Paul Michaut (29 juillet 1827,
Lunéville - 27 septembre 1895, Baccarat) est
ingénieur diplômé de l'école centrale,
administrateur des cristalleries de Baccarat. Maire
de Baccarat en 1871, conseiller général, il est
également administrateur de la Compagnie des chemins
de fer de l'Est et président du conseil des
directeurs de caisses d'épargne.
Elu député de Meurthe-et-Moselle le 14 octobre 1877,
son élection est invalidée le 5 février 1878
Le Figaro - 18 février 1878
Lunéville, 16 février. Après avoir donné, le
14 octobre, à l'honorable M. Paul Michaut,
chevalier de la Légion d'honneur, conseiller
général, directeur de la cristallerie de
Baccarat, une majorité de 1,500 voix sur son
concurrent républicain, M. Cosson, les
électeurs de l'arrondissement se voient
appelés, le 3 mars prochain, à ratifier leur
premier jugement. La Chambre l'a voulu ainsi
en annulant leur vote.
Les nouvelles de l'arrondissement sont
favorables à la candidature de M. Paul Michaut, et il est probable qu'il conservera
sa majorité primitive contre son concurrent. |
Paul Michaut sera
effectivement réélu le 3 mars 1878 :
- Paul Michaut : 11 936 voix
- Joseph Cosson : 10 357 voix ( siégeant au centre
gauche, Joseph Cosson est l'un des 363 députés qui
refusent le 16 mai 1877 la confiance au gouvernement
de Broglie).
La base des parlementaires de l'Assemblée nationale
indique sommairement : 14/10/1877 - 27/10/1881 :
Meurthe-et-Moselle - Union des Droites (3 mars
1878), sans mentionner l'interruption du 5
février au 3 mars 1878, dont les documents
ci-dessous donnent l'exposé complet.
Annales de la
Chambre des députés
25 février 1878
M. le président.
La parole est à M. Masure.
M. Gustave Masure. Messieurs, j'ai l'honneur de vous
rendre compte, au nom du 7e bureau, des opérations
électorales qui ont eu lieu, le 14 octobre dernier,
dans la circonscription de Lunéville, département de
Meurthe-et Moselle.
Le nombre des électeurs inscrits était de 26.643,
dont le quart est de 6,661.
Le nombre des votants a été de 23,087. Il a été
déduit 206 bulletins n'entrant pas en compte dans le
calcul de la majorité.
Il reste donc pour le chiffre des suffrages exprimés
22,881, ce qui donne pour la majorité absolue
11,441.
M. Paul Michaut, candidat officiel, a obtenu 12,248
suffrages et a été proclamé député par la commission
de recensement.
Son concurrent M. Cosson, député sortant, candidat
républicain, avait obtenu 10,635 voix.
(Bruit général de conversations.)
Plusieurs membres à droite, On n'entend pas !
M. le président. Faites silence, messieurs, et vous
entendrez.
M. Haentjens. Il est nécessaire qu'on entende des
rapports d'invalidation.
M. le président. Vous n'avez pas la parole, monsieur
Haentjens. A force d'interrompre, vous empêchez
qu'on entende.
M. Haentjens. Je dis que quand on fait des rapports
concluant à l'invalidation, on a toujours le droit
de demander au rapporteur de parler de manière à
être entendu. (Approbation à droite.)
M. le président. Continuez, monsieur Masure.
M. le rapporteur. Deux protestations ont été
adressées à la Chambre contre l'élection de M.
Michaut : l'une émane de M. Cosson, l'autre de
quarante-quatre électeurs de l'arrondissement.
Les faits qu'elles signalent sont à peu près
identiques; ils sont confirmés, pour la plupart, par
un grand nombre d'attestations individuelles et de
lettres qui sont jointes au dossier.
1. - Le premier grief articulé contre M. Michaut,
c'est qu'il a été candidat officiel. Il n'y a à ce
sujet aucun doute à avoir. Le journal conservateur
de Lunéville, comprenant combien il était malaisé de
présenter un protégé de l'ordre moral à l'une de ces
circonscriptions de la région de l'Est, acquises
depuis longtemps aux idées républicaines, a bien
essayé de dissimuler autant que possible le
caractère véritable de la candidature de M. Michaut,
auquel il donnait chaque jour, en tête de ses
colonnes, le titre de « candidat républicain
constitutionnel. »
Ce n'était là qu'une précaution de langage, qui a pu
impressionner un nombre plus ou moins grand
d'électeurs, mais qui ne change rien au fond des
choses. M. Michaut a été, selon la locution
consacrée, « le candidat du gouvernement de M. le
maréchal de Mac Mahon à et, à-ce titre, il a eu les
affiches blanches.
Les auteurs des protestations établissent que, dans
un très-grand nombre de communes, principalement
dans celles des cantons de Cirey et de Baccarat,
tandis que les affiches de M. Michaut étaient
abritées, à la porte des mairies, sous le grillage
réservé aux publications officielles, les placards
de M. Cosson, affiches et professions de foi,
étaient systématiquement arrachées. Des maires, des
gardes champêtres, des gendarmes, même un curé, sont
désignés comme ayant pris part à ces lacérations.
Dans plusieurs communes, le garde champêtre a
distribué des bulletins de vote portant le nom de M.
Michaut en même temps que les cartes d'électeurs. Un
maire a fait annoncer, à son de caisse, que les
habitants devaient voter pour le candidat officiel.
Dans d'autres localités, il y a eu des irrégularités
dans la tenue et le dépouillement du scrutin.
Durant la période électorale, des entraves ont été
mises par les agents de l'administration, et
particulièrement par la gendarmerie, à la
distribution des imprimés émanant du candidat
républicain. Plusieurs distributeurs ont été
poursuivis et condamnés à l'amende pour avoir mis en
circulation des manifestes légalement déposés au
parquet.
Dans les cabarets et les auberges où ces écrits
avaient été déposés, des gendarmes en tournée
exerçaient une surveillance incessante; ils
interrogeaient les débitants, les intimidaient, les
menaçaient et faisaient disparaître les circulaires
et les journaux républicains.
A diverses reprises, l'Eclaireur, de Lunèville, qui
soutenait la candidature de M. Cosson, a été saisi
sans être ensuite l'objet d'aucune poursuite
régulière. Le numéro qui parut la veille de
l'élection, et qui fut arrêté par la police dans les
villes et par les gendarmes dans les campagnes, fut
seul déféré, un mois après, à la cour d'assises.
Disons, en passant, que le gérant fut acquitté par
le jury.
Pendant que, par des procédés injustifiables, on
entravait ainsi la propagande républicaine, les
attaques injurieuses et diffamatoires contre les 363
en général et contre M. Cosson en particulier
étaient tolérées et répandues partout. Pour les uns,
répression à outrance ; pour les autres, impunité
complète.
Le procureur général de Nancy, si vigilant contre
l'Eclaireur, avouait à l'audience qu'il ne lisait
même pas les articles des feuilles réactionnaires.
Le Journal de Lunéville, défenseur de M. Michaut,
présentait l'honorable M. Cosson comme le candidat «
des mauvais sujets de village, des ivrognes, des
banqueroutiers, en un mot, de tous les hommes tarés.
»
Un placard du « comité d'arrondissement », signé
Edmond Guérin, déclarait que la réélection des 363
patronnés, « par les partisans de la guerre à
outrance », par « les gens de l'Internationale »,
par « les socialistes », serait un danger pour le
maintien de la paix.
Toutes ces calomnies, sans parler du Bulletin des
communes et de libelles infâmes sortis des officines
de l'ordre moral, étaient propagées et commentées
dans les villages par des agents zélés, quelquefois
par des maires, par des curés dont quelques-uns,
dans leurs sermons, dans leurs visites, dans leurs
exhortations aux abords des tables de vote, ne
craignaient pas de se mêler à la polémique
électorale.
Des déplacements de fonctionnaires qui ne
s'expliquent que par des raisons politiques sont
également dénoncés. Le commissaire de police de
Lunéville et un des inspecteurs de police d'Avricourt
ont été brusquement éloignés. L'instituteur de Veho
a été envoyé en disgrâce à Pierre-Percée; injustice
criante que la nouvelle administration s'est
empressée de réparer.
Ajoutons que, dès les premiers jours de septembre,
l'inspecteur d'académie, connu pour sa fermeté et
son dévouement aux intérêts de ses subordonnés,
avait été mis en congé illimité, avec obligation de
s'éloigner du département, sous peine de révocation.
Tous ces faits, messieurs, constituent un ensemble
de manoeuvres répréhensibles, dont le but apparaît
clairement, dont vous apprécierez la gravité et dont
il vous appartiendra de tenir compte. Nous les
voyons se reproduire, sous des formes plus ou moins
variées, dans toutes les luttes électorales où
l'administration intervient en faveur de l'un des
combattants ; ils sont l'accompagnement habituel et
par suite la condamnation nécessaire de la
candidature officielle. Si, dans le cas qui nous
occupe, nous nous sommes borné à les mentionner
sommairement sans y insister, si nous n'en parlons
en quelque sorte que pour mémoire, c'est que
d'autres faits, plus graves encore peut-être,
concernant d'une façon spéciale l'arrondissement de
Lunéville et mettant complètement en lumière le rôle
que l'administration de combat y a joué, nous ont
semblé réclamer plus particulièrement votre
attention.
II. - Quelques semaines avant l'ouverture de la
période électorale, M. Le Jouteux, le sous-préfet
que le 16 mai avait placé à Lunéville, ayant quitté
son poste pour aller aux eaux, M. le préfet de
Meurthe-et-Moselle eut à pourvoir au remplacement
provisoire de ce fonctionnaire. Aux termes de
l'article 7 de l'ordonnance du 29 mars 1821, il
devait désigner « un fonctionnaire de l'ordre
administratif pris dans l'arrondissement ou, à son
défaut, un conseiller de préfecture. » Pour se
conformer à la loi, M. le préfet Achille Delorme
n'avait que l'embarras du choix entre les nombreux
fonctionnaires de l'arrondissement ou, s'ils étaient
tous empêchés, entre les quatre conseillers de
préfecture de Nancy.
Aucun d'eux n'aura-t-il voulu accepter la
responsabilité de la mission qu'il s'agissait de
remplir à Lunéville ? Aucun d'eux n'aura-t-il été
jugé digne de la confiance du préfet ? Nous n'avons
pas à le rechercher; toujours est-il que M. le
préfet ne trouva rien de mieux à faire que de
confier l'intérim de la sous-préfecture à M. Gabriel
Michaut, conseiller général et frère du candidat
officiel, M. Paul Michaut. Voilà comment
l'administration se conformait aux prescriptions de
la loi et aux convenances. Pendant les quinze ou
vingt jours que dura l'absence de M. le sous-préfet
Le Jouteux, qui ne revint à son poste que le 17
août, M. Gabriel Michaut administra l'arrondissement
où se préparait l'élection de son frère. Il paraît
même qu'il s'acquitta de sa tâche de façon à
contenter M. le préfet de Meurthe-et-Moselle, car
nous voyons que, quelques semaines plus tard, en
pleine période électorale, il est, pour la seconde
fois, chargé de l'intérim sous-préfectoral. Voici ce
que l'Eclaireur de Lunéville publiait, dans son
numéro du 3 octobre ;
« M. le sous-préfet Le Jouteux, parcourant en ce
moment l'arrondissement de Lunéville pour patronner
la candidature officielle de M. Paul Michaut, avec
une activité dévorante qui rappelle les beaux jours
du plébiscite de 1870, se trouve, paraît-il, dans
l'impossibilité de s'occuper des affaires
administratives.
« L'intérim de la sous-préfecture a été, en effet,
de nouveau confié au frère du candidat officiel, à
M. Gabriel Michaut lui-même. »
On comprend, au surplus, que M. Le Jouteux n'aurait
pu, à lui seul, suffire à toutes les charges de sa
situation, à cette époque de tournées électorales,
dans un arrondissement qui ne compte pas moins de
163 communes.
M. le sous-préfet les a successivement visitées,
haranguant les conseils municipaux, encourageant les
maires, faisant appel au zèle de tous en faveur de
la candidature officielle.
III. - Nous arrivons maintenant à une catégorie de
faits qui dénoncent de la manière la plus grave et
la plus flagrante l'action directe et illégale de
l'administration dans les opérations électorales.
Le 12 octobre, dans la matinée, la dépêche suivante
était expédiée de Nancy par le conservateur des
forêts à l'inspecteur de Lunéville :
« Conservateur des forêts à inspecteur des forêts, à
Lunéville : « Faire prévenir immédiatement tous les
préposés, par la voie de la correspondance des
gardes, qu'ils auront à se mettre à la disposition
des maires pour maintenir l'ordre dans les salles de
vote, s'ils sont régulièrement requis par les maires
ou les sous-préfets.
« Ils seront en grande tenue, avec les couteaux de
chasse. »
Nous ne prendrons pas la peine de faire ressortir
devant vous ce qu'il y a d'insolite et de contraire
à la loi dans ces instructions enjoignant à des
agents, dont la plupart n'étaient même pas électeurs
dans la commune où ils étaient envoyés, de pénétrer
et de s'installer avec leurs armes dans les salles
de vote. On nous a assuré, et il est vraisemblable,
qu'elles étaient la reproduction d'un ordre général
adressé de Paris à tous les fonctionnaires de
l'administration forestière. S'il en est ainsi,
c'est un chapitre de plus que la commission
d'enquête devra ajouter au recueil des actes portés
à la charge de l'ancien ministre des finances. En ce
qui nous concerne, nous n'avons à nous préoccuper
que de la manière dont cet ordre a été exécuté dans
l'arrondissement de Lunéville, où le candidat
officiel, avant d'être un des grands industriels de
la région, a appartenu lui-même, en qualité de garde
général, à l'administration des forêts.
Le 14 octobre, conformément aux instructions reçues,
les gardes de l'arrondissement, en uniforme et en
armes, se sont présentés dans les salles de vote, à
l'ouverture du scrutin. L'ordre leur en avait été
transmis par leurs chefs qui étaient même allés au
delà des instructions générales. On va voir, en
effet, que les gardes se sont mis en mouvement sans
avoir été requis par les maires. Dans plusieurs
communes, sur l'invitation du président du bureau
leur déclarant que leur présence était illégale et
que leur concours était inutile, ils se seraient
retirés. A Thiebauménil, où les choses se sont ainsi
passées, le maire constate que le garde, en se
retirant, a déclaré « qu'il rendrait compte à ses
supérieurs. » A Vitrimont, même constatation du
maire, qui déclare avoir refusé d'admettre le garde
et ajoute : « Les résultats de la commune de
Vitrimont, comparés à ceux des autres communes, où
pareille mesure n'a pas été prise par les maires,
sont de nature à démontrer l'influence qu'a dû
opérer sur l'élection du 14 la manifestation des
gardes forestiers. »
Dans un grand nombre d'autres communes, et nous en
citerons sur les différents points de
l'arrondissement, notamment Xures, Bertichamps,
Crion, Moncel-lez-Lunévllle, Pierre-Percée, Parroy,
Badonviller, Pexonne, Laronxe, Saint-Clément,
Hercineuil, les gardes, avec ou sans l'assentiment
des maires, sont restés tour à tour dans la salle et
aux abords de la salle, pendant toute la journée,
jusqu'après le dépouillement du scrutin. On en cite
un qui, à Crion, bien qu'étant étranger à la
commune, a siégé au bureau et a signé le
procès-verbal. On en cite plusieurs qui, malgré le
maire, ont persisté à rester dans la salle.
Voici, à ce sujet, une déclaration de M. Xoval,
propriétaire et conseiller municipal à Moncel-lez-Lunéville,
habitant la commune depuis plus de trente ans :
« Je soussigné, etc., certifie que, le 14 octobre
1877, à l'occasion du scrutin, se sont présentés le
brigadier Thomas et le garde Menigoz, habitant les
maisons forestières de Mondon, lesquels ont déclaré
au maire qu'ils venaient par ordre de leurs chefs
pour lui prêter main-forte.
« Le maire leur ayant déclaré que leur présence
était inutile, sans toutefois leur donner l'ordre
formel de se retirer, ils sont restés dans la salle
une partie de la journée.
« Or, jamais, à ma connaissance, pareille
intervention ne s'était produite à aucune élection
dans cette commune. »
Une déclaration du maire d'Hériménil constate les
mêmes faits.
Le maire de Laronxe s'exprime en ces termes :
« Il est de mon devoir d'honnête homme, dans
l'intérêt de la vérité, de porter à votre
connaissance que l'agent forestier Raucelaut,
domicilié en notre commune, a assisté en grand
uniforme et en armes, toute la journée du 14 octobre
dernier, dans la salle même où votaient les
électeurs. J'avais prévenu cet agent que je n'avais
pas besoin de sa présence; que, si elle devenait
nécessaire, je le ferais appeler. Mais, en présence
des ordres qu'il m'a dit avoir reçus de ses
supérieurs, il a jugé à propos de ne tenir aucun
compte de mon dire. »
Et le maire de Laronxe ajoute :
« Je certifie qu'il va y avoir trente-deux ans que
j'exerce les fonctions de maire dans cette commune,
et que je n'y ai jamais vu aucun agent de
l'administration forestière ou de toute autre
assister en uniforme et en armes dans la salle où se
trouve le scrutin.
« Le fait qui s'est passé lors de l'élection du 14
octobre dernier est sans précédent dans notre
département, et tout homme impartial peut affirmer,
sans crainte de se tromper, que, si les élections
s'étaient faites librement, le candidat républicain
eût obtenu une grande majorité dans notre
arrondissement. »
Vous le voyez, messieurs, l'intervention électorale
des gardes forestiers était un fait absolument
nouveau dans l'arrondissement de Lunéville. Jamais,
même sous l'empire, on n'avait mis en oeuvre un
pareil moyen de pression.
Rien n'expliquait ce déploiement inusité d'hommes
armés dans une circonscription paisible où aucun
trouble n'était à craindre et où l'ordre le plus
complet accompagne toujours les opérations du
suffrage universel. L'effet qu'il a produit sur les
populations des campagnes et l'influence qu'il a eue
sur les résolutions des électeurs sont d'autant plus
grande que, dans ces pays boisés, tous les
habitants, bûcherons, cultivateurs, terrassiers, -
depuis le plus pauvre pour le bois qu'il ramasse,
jusqu'au plus aisé, généralement adjudicataire de
coupes, - sont en relations journalières avec les
agents des forêts et souvent dans leur dépendance.
On voit que l'administration, en donnant ses
instructions aux gardes, avait bien calculé les
résultats qu'elle en pouvait attendre.
IV. - Pour compléter l'exposé des griefs articulés
dans les protestations, il nous resterait à signaler
les tentatives de pression qui auraient été faites
sur les ouvriers attachés aux établissements
industriels de Cirey, dirigés par M. Chevandier de
Valdrôme, ancien ministre de l'empire, et à la
cristallerie de Baccarat, dont M. Michaut est
l'administrateur. Plusieurs déclarations tendent à
faire croire que, par suite de certaines
interventions se produisant jusque dans les salles
de vote, les ouvriers employés dans les ateliers de
Cirey et de Baccarat et les personnes qui vivent
dans la dépendance de ces grandes usines n'ont pas
eu partout la liberté de leur vote. Intervention
directe de plusieurs chefs des ateliers de Cirey
auprès des ouvriers, présence d'un des fils de M.
Michaut au scrutin de Deneuvre, renvoi d'un
contre-maître des ateliers de Baccarat, telles font
quelques-unes des indications que fournit le dossier
et auxquelles il y aurait lieu de nous arrêter, si
les faits généraux de pression administrative
n'étaient pas déjà suffisants pour fixer notre
opinion sur le caractère de l'élection.
D'un autre côté, M. Michaut, entendu par la
sous-commission du 7e bureau, proteste contre
l'exactitude de ces indications, et déclare que rien
n'a entravé la liberté de son personnel. En présence
de déclarations contradictoires, une enquête
minutieuse, faite sur les lieux, avec toutes les
garanties d'impartialité et d'indépendance, en
dehors des influences intéressées, pourrait seule
dégager la vérité tout entière. Nous ne croyons donc
pas devoir insister sur cette partie des
protestations. Toutefois, nous avons à noter un
détail précis qui, s'il ne montre pas la pression
pesant directement sur le scrutin, ne permet pas de
mettre en doute les tentatives faites au cours de la
période électorale sur une partie des électeurs.
Vers la fin de septembre, une adresse portant la
signature d'un grand nombre d'habitants de
vingt-huit communes du canton de Baccarat fut
distribuée à profusion dans tout l'arrondissement.
C'était, dégagé de toute considération politique, un
appel pressant en faveur de M. Michaut, dont on
louait l'intelligence, le dévouement aux intérêts du
pays, la sollicitude pour la classe ouvrière. Les
signataires, au nombre de 1,912, oubliant sans doute
que la loi interdit la violation du secret des
votes, annonçaient à l'avance qu'ils voteraient tous
pour l'administrateur de Baccarat.
Une pareille déclaration, pour peu qu'elle fût
acceptée comme l'expression sincère et spontanée de
l'opinion du canton, était bien faite pour accroître
au dehors le prestige du candidat officiel et lui
conquérir des voix dans les autres parties de
l'arrondissement. Il est incontestable que l'adresse
exerça une influence sérieuse sur certains groupes
d'électeurs. Or, que se passa-t-il après le
dépouillement du scrutin ? On s'aperçut, non sans
surprise, que, parmi les communes qui avaient fourni
des signatures, à côté de celles où signataires et
votants pour M. Michaut étaient en nombre absolument
égal ou à peu près égal, il y en avait six où le
nombre des voix obtenues par M. Michaut était
inférieur à celui des signataires qui avaient
recommandé sa candidature.
Que doit-on conclure, si ce n'est que, pressés et
sollicités, peut-être même menacés et intimidés,
obligés par leur situation de ne pas résister aux
agents de M. Michaut, des électeurs ont été amenés
par faiblesse, par peur ou par intérêt, à s'associer
à une manifestation que leurs sentiments intimes
répudiaient ?
En général, les signatures de l'adresse ont été
demandées à domicile et recueillies dans des
conditions qui en altèrent singulièrement la
spontanéité. On a vu intervenir des maires, des
instituteurs, et même un capitaine des douanes. Ici,
comme ailleurs, l'attitude des douaniers dans la
lutte électorale n'a pas été correcte, et il
appartiendra sans doute à la commission d'enquête de
révéler à cet égard des irrégularités laissées
jusqu'à présent dans l'ombre.
Vous connaissez maintenant les faits principaux qui
ont marqué l'élection de Lunéville, et vous êtes en
mesure d'en apprécier la gravité. Il importe de vous
faire remarquer que, dans une circonscription qui ne
compte pas moins de 26,643 inscrits et dans laquelle
22,881 suffrages ont été exprimés, le nombre des
voix obtenues par M. Michaut ne dépasse que de 807
le chiffre de la majorité absolue. D'un autre côté,
en comparant le total des suffrages obtenus par les
deux concurrents, on voit qu'un déplacement d'un
même nombre de voix aurait suffi pour amener l'échec
du candidat officiel. Ce chiffre représente 3 1/2 p.
100 du nombre des électeurs ayant pris part au vote.
Votre 7e bureau estime qu'on ne peut évaluer à moins
l'influence illégitime que l'emploi des affiches
blanches, aggravé par les actes blâmables de
l'administration et surtout par l'intervention
illégale des gardes forestiers, a exercée sur les
résultats du scrutin. Il en conclut que la
nomination de M. Michaut n'est pas l'expression
véritable du suffrage universel dans
l'arrondissement de Lunéville.
Le 20 février 1876, alors qu'il n'y avait pas
d'affiches blanches, cet arrondissement avait donne
près de 12,000 voix au candidat républicain. Trois
semaines après le 14 octobre, aux élections pour le
conseil général et pour le conseil d'arrondissement,
sur 19,104 votants, les républicains obtenaient,
dans les huit cantons réunis, une majorité de 1,020
voix. Ne sommes-nous pas en droit de voir dans ce
rapprochement de chiffres une preuve manifeste que
les manoeuvres de la candidature officielle ont
altéré et faussé le scrutin du 14 octobre ? Au nom
du 7e bureau, nous avons l'honneur de vous proposer
:
1° L'invalidation de l'élection de M. Michaut dans
la circonscription de Lunéville ;
2° Le renvoi du dossier à la commission d'enquête.
M. Gusman Serph. M. Michaut étant absent, j'ai
l'honneur de demander à la Chambre de vouloir bien
renvoyer à mardi la discussion du rapport dont il
vient d'être donné lecture.
M. le président. Il n'y a pas d'opposition?.
La discussion du rapport sera mise à l'ordre du jour
de mardi.
Annales de la
Chambre des députés
5 février 1878
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des
conclusions du rapport du 7e bureau, sur l'élection
de M. Michaut, dans l'arrondissement de Lunéville
(Meurthe-et-Moselle).
La parole est à M. Michaut.
M. Paul Michaut. Messieurs, je ne m'attendais pas au
périlleux honneur d'avoir à défendre à cette tribune
la légitimité du scrutin qui, le 14 octobre, m'a
donné plus de 1,600 voix de majorité dans
l'arrondissement de Lunéville. Je sais bien qu'avant
même que le scrutin ait parlé, un mois d'avance, on
annonçait que si, contre toute attente, le nom de M.
Michaut sortait de l'urne, on était bien sûr
d'obtenir une invalidation.
A peine le suffrage universel avait-il parlé que le
journal dévoué à mon honorable compétiteur contenait
très-régulièrement dans tous ses numéros l'avis
suivant :
« Ceux de nos amis qui pourraient avoir quelques
renseignements à nous fournir, quelques faits à nous
signaler pour nous aider à poursuivre l'invalidation
de M. Michaut, sont invités à adresser leurs
renseignements à M. Cosson. »
A gauche. Eh bien?
Un membre à gauche. C'est très-légal !
M. Paul Michaut. Je crois que c'est licite. Mais je
crois que c'est la première fois qu'on voit élever à
l'état de réclame et d'annonce la poursuite d'une
invalidation. (Très-bien! très-bien ! à droite.)
Aussi, qu'est-il arrivé, messieurs ? c'est qu'on a
eu un très-gros dossier, et comme si deux
demi-vérités faisaient une vérité, on pense arriver
à vous persuader que les 1,600 voix de majorité que
j'ai obtenues sont le résultat de la fraude et de
l'intimidation.
Messieurs, si vous voulez bien me prêter votre
attention, je crois que vous reconnaîtrez que je
suis envoyé ici parle suffrage absolument libre de
mes concitoyens. (Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Ce gros dossier ainsi recueilli, il a été continué
par mon compétiteur jusqu'au jour où il a cru
qu'enfin sa cause était gagnée, et avant que j'eusse
comparu dans la sous-commission, avant que j'eusse
eu connaissance des pièces, il écrivait
officiellement à M. le préfet de Meurthe-et-Moselle
: « Je me permettrai de vous faire observer que
l'élection de M. Michaut n'est pas validée et que
j'ai le plus grand espoir qu'elle ne le sera pas....
»
M. de Baudry-d'Asson. C'est un véritable scandale !
M. Paul Michaut. Enfin je comparus le 3 décembre;
j'eus le dossier pendant trente-six heures, et je
crois que personne dans la sous-commission, amis ou
adversaires, ne contestera qu'après m'avoir entendu
la sous-commission fut fort hésitante. Elle refusa
de se prononcer, et si, à cette heure-là, elle eût
été dans l'obligation de rendre son verdict, ce
verdict eût été la validation.
Elle ajourna, et alors eut lieu la constitution d'un
second dossier ; celui-là, messieurs, il ne m'a pas
été communiqué, et je ne serai pas démenti lorsque
je dirai que je n'ai eu connaissance du dossier et
que je n'ai été entendu par la sous-commission
qu'après la rédaction du rapport qui a été présenté
à la Chambre. (Interruptions diverses.)
Un membre à gauche. Pourquoi ne l'avez-vous pas
demandé ?
M. Paul Michaut. On me dit : Pourquoi ne l'avez-vous
pas demandé ? Je l'ai demandé avec insistance, et
personne encore dans la sous-commission ne me
démentira quand je dirai qu'il ne m'a pas été
confié.
J'ai dit au président du bureau : Vous ne me
condamnerez pas sans m'entendre ! Je resterai à
votre porte jusqu'à ce que vous m'ayez entendu ! Eh
bien, messieurs, cela m'a été refusé.
(Exclamations.)
M. de Baudry-d'Asson. C'est un fait sans précédent.
M. Paul Michaut. Voilà, messieurs, la vérité.
Je vous demande pardon de l'incorrection que pourra
avoir ma parole ; je ne suis pas un homme de
cabinet; je suis un homme d'affaires et d'atelier;
mais enfin, si incorrect que soit mon discours, je
demande que, quand il semblera que je m'écarte de la
stricte vérité, on veuille bien m'interrompre : je
serai prêt a répondre. (Très bien ! à droite.)
La première question que nous examinerons, ce sont
les faits généraux de l'élection. Je n'entrerai pas
dans les détails minutieux des faits incriminés,
attendu que je veux observer les indications du
rapport.
Or, à cet égard, le rapport s'exprime de la façon
qui suit :
« Si, dans le cas qui nous occupe, nous nous sommes
bornés à mentionner les faits sommairement sans y
insister, si nous n'en parlons en quelque sorte que
pour mémoire, c'est que d'autres faits plus graves
ont semblé réclamer plus particulièrement votre
attention. »
C'est donc plutôt une physionomie générale des faits
que nous allons examiner que les détails eux-mêmes.
Si, en me répondant, M. le rapporteur juge à propos
d'apporter un fait spécial, eh bien, nous le
discuterons.
Comment s'est faite l'élection? Une élection, quand
elle n'est pas libre, subit la pression des
autorités.
Quelles sont ces autorités? C'est l'autorité
préfectorale; ce sont les maires.
Quelles sont les mesures que l'on emploie et quels
sont les moyens dont se servent ces autorités? Ce
sont les écrits ou les mesures de rigueur.
Commençons par l'autorité préfectorale.
M. Achille Delorme est arrivé dans le département de
Meurthe-et-Moselle au mois de mai 1877.
M. Le Provost de Launay fils. C'est un ancien préfet
du 4 septembre !
M. Paul Michaut. M. Delorme a quitté Nancy au mois
de janvier, et il n'a jamais passé la limite entre
l'arrondissement de Nancy et celui de Lunéville. Il
ne connaît pas la ville de Lunéville. Il n'a donc
pas fait de démarches personnelles.
A-t-il fait des démarches par la parole ? non.
A-t-il fait venir chez lui des autorités ? non.
A-t-il fait des circulaires, et a-t-il engagé à
voter pour le candidat officiel ? non, pas une; on
n'en cite pas : il n'y en a pas une dans le rapport.
Mais arrivons aux autres moyens dont il pouvait user
! A-t-il fermé des débits de boisson ? pas un.
A-t-il frappé des maires, des adjoints, des conseils
municipaux ? pas un.
Des fonctionnaires ? pas un. (Dénégations à gauche.)
Ah ! je vois bien que le rapporteur parle de
révocations et de changements de résidence ; je vais
vous citer les trois faits qui sont signalés par le
rapport.
Un commissaire de police à Lunéville a été changé.
Je n'ai pas à répondre; le commissaire de police a
été changé au mois de juin ; je n'étais pas alors
candidat. Pourquoi est-il parti? Je n'en sais rien
et je n'ai pas à m'en occuper.
Second fait : un commissaire de surveillance de la
gare d'Avricourt a été révoqué, et, dit le rapport,
ce ne peut être que pour des motifs politiques. Or,
que s'est-il passé ? Ce commissaire de surveillance
est venu me trouver à Baccarat, ma résidence, et
m'exposer les faits de discipline qui avaient motivé
sa révocation. Sur sa prière, j'ai écrit à M. le
directeur de la sûreté générale en le priant de
faire une enquête.
Le troisième fait est celui d'un instituteur ; on
n'en cite qu'un, on n'en cite pas d'autres.
L'instituteur d'une petite commune, la commune de
Veho, qui a 303 habitants, a été changé de résidence
à l'époque des vacances. Le fait m'a tellement ému
que, dès que j'en ai entendu parler, j'ai été dans
cette commune, j'ai vu l'instituteur, j'ai vu le
curé et les notables du pays, et après la réunion
que j'ai eue dans cette petite commune, j'ai
entretenu l'instituteur et je lui ai dit : Je ne
connaissais pas votre situation ici; elle est
intolérable. Evidemment je ne vous blâme pas, je ne
vous donne pas tort ou raison ; je n'ai pas à entrer
dans des considérations de clocher; mais il y a à
Veho le parti du curé et le parti de l'instituteur.
303 habitants partagés ainsi, c'est là une situation
d'autant plus intolérable, que la commune est plus
petite. Le curé est très-âgé. Comment voulez-vous
qu'on le change ? Eh bien, vous, on va vous renvoyer
à 3 kilomètres d'ici; vous reviendrez un peu plus
tard.
L'instituteur me dit : Je vous remercie, je
reconnais que tout cela est vrai; seulement je vous
demande de m'aider, quand la situation le permettra,
à me faire rentrer à Veho et de m'y faire rendre mon
poste, parce que j'ai ici des intérêts de famille.
Et voilà tout, en fait de fonctionnaires. Est-ce de
la pression administrative? Je déclare que non; il
n'y en a pas eu quoi que ce soit.
Maintenant arrivons aux maires. On a parlé, ça et
là, dans le rapport, de maires. Je vais vous dire ce
qui s'est passé à cet égard.
Il n'y en a pas eu de changés ; je vous l'ai déjà
dit; je ne veux pas le répéter. Mais voici une
lettre d'un maire de canton qui vous servira de type
sur l'attitude des maires et sur l'indépendance
absolue dont ils ont usé, et très-légitimement,
suivant moi.
C'est une lettre de M. le maire de Blamont ; elle
est au dossier. Je n'ai pas fait de contre-enquête,
et j'ai pris mes renseignements dans le dossier; je
n'en ai pas eu d'autres.
M. Brice, maire cantonal de la ville de Blamont,
nommé par le chef de l'Etat, écrit à M. Cosson, le
23 septembre :
« Mon cher collègue, j'ai reçu, ce matin, dans le
pli officiel, trois affiches Michaut; je voudrais
bien savoir ce que je dois faire d'après votre avis.
»
Suit une lettre assez cavalière au sous-préfet ;
puis M. Brice termine ainsi :
« J'ai fini par décider quelques amis à se réunir
chez moi aujourd'hui, et je pense former le noyau de
notre comité; car je crois que maintenant ils sont
décidés d'agir.
« Tout à vous !
« BRICE. »
Par conséquent, M. le maire de Blamont s'est fait
l'organisateur du comité électoral de M. Cosson ; il
présidait les réunions électorales organisées en
faveur de l'élection de ce candidat. Assurément,
c'était là de l'indépendance.
A Lunéville, il y a eu deux réunions pour M. Cosson:
l'une présidée par son adjoint, c'était la réunion
des citadins, et l'autre par M. Suisse, maire de
Moncel, membre fort éminent du comité agricole.
C'était la réunion des ruraux.
A Badonviller, à Blainvillle, etc., les maires ont
agi dans le même sens.
Je déclare, en ce qui me concerne, que je ne fais
entendre aucune plainte. Quand on a assumé les
charges municipales, on n'a pas renoncé pour cela à
faire prévaloir ses idées politiques, à condition
d'y mettre de la tenue et de ne pas afficher
l'écharpe municipale.
Mais ne retournez pas l'arme contre moi. A Blamont,
comme je l'ai dit, la réunion en faveur de M.
Cosson, est présidée par M. Brice ; la mienne l'a
été par un ancien conseiller général ; à Lunéville,
par un habitant notable et pas du tout par un
fonctionnaire.
Voilà la situation générale. Où sont les faits de
pression ? A-t-on empêché la circulation des
journaux ? Non. A-t-on refusé une seule autorisation
de colportage ? Pas une.
Ah ! je sais bien que le rapport va me dira ceci :
Il y a eu trois saisies du journal de M. Cosson,
dont deux venues de Paris, parce que les deux
numéros saisis et non poursuivis contenaient un
pamphlet qu'on appelle : le Père Gérard à ses
électeurs.
M. Viette. Ce n'est pas un pamphlet, c'est une
excellente brochure, très-bien, faite !
M. Paul Michaut. C'est très-possible. Je ne l'ai pas
lue.
J'ai demandé pourquoi la saisie avait eu lieu. On
m'a répondu que c'était sur un ordre de Paris.
A gauche. Toujours !
M. Paul Michaut. Une saisie, également bien tardive,
puisqu'elle s'est exercée sur quarante numéros
seulement, a eu lieu, le 14 octobre, par ordre du
procureur général de la cour de Nancy, et le journal
a été traduit devant la cour d'assises.
Il y a eu acquittement, mais, sans critiquer le
moins du monde le verdict du jury, je puis dire
qu'on comprend, dans une certaine limite, que
l'administration se soit émue, puisque cet article
représentait le gouvernement du maréchal de Mac
Mahon comme préparant une troisième invasion, etc.
On m'a dit, dans le bureau : La presse conservatrice
a eu certaines vivacités. La presse opposée
s'est-elle permis les mêmes écarts ? Messieurs, je
n'étais nullement préparé à répondre à cette
question, je n'avais que des extraits à produire et
je n'ai pu justifier la violence des journaux qui me
combattaient. Ce n'est pas l'heure de discuter la
question de savoir si la liberté de la presse est
une bonne ou une mauvaise chose, mais, enfin, quand
on se fait homme politique, quand on pose sa
candidature, il faut s'attendre à certaines
attaques. Il serait insensé de soutenir que tous nos
amis sont des anges et tous nos adversaires des
diables; les passions humaines se retrouvent
partout. S'il y a eu dans les journaux conservateurs
quelques violences, je les regrette, car je n'aime
pas les exagérations ; par tempérament et par
situation, je suis ami de la modération.
Dans le bureau, on m'a demandé si j'avais été pris à
partie personnellement; j'étais, je le répète, si
peu préparé à cette question que j'ai répondu que je
ne le croyais pas. C'était une erreur, comme je vais
vous en donner la preuve.
Voici ce que je lis dans un journal :
« Que voulez-vous ? Sachez-le et dites-le !
Voulez-vous une troisième édition de l'empire,
c'est-à-dire une troisième invasion, un troisième
démembrement, une nouvelle rançon, le budget doublé,
l'impôt du propriétaire égal à son revenu, l'impôt
de l'ouvrier égal à son bénéfice, l'impôt de
l'artisan égal à son salaire ? Alors, votez pour M.
Michaut ! »
M. Planté. C'était comme cela partout !
M. Paul Michaut. On faisait des plaisanteries de
mauvais goût sur mon nom, dans le genre de celle-ci
: « Le michautisme est la plaie de
l'arrondissement... Arrière les Michaut ! » On est
remonté jusqu'à mon pauvre père, qui avait fait
partie de l'Assemblée législative et dont la
carrière politique a fini après le coup d'Etat et
ses conséquences. (Marques d'approbation a droite.)
Je ne veux pas insister sur ce point; je crois que
la Chambre comprend et partage mon sentiment à cet
égard... (Oui ! oui ! - Très-bien ! à droite) qu'il
faut laisser de côté toutes ces polémiques, à moins
qu'elles ne présentent quelque chose
d'exceptionnellement grave, parce que les ardeurs de
la période électorale excusent, si elles ne les
justifient pas toujours, certaines exagérations.
(Très-bien! très-bien !)
Voilà la première partie du rapport. Celle-là, comme
j'ai eu l'honneur de vous le dire, se conclut ainsi
: « Nous ne parlerons pas des faits de détail, parce
que nous allons arriver à des faits si graves, que
cela vous suffira pour vous montrer que le candidat
est entré ici par une fausse porte. »
Le premier de ces faits si graves est celui-ci.
Quand le sous-préfet de Lunéville, M. de la Rigaudie,
a été nommé préfet, après le 16 mai, il y a eu une
vacance assez longue, et l'intérim a été confié au
maire de Lunéville. Le maire de Lunéville étant
absent et retenu à la Chambre, les signatures ont
été données par un de ses adjoints. Quand le
sous-préfet nommé par le ministère du 16 mai eut
pris possession de son poste, il arriva à Lunéville
dans un état de santé assez fâcheux ; si bien que, à
peine installé, il sollicita et obtint du ministre
de l'intérieur un congé pour aller prendre les eaux
à Vittel ; il demanda au préfet de désigner
l'intérimaire.
Quel intérimaire était possible? Le maire de
Lunéville était M. Cosson, mon concurrent: le
conseiller général du canton nord, c'était encore M.
Cosson ; il n'y avait pas de conseiller
d'arrondissement en résidence à Lunéville. Le
conseiller général du canton sud était M. Gabriel
Michaut, mon frère. M. le sous-préfet demanda à mon
frère de faire l'intérim. Il s'y refusa, et dit à M.
Lejouteux : « Il me semble qu'il serait bien plus
naturel de prier la préfecture d'envoyer un
conseiller de préfecture. » Cela fut déclaré
impossible, et le sous-préfet se trouvait dans cette
situation d'arriver à l'époque où la saison ne lui
permettrait plus d'aller aux eaux faute d'un
intérimaire.
Mon frère insista sur cette disposition de la loi
qui porte que l'intérimaire sera un fonctionnaire de
l'ordre administratif : « Par conséquent, disait-il,
monsieur le sous-préfet, vous pourriez prier M. le
préfet de désigner comme intérimaire, un contrôleur
des contributions directes, ou un agent des
finances, ou l'inspecteur des forêts, ou telle autre
personne appartenant à l'administration proprement
dite. » Cela fut déclaré absolument contraire à tous
les usages.
Mon frère alors vint me trouver, et vous allez voir
que je suis bien plus coupable encore que le rapport
ne me fait. (Rires à droite.)
Il me posa la question, et je lui répondis : « De
quoi s'agit-il ? Est-il entendu qu'il ne se fera
aucune affaire et que ton rôle se bornera à donner
des légalisations de signatures et à signer des
permis de chasse, de même que moi, maire de ma
commune, et M. Cosson, maire de sa ville, nous
légalisons tous les jours des signatures ? Cela me
paraît absolument inoffensif de remplir les
fonctions d'intérimaire dans ces conditions
restreintes. »
Et c'est ce qui fut fait.
Je défie qu'on me cite un seul fonctionnaire, un
seul maire ayant eu avec l'intérimaire des rapports
d'affaires quelconques. (Très-bien ! très bien ! à
droite.)
Je sais bien qu'on dit : Mais si à ce moment ce
n'était pas criminel, comment se fait-il que cela se
soit reproduit pendant la période électorale ?
Messieurs, je vais vous dire comment cela est
arrivé. Le 25 septembre, mon frère reçoit un mot du
sous-préfet qui lui disait : « Je pars pour
quarante-huit heures, ayez l'obligeance de donner
pour moi les signatures urgentes.» Cette fois, il
n'y a pas eu d'intérim; il n'y a pas eu de
délégation. Le sous-préfet est revenu le
surlendemain, il y avait eu des signatures données,
et pas autre chose.
Mon frère alors dit au sous-préfet : « Je regrette
que vous me laissiez ainsi la signature, même pour
des légalisations ; dorénavant, vous ferez comme
vous voudrez, mais je ne signerai plus rien ! »
Voilà le fait, messieurs, j'ai tout dit, j'ai tout
avoué ! (Applaudissements à droite.)
J'arrive maintenant au second grief. Je suis
peut-être trop long, messieurs... (Non ! non,! -
Parlez !) Si je suis coupable dans le premier cas,
dans celui-ci je suis complètement innocent, comme
vous l'allez voir.
Le 12 octobre, c'est-à-dire le vendredi à deux
heures de l'après-midi, l'inspecteur des forêts à la
résidence de Lunéville, reçut une dépêche
télégraphique ainsi conçue : « Pour Lunéville de
Nancy. - N° 540, mots 66, dépôt le 12 octobre à 11
heures 25 minutes du matin.
« Conservateur des forêts à inspecteur des forêts à
Lunéville. Visée.
« Faire prévenir immédiatement tous les préposés par
la voie de la correspondance des gardes qu'ils
auront à se mettre à la disposition des maires pour
maintenir l'ordre dans les salles de vote, s'ils
sont régulièrement requis par les maires ou les
sous-préfets.
« Ils seront en grande tenue avec le couteau de
chasse. »
Ceci a eu lieu dans toute la France, messieurs, ce
n'est pas une exception pour l'arrondissement de
Lunéville; mais ailleurs on n'y a pas attaché
d'importance, parce qu'on a trouva probablement des
griefs assez intéressants, tandis que, à
Lunéville... (C'est cela ! - Très-bien! à droite),
vous allez voir comment on a exploité le fait.
Qu'est-ce qui s'est passé, en somme ? L'inspecteur
après avoir reçu cet ordre télégraphique, en a
envoyé copie, par la correspondance des gardes, à
tous les préposés forestiers. Quand je dis à tous,
je me trompe, car il y aurait eu des doubles
emplois. Mais sur les 163 communes de
l'arrondissement, l'ordre a été envoyé à 56 gardes
d'aller se mettre, le lendemain matin, à la
disposition des maires.
On dit qu'ils auraient dû attendre que les maires
les fissent demander. Mais beaucoup de gardes logent
dans des maisons forestières, leur métier est
d'aller dans les forêts, et s'ils avaient attendu la
réquisition des maires, neuf fois sur dix, la
réquisition ne les aurait pas trouvés chez eux. 56
gardes se sont donc mis en grande tenue et sont
allés dire aux maires : « Monsieur le maire, j'ai
reçu l'ordre de me mettre à votre disposition. » On
a dit dans le rapport que ces gardes n'étaient pas
électeurs dans ces communes : cela est vrai pour six
et faux pour cinquante. Cinquante gardes étaient
électeurs et avaient à aller voter; mais combien y
en a-t-il qui soient restés dans les communes ? Il y
en a eu environ quarante auxquels les maires ont
répondu : « Je n'ai pas besoin de vous, tout se
passe tranquillement, vous pouvez vous retirer. »
Dans un certain nombre d'autres communes - quinze,
seize ou dix-sept - les maires ont dit aux gardes :
« Je vous remercie, asseyez-vous! restez » ou bien :
« Je ne crois pas que j'aie besoin de vous. Restez,
ou retournez chez vous, si vous le préférez; faites
comme vous voudrez. » Alors un certain nombre de
gardes sont repartis, d'autres sont restés. Mais il
n'y a pas une seule commune, pas une seule ! - je
sais bien qu'on dira le contraire, mais j'attends
qu'on me cite un nom, - où un garde soit resté
malgré le maire.
On dit dans le rapport qu'il y en a plusieurs.
Si on veut m'en citer une seule, je répondrai
immédiatement et d'une manière péremptoire.
Je sais qu'il y a pour ainsi dire des circulaires de
maires, des lettres conçues dans les mêmes termes,
et qui affirment le contraire ; ces lettres ont été
recueillies dans la seconde enquête, pour suppléer à
l'insuffisance des déclarations produites dans la
première.
Il y a des maires qui ont refusé ce qu'on leur
demandait ; alors on s'est adressé aux conseillers
municipaux. (C'est cela ! très-bien ! à droite.)
M. Laroche-Joubert. On n'avait jamais rien vu de
semblable !
M. Masure, rapporteur. Nous avons cité Xures,
Laronxe et Hériménil.
M. Paul Michaut. Prenons Laronxe, si vous voulez,
c'était le maire le plus terrible.
Or, voici ce que m'écrit ce même maire :
« Nous, soussigné, maire de la commune de Laronxe,
certifions que, le jour du vote du 14 octobre, M.
Rancelaut, garde forestier, domicilié audit lieu,
s'est présenté dans la salle. Mon devoir n'était pas
de lui dire de sortir, lorsque je savais qu'il était
commandé.
« Laronxe, le 21 janvier 1878.
« Le maire,
« Signé : GERBÉ, »
Cette lettre est datée du 21 janvier. Si j'avais eu
le rapport plus tôt, cette rectification serait
d'une date antérieure.
Comment en réalité les choses se sont-elles passées
partout ? Le garde se présente au maire et se met à
sa disposition ; le maire l'accueille, le fait
asseoir, lui offre à diner, l'emmène chez lui et
accepte avec plaisir son concours éventuel.
Voilà la vérité, messieurs, voilà comment s'exerçait
la pression prétendue.
Maintenant, dit-on que, dans une commune quelconque,
il y ait eu un garde qui ait fait autre chose
qu'office de gendarme ? Car enfin, le fait est
légal; la question est de savoir s'il a été abusif.
Eh bien, non ; il n'a pas été abusif, puisque, dans
aucune commune, nulle part vous ne pouvez citer un
fait quelconque attribuant aux gardes une démarche
qui n'était pas absolument dans l'ordre. (Vives
marques d'approbation à adroite.)
Si cela s'était passé ailleurs, dit le rapport,
c'eût été sans grande importance ; c'était
scandaleux dans un arrondissement où le candidat
officiel, avant d'être un des grands industriels de
la région, a appartenu lui-même à l'administration
forestière.
Me voila représenté comme un préfet de la veille qui
vient se poser en candidat dans son ancien
département. Eh bien, c'est encore vrai, c'est une
de ces demi-vérités qui sont des erreurs, pour me
servir d'un mot obligeant. Je suis sorti de l'école
forestière de Nancy en 1848, et j'ai été nommé garde
général titulaire en 1849 dans le département du
Jura.
Pendant les quelques mois qui se sont écoulés entre
ma sortie de l'école et ma nomination dans le Jura,
j'ai été envoyé en stage dans l'arrondissement de
Lunéville. Peut-on dire, après cela, que mon
ancienne position dans l'arrondissement de Lunéville
donnait à la mesure des gardes un caractère
exceptionnel de gravité ? Il y a trente ans que le
fait s'est passé, et il y a vingt-cinq ans que je
n'appartiens plus à l'administration forestière et
que je fais de l'industrie ! Voilà, messieurs, les
deux gros griefs.
Je m'arrêterais là s'il n'y avait pas dans le
rapport une autre partie à laquelle je veux
répondre.
Le rapport dit : « Il y a eu des faits de nature à
montrer qu'une pression a été exercée sur la
population ouvrière, mais il faudrait une enquête
pour établir ces faits. »
Il me semble que, quand on ne peut pas prouver des
faits, il vaudrait mieux ne pas en parler; mais,
puisqu'on y a fait allusion, je me trouve obligé
d'entrer dans certains détails, au risque de
fatiguer peut-être l'attention de la Chambre.
(Parlez ! parlez !)
Il y a eu, dit-on, dans les ateliers de Cirey, une
pression exercée par M. Chevandier de Valdrôme,
ancien ministre de l'empire, directeur de cette
usine.
Pourquoi donc avoir maintenu cette phrase sonore,
après que j'avais déclaré que M. Chevandier ne
dirigeait plus depuis vingt ans les ateliers de
Cirey ? Eh bien, je serai plus précis aujourd'hui.
M. Chevandier de Valdrôme n'est plus directeur de
Cirey depuis le 31 décembre 1859 ; il n'y a que
dix-huit ans, je le reconnais, je me trompais de
deux ans.
M. Chevandier de Valdrôme habite toujours Cirey ; il
a acheté la maison de l'ancienne administration de
l'usine, et il a tellement renoncé à l'industrie
qu'il s'est mis à mettre en valeur des terrains
vagues et s'est fait agronome. On ne peut contester
le mérite qu'il y a acquis, car au mois de juillet
dernier il a obtenu la coupe d'honneur au concours
régional de Nancy. Cela vous prouve qu'il a
absolument abandonné toute espèce d'action directe à
Cirey. (Rumeurs à gauche.)
Mais enfin, messieurs, il y a des chiffres plus
éloquents encore que tout ceci. L'année dernière, M.
Cosson était candidat, et seul candidat. Je m'étais
dérobé devant les instances des conservateurs. Eh
bien, il est certain que M. Cosson a eu 376 voix;
divers, Pierre, Paul, Jacques, en ont eu 477; 1,277
électeurs s'étaient abstenus.
Cette année-ci, j'ai eu 1,442 voix; M. Cosson en a
eu 243, et vous allez voir si c'est là le résultat
de la pression.
A l'élection qui a suivi, au 4 novembre, M.
Chevandier de Valdrôme, dont les pouvoirs étaient
expirés, obtenait 1,533 voix sur 1,580 votants.
Aux élections du 6 janvier, à Cirey même, sur 529
votants, la liste conservatrice a passé tout
entière, le premier inscrit avec 511 voix; c'est
toujours la même chose.
A Baccarat, - c'était là que je voulais en arriver,
- la question me tient bien plus au coeur, parce que
je vous avoue que je ne m'attendais pas qu'il pût
arriver un jour, dans ma carrière industrielle, où
je serais incriminé du fait de pression, moi qui ai
la prétention d'exercer à Baccarat l'administration
la plus libérale qu'il y ait au monde. (Très-bien !
très-bien ! à droite.)
Je suis le conseiller général du canton, sans aucun
concurrent aujourd'hui; j'ai eu des compétiteurs
autrefois, mais ils se sont découragés. L'année
dernière, M. Cosson étant seul candidat aux
élections législatives, a obtenu dans mon canton
1,717 voix, et 2,292 électeurs ont voté pour des
noms divers, affirmant ainsi leur ferme volonté de
ne pas l'accepter comme député. Cette année, j'ai
obtenu 3,400 voix contre 1,579.
Le 4 novembre, il y a eu 3,310 votants pour le
conseil d'arrondissement. L'un des candidats a
obtenu 2,933 voix et l'autre 2,914.
Au dernier scrutin pour l'élection du conseil
municipal de Baccarat, on avait déjà amplement
raconté dans le pays et publié dans les journaux que
j'étais à la veille d'être invalidé. Sous cette
impression, Je courant de l'opinion s'est manifesté
avec énergie. J'avais eu aux élections d'octobre les
5/6es des voix, j'obtins au nouveau scrutin plus des
9/10es des suffrages, et je sortis le premier sur la
liste des conseillers municipaux.
Le rapport qui a été publié sur mon élection le 26
janvier a causé à Baccarat une profonde émotion et
j'éprouve un véritable embarras à vous le dépeindre
ici, où l'on ignore ce que c'est que cette grande
famille industrielle, ce que c'est que ce faisceau
de gens laborieux unis de la façon la plus étroite.
Rien n'a jamais pu ébranler cette admirable
organisation, et chacun de nous a conscience que,
quand on attaque un ouvrier, on me trouve derrière
lui pour le couvrir, mais qu'aussi quand on touche
au chef, toute la famille est là. (Applaudissements
à droite.)
On a fait les plus grands efforts ; on a fait des
appels que je pourrais dire odieux, on a dit : Nous
allons apprendre aux classes laborieuses comment on
arrive à secouer le joug de la féodalité
industrielle.
Devant des excitations de ce genre, le faisceau
s'est toujours tenu plus serré. (Très-bien !
très-bien ! à droite.)
Quand le rapport a paru, ces braves gens se sont
procuré le Journal officiel, et en vingt-quatre
heures, se cachant de tous leurs chefs, ils ont
écrit la lettre que voici, et ils me donnent le
mandat de venir les défendre.
Il faut donc bien que je la lise :
« Monsieur Paul Michaut,
« Nous sommes indignés que dans le compte rendu de
la séance du 26 janvier courant à la Chambre des
députés, vos adversaires osent déclarer que, par
suite de certaines interventions se produisant
jusque dans la salle du vote, les ouvriers employés
dans les ateliers de Baccarat et les personnes qui
vivent dans la dépendance de cette grande usine
n'ont pas eu partout la liberté de leur vote.
« Ils ne nous connaissent guère, ceux qui concluent
que ce n'est que pressés et sollicités, peut-être
même menacés et intimidés par notre situation à ne
pas résister à vos agents, que nous avons voté.
« Nous l'avons fait tous sans aucune pression ni
sollicitation, et nous défions qui que ce soit de
prouver qu'il en a été autrement.
« Les soussignés vous prient, monsieur Paul Michaut,
de vouloir bien être leur défenseur des injures qui
sont dirigées contre eux, même jusqu'à la tribune.
« Vous avez été, monsieur, en butte à bien des
attaques dans ces derniers temps ; nous vous
connaissons assez pour savoir que vous les méprisez,
mais nous n'en tenons pas moins à venir vous
affirmer notre indignation et notre respectueuse
estime.
« Baccarat, le 29 janvier 1878. »
Suivent 928 signatures d'ouvriers électeurs.
(Très-bien ! très-bien ! à droite.)
Je voudrais vous raconter ce qu'il y a de coeur et de
dévouement chez ces braves gens. Pendant nos
malheurs de 1870, j'eus le triste privilège d'être
arraché de chez moi et jeté dans les prisons
allemandes; je n'en sortis, hélas ! que pour tomber
dans les prisons révolutionnaires de la France, et
pendant ce temps-là le souci d'alimenter nos
ouvriers empoisonnait mon existence.
Savez-vous ce qu'ils ont fait ? Quelques-uns sont
venus me dire: « Ne me donnez pas d'argent, je puis
aller quelque temps, j'ai une réserve. » D'autres
faisaient des collectes non-seulement chez eux, mais
dans leurs familles et m'apportaient jusqu'à 3, 4,
et 6,000 fr. J'ai vécu comme cela avec le dévouement
de ces braves gens. Et vous croyez que j'ai besoin
de les pousser au scrutin ! (Applaudissements à
droite.)
Le jour de l'élection, il y avait dans cette petite
ville une émotion indescriptible, et jusqu'à deux
heures du matin ils se promenaient pleins d'anxiété
; et lorsqu'arriva la dépêche télégraphique faisant
connaître le résultat de l'arrondissement, comment
s'exhala leur joie et leur enthousiasme ? par deux
cris de victoire. Le premier était : « Vive la
France ! » le second : « Vivent les ouvriers de
Baccarat ! » Ils n'acclamaient pas leur chef ; ils
savaient bien qu'il n'y avait rien qui pût lui aller
plus au coeur que ce nom de Baccarat !
Pendant ce temps, comment accueillait-on le résultat
à Lunéville, où l'on dit avec emphase qu'il n'y a
pas eu de désordre et que toute précaution était
superflue ? Quand on proclama le résultat à
Lunéville, on l'accueillit avec les cris : « A bas
le Maréchal ! - Vive la Commune ! Vive le pétrole !
Michaut à la lanterne ! » Et il fallut faire des
patrouilles dans la ville.
Et on vient dire que ce sont les ouvriers de
Baccarat qui ont été comprimés et opprimés ! Enfin
j'ai besoin de m'épancher, parce qu'avant de tomber,
je veux défendre mes ouvriers et mon drapeau !
(Bravos et applaudissements à droite.)
Je vous ai dit que nous étions l'usine la plus libre
du monde. Tandis qu'on s'agite à Lyon et que des
gens inexpérimentés traitent les questions de
salaires, de travaux des femmes, de rapports entre
les ouvriers et les patrons, de prévoyance,
d'association, que sais je ? tout cela est résolu
chez nous. Le suffrage universel nous le pratiquions
dès 1835, treize ans avant qu'on ne l'appliquât dans
la nation !
J'espère maintenant avoir démontré qu'il ne doit
rien rester des faits de pression sur nos ouvriers.
Invalidez-moi pour avoir eu des gardes forestiers ;
invalidez-moi parce que mon frère a signé des permis
de chasse; mais je vous défie de le faire parce que
j'opprime les ouvriers de Baccarat. (Très-bien !
très-bien ! à droite.)
J'ai encore quelques mots à dire. (Parlez ! Parlez
!)
Je suis obligé d'être un peu économiste et je me
trompe quelquefois, comme quelquefois aussi je vois
juste. Quoi qu'il en soit, je suis de ceux qui
pensent que, chez les hommes, le travail intensif et
court est le bon travail.
Plusieurs voix. Vous avez raison
M. Paul Michaut. Eh bien, nos ouvriers du plus grand
nombre des catégories avaient autrefois onze heures
de travail effectif, et trois repos faisant ensemble
deux heures; les ouvriers étaient donc absents de
leur intérieur pendant treize heures par jour. Je
trouvai que c'était trop. Je les réunis, ou plutôt
je réunis ceux d'une certaine catégorie. Ils étaient
environ 600 et je leur dis : « Je voudrais modifier
vos heures de travail ; je voudrais réduire le
travail effectif à dix heures, avec un seul repos
d'une heure. Vous n'auriez plus ainsi que onze
heures d'absence; la femme, les enfants, la santé,
l'hygiène, la morale, tout y gagnerait. »
Seulement, il y avait une objection sérieuse. Tous
nos ouvriers travaillent à la pièce, et la question
était de savoir si on produirait en dix heures
autant qu'en onze.
Je suis de ceux qui croient qu'il ne faut pas que le
travail se prolonge au delà d'un certain temps, et
j'étais convaincu que la production ne faiblirait
pas.
M. Martin Nadaud. Très-bien ! très-bien !
M. Laroche-Joubert. C'est très-vrai! j'en ai fait
l'expérience, moi aussi !
M. Paul Michaut. J'étais convaincu qu'ils
gagneraient tout autant, mais il fallait les
persuader.
Je leur dis : « Mes amis, voilà mon projet. Je vous
réunirai d'aujourd'hui en huit et nous irons aux
voix. »
Huit jours après, ils se réunirent, et vous allez
voir, messieurs, que les choses se passent
très-démocratiquement. Comme la question intéressait
les femmes, les femmes ont voté.
Il se produisit un fait bizarre : il y eut 300 oui
et 300 non ; les voix s'étaient également partagées.
Je dis alors : « Moi aussi, j'ai mon petit mot à
dire, et je vais départager vos avis, non pas en
vous imposant le travail comme je l'ai entendu, mais
en vous en imposant l'essai
réunirai de nouveau et je vous consulterai. »
Je ne les ai jamais réunis, attendu que toutes les
autres catégories sont venues me demander comme une
faveur ce qui avait été ainsi accordé.
Voilà la pression comme nous l'entendons ! A droite.
Bravo ! bravo !
M. Laroche Joubert. J'ai fait la même chose et j'ai
eu le même résultat !
M. Paul Michaut. Cela ne m'étonne pas.
Enfin, messieurs, j'arrive à la conclusion.
Le rapport dit: Il faut qu'il y ait eu pression,
car, aux élections du mois de février 1876, dans
l'arrondissement de Lunéville, M. Cosson n'avait pas
de concurrent, et sur 27,000 inscrits, - je vous
donne les chiffres ronds, je crois qu'on ne les
contestera pas, - M. Cosson avait obtenu 12,000
voix, et 6,000 avaient voté pour divers non
candidats, et 9,000 électeurs n'avaient pas pris
part au vote.
Et vous trouvez étonnant que le jour où un candidat
sympathique et très-libéral s'est présenté dans
l'arrondissement, les 6,000 électeurs qui avaient
formellement déclaré qu'ils ne voulaient pas M.
Cosson, aient trouvé le terrain tout préparé pour le
mettre en minorité ! Avez-vous dans vos souvenirs
beaucoup d'élections semblables, où, en présence
d'un candidat unique, le tiers des votants ait
affirmé ainsi que le candidat n'avait pas leur
conûance ?
Je ne comprends pas, en vérité, comment M. le
rapporteur a pu considérer comme un bon argument
contre mon élection les chiffres qu'il a cités et
que je viens de reproduire.
Cela dit, j'ai fini ma tâche, messieurs, et vous
apprécierez. (Approbation à droite et sur quelques
bancs au centre.)
J'ai 1,613 voix de majorité. Je regrette, je ne veux
pas être agressif, - mais je regrette que le rapport
n'ait pas précisé ce chiffre de majorité et ne l'ait
pas mis en évidence.
M. le rapporteur me dit bien : « Cela est
implicitement indiqué ; que chacun prenne un crayon
et il trouvera, en opérant une simple soustraction
entre le nombre des voix obtenues par l'un ou
l'autre candidat, le chiffre de votre majorité. »
C'est vrai, mais, messieurs, était-il encore bon de
le dire. C'est pour cela que je le rappelle, et vous
apprécierez. (Vifs applaudissements à droite.)
M. Edouard Lockroy. Messieurs, je répondrai
très-brièvement au long discours que vous venez
d'entendre.
Voix diverses à droite. Nous ne l'avons pas trouvé
long ! - Nous l'avons trouvé très-intéressant !
M. Edouard Lockroy. Je répondrai brièvement, dis-je,
au discours que vous venez d'entendre. Je ne
m'arrêterai qu'aux faits qui ont caractérisé cette
élection, comme ils ont caractérisé toutes les
candidatures officielles.
Je ne vous dirai pas que les affiches du candidat
républicain ont été lacérées par la gendarmerie, par
les fonctionnaires, par les curés.
Je ne raconterai pas comment un maire avait fait
tambouriner par un appariteur de la commune qu'il
fallait voter pour le candidat officiel. Je ne vous
dirai pas comment un curé, à la porte d'une section,
faisait de longs discours contre le candidat
républicain. Je ne m'attacherai qu'aux trois grands
faits auxquels s'est attaché lui-même M. Paul
Michaut dans son plaidoyer : l'intérim de la
sous-préfecture fait par le frère de M. Paul Michaut
; l'intervention des gardes forestiers en armes dans
une section ; enfin la pression exercée sur les
ouvriers de Baccarat.
Mais auparavant permettez-moi, messieurs, de
regretter que, dans l'éloquent plaidoyer que M.
Michaut vient de prononcer, il ait commis deux
légères imprudences : celle de parler de la presse
et celle de parler des révocations de
fonctionnaires.
Il nous a dit : A part un commissaire de police qui
a été changé de résidence, à part un instituteur qui
a été déplacé à trois kilomètres, il n'y a pas eu de
révocations.
Non; mais il y a eu un fait bien grave, qu'il a
passé sous silence : c'est l'histoire de
l'inspecteur d'académie dans le département de
Meurthe-et-Moselle.
Le département de Meurthe-et-Moselle avait un
inspecteur d'académie, qui est un des fonctionnaires
les plus zélés, les plus intelligents et les plus au
courant de nos besoins scolaires.
Cet inspecteur d'académie fut appelé un jour dans le
cabinet du préfet, M. Achille Delorme. Que se
passa-t-il entre l'inspecteur d'académie et le
préfet ? On ne l'a pas su. Le préfet lui
demanda-t-il des propositions de révocation ou de
déplacement que l'inspecteur d'académie ne voulait
pas accorder ? Je ne sais. Tant il y a qu'au sortir
de cet entretien, M. l'inspecteur d'académie, je le
répète, un des fonctionnaires les plus intelligents
que nous ayons, reçut une mise en congé illimité
avec ordre de quitter le département dans les
vingt-quatre heures et de n'y pas rentrer sous peine
de révocation. (Exclamations à gauche.) Et pourquoi
cela ? Quand, dans la sous-commission, nous
demandâmes des explications sur ce fait à
l'honorable M. Michaut, la seule réponse que nous
pûmes obtenir fut celle-ci : c'est que cet
inspecteur d'académie avait été vu déjeunant dans
une auberge à l'heure où les fidèles vont à la
grand'messe. (Rumeurs et rires à droite.)
M. Paul Michaut. Je demande la parole.
M. Edouard Lockroy. Messieurs, le coup qui frappait
cet inspecteur d'académie était bien de nature à
terrifier tout le corps enseignant.
A droite. Oh ! