Annales de
géographie
Janvier 1931
L'INDUSTRIE DANS LA RÉGION BORDIÈRE DES VOSGES ENTRE
LES VALLÉES DE LA MEURTHE ET DE LA VEZOUSE
La partie qui s'étend entre les
vallées de la Meurthe et de la Vezouse forme la
transition entre la région industrielle vosgienne et
celle de Nancy. On y trouve des industries très
variées : 1 verrerie et 1 cristallerie, 4
faïenceries, 1 tuilerie, 6 papeteries, 35 filatures
et tissages, 80 scieries, quelques industries
agricoles : féculeries, fabrique de conserves, -
extractives : exploitation du granit, du grès, du
trapp bleu de Raon-l'Étape, - métallurgiques
fonderies et constructions métalliques. Certaines
sont importantes elles emploient une main-d'oeuvre
nombreuse près de 2 000 ouvriers à la Cristallerie
de Baccarat, 1 300 à la glacerie de Cirey, 1 000 aux
Papeteries de Clairefontaine. Leur matériel est
important mais, comme l'industrie est trop variée
pour que nous puissions totaliser des machines si
différentes, nous indiquerons seulement 230 000
broches et 8 500 métiers pour l'industrie textile
et, parmi les divers produits fabriqués, nous
citerons à titre d'exemple 106 000 m2 de- glace et 2
500 t. de verre moulé à la glacerie de Cirey,
environ 400 000 m. de tissus par jour dans
l'ensemble des filatures et tissages et plus de 742
000 kg. de terre travaillés par mois à la tuilerie
de Pexonne.
Cette industrie n'est pas concentrée. Les usines se
sont établies presque toutes dans les vallées de la
montagne où elles trouvaient la force motrice, les
voies de communication, et la forêt. On compte, dans
la vallée du Rabodeau, 6 filatures, 12 tissages, 20
scieries sur une longueur de 22 km., autour de
Moussey, la Petite-Raon, Senones et Moyenmoutier
dans celle de la Plaine, 4 filatures, 2 tissages, 33
scieries, plus spécialement autour de Raon-sur-laine,
Luvigny, Allarmont et Celles-sur-Plaine dans la
haute vallée de la Vezouse, 2 filatures, 3 tissages,
1 papeterie, 1 verrerie, 18 scieries, autour de Val
et Chatillon, Cirey et Blâmont ; dans la vallée de
la Meurthe, 6 papeteries, 1 cristallerie, 1
faïencerie. Ces industries sont le résultat de
créations successives, mais beaucoup sont anciennes.
L'industrie ancienne est née dans la forêt. Son
origine ne peut être déterminée, mais de très vieux
textes ont trait aux industries régionales. Nous
possédons la copie d'un traité fait en 1261 entre le
comte de Salm et l'abbaye de Senones, au sujet de
l'exploitation des mines de fer du Donon et des
forges de Frammont. Les salines de Moyenmoutier, de
Dieuze, de Moyenvic ou de Rosières trouvaient leur
combustible dans la forêt. Dès le XIIIe siècle, on
trouve des verreries en pleine forêt ; en 1530,
celles de Raon et de Saint-Quirin sont en pleine
prospérité ; en 1617, il en est plusieurs dans les
bois de Busson, près de Blâmont. Dès le XVe siècle,
on trouve aussi des papeteries le long des cours
d'eau au XVIIIe, les faïenceries s'établissent sur
les bandes argileuses et marneuses du Keuper, à
proximité de la forêt, d'où elles tirent leur bois
de chauffage.
Enfin, la forêt retenait au sol de nombreux
habitants, à qui elle fournissait du travail,
surtout dans la morte-saison. C'est cette
main-d'oeuvre formée par le travail de la forêt et
par celui des industries nées de la forêt, ce sont
les capitaux accumulés par ces générations
laborieuses qui devaient attirer, au XIXe siècle,
les industries nouvelles et permettre de transformer
les industries anciennes.
Les principales industries actuelles sont
1° La Cristallerie de Baccarat. Elle emploie 2 000
ouvriers, tous du pays, et produit environ 2 000 t.
d'objets en cristal services de table, vases taillés
ou gravés. Elle fait venir le charbon de la Sarre,
les sables de Fontainebleau, les calcaires de la
vallée de la Meuse, la potasse de Stassfurt (Saxe).
C'est donc la main-d'oeuvre spécialisée dans ce
genre de travail qui explique à peu près seule
l'importance de cette industrie ;
2° La Glacerie et Verrerie de Cirey, qui fabrique
par an 160 000 m2 de glace et 2 500 t. de produits :
moulés pavés et tuiles de verre, opaline, verres
d'optique. Elle fait venir le sable de Fontainebleau
ou de Nogent-l'Artaud et la soude de Varangéville,
où la Société possède une soudière. Elle cherche à
encourager ses ouvriers à devenir agriculteurs et
propriétaires, en mettant à leur disposition, le
travail de l'usine terminé, étables et instruments
de culture, et en répartissant entre eux terrains
labourés et fumés
3° Les Papeterie. Les petits moulins à papier ont
été remplacés par 6 usines la plus importante est la
Papeterie de Clairefontaine, qui fabrique 9 000 t.
de papier par an : papiers d'écriture et
d'impression. En 1928, elle a produit 350 millions
d'enveloppes et 15 millions de cahiers d'écolier.
Elle emploie 12 000 stères de bois par an, provenant
en partie de la région et en partie de Russie ou de
Finlande, et 4 000 t. de celluloses écrues ou
blanchies provenant de France, d'Allemagne ou de
Suède. La Meurthe ne suffit plus à actionner les
machines, et, sur les 2 000 CV employés, 1100 sont
fournis par la vapeur et 600 par l'électricité.
La Papeterie Mettenet, à la Neuville-les-Raon,
n'emploie que 380 ouvriers et ne produit que du
papier ordinaire (23 000 kg. par jour), qui sera
transformé par d'autres usines.
Les Papeteries des Chatelles, qui possèdent 2
usines, l'une à Raon-l'Etape, l'autre à La Chapelle,
produisent 3 000 t. de papier par an, vendues aux
libraires et aux imprimeurs.
La Papeterie de Chenevières, qui appartient à la
SOCIÉTÉ DES PAPETERIES NAVARRE, est spécialisée dans
la fabrication des papiers minces de toute qualité ;
elle utilise des chiffons, du phormium et des
déchets de filature, outre la pâte de cellulose.
Enfin la Papeterie Mazerand, à Cirey, n'est qu'une
usine de transformation ; ses 200 ouvriers
travaillent 50 000 kg. de papier par mois (sacs de
confiseurs, bottes, etc.) ;
4° L'industrie textile. C'est la principale
industrie de la région ; c'est aussi une des plus
anciennes ; on peut en chercher l'origine dans la
vieille industrie familiale de la filature du lin et
du tissage des toiles. Cette main-d'oeuvre exercée
devait attirer les usines. C'est en 1805 que
s'établissait à Senones la « première filature
mécanique de coton installée dans le département des
Vosges », dans les bâtiments des abbayes de Senones
et de Moyenmoutier, près du Rabodeau, grâce à la
collaboration d'un ingénieur anglais, J. Heywood,
originaire du Lancashire, et de deux Nancéens.
Cette industrie ne devait pas tarder à se développer
elle trouvait dans nos vallées la force motrice, une
main-d'oeuvre experte et quelques capitaux. Le XVIIIe
siècle avait été en effet pour la Lorraine une
heureuse époque une classe bourgeoise aisée s'était
constituée, elle allait suivre l'exemple de Heywood.
On assista à une réelle floraison de petites usines
(10 ouvriers) ; certaines périclitèrent, d'autres
prospérèrent, et les gens du pays, d'abord méfiants,
n'hésitèrent bientôt plus à leur confier des
capitaux. Aujourd'hui les usines plus importantes
sont des sociétés en commandite.
L'industrie textile compte dans la région 15
filatures, 20 tissages et des industries annexes de
blanchiment, teinturerie et impression. Elle emploie
près de 9 000 ouvriers, les trois cinquièmes de la
population ouvrière locale, en majeure partie des
femmes et des filles d'ouvriers ou même de
cultivateurs.
Les usines sont ainsi réparties :
Vallée du Rabodeau : 2 filatures et 3 tissages à
Moussey et la Petite-Raon ; 3 filatures, 6 tissages,
1 blanchisserie et teinturerie à Senones ; 1
filature, 3 tissages et une très importante
blanchisserie, teinturerie et impression, à
Moyenmoutier.
Vallée de la Plaine : 1 filature et 1 tissage à Raon-sur-Plaine,
1 filature et fabrique de fournitures pour ouvrages
de dames, à Celles, des ateliers à Luvigny, Celles
et Raon-l'Étape où la SOCIÉTÉ FRANÇAISE DES COTONS A
COUDRE CARTIER-BRESSON monopolise le travail.
Vallée de la Meurthe : à La Neuveville, la
manufacture de chaussons et bonneterie AMOS
travaille seule la laine (filature de 7 000 broches)
; elle consomme annuellement 1 million de kg. de
laine et emploie 1 200 ouvriers à Azerailles, la
retorderie CARTIER-BRESSON (25 000 broches).
Vallée de la Vezouse : 2 filatures, 3 tissages, 2
teintureries à Val et Chatillon ; à Blâmont,
Ogeviller, Ancerviller, Badonviller, ateliers de
coupe du velours.
A l'origine, filatures et tissages étaient
indépendants mais, petit à petit, les propriétaires
de tissages ont été amenés à posséder leur filature,
et les filatures se sont annexé des tissages. Une
seule; entreprise, les MANUFACTURES DE SENONES, a
réalisé une complète intégration. Elles
blanchissent, apprêtent et impriment les étoffes ou
les filés produits dans les usines de la Société. On
fabrique des tissus ordinaires unis, croisés, écrus
ou blanchis, teints ou imprimés.
Trois usines ont pris une orientation un peu
différente : 1° à Senones, les ÉTABLISSEMENTS
PRÊCHEUR ET CIE, qui fabriquent exclusivement des
cotons à coudre, à repriser, des rubans brochés, des
galons pour lingerie, des tresses multicolores
employées au Maroc pour la confection des vêtements
arabes, et des rubans isolants pour machines
électriques. Tous ces produits sont expédiés par
camions automobiles vers Strasbourg, Épinal ou
Nancy. Le prix du transport est le même qu'en chemin
de fer, le grand avantage est la rapidité et souvent
le port à domicile; 2° les ÉTABLISSEMENTS
CARTIER-BRESSON, spécialisés dans la fabrication des
articles pour ouvrages de dames ; 3° à Blâmont et
Val et Chatillon, les ÉTABLISSEMENTS BECHMANN,
aujourd'hui VEIL, LÉON CAEN ET CIE, qui, outre la
filature et le tissage, ont en 1884, inauguré en
France la fabrication du velours de coton.
Le coton travaillé provient presque uniquement des
États-Unis par le Havre pour les articles plus fins,
le coton, dit Jumel, vient d'Egypte par Marseille,
mais en quantité minime. Presque toutes les usines
marchent à l'électricité distribuée dans la région
par la COMPAGNIE LORRAINE D'ÉLECTRICITÉ.
Actuellement la plupart de ces usines ont un siège
social à Paris, qui centralise les commandes. La
clientèle, assez étendue, est surtout composée des
grands magasins et des maisons de confection. Une
partie de ces produits s'écoule dans les colonies,
spécialement en Algérie, en Tunisie et au Maroc.
Depuis 1926, on signale à Senones la création d'un
tissage de soie qui fabrique du crêpe de Chine, des
toiles de soie, du satin, imprimés à Lyon ou à
Huningue. En 1928, les manufactures de Senones ont
suivi cet exemple et fondé un tissage de soie
artificielle. |