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Constance Batelot - Cour de cassation 1833


Cette jurisprudence de 1833 démontre que Constance (veuve de Charles Batelot, dont le nom est mal orthographié dans l'arrêt ci dessous) avait dès 1829 repris toutes les prérogatives de son défunt mari, tant dans la direction de la forge de Blâmont que dans celle d'Abreschwiller.
Mais elle soulève surtout la difficulté des titres anciens ; ici, c'est un acte de 1624 dont l'original a disparu, qu'il convient d'apprécier au titre de l'article 1335 du code civil (article dont la rédaction de nos jours est intégralement similaire à celle de 1804).

Code civil - Article 1335
Lorsque le titre original n'existe plus, les copies font foi d'après les distinctions suivantes :
1° Les grosses ou premières expéditions font la même foi que l'original ; il en est de même des copies qui ont été tirées par l'autorité du magistrat, parties présentes ou dûment appelées, ou de celles qui ont été tirées en présence des parties et de leur consentement réciproque.
2° Les copies qui, sans l'autorité du magistrat, ou sans le consentement des parties, et depuis la délivrance des grosses ou premières expéditions, auront été tirées sur la minute de l'acte par le notaire qui l'a reçu, ou par l'un de ses successeurs, ou par officiers publics qui, en cette qualité, sont dépositaires des minutes, peuvent, au cas de perte de l'original, faire foi quand elles sont anciennes.
Elles sont considérées comme anciennes quand elles ont plus de trente ans ;
Si elles ont moins de trente ans, elles ne peuvent servir que de commencement de preuve par écrit.
3° Lorsque les copies tirées sur la minute d'un acte ne l'auront pas été par le notaire qui l'a reçu, ou par l'un de ses successeurs, ou par officiers publics qui, en cette qualité, sont dépositaires des minutes, elles ne pourront servir, quelle que soit leur ancienneté, que de commencement de preuve par écrit.
4° Les copies de copies pourront, suivant les circonstances, être considérées comme simples renseignements.

Jurisprudence générale du royaume, recueil périodique et critique de législation, de doctrine et de jurisprudence
Par M. Dalloz
Paris - 1834

COMMEN. DE PREUVE, TRADUCTION, FÔRETS, TITRE, POSSESSION, FRAIS.
La traduction, en matière domaniale, d'une concession rédigée en langue étrangère, a pu, en l'absence du titre original disparu des archives d'une préfecture, être considérée, par un tribunal, comme un commencement de preuve par écrit qui l'autorisait à admettre les présomptions résultant d'actes faits et documens produits, alors surtout que l'existence du litre original était constatée par des actes émanés de l'autorité elle-même, qui en relataient les dispositions principales, que la traduction avait été délivrée par un interprète de l'administration et que son authenticité n'était pas contestée (C. civ., 1335).
L'expédition d'un titre traduit, reconnu par les arrêtés administratifs et suivi d'une longue possession, a pu, en l'absence de détermination précise de la loi, être considérée comme satisfaisant au prescrit de Part. 58 c. for., qui oblige les concessionnaires d'affectations non prohibées dans les forêts de l'état, à se pourvoir, dans l'année, devant les tribunaux pour faire statuer sur la validité de leur titre (C. for., 58; c. civ., 691 et 1335).
Une concession de terrains et un droit de prendre, moyennant une redevance, des bois dans les forêts d'un comté, stipulés en faveur d'une forge à construire dans un lieu indiqué par l'acte, peuvent, d'après les circonstances de la cause, être déclarés applicables à une forge construite au-dessous.
La possession peut être admise comme présomption à l'appui d'un commencement de preuve par écrit, encore qu'elle ne réunirait pas toutes les qualités requises pour prescrire. Les art. 2232 et 2240 ne s'appliquent pas à ce cas (C. civ., 2229).
Les frais faits, en première instance, par un concessionnaire de droits dans les forêts de l'état, pour, aux termes de l'art. 58 c. for., faire statuer, par les tribunaux, sur la validité de son titre qu'il prétend n'être pas atteint par les prohibitions de ce même article, sont à la charge du concessionnaire, encore que son titre ait été reconnu valable. - Ici ne s'applique pas l'art. 130 c. pr., en ce qu'il y a obligation pour le domaine de contester et que cette procédure est toute dans l'intérêt du concessionnaire.
Dans ce cas, cependant, les frais de l'appel sont à la charge du domaine.


