du fléau que nous avons remarqué dans notre 
						tableau graphique. Un sorcier en fait exécuter dix 
						autres. Quand une localité est décimée, le juge se 
						transporte ailleurs. Nicolas Remy a laissé des élèves 
						qui, comme lui, commencent par créer le fléau pour avoir 
						la gloire de l'écraser. Ils parcourent successivement 
						Raon, Étival, Fraize, Saint-Dié et la Fave, de 1609 à 
						1615, se reposent jusqu'en 1629 et reprennent leur 
						oeuvre, qu'heureusement l'approche des Suédois vient 
						arrêter en 1632. Sans l'invasion des alliés de la France 
						les massacres auraient continué, comme dans les pays 
						protestants : en Suède où l'on poursuivit en 1669, à 
						Mohra, 500 enfants de 4 à 16 ans, dont 15 furent mis à 
						mort; en Suisse, où Anne Goeldi fut brûlée à Glaris en 
						1782; en Allemagne, où les deux dernières sorcières 
						furent suppliciées à Posen en 1793 !
 Et cette invasion des Suédois nous servira d'argument, 
						car puisqu'ils étaient eux-mêmes plus infestés de 
						sorcellerie que nos paysans, leur arrivée aurait dû être 
						marquée par une recrudescence, si la sorcellerie se 
						gagnait comme une contagion. Au contraire, elle cesse, 
						parce que l'attention des magistrats est détournée par 
						des évènements plus graves et qu'ils ne pouvaient plus 
						continuer leurs tournées d'inquisition dans les 
						campagnes.
 Mais les juges de 1611 étaient persuadés de leur 
						infaillibilité. «  Ma justice est si bonne, disait Remy, 
						que seize qui furent arrêtés l'autre jour, n'attendirent 
						pas et s'étranglerent tout d'abord. » La terreur des 
						flammes leur faisait trouver cette mort douce, et l'on 
						voit qu'ils connaissaient la justice de Remy.
 Bastien Viney n'eut pas longtemps à attendre ce terrible 
						arrêt. Dès le lendemain, sans débat, sans jugement, il 
						était condamné en ces termes :
 Veu par le soubsigné Procureur d'office de Messieurs les 
						vénérables, Doyen, Chanoines et Chapitre de Sainct-Diey, 
						la procédure extraordinairement instruite à sa requise 
						par les Lieutenant de maire et gens de justice à 
						l'encontre de Bastien Jean Viney, leur subject du Ban 
						Sainct Diey, prévenu et accusé du crime de sortilège et 
						vénéfice, nommément fait de la question à luy donnée, 
						suyvant l'advis de Messieurs les Mre Eschevin et 
						Eschevins de Nancy en datte du 29e Décembre, année 
						présente 1611, contenant les maléfices par luy commis, 
						ensemble l'accusaon de ses complices, avec les actes de 
						persistance en icelles avec leurs adjonctions. Dict que 
						par iceulx ledit Bastien prévenu est suffisamment 
						atteinct et convaincu dudit crime de sortilège et 
						vénéfice, pour réparaon duquel requiert le procureur 
						qu'iceluy soit condamné d'estre conduit au carquant par 
						l'exécuteur des haultes justices au Duché de Lorraine et 
						y exposé à la veue du peuple quelque peu de temps à 
						exemple, puis mené au lieu où l'on a accoustumé 
						supplicier les délinquants, y attaché à un posteau 
						expressément érigé et contre iceluy estranglé, tant que 
						mort naturelle ensuyve, son corps arse, bruslé et mis en 
						cendres, ses biens déclairez acquis et consignés aux 
						seigneurs qu'il appartiendra, sur iceulx au préalable 
						prins les frais de justice raisonnables. Faict audit 
						Sainct Diey le pénultième Décembre 1611.
 Signé : J. CLÉMENT.
 
 Mais cette condamnation. devait, pour être valable, 
						avoir été approuvée par les échevins de Nancy, et cette 
						approbation, qui suit, étant datée du lendemain même du 
						prononcé du jugement, il faut admirer la rapidité des 
						communications et la célérité de la justice à cette 
						époque.
 Les maître Eschevin et Eschevins de Nancy qui ont veu la 
						présente procédure extraordinaire faite contre le 
						dénommé Bastien Jean Viney, prévenu de sortilège et 
						vénéfice et notamment ce qui a esté faict et besongné 
						depuis leur advis précédent du XXIII du présent mois, 
						dient que ledit prévenu, par sa propre confession et 
						recongnoissant volontaire et perséverement icelle, est 
						suffisamment atteint et convaincu du crime de sortilège 
						et vénéfice. Pour réparaon de quoy y a matière d'adjuger 
						au procureur d'office ses fins et conclusions 
						deffinitives cy dessus. Faict à Nancy, le dernier 
						Décembre 1611.
 Signé : N. BOURGEOIS, DE GONDRECOURT, NOIREL, 
						REGNAULDIN, MAIMBOURG et BOURGEOIS, Eschevin et 
						Eschevins.
 Pour copie extraicte de l'original, signée par le 
						soubscrit tabellion,
 N. MIETTE.
 
 Deux jours après, les préparatifs du supplice se 
						faisaient sur la place du Chapitre, aujourd'hui place 
						des Vosges, auprès de la Pierre Hardie qui occupait le 
						milieu de cette place et sur laquelle se faisait la 
						publication des actes et jugements et l'exposition des 
						condamnés. Le bourreau, maître Poirson, avait dressé un 
						poteau de trois mètres, auquel était fixé le carcan. Au 
						pied de ce poteau et l'entourant, un bûcher de un mètre 
						et demi formait une sorte de piédestal au patient, et 
						s'élevait encore autour de lui jusqu'à la hauteur de 
						trois mètres, excepté sur le devant, afin que la victime 
						restât visible dans cette sorte de niche enflammée, 
						tournée dans l'axe de la grande rue.
 Bastien Viney, accompagné de ses juges, est amené sur la 
						Pierre Hardie, et là, comme dernière formalité, le 
						greffier du Chapitre dresse l'acte suivant, qui le livre 
						aux officiers du Duc, ayant seuls le droit d'exécuter 
						les criminels.
 Scachent tous que ce jourd'huy troisiesrne du mois de 
						Janvier mil six cents et douze, en présence de moy 
						tabellion juré soubsigné et tesmoings cy embas dénommés, 
						au lieu que les lieutenant de maire et gens de justice 
						des seigneurs vénérables doyen, chanoines et chappitre 
						de l'Eglise insigne de Sainct-Diey, est comparu 
						personnellement honorable homme N. du Bois, lieutenant 
						de maire desdits sieurs vénérables audit lieu, assisté 
						d'un grand nombre de leurs subjects, lequel ayant 
						appellé haultement et intelligiblement par trois 
						diverses fois honnorable homme Jean Lamance, prévost 
						audict Sainct-Diey, aussy présent et assisté d'un bon 
						nombre des subjects de Son Altesse, adressant ces 
						parolles à luy prévost, luy a dict en substance : 
						Monsieur le Prévost, voicy ung prisonnier nommé Bastien 
						Jean Viney, subject de Messieurs les vénérables doyen, 
						chanoines et chappitre de Sainct-Diey, au lieu de 
						Ban-Sainct-Diey, prévenu et convaincu du crime de 
						sortilège et vénéfice, lequel je vous délivre tout nud, 
						chargé de son dit procès, pour en faire faire 
						l'exécution suivant l'advis de messieurs les maître 
						eschevin et eschevins de Nancy que je confirme à 
						sentence. Au mesme instant qu'il a heu achevé ses 
						paroiles, ledit prisonnier s'addressant à luy lieutenant 
						de maire, luy a prié qu'il luy donne ses habits desquels 
						il est habillé, pour l'honneur de Dieu. Ce que ledit 
						lieutenant de maire luy a octroyé, sans préjudice 
						néanmoins des droicts et auchtorités de mesdits sieurs 
						les vénérables ses seigneurs. Ce faict, ledit sieur 
						prévost l'a reçeu, ensemble ledit procès, pour en faire 
						faire l'exécution. Desquelles choses ledit lieutenant de 
						maire en a demandé act et instrument pour servir et 
						valloir où rnestier sera; que luy a esté accordé cestuy, 
						soubs le séel du tabellionage de Son Altesse de sa Court 
						de Sainct-Diey, sauf tous droicts, Ce fut faict, passé, 
						requis et accordé les an et jour que dessus, présens N. 
						du Bois, Richard et aultres de Sâinct- Diey.
 Pour copie tirée de l'original : N. MIETTE.
 
 Enfin le condamné est conduit au bûcher. En le liant au 
						poteau, le bourreau lui passe autour du cou une corde 
						qui semble destinée à l'attacher comme les autres liens. 
						Au moment où on met le feu aux fagots, avant que le 
						condamné ait pu sentir la flamme, un bâton passé dans 
						cette corde, pour servir de tourniquet, suffit, à la 
						plus simple impulsion, pour l'étrangler subitement. Car, 
						pour l'exemple, il faut que le peuple croie le sorcier 
						brûlé vif; mais, par un sentiment d'humanité que Remy 
						eût désapprouvé, on lui épargnait cette horrible mort. 
						Quand la rigueur de la condamnation ne permettait pas, 
						cet adoucissement, le patient était revêtu d'une chemise 
						soufrée, qui l'asphyxiait des les premières flammes et 
						abrégeait sa longue agonie. Dès que le bûcher était 
						éteint, le bourreau cherchait au centre les quelques 
						restes carbonisés du corps, les jetait aux quatre points 
						cardinaux, et de cette cendre naissaient des centaines 
						d'autres sorciers, la dénonciation continuant impunément 
						son oeuvre de mort.
 Mais ce drame avait encore un épilogue. Bastien Viney 
						était riche; sa femme et ses enfants, déjà si éprouvés, 
						ne tomberaient pas du moins dans la misère. Or 
						l'accusation de sorcellerie comportant la confiscation 
						des biens propres, le Chapitre s'en saisit, et confisque 
						même ceux appartenant à la veuve et aux fils majeurs. 
						Menacé d'un procès, il ne les rend aux héritiers 
						naturels que contre une somme de trois cents francs.
 Saichent tous qu'estant Bastien Jean Viney par ses 
						propres confessions convaincu d'estre sorcier, 
						vénéficien et empoisonneur et pour ses démérites n'a 
						guères exécuté par le feu au lieu de Sainct-Diey, ses 
						biens déclairés acquis et confisqués aux seigneurs qu'il 
						appartient qui sont les seigneurs vénérables doyen et 
						chapitre dudit Sainct-Diey, lesdits seigneurs faisaient 
						estat d'entrée en la jouyssance desdits biens pour en 
						disposer à leur bon plaisir et volonté, à quoy ce 
						néanmoins Colas Jean Viney de Visembach et Adam Bastien 
						Viney pour sa mère demourant au Ban-Sainct-Diey, amb 
						deux fils de Bastien Jean Viney, prétendaient empescher, 
						à l'occasion duquel empeschement tant lesdits seigneurs 
						que les susdits hoirs eussent pu s'adonner en procès, à 
						quoy ayant égard lesdits hoirs et ne voulant y entrer ni 
						instruire contre lesdits seigneurs, ils se sont 
						retournés envers eux et les ont supplié leur céder et 
						renoncer tel droit qui leurs étoit acquis et adjugé sur 
						ces biens, pour par eux en jouyr comme ils avoient droit 
						de faire, lesquels seigneurs inclinant à ces prières ont 
						par noble et vénérable sieur Me Frédéric Barrat 
						escholastre et chanoine, leur officier sonrier de la 
						ville présent et stipulant en leurs noms, comme il a 
						dit, renoncé, cédé, quitté et transporté en vertu des 
						présentes auxdits Colas Jean Viney et Adam Bastien 
						Viney, assavoir tous tels droicts, raison et action 
						qu'auxdits seigneurs compète et appartient par droit et 
						confiscaon des héritages délaissés par ledit Bastien 
						Jean Viney, tant en maisons, champs, preys, meix, 
						jardines, bois, bayes, et fruictages, comme tous autres 
						héritages mouillé, aussy en dettes actives et passives 
						sans rien y réserver, laquelle renonciation ledit Colas 
						Jean Viney présent et stipulant au nom de son frère a 
						reçu au nom desdits seigneurs et pour icelle leur en a 
						payé en mains du dit sieur Sonrier la somme de trois 
						cents francs monnaye de Lorraine, dont il s'en a tenu 
						contant, de toutes lesquelles choses ledit sieur 
						sonrier, pour et au nom desdits sieurs vénérables et 
						s'en servir à l'advenir si besoing est, a requis et 
						demandé à moy Tabellion juré soussigné act et instrument 
						que luy ay accordé en cette forme sous le séel du 
						Tabellionage Monseigneur le Duc de sa court de St Diey 
						sauf son droit et l'autruy que furent faictes l'an mil 
						six cents et douze le cinquiesme septembre, présent D. 
						Virionny et David l'orfebvre ambdeux bourgeois de St 
						Diey tesmoings.
 Ainsy signé : N. RICHARD, tabellion audit St Diey, avec 
						paraffe et signé du seau de lad. Court Monseigneur le 
						Duc, en cire verte à double queue pendant.
 
 Le procès dont nous venons de donner les pièces suffira 
						pour juger des autres, au moins pour la période de 1550 
						à 1630, qui offre une différence très grande avec la 
						sorcellerie du XIVe et du XVe siècle. Les 
						interrogatoires de sorcières fournissent, il est vrai, 
						quelques détails spéciaux sur les mystères du Sabbat 
						qu'on ne trouve point ici et que nous n'aurions pu 
						transcrire; mais dans tous ces procès, le fond, la forme 
						et même les détails présentent une ressemblance 
						caractéristique.
 Tous les écrivains qui ont étudié de tels documents ont 
						cherché une explication satisfaisante des révélations 
						bizarres qu'on y trouve, et l'on comprend qu'en une 
						matière aussi complexe, les opinions sur la sorcellerie 
						aient varié avec les époques et selon le caractère de 
						ceux qui se sont livrés à ces études.
 Remy et ses collègues devaient croire aveuglément à la 
						réalité des faits de sorcellerie les plus absurdes, 
						autrement leurs odieux jugements deviendraient 
						monstrueux. Mais deux cents ans après, on voit avec 
						étonnement des hommes de valeur y ajouter encore foi. 
						Dom Calmet, qui a eu des dossiers entre les mains, «  ne 
						peut nier que le démon n'ait causé ces illusions. » Il 
						accepte sans contrôle, sans critique, les faits les plus 
						matériellement impossibles. «  Comment se persuader, 
						dit-il (30), qu'une infinité de procédures, faites avec 
						tant de soin et de maturité, par de très graves 
						magistrats et par des juges très éclairés, soient toutes 
						fausses ? ».
 Et plus loin : «  Dire que tout ce qu'on en raconte sans 
						exception n'est que supercherie ou imagination, qu'une 
						infinité de personnes se soient livrées aux tourments 
						les plus terribles, au feu, à la mort, à la perte de 
						leurs biens, au déshonneur de leur famille pour soutenir 
						une simple illusion dont il aurait été si aisé de les 
						guérir et que tant de gens avaient intérêt de détruire, 
						c'est certainement ce qu'on a peine à concevoir. »
 Un peu plus tard, quand les phénomènes de 
						l'hallucination furent mieux connus et à la suite des 
						expériences du célèbre philosophe Gassendi, chanoine et 
						prévôt de la cathédrale de Digne, sur un berger de ce 
						lieu qui se croyait sorcier, on attribua à des troubles 
						nerveux toutes les fantaisies du Sabbat inventées et 
						racontées par les sorciers. On admit que leur 
						imagination désordonnée les transportant de préférence 
						sur les domaines de Satan, ils croyaient après leur 
						réveil à la réalité de ces rêves hystériques.
 On trouve en effet aujourd'hui encore, dans les asiles 
						d'aliénés, des monomanes qui se croient enlevés dans les 
						airs et dont les divagations rappellent ceux des 
						sorciers. Mais il n'est pas possible d'admettre cette 
						explication de la sorcellerie quand, dans ces procès si 
						détaillés, on ne voit aucun des accusés présenter les 
						caractères de ce genre de névrose, ni phénomènes 
						d'hallucination, ni danses involontaires, ni éclats de 
						rire stridents, ni excentricités en actions. Cela a pu 
						arriver par exception pour quelques sorcières, mais dans 
						la masse des procès, on ne trouve rien de semblable.
 M. Reuss, qui n'admet pas cette hypothèse de 
						l'hallucination naturelle, est d'avis qu'elle a pu être 
						produite artificiellement, et que les visions des 
						possédés provenaient de l'emploi de puissants 
						narcotiques, tels que le datura stramonium ou herbe des 
						sorciers, la jusquiame, la belladone et la mandragore. 
						Il est vrai qu'en Alsace on trouve dans quelques procès 
						la mention d'un onguent ou liquide mystérieux, dont les 
						sorciers faisaient usage pour se transporter au Sabbat à 
						travers les airs; mais en Lorraine, dans la généralité 
						des cas, on ne trouve aucun emploi de telles 
						préparations.
 Quant à supposer, comme quelques-uns, que les Suédois 
						auraient amené chez nous cette contagion, nous avons 
						prouvé plus haut qu'il n'en était rien; loin de l'avoir 
						importée, ils l'ont plutôt emportée.
 Une autre théorie attribue le développement de la 
						sorcellerie à l'influence de certaines idées religieuses 
						très répandues du XIVe au XVIIe siècle. Pour frapper 
						l'imagination du peuple, l'Église dépeignait alors la 
						puissance du mal sous les formes les plus palpables. En 
						donnant les descriptions les plus effrayantes des 
						tourments de l'enfer, en parlant sans cesse des efforts 
						du démon pour attirer les âmes et des ruses diaboliques 
						employées par lui, elle implanta ainsi la croyance à la 
						personnalité réelle du diable (31). La création de 
						l'ordre de saint Dominique plus particulièrement chargé 
						de combattre les hérétiques et les sorciers, la bulle de 
						1484, au lieu d'arrêter le fléau n'auraient fait que le 
						développer.
 Mais cette opinion nous paraît prendre l'effet pour la 
						cause, et on peut y répondre en montrant l'Allemagne 
						protestante allumant plus de bûchers que la France et 
						l'Espagne, et les surpassant en cruauté.
 Michelet, plus poète qu'historien, a envisagé la 
						sorcellerie à un autre point de vue (32). C'est «  la 
						reprise de l'orgie payenne par un peuple de serfs. » Le 
						malheureux paysan, en proie à l'ignorance, recherche les 
						choses surnaturelles, l'amour du merveilleux lui trouble 
						l'esprit. Sa misère engendre l'envie, la jalousie, le 
						désir de la vengeance, la soif de plaisirs inconnus; il 
						a entendu dans les veillées parler de maître Persin, du 
						sabbat dans la montagne, il y court dans la nuit, y 
						rencontre d'autres malheureux, et le déchaînement des 
						passions brutales fait le reste. On répondra à cette 
						théorie que les sorciers étaient loin d'être des 
						misérables, on l'a vu par le cas de Bastien Viney, du 
						reste les nobles et les bourgeois fournirent un bon 
						nombre de cas en Lorraine.
 L'ignorance, il est vrai, joue ici le rôle principal, 
						mais c'est au banc des témoins et à la tribune du juge. 
						C'est là qu'il faut, selon nous, chercher les auteurs 
						responsables. Le juge ignorant, pour qui furent écrits 
						la Démonologie, la Démonolâtrie, le Marteau des 
						Sorcières (33), et tant d'autres prodigieux monuments de 
						la bêtise et de la cruauté humaine, ce juge est imbu et 
						obsédé de toutes ces grotesques imaginations; il veut 
						les retrouver dans chaque accusé qui comparaît devant 
						lui, il le presse de questions, il emploie la torture, 
						il la prolonge jusqu'à ce que le patient ait confessé 
						avoir commis tous ces maléfices. Car il n'y a point de 
						demi-aveux : les uns crient : non ! jusqu'à la mort, les 
						autres avouent tout ce qu'il plait au juge de leur 
						suggérer.
 Ce doit être la conviction de tous ceux qui ont étudié 
						les dossiers, la sorcellerie n'a eu d'autre base réelle 
						et les aveux que contiennent les pièces judiciaires sont 
						uniquement dus à la torture. La justice ne s'emparait 
						que de gens absolument innocents et les accablait de 
						souffrances jusqu'à ce qu'ils eussent avoué des faits 
						qui ne s'étaient jamais passés.
 Ce fut un cauchemar qui pesa sur la magistrature durant 
						deux siècles, et sur le peuple qui souffrait de tels 
						magistrats. «  Quand on pense, dit l'abbé Bexon, qu'il 
						faut peut-être absoudre Nicolas Remy de tout l'odieux de 
						ces jugements; quand on pense que ce fut le crime de son 
						temps beaucoup plus que le sien; que son siècle le vit, 
						le souffrit, l'applaudit sans doute, on tremble, on se 
						trouble, on frémit. O misérable humanité ! »
 Il fallait, pour arrêter ce fléau, l'influence calmante 
						de la saine raison. Ce fut une des victoires remportées 
						par la philosophie du XVIIIe siècle sur tant de 
						superstitions.
 GASTON SAVE
 
 (1) Nicolai Remigii, sereniss. ducis Iotharingiae a 
						consiliis interioribus et in eius ditione lotharingica 
						cogniloris publici Demonolatreice libri tres . Lyon, 
						Vincent, 1595, in-4°, et Cologne, Falkenburg, 1596, 
						in-12. Avertissement, p. 1.
 (2) Justice criminelle des duchés de Lorraine et de Bar, 
						par DUMONT, substitut à Épinal, 2 vol. in-4°. Nancy, 
						1848.
 (3) M.F. de Chanteau ne cite que 9 cas durant ces 16 
						ans, dans «  Les Sorciers à Saint-Dié et dans le Val de 
						Galilée. » Nancy, in-8°, 69 p. 1877.
 (4) M. Malgras évalue le nombra des condamnations à 900 
						pendant ces 16 années. Étude sur l'Ignorance et la 
						Sorcellerie, par M. MALGRAS, inspecteur d'Académie, 
						membre de la Soc. d'Ém. des Vosges. Mémoires lus à la 
						Sorbonne, 1867, p. 353.
 (5) Loc. cit. Liv. III, p. 394.
 (6) Extraits des Coupures de Bournon, par MORY 
						D'ELVANGES.
 (7) Fragments des Mémoires d'Errard, Biblioth. de Nancy. 
						Mss. N° 775.
 (8) Les Sainctes Antiquitéz de la Vôsge, 3e p., 1. V, 
						chap. xv.
 (9) Notes prises dans les mémoires de florentin le 
						Thierriat par Mory d'Elvanges, Mss, N° 775. Biblioth, de 
						Nancy.
 (10) Gravier place ce château auprès du col de 
						Wisembach.
 (11) Histoire de Saint-Dié, p. 200.
 (12) «  Nous avons appris, y est-il dit, qu'un grand 
						nombre de personnes des deux sexes ne craignent pas 
						d'entrer en commerce avec les démons infernaux et, par 
						leurs sorcelleries, frappent également les hommes et les 
						animaux, rendent stérile le lit conjugal, font périr les 
						enfants des femmes et les petits des bestiaux, les 
						fruits de la terre, l'herbe des prairies, etc. »
 (13) Loc. cit., p. 219.
 (14) D'après la liste de DUMONT.
 (15) 27 cas de 1530 à 1661. M. A. fournier n'en donne 
						que 21, dont 9 n'appartiennent pas à Saint-Dié. Note sur 
						la Sorcellerie dans les Vosges. Bull. de la Soc. ph. 
						vosg. 1884.
 (16) Il est intéressant de comparer à ces chiffres ceux 
						des localités voisines, en Alsace. De 1572 à 1620, 152 
						sorciers furent brûlés à Thann, 8 hommes et 144 femmes. 
						Voici, d'après la Chronique de Thann, les chiffres pour 
						chaque année du XVIIe siècle. 1600, 2. - 1606, 1. - 
						1607, 3. - 1608, 17. -1610, 1. - 1611, 2. - 1614, 7. - 
						1615, 4. - 1616, 14. - 1617, 2. - 1619, 5. - 1620, 3. On 
						voit que le maximum, 1616, coïncide avec celui de Raon. 
						De 1629 à 1642, 91 sorcières furent brûlées à 
						Schlestadt. ( SToeBER, Die Hexenprozesse in Elsass. 
						Alsatia, 1857, p. 318). Pendant les mêmes années. plus 
						de 200 furent suppliciées dans la vallée de 
						Saint-Amarin. (Idern, p. 263). En 1611 (maximum d'Etival 
						et de Fraize), le petit village de Saspach eut 22 
						sorciers. (REUSS, la Sorcellerie au XVIe et XVIIe 
						siècle). De 1615 à 1635, on en compte plus de 5.000 sur 
						les terres de l'évêché de Strasbourg. (L. LEVRAULT, 
						Procès de sorcellerie en Alsace. Revue d'Alsace, 1835, 
						II, p. 6). En 1615, 71 sont exécutés sur les terres de 
						Murbach, Rouffach, Soultz. (REUSS, id.) De 1579 à 1589, 
						en 10 ans, la Chronique de Thann signale 800 sorciers en 
						Alsace. De tout cela, il ne restait que 30 dossiers aux 
						Archives du Bas-Rhin, en 1870.
 (17) Les Archives des Vosges ont conservé 67 manuscrits 
						de procès de sorcellerie, de 1544 à 1670, chacun 
						contenant une ou deux condamnations. La bibliothèque 
						publique de Nancy en possède trois. On en trouve 
						d'autres aux Archives de Lorraine et dans la 
						bibliothèque de la Société d'Archéologie Lorraine. Les 
						cabinets de Beaupré, Gillet, Dumont et de l'abbé Marchal 
						possédaient aussi des pièces intéressant notre 
						arrondissement.
 (18) Documents inédits de l'histoire des Vosges, 4° 
						Iivr. de l'Inventaire sommaire des Archives de la 
						préfecture des Vosges, antérieures à 1790. - 1866.
 (19) La Sorcellerie au XVIe et XVIIe siècle, par 
						Rodolphe REUSS. Strasbourg, 1874. Cet ouvrage est dédié 
						à notre regretté et savant compatriote le Dr Carrière.
 (20) Pièces de procédure, interrogatoires, questions 
						contre les sorciers faites par les mayeurs, maire, 
						procureur des vénérables chanoines nos seigneurs de 
						Saint-Diez, des années 1611 et 1627. Ce manuscrit (n° 
						202, ancien 141) contient encore (fol. 25) le procès de 
						Simonne Jeanniel, femme Mathieu Strobel, pâtre à la 
						Grande-Fosse (17 juillet 1627), et une autre pièce 
						concernant Claudatte, veuve Michel Demange Antoine, dite 
						Haulte Robbe, du Vieux-Marché de Saint-Dié, toutes deux 
						sorcières.
 (21) Ban-Saint-Dié est un hameau dépendant de Plainfaing 
						dont il est séparé par un petit ruisseau. Il appartenait 
						autrefois à la commune de Clefcy. IL doit son nom à la 
						juridiction seigneuriale qu'y exerçait le Chapitre, 
						quoiqu'il fût enclavé dans le Ban-Ie-Duc. Il dépendait 
						du «  Cornal d'en haut de la Mairie de Murthe » et ne 
						contenait qu'une trentaine de maisons,
 (22) Catherine, lemme de ce témoin, venait d'être 
						condamnée trois mois auparavant, et brûlée comme 
						sorcière, ainsi que son frère. C'est elle qui, dans les 
						tortures, avait dénonce Basfien-Jean Viney comme l'ayant 
						accompagnée au Sabbat.
 (23) Le Chapitre fut si satisfait des échevins de Nancy 
						que dès l'an 1559 il leur fit une pension pro meritis 
						praesentibus et futuris, outre les quatre francs qui 
						leur étaient alloués pour la révision de chaque procès.
 (24) Voyez La Citadelle de Saint-Dié, Bulletin de la 
						Société phil. vosg. 1881.
 (25) Cette dernière venait d'être brûlée quelques mois 
						auparavant pour sorcellerie.
 (26) On était au plus froid de l'hiver et le patient 
						était presque nu.
 (27) Maitre Persin est le diable le plus en vogue en 
						Lorraine. On le nomme Persil dans les Trois-Evêchés. 
						Après lui vient Napnel. Les suivants ne se rencontrent 
						qu'une ou deux fois : Jolibois, Sautebuisson et 
						Verdelet, à Metz; maitre Bernard, dans le comté de Salm; 
						maître Léonard et Jehan Mullin, à Remiremont. En Alsace, 
						les diables sont plus variés : Hemmerlin et le seigneur 
						Voland à Schlestadt, Péterlin à Altkirch, Blumlin à 
						Saverne, Strohbutz à Oberhergheim, enfin Federle, 
						Federspiel, Kochloefiel, Rotmenlin, Groesslin, Loeubel, 
						Ognon, Ziegelscherb, Coesperlin, Schiffmann, 
						Schwartzkunstler, Loever, Haver lied, Durst, Gloeckel, 
						Mannel, Hurst, Hurstel, Hundsfutt, Gruenlauebel. Ce 
						dernier nom a la même signification que Verdelet et que 
						Persin, qui veut dire vert. Nous avons remarqué que dans 
						toutes les miniatures anciennes, les diables étaient le 
						plus souvent coloriés en vert, de même que les dragons 
						et les serpents.
 (28) Die Hexenprozesse in Elsass, dans Alsatia. 
						Mulhouse, 1857, p. 282.
 (29) En 1617, deux petits enfants, garçon et fille, qui 
						avaient été dénoncés comme sorciers, furent enfermés au 
						château de Spitzemberg plusieurs années, pendant 
						lesquelles la justice de Saint-Dié ne cessa de les 
						catéchiser. (DUMONT, Justice criminelle).
 (30) Histoire de Lorraine, t. VII, col. 30.
 (31) «  S'il y a vraiment un diable, il y a des sorciers; 
						et puisqu'il n'y a plus de sorciers, il est clair qu'il 
						n'y a plus de diable. » RÉVILLE, Histoire du Diable, p. 
						67.
 (32) La Sorcière, Paris, 1862, in-12,
 (33) Malleus maleficarum, in-4°, Cologne, 1489.
 
 
						LISTE DES SORCIERS EXÉCUTÉS DANS L'ARRONDISSEMENT DE 
						SAINT-DIÉ 
						(1) SAINT-DIÉ (Ville).1530 JEANNON DIDIÈRE.
 1544 DIDIER, fils Nicolas GUILLON.
 Melline PÈTRE.
 1549 Jean BLAISE.
 1581 Didier FINANCE.
 1586 Jeanne GALLÉE.
 1589 Barbeline GAXAT.
 1592 CLAUDETTE, femme Michiel-Demenge ANTOINE, dite 
						Haulte Robbe, du Vieux Marché.
 1605 Jean CAILLEREY.
 MENGEATTE, femme Bastien GROSJEAN.
 BARBELINE, femme Claudon-Didier NOEL.
 1608 CLAUDATTE, femme Bastien DELAT.
 1609 Jean-Grégoire MATHIS.
 1610 JEANNON, veuve Colas PATICIER.
 1612 CLAUDATTE, femme Jean CAMUS.
 JEANNON, femme Demenge VIOLE.
 Demenge VIOLE, son mari.
 1614 MENGEATTE, femme Jean FRAMPART.
 1616 Mathis CLÉMENT.
 1620 MARGUERITE, femme César CHARPENTIER.
 1629 CATHERINE, femme Thiébaut DOYEN.
 1630 François L'HERMITE.
 JEANNON, femme Georgeon GRANDIDIER.
 Jean Du BAN.
 1634 BARBE, femme Pierron HENNEMAN.
 1661 Jeannon MARANDE, femme Jean LA ROUZE.
 1670 JEANNON, femme Georgeon GRANDIDIER.
 Total: 27 (10 hommes, 17 femmes).
 
 (2) RAON-L'ÉTAPE
 1608 MARGUERITE, veuve Jean DEGAND.
 1609 JEANNON, femme Jean PETIT.
 MARIE, femme Gabriel OZELLE.
 PLAISANCE, veuve Claudon TOUBLANC.
 Didier GRANDCLAUDON.
 1613 ALIX, veuve Demange MARON.
 JEANNON, femme Jean COLIN.
 1615 ANNON, femme Jean CLAUDERAT.
 1616 CLÉMENCE, femme Jean MARONDE.
 FRANÇOISE, veuve Lucas TOUSSAINT.
 1621 ALIZON, femme Demange REMY.
 BABON, femme Colas COUPECHAUSSES.
 Périn HARIAT.
 Jean POIRESSON, meunier.
 1617 DION, veuve Jean REMY.
 1619 Jean COLIN.
 ANTOINETTE, femme Didier CHAULDRON.
 DIDIÈRE, veuve Nicolas FALLEY.
 JEANNON, veuve Demenge LE MAIRE.
 1621 ALIZON, femme Demenge POTTIER.
 1624 FRANÇOISE-LUCIE.
 1629 Claude LE MAIRE, dit Péturlin.
 BARBON, femme Lucas-Jean PELTER.
 DIDIÈRE, femme Demenge GROSDEMENGE.
 CLAUDOTTE, femme David DURAND.
 MENGEATTE, femme Claudon ETIENNE.
 JEANNE, femme Pierre COLIN.
 MARGUERITE, veuve Demange VOINOT.
 Total : 28 (5 hommes, 23 femmes).
 
 La Neuveville-lez-Raon.
 1604 BERNARDE, femme Demenge BAILLI.
 1608 JEANNON, femme LE MAIRE Toussaint.
 1609 SIBILLE, femme Étienne PÈCHEUR.
 Jean-Pierre SELLIAT. JEANNON, sa femme.
 1610 FRANCIATTE, femme Nicolas CHARRIER.
 GEORGEATTE, femme Demange-Jean CHOPAT.
 1615 GEORGEATTE, femme Didier MAILLET.
 FLEURATTE, femme Bastien DESBoeUFS.
 Jean JULLIAT.
 1616 JEANNON, sa femme.
 BABON, femme Jean GIRARDIN le Vieux.
 MARGUERITE, femme Jean MOIRON.
 MARGUITTE, femme George GÉRARDIN.
 TOUSSAINE, femme Didier DAULPHIN.
 Didier MALLEL
 1629 MENGEATTE, femme Jean BOCQUEL.
 Total : 17 (3 hommes, 14 femmes).
 Raon et La Neuveville, total : 45 (8 hommes, 37 femmes).
 
 (3) SENONES
 1482 !DATTE, femme Colin PATERNOSTRE, du Ménil.
 582 MENGEATTE, femme Jean MICHEL.
 
 Moyenmoutier.
 1572 BARBON, femme Claudon BARRET.
 1584 BARBELlNE, veuve Jean ANDRÉ, du Pair.
 1589 Béatrice BAON.
 1612 JEANNON, femme Dieudonné LAURENT.
 
 Le Viller.
 1621 JEANNE, veuve Claudon BERGIER.
 
 Marzelay.
 1584 François FELLÉE.
 FRANÇOISE, soeur du précédent.
 CLAUDETTE, idem.
 Mathiatte GUILLERET.
 1614 JEANNON, veuve Thomas-Diey THOMAS.
 1618 DIEUDONNÉE, femme Toussaint JALLY.
 1624 Colas DANOZEL.
 
 Robache.
 1602 JEHENNON, veuve Hidoulf LE REGNARD.
 1613 Jeannon GÉRARDIN.
 Total : 16 (2 hommes, 14 femmes).
 
 (4) BAN D'ÉTIVAL
 Étival.
 1584 Rose GÉRARDIN.
 1589 Didière DE PARIS (alias Désirée PARIS).
 1590 Jeanne MICHEL.
 1611 Nicolas POIRSON, du Vivier.
 1614 Claudon MARCHAL.
 Dieudonné-Jean THIRION.
 MENGEATTE, femme Vincent XUEILLO.
 FLEURATTE, femme Jean CHAMPOUX.
 1627 CATHERINE, femme Jean MOLETTE, du Vivier.
 
 Nompatelize
 1611 JEANNON, veuve Colas IDOUX.
 ? femme BERTRAND, de Laval.
 Jean SAGAIRE.
 
 La Vacherie.
 1609 CATHERINE, femme Demenge VUILLAUME.
 MARGUERITE, femme Mengeon MOULOT.
 1616 JEANNON, femme Claudon ENIESTAN
 .
 Brehimont.
 1611 MONGEATTE, veuve Jean LAURENT.
 Claudon-Jean PERRIN.
 
 L' Hôte-du-Bois.
 1611 ANNEL, femme Demange BOURATTE.
 1616 JACQUOTTE, femme MARCHAL.
 
 Saint-Remy.
 1611 JEANNON, femme Claudon Gérard.
 1612 MARGUERITE, femme Nicolas JANDEL.
 
 Pajaille.
 1611 LAURENTE, femme Vincent VAUDEÇA.
 1614 Jean CALLERÉ.
 
 La Bourgonce.
 1614 Jean CLAUDE.
 1620 CLAUDATTE, veuve Nicolas GUNEY.
 
 Deyfosse.
 1611 MARGUITTE, femme Gérardin HAXO.
 Total : 25 (7 hommes, 18 femmes).
 
 (5) BANS DE FRAIZE ET DE MEURTHE.
 Fraize.
 1571 JACQUETTE, femme Mengeat LE ROY.
 1589 Marie ALBERT.
 Catherine PRÉVÔT.
 Catherine VINCENT.
 Odile KELVER.
 Yzarts (?) ANGUEL.
 APOLLONIE.
 
 Mandray.
 1571 DIDIER, fils GRANDCLAUDE.
 1663 Mengeon-Gérard VAUDECHAMP.
 
 BAN SAINT-DIÉ (PLAINFAING, ETC.)
 1611 CATHERINE, femme Didier BARTREM:EY.
 Claudatte DU JOUÉ, de Habaurupt.
 Michel BARTREMEY, beau-frère de CATHERINE ci-dessus.
 AGATHE, femme Claude URBAIN, de Sachemont.
 1612 Bastien-Jean VINEY.
 
 Scarupt.
 1600 MENGEATTE, femme Jean BABEL.
 
 Clefcy.
 1612 Claudon GRIVEL, des Feignes.
 1622 Claudin PIERROT.
 1623 George DURAND.
 
 Entre-deux-Eaux.
 1604 BARBELINE, femme Didier ANTOINE.
 1615 Demenge MATHIS.
 
 Fouchifol.
 1605 COLATTE, femme Didier HENRY.
 MATHIOTTE, femme Jean VIOLLE.
 1615 JEHENNON, femme Claude MENGIN.
 
 Laveline.
 1606 Colas DIDIER, maire.
 
 Saint-Leonard.
 1590 Jean LALLEMAND.
 1603 Jean GoeURY.
 
 Saulcy.
 1615 MARGUITTE, femme Chrétien-Colas THIERRY, du 
						Chesnoy.
 1619 Claude TENDON, du Chesnoy.
 
 Remëmont.
 1603 CLAUDE, fils Claude-Jean PERRIN.
 
 Sainte-Marguerite.
 1558 ? femme Jehan GASPARD.
 1571 COLIN.
 1599 JENNON, femme Claudon GEORGE.
 1601 Didier PERRIN.
 Culas CAYEL, du Faing.
 1608 MARION, femme Claudel FLANDREY, du Faing.
 1631 Demenge MARAINMEIX, ou MALREMEIX.
 
 La Bolle
 1593 CATHERINE, femme Jean DIEZ.
 1594 MARGUERITE, femme Jean MENGIN.
 1611 CLAUDATTE, femme Georges MENGIN.
 Bastien STABLO. Clément CHENEVIÈRE.
 
 Taintrux.
 1583 Alex.in VIOLLE.
 1611 CATHERINE, femme Nicolas MARCHAL.
 Michel PASTIORIS.
 Total : 72 (28 hommes, 44 femmes).
 
 (6) VALLÉE DE LA FAVE ET ENVIRONS
 Grattain.
 1614 CLAUDATTE, femme Jean DABO.
 
 La Voivrelle.
 1611 Jean-Jacques GÉRARDIN.
 
 Remomeix.
 1597 Mengeon MILAN.
 
 Bertrimoutier.
 1598 Claudon FALLEY.
 1629 Nicolas-Demange PERRIN.
 
 Neuviller.
 1629 BARBON, veuve Gérard DIDIER.
 Spizemberg.
 1612 CLAUDATTE, femme .Jean GEORGE.
 1613 MARGUERITE:, femme Jean BAILLY.
 1617 NICOLE, enfant de 12 ans (non exécutée ?).
 DIDIÈRE, sa soeur, 10 ans (non exécutée ?).
 
 Gemaingoutte.
 1618 JEANNON, veuve Demange BONE.
 ALIZON, femme .Jacquot BERGER.
 
 Wisembach.
 1618 Catherine, femme Claude BERTREMIN.
 Alexis HANNEZO.
 
 Lusse.
 1590 Claude CHOTEL.
 1607 Jean LHÉRAL, de Lesseux.
 1613 Vincent MAIMBOURG.
 1618 Jean-George ANOLE.
 
 Lubine.
 1607 CLAUDATTE, veuve Jean VENAY.
 1613 Claude VOUILLON.
 1629 MARIE, femme Nicolas ARNOULF.
 
 La Grande-Fosse.
 1611 Jean-Quirin HAXO.
 1616 CATHERINE, femme Benoît MATHIEU.
 1627 Simonne JEANNEL, femme Mathieu STROBEL, pâtre.
 
 Le Hand.
 1613 MARIE, femme CLAUDON.
 Total : 25 (11 hommes, 14 femmes).
 
 (7) DOMAINE DU CHAPITRE (hors de l'arrondissement).
 Moriviller.
 1592 Jean WARÉE.
 YSABEL, femme Jean DE SAINBOING.
 1602 Nicolas GEORGE.
 1613 MARTINATTE, veuve Demange PARMENTIER.
 Biétrix PARMENTIER, sa fille.
 1625 Jean-François SIMONIN, alias PuLSON ou PELSAN.
 1628 MARGUERITE, femme Didier PERIFER.
 1629 Claude CALIGNEL.
 1631 CATHERINE, femme Thiébaut DOYEN.
 
 Giriviller.
 1594 Nicolle GRILLAT, femme Colas LOWIAT.
 
 Saint-Remimont.
 1601 DIDIER-JEAN.
 
 Sainte-Marie-aux-Mines.
 1612 BASTIENNE, femme JEANROY.
 
 Nonzeville.
 1613 JEHENNON, femme Mongeon VOIRY.
 
 Moyemont.
 1613 BARBELINE, femme Jean-Remi COLLIN.
 JEANNON, femme Claudon HOWOT.
 CLAUDATTE, fille de Jehennon MARCHAL.
 CLAUDATTE, femme Claudon-Colas PERRIN.
 1618 Claudatte POIRAT.
 
 Destord.
 1615 BARBON, fille Jean DEMENGEON.
 1618 Nicolas BROCARD.
 
 Verdenal.
 1625 BARBELlNE, femme Jean FRANÇOIS.
 
 Coincourt.
 1629 JEANNON, femme Marcel DU FOUR, dit Clément, pâtre.
 Total : 22 (6 hommes, 16 femmes).
 
 TOTAL GÉNÉRAL : 230 (73 hommes, 157 femmes).
 G. S.
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