Revue internationale de
l'enseignement - 15 mai 1894
Documents inédits pour servir a l'histoire
de l'instruction publique pendant la révolution (1794-1802)
On sait avec quelle persévérance nos
contemporains étudient l'histoire de renseignement à tous ses degrés pendant la
Révolution française. Cette étude est même une de celles qui passionnent le plus
les érudits, parce que les conclusions auxquelles les faits doivent toujours
aboutir quand il s'agit d'histoire n'apparaissent pas encore ici avec une assez
grande netteté. Optimistes et pessimistes - car les uns voient tout en beau et
les autres tout en laid - ne semblent pas être sur le point de s'entendre. Ils
s'opposent les uns aux autres une foule de documents contraires, et le lecteur
qui veut être impartial désire toujours un supplément d'informations. C'est
pourquoi il m'a paru bon de chercher dans la vaste correspondance de Grégoire,
correspondance qui embrasse toute la France et qui s'étend du 9 thermidor
jusqu'à la signature du Concordat, les passages qui peuvent servir à éclairer la
question. En est-il en effet de plus concluants que les témoignages individuels,
que les confidences de gens qui évidemment ne se sont pas concertés? Les
correspondants de Grégoire sont d'autant plus dignes de foi qu'ils ne se
croyaient pas appelés à déposer un jour devant le tribunal de la postérité.
Prêtres républicains pour la plupart, ils écrivaient au célèbre évêque de Blois
pour lui parler d'affaires religieuses, et si les questions d'instruction
publique ont trouvé place dans leurs lettres, c'est par hasard, ou plutôt parce
que la force des choses le veut ainsi, l'éducation et la religion ne pouvant
guère être séparées l'une de l'autre.
[...]
MEURTHE-ET-MOSELLE
Lettre de Joseph Colin,
administrateur d'Emberménil (1)
(ci-devant curé de cette paroisse).
De Martincourt, commune de Lagarde, le 10 germinal 1795 [30 mars].
... Le maitre d'école d'Emberménil, nommé instituteur pour la Neuville-au-Bois,
Vaucourt et Emberménil, est un apostat et un ivrogne, de même que son épouse.
J'ai déjà averti la municipalité d'Emberménil que je ne chanterais pas la messe
ni aucuns offices avec un tel homme. Il est bien ridicule de donner une pension
de 1200 livres avec la maison de cure à un tel homme, qui ne tient, tant le soir
que le matin, au plus 2 heures les enfants, et qui n'en a que 5 ou 6. Et je
parierais qu'il n'en a pas eu plus de 12 pendant l'hiver, et qu'il n'en aura pas
davantage l'hiver prochain; encore n'a-t-il rien fait que de leur apprendre des
chansons que de mauvais journalistes et autres scélérats semblables font
circuler. Voilà l'éducation des enfants actuellement. Dans 10 ans d'ici, si cela
continuait, il n'y aurait plus que des fripons ignorants. Les instituteurs sont
presque tous ou des crapuleux, des ignares, ou des paresseux, et personne pour
les surveiller.
(1) Emberménil, dont Grégoire était curé en 1789 est un village de
Meurthe-et-Moselle, arrondissement de Lunéville, canton de Blamont, 600
habitants. |