(Le préfet de la Meurthe C. la dame Bathelot et autres.)
En 1809, le sieur Houdouart se pourvoit devant le conseil de préfecture de la Meurthe, pour faire reconnaître les droits qu'un acte du 4 octobre 1614, a accordé au sieur Collin, son auteur. Cet acte, dont la traduction seule, faite par le sieur Wilhem, interprète, le 28 juin 1809, et énonçant que le titre original en langue allemande, a été déposé aux archives de la préfecture du département de la Meurthe sous le n° 503, est produite devant le conseil, porte que le comte de Linange a autorisé, le 4 octobre 1624, le sieur Collin, forgeron, à construire une forge au-dessus du Thomastal, sur le grand ruisseau dit le Soor, et lui a cédé, pour cela, 4 arpens de bois à titre d'emphithéose, moyennant une rente annuelle de 16 liv. et la dîme. Il porte encore que l'emphithéote et ses successeurs, seront tenus de prendre, dans les forêts du comté, les bois nécessaires à leur forge, lesquels leur seront fournis à un prix modéré, et que le bois de construction et celui de peu de valeur, pouvant servir pour la cuisine et le chauffage, leur seront donnés et abandonnés de tout temps, etc., etc.
25 mai 1810, avis du conseil de préfecture, qui, tout en reconnaissant que la forge possédée par le sieur Houdouart, dans le village d'Abreschviller, n'était point située où elle devait l'être, d'après le pièce produite comme titre, statue que le sieur Houdouart doit être maintenu en possession des droits concédés par l'acte du 4 octobre 1624, aux charges y portées. - 17 février 1813, approbation du ministre des finances. - 3 juin 1813, second arrêté du conseil de préfecture, interprétatif de la concession de en ce qui concerne la délivrance des bois de construction.
En 1828, le sieur Bathelot, nouvel acquéreur de la forge d'Abreschwiller, assigne, en exécution de l'art. 58 c. for., le préfet de la Meurthe, pour faire déclarer judiciairement qu'il sera maintenu à perpétuité dans la possession de ses droits d'usage et d'affectation sur les forêts nationales provenant de l'ancien comté de Dabo. - 26 mars 1829, jugement du tribunal de Sarrebourg, qui accueille ces conclusions.
Appel du domaine, qui prétend que le titre de 1624 n'est point applicable à la forge d'Abreschwiller, mais bien à une forge qui a existé, ou dû exister à 5 kilomètres de distance ; subsidiairement que l'état est libre de renoncer au bénéfice de la stipulation de ce règlement portant : «  que les concessionnaires seront tenus de prendre, dans les forêts du comté de Dabo, à un prix modéré, les bois nécessaires au roulement de leur usine; » - Attendu que cette stipulation a été faite dans l'intérêt seul du prince de Linange, représenté aujourd'hui par l'état, etc.
La dame veuve Bathelot déclare, par un mémoire signifié, «  quelle n'est pas à même de produire un second acte qui autorise le propriétaire originaire de la forge d'Abrcschwiller, à établir son usine dans un autre lieu que celui indiqué au litre de concession, ou à changer de place la forge primitivement construite. » Mais elle soutient qu'a défaut d'un acte écrit, elle peut du moins invoquer des présomptions graves, précises et concordantes, tellement nombreuses, qu'elles remplacent l'autorisation elle-même.
1er juillet 1831, arrêt interlocutoire de la cour de Nancy, qui délègue le juge de paix du canton de Lorquin, pour reconnaître la situation des lieux, et en faire dresser un plan topographique. - 10 mars 1832, arrêt définitif, qui admet les prétentions de la dame Bathelot, et cependant la condamne aux dépens de première instance, ceux d'appel restant à la charge de l'état. - La cour pose en fait que, 1° le comte de Linange a reconnu de la manière la plus formelle, que la forge d'Abreschwiller avait été établie légalement dans ses domaines; 2° qu'il lui a volontairement reconnu le droit de s'alimenter avec le bois pris dans ses forêts à un prix convenu. - Elle considère que la traduction produite du titre, portant la date du 4 octobre 1624, dont l'authenticité n'est pas contestée, et dont l'original, écrit en langue allemande, ne s'est plus retrouvé dans les archives de la préfecture, où il avait été déposé, n'indique pas d'une manière précise, le lieu sur lequel devait être construite la forge, dont l'établissement était demandé; qu'en admettant même, qu'originairement la forge actuelle eût été construite dans un lieu supérieur à celui où elle se trouve, ce changement n'a pas été fait sans l'approbation des comtes de Linange, qui, nécessairement, y apportaient peu d'importance; approbation, qui, évidemment, résulte de l'exécution constante du droit réclamé; - Elle considère, enfin, que la dame Bathelot a pour elle une possession conforme à un titre, qui ne peut évidemment s'appliquer à une autre forge qu'à celle d'Abreschwiller. - La cour reconnaît que les comtes de Linange avaient la libre disposition de leurs droits sur les forêts de Dabo ; qu'ils ont pu, dès lors, comme ils l'ont fait, consentir, par l'acte de 1624, une concession à perpétuité, en faveur de Collin, de ses héritiers et successeurs; que la seule cause de révocation qui s'y trouve, suppose le cas où le concessionnaire négligerait d'entretenir, et laisserait dépérir la forge, ce qui n'est pas ; que ce titre portant des engagemens réciproques, est synallagmatique, et ne peut être anéanti que du consentement des deux parties. - Quant aux dépens, la cour, «  considérant que l'art. 58 c. for., de l'application duquel il s'agit, impose aux concessionnaires, qui prétendraient que leur titre n'est pas atteint parles prohibitions qui y sont rappelées, l'obligation de se pourvoir devant les tribunaux, pour y faire statuer; - Que cette mesure est évidemment une vérification ayant pour but d'obtenir la ratification Judiciaire du titre primordial, et conséquemment, un titre définitif en faveur du concessionnaire; qu'il n'est pas exact de dire, avec les premiers juges, qu'en élevant la contestation actuelle, l'étal a dû subir les conséquences d'un litige ordinaire, et être soumis à l'application de l'art. 130 c. pr., en ce qu'il ne serait pas resté dans les limites et dans le sens d'un simple accomplissement de la condition; qu'au cas particulier, l'autorité administrative a pu se croire en droit de contester le titre produit; qu'il était même de son devoir d'éclairer la justice sur une question qui présentait des difficultés; - Considérant donc que les frais du jugement dont est appel, ayant été nécessaires pour obtenir le renouvellement du titre sollicité par l'intimé, doivent être à la charge de ce dernier; mais qu'il n'en est pas de même des dépens d'appel, qui doivent être payés par le domaine, comme ayant été exposés inutilement. »

