Allumettes
Camaille - Frémonville
Les
annuaires administratifs de la
Meurthe indiquent pour, au minimum, 1860 à 1870,
« Frémonville. Scierie mécanique à cinq couteaux pour la
fabrication des allumettes. Les bois divisés en
allumettes brutes sont envoyés à Paris, au patron N.
Camaille, pour y être soufrées, etc. Cet industriel,
originaire de Frémonville, médaillé à l'exposition
universelle, a fait construire cette fabrique pour y
occuper ses parents. - Vingt ouvriers sont employés dans
celle fabrique. »
De très nombreux documents, reproduits ci-dessous,
évoquent à compter de 1852, le chimiste et fabricant
parisien Camaille, et sa formule d'allumettes chimiques
au phosphore rouge.
Mais qui est ce Nicolas Camaille, fabricant, rue de
Bondy, n° 70, à Paris (aujourd'hui rue René Boulanger,
Xème arr.), indiqué aussi en 1854 et 1855, fabricant de
veilleuses ?
Le 24 novembre 1785 nait à Frémonville Nicolas Camaille,
fils de Joseph, manoeuvre, et de Marie Le Noir. Il
épouse Marie Anne Cuny à Frémonville le 27 février 1810,
dont il a de nombreux enfants:
- Charles Joseph, né à Frémonville le 26 juillet 1811
- Jean-Jacques, né le 27 août 1813.
- Nicolas, né le 20 octobre 1820
- Marie-Catherine, né le 11 août 1818, décédée le 16
septembre 1860
- Jean Jacques, né le 28 décembre 1814
- Marie-Catherine-Victorine, née le 29 janvier 1829
- ...
Nicolas (fils) se marie le 7 février 1852 à
Paris-Saint-Mery avec Louise Augustine Breviaire. C'est
sans aucun doute lui qui fait des études de chimie,
travaille avec Chevallier et Coignet, et s'installe au
70 rue de Bondy avec son épouse, où il exerce la
profession de fabricant d'allumettes.
Pour la fourniture du bois, Nicolas emploie à
Frémonville ses frères Jean-Jacques et Charles-Joseph, et
ses neveux (dont Emile et Joseph-Louis).
Ainsi, si l' acte de mariage Jean-Jacques Camaille avec
Odile l'Hote du 27 février 1843 indique encore «
Camaille Jean-Jacques, âgé de 28 ans domicilié à
Frémonville, [...] fils de Nicolas Camaille, âgé de 56
ans, maçon, domicilié à Frémonville... », en
présence de son frère Charles, « maçon » à
Frémonville, il apparait que les deux frères vont
abandonner la maçonnerie dès le lancement de la
fabrication à Paris des allumettes, puisque :
-
l'acte de décès
du père (Nicolas, 79 ans) à Frémonville le 15
janvier 1865, mentionne que la déclaration est
faite par Jean-Jacques Camaille (48 ans) et Joseph
Camaille (49), « tous deux fabricants de bois
d'allumettes » ;
-
l'acte de décès
du 13 mai 1868 à Frémonville de Joseph Louis
Camaille, fils naturel de Marie-Catherine, indique
« fabricant d'allumettes » ;
-
le 23 juillet
1872, Emile Camaille (âgé de 22 ans, fils de
Jean-Jacques) déclare la naissance de sa fille
Marie-Claire avec la mention « fabricant
d'allumettes » tant pour son père que pour
lui-même.
Il ressort de ce
dernier acte que la fabrique d'allumettes a subsisté
à la guerre de 1870. Nous avons pas retrouvé l'acte de
décès de Nicolas Camaille, intervenu avant 1895, puisque
le Recueil des actes administratifs de la Préfecture du
département de la Seine pour 1895 indique dans le cadre
de l'agrandissement de la rue Beaubourg la cessibilité
de : « Rue du Grenier-Saint-Lazare, 3 (totalité). -
M. Camaille (Nicolas) et M. Camaille (Adolphe) (indivis)
(M). - Mme veuve Camaille, née Bréviaire
(Louise-Augustine), demeurant rue Taitbout, 52, et y
élisant domicile (D). »
Cosmos -
Revue encyclopédique hebdomadaire des progrès des
sciences.
Tome 7
1852
5° Phosphore amorphe.
Identique, quant à la composition chimique, avec le
phosphore ordinaire qui lui a donné naissance et qu'il
peut reproduire à son tour, le phosphore amorphe,
découvert par M. Schroetter, de Vienne, par ses
propriétés physiques, est un corps nouveau, rouge,
opaque, cassant, friable, fusible seulement à 280°, au
lieu de 40°; ne s'enflammant qu'à 150°; insoluble dans
les corps gras, les alcalis et le suc gastrique ; sans
émanations à la température ordinaire; sans odeur
fétide, sans danger de nécrose pour les ouvriers qui le
préparent et qui l'emploient ; sans effet délétères en
raison de son insolubilité, alors même qu'il serait
administré à la dose de 20 ou 30 grammes, tandis que, à
la dose de quelques centigrammes, le phosphore ordinaire
est un poison violent. Le brevet de M. Schroetter est
devenu la propriété de M. Albrigth, manufacturier à
Birmingham, qui en a cédé l'exploitation pour la France
à MM. Coignet.
Au moyen d'un nouveau fourneau s'alimentant de lui-même
et se maintenant pendant toute l'opération à une
température déterminée, ces messieurs ont tellement
perfectionné la préparation d'abord irrégulière et
incertaine de ce produit, qu'ils transforment facilement
à la fois plusieurs centaines de kilogrammes de
phosphore ordinaire en phosphore amorphe, de manière à
suffire à tous les besoins de la consommation nationale
et étrangère.
Un chimiste français, M. Camaille, encouragé par MM.
Coignet, avait complètement réussi, à force
d'intelligence, de persévérance, de dangers courus, à
substituer avec des avantages énormes et une innocuité
absolue le phosphore rouge ou phosphore blanc dans la
fabrication des allumettes chimiques. Il opérait à
froid; il avait remplacé le soufre par un corps nouveau,
brûlant sans odeur ni fumée ; les nouvelles allumettes
donnaient sans explosion un feu sûr et vif; elles ne
pouvaient plus donner lieu à des empoisonnements nés de
l'imprudence ou médités par le crime. Un chimiste
allemand a apporté au Palais de l'Industrie une solution
incomparablement meilleure de ce grand problème ; il
fractionne en quelque sorte l'allumette, il ne donne au
bois que la pâte au chlorate de potasse, incapable de
s'enflammer seule; il dépose sur le fond de la boîte le
phosphore amorphe, qui n'est plus un poison et qui né
s'enflammera qu'au contact ; le danger est alors
entièrement ou presque entièrement conjuré.
Bulletin
de l'Académie nationale de médecine
Éd. Paris
1853-54
Peut-on préparer des
allumettes chimiques dans des conditions telles qu'on
puisse les utiliser pour les usages ordinaires sans
qu'elles puissent être employées pour déterminer
l'empoisonnement ?
Notre première idée fut d'appliquer les moyens proposés
par MM. Henry père, Labarraque, Boullay, Derosne, Brard,
Boys de Loury, Grimaud, etc., et qui consistaient à
donner aux substances toxiques un goût amer et une
couleur intense destinés à prévenir la personne à
Iaquelle on essaierait d'administrer la substance
toxique et à la mettre en garde contre les dangers
auxquels elle est exposée.
Nous eûmes recours, pour faire nos essais, à un habile
fabricant, M. Camaille, qui, sur notre demande, s'occupa
de la préparation d'allumettes chimiques susceptibles de
donner aux aliments une saveur amère; les substances qui
furent employées étaient l'aloès et la poudre de
coloquinte. Les résultats obtenus par ce fabricant lui
firent connaître 1° qu'on pourrait, à l'aide de la
poudre de coloquinte, obtenir une pâte amère qui, en
très petite quantité, communiquerait aux liquides et aux
aliments une saveur très intense qui pourrait avertir
toute personne qui ferait usage des liquides ou des
aliments dans lesquels on pourrait faire entrer de ce
mélange
2° Qu'il était plus difficile de préparer une pâte
phosphorée amère en faisant usage de l'aloès, mais que
cependant on pourrait y parvenir.
Nos expérimentations sur les allumettes préparées par M.
Camaille étaient terminées, et nous préparions un
rapport que nous nous proposions de lire à l'Académie,
lorsqu'on nous remit une certaine quantité de phosphore
rouge dont on ne nous fit pas connaître l'origine.
[...]
Relativement à la fabrication, nous nous adressâmes à M.
Camaille, qui, après un grand nombre d'essais, nous
apporta des allumettes confectionnées avec le phosphore
rouge, allumettes qui jouissent de toutes les propriétés
que l'on recherche dans celles actuellement employées.
Catalogue
des brevets d'invention d'importation et de
perfectionnement
Ed. Paris - 1855
(20814. 3 novembre
1854.) Perfectionnements dans la fabrication des
allumettes chimiques.
Brevet de 15 ans, pris le 15 septembre 1854, par
Camaille, fabricant d'allumettes chimiques, à Paris, rue
de Bondy, n. 70.
Rapport
sur l'Exposition universelle de 1855, suivi de la liste
des exposants de la Seine-Inférieure
Jean Girardin, Alphonse Cordier et Eugène Burel
Éd. Rouen, 1856
Un chimiste français,
M. Camaille, encouragé par MM. Coignet, avait
complètement réussi à substituer, avec de grands
avantages et une innocuité absolue, le phosphore rouge
au phosphore blanc dans la fabrication des allumettes
chimiques, et il avait ainsi fait disparaître la cause
d'un grand nombre de ces incendies qui désolent nos
villes et nos campagnes depuis l'emploi des allumettes à
friction.
Il opérait à froid ; il avait remplacé le soufre par un
corps nouveau, brûlant sans odeur ni fumée; ces
nouvelles allumettes procuraient, sans explosion, un feu
sûr et vif ; elles ne pouvaient plus donner lieu à des
empoisonnements nés de l'imprudence ou médités par le
crime.
La santé:
journal d'hygiène publique et privée rédigé par les
docteurs Alphonse Leclercq et Nicolas Theis
1856-1857
Un dernier obstacle
subsiste dans l'existence d'un brevet spécial pris pour
la fabrication des allumettes au phosphore rouge par M.
Camaille. Mais cet honorable fabricant, qui a été le
premier à réclamer la substitution obligatoire du
phosphore amorphe au phosphore ordinaire, s'est
non-seulement engagé, dans le cas on celle mesure serait
prescrite par l'autorité supérieure, à laisser son
brevet dans le domaine public; il a, en outre, de
concert avec MM. Coignet, promis de faire connaître les
procédés perfectionnés dont son expérience du nouveau
mode de fabrication lui a démontre la supériorité, et de
donner ainsi aux fabricants toutes les facilités
possibles de se conformer, sans risques, à une réforme
qui doit profiler à leur industrie particulière aillant
qu'à la sécurité publique. Si l'on s'étonnait qne M.
Camaille, propriétaire d'un brevet, inventeur de
procédés qui lui permettent d'exploiter une découverte
dont il a reconnu l'excellence, ne les eût pas déjà mis
en pratique, et n'eût pas répandu dans le commerce des
allumettes au phosphore amorphe, il suffirait de
rappeler que le prix de revient, plus élevé de ces
allumettes, le met, quant à présent, dans
l'impossibilité de soutenir la concurrence que lui
feraient dans le commerce de détail les allumettes au
phosphore ordinaire que l'on fabrique, et que l'on peut
vendre à meilleur marché. Toutefois le moment n'est
peut-être pas éloigné ou de nouveaux perfectionnements,
qu'il est permis de pressentir, lui permettraient de
tirer parti de son brevet, si l'abandon qu'il propose
d'en faire ne réalisait pas au profit de tous un progrès
qu'il appartient à l'administration supérieure de
sanctionner.
Album de
l'exposition universelle dédié à S.A.I. le prince
Napoléon. Tome 2
M. le baron L. Brisse
Éd. Paris
1857
M. CAMAILLE, Paris
(France). Cet exposant s'est occupé de la substitution
du phosphore amorphe au phosphore ordinaire dans la
fabrication des allumettes; il y a apporté une grande
amélioration au point de vue de la santé des ouvriers et
de la salubrité générale. M. Camaille a obtenu la
MEDAILLE DE PREMIÈRE CLASSE.
Bulletin
de l'Académie nationale de médecine
Éd. Paris
1858-59
Quelques honorables
industriels, parmi lesquels nous plaçons en première
ligne M. Abright (de Birmingham) et M. Camaille (de
Paris), mettant à profit les données de la science, ont
fait des essais intéressants sur la fabrication des
allumettes chimiques au phosphore amorphe. Suivant M.
Tardieu, qui a suivi les opérations exécutées par M.
Camaille, les allumettes préparées avec un mélange de
phosphore rouge, de poudre de verre, de chlorate de
potasse et de gomme adragante, sont d'excellente qualité
et se conservent longtemps. Il importe donc de
substituer au phosphore ordinaire le phosphore rouge qui
offre de si grands avantages au point de vue de la
sécurité publique.
Dictionnaire d'hygiène publique et de salubrité, ou
Répertoire de toutes les questions relatives à la santé
publique
Ambroise Tardieu
Éd. J.-B. Baillière et fils (Paris)
1862
Des allumettes au
phosphore amorphe. - Les chimistes éminents qui ont les
premiers reconnu les propriétés du phosphore rouge, MM.
Schroetter, Bussy, de Vry, ont bien compris le parti que
l'on pourrait en tirer pour la fabrication des
allumettes. Dès 1851, des allumettes préparées sur les
indications du savant professeur de Vienne figuraient à
l'exposition de Londres ; et au concours universel de
1855 à Paris le jury signalait des échantillons
d'allumettes au phosphore amorphe, envoyés par M.
Albright (de Birmingham), cessionnaire, pour
l'Angleterre, du brevet de M. Schroetter, et par M.
Camaille (de Paris), que M. Chevallier avait dirigé dans
ses intéressants essais.
Malgré ces premières tentatives, les nouvelles
allumettes ne se sont jusqu'ici répandues dans le
commerce ni en France, ni à l'étranger; et il y a lieu
de rechercher ici quelles sont les conditions de leur
fabrication et de leur emploi. La commission ne s'est
pas tenue à l'examen de celles qui lui avaient été
présentées, elle en a fait préparer devant elle, et a
suivi avec un très grand intérêt les opérations qu'a
exécutées sous ses yeux M. Camaille.
[...]
Les allumettes au phosphore amorphe préparées avec soin
ne laissent rien à désirer au point de vue de la qualité
et de l'usage.
Les premières qui ont été préparées offraient
l'inconvénient d'une déflagration trop vive et trop
inégale; mais c'est là un défaut très facile à corriger,
et qu'a su faire disparaître déjà M. Camaille en
diminuant la proportion du chlorate de potasse contenue
dans la pâte inflammable. Nous avons constaté, en outre,
que les allumettes nouvelles se conservent parfaitement.
Traité
d'hygiène publique et privée. Tome 2
Michel Lévy,...
Éditeur .-B. Baillière et fils (Paris)
1879
La découverte du
phosphore amorphe et de son innocuité conduit
naturellement à substituer un produit inoffensif à une
substance toxique. Soumis à l'action prolongée de la
chaleur, le phosphore est modifié dans ses caractères
apparents et dans ses propriétés essentielles : c'est ce
produit que son inventeur, Schroetter (de Vienne), a
nommé phosphore rouge ou amorphe, aussi différent du
phosphore ordinaire que le diamant l'est du charbon,
suivant l'ingénieuse comparaison de Bussy qui, le
premier, a démontré expérimentalement qu'on peut le
donner impunément aux animaux à des doses considérables.
Il ne répand ni odeur ni vapeur; on peut l'exposer à
l'air, le manier, le frotter sans l'enflammer; il prend
feu seulement au delà de 200 degrés et ne jette pas en
brûlant la flamme éclatante et instantanée qui jaillit
du phosphore blanc. Son application industrielle,
indiquée par Schroetter, Bussy, de Vry, est aujourd'hui
sanctionnée par l'expérience. A Lyon Coignet, à Paris
Camaille, dirigé par Chevallier, à Birmingham Albright
ont offert au commerce des allumettes au phosphore rouge
qui ne le cèdent en rien aux autres, et dont la
fabrication, exempte de tout dégagement de vapeur, ne
suscite aucun danger aux ouvriers.
Quant à leur innocuité, elle est attestée par les
expériences de Bussy, de Vry, Lassaigne, Raynal et
Chevallier, Renault et Delafond, Orflla neveu et Rigout.
Ces derniers ont administré à une chienne jusqu'à 200
grammes de phosphore rouge en 12 prises de 20 à 50
grammes à la fois, et, sauf un vomissement accidentel,
elle n'a éprouvé aucun trouble, elle a continué de
manger; l'autopsie n'a relevé chez elle aucune lésion du
tube digestif. La prohibition du phosphore blanc est
commandée par un grand intérêt public; reste à lever les
difficultés qui résultent du monopole du phosphore
rouge, garanti par des brevets. |