Pourvoi de l'état, pour 1° violation des art. 691, 1335 c. civ. et 58 c. for. - En effet, a-t-on-dit, pour qu'aux termes de l'art. 1335 c. civ., les copies tirées sur la minute d'un acte pour servir de titre aux personnes qui les invoquent, il faut que ces copies aient été délivrées par les notaires ou officiers publics, qui sont dépositaires de la minute. Or, ici, la copie produite émane d'un traducteur, et non de l'officier public, dépositaire de la minute : cette minute elle-même n'existe plus aux archives de la préfecture, où l'on annonce en avoir effectué le dépôt, en sorte qu'il n'est pas possible de vérifier, ni le caractère et la validité de cette pièce, ni la fidélité et l'exactitude de la traduction. Dans de semblables circonstances, la cour de Nancy ne pouvait pas admettre cette copie comme une preuve suffisante du droit réclamé, sans violer l'art. 1335. - En vain la cour a-t-elle énoncé que l'authenticité de la traduction produite n'était pas contestée ; il s'agissait d'un moyen de droit, et le devoir du juge était d'examiner si cette authenticité était susceptible de contestation. C'est du reste, en procédant à cet examen, qu'elle a violé l'art. 1335 c. civ. - En imposant au demandeur le devoir de prouver l'obligation dont il réclame l'exécution, l'art. 1315 c. civ. veut que les tribunaux rejettent une prétention qui n'est pas suffisamment justifiée, et ce n'est pas un commencement de preuve, un simulacre de titre, que l'art. 58 c. for., et l'art. 691 c. civ. exigent pour assurer à perpétuité un droit d'affectation ou de servitude ; ces articles exigent un titre, dont l'authenticité soit incontestable.
2° Violation des art. 1353, 2234 et 2240 c. civ. - La condition première exigée pour que les tribunaux puissent invoquer des présomptions à l'appui d'une demande, c'est que le titre produit, et dans lequel on prétend trouver un commencement de preuve, s'applique à l'objet du litige; ce qui n'est pas dans l'espèce, puisque la forge d'Abreschwiller est située à plus de 5 kilomètres de celle qui devait être ou a été construite sur les terrains concédés le 4 octobre 1624. C'est donc en l'absence de toute espèce d'acte, ou de commencement de preuve par écrit, et en supposant l'existence d'un acte dérogatoire à la concession de 1624, que la cour royale s'est crue fondée à admettre des présomptions, et a ainsi violé l'art. 1353 c civ. - Dailleurs, les faits de possession antérieurs à la réunion des forêts de Dabo au domaine de l'état, ne sont établis que par des déclarations et attestations sans aucun caractère d'authenticité, et dont la loi repousse l'admission. Ils sont démentis par les registres des anciens comtes de Linange, et par le procès de 1792. - Les faits de possession postérieurs à 1792, ont été isolés et précaires, jusqu'à la décision ministérielle du 17 février 1812, et n'ont pas cessé de conserver ce caractère. La cour a donc aussi violé les art. 2232 et 2240 c. civ.

ARRET.
LA COUR; - Sur le, premier moyen : considérant que l'acte de concession du 4 octobre 1624, consenti par le comte de Linange et de Dabo, qui avait la libre disponibilité de ses biens, avait été déposé à la préfecture de la Meurthe, et existait dans les archives de cette administration, sous la cote 503, en 1809 ; que le conseil de préfecture a constaté cette existence, par ses arrêtés des 25 mars 1810 et 3 juin 1813, qui ont été rendus sur le vu de cet acte, et qui en ont rappelé les dispositions principales; que si ce titre ne se trouve plus dans ces archives, sans qu'il soit possible d'indiquer la cause de cette disparition, cet accident ne peut être opposé par le domaine à la veuve Bathelot ; que l'original de cet acte, qui était en langue allemande, est remplacé par la traduction qui en a été faite en langue française, en 1809, par un interprète attaché à la préfecture, et dont une expédition régulière, expédiée par le secrétaire de cette administration, a été produite au procès; que cette expédition constitue, sinon une preuve complète, du moins un commencement de preuve par écrit, qui a autorisé la cour royale à admettre, comme elle l'a fait, les présomptions qui résultaient des actes, faits et documens produits, notamment de la longue possession que la dame Bathelot et ses auteurs avaient eue, pendant plus d'un siècle, des droits par elle réclamés;
Considérant que l'art. 58 c. for. ne détermine pas la nature des titres et des preuves que les concessionnaires doivent rapporter; qu'ainsi ils restent soumis au droit commun ; qu'en admettant l'expédition du titre traduit, reconnu par les arrêtés administratifs et suivi d'une longue possession, la cour royale n'a violé ni l'art. 691, ni l'art. 1335 c. civ.;
Sur le second moyen : considérant qu'en décidant que l'usine possédée par la veuve et les enfans Bathelot, était la même que celle pour laquelle avait été consenti l'acte de 1624, la cour royale a prononcé sur un point de fait qui était abandonné entièrement à son appréciation, et à l'examen duquel la cour de cassation ne doit point se livrer; que l'art. 1353 est inapplicable à une pareille question;
Considérant que la possession des défendeurs éventuels et de leurs auteurs, n'a été invoquée en leur faveur, et n'a été admise par l'arrêt que comme une présomption, et non comme ayant constitué une prescription; qu'ainsi il est inutile d'examiner si cette possession aurait pu opérer la prescription, d'après le droit qui régissait les biens, et d'après le contrat et ses stipulations;
Considérant enfin qu'il n'est pas justifié par le demandeur, et qu'il n'a pas même été articulé par lui devant la cour royale, que la possession des défendeurs éventuels est de simple tolérance, ou contraire à leur titre; que les arrêtés administratifs sont en opposition avec cette proposition; qu'ainsi en admettant cette possession comme présomption, la cour royale n'a pu violer les art. 2232 et 2240 c. civ. ; - Rejette.
Du 13 nov. 1833.-Ch. req.-MM. Zangiacomi, pr. - Tripier, rapp. Tarbé, av. gén. - Teste-Lebeau, av.

 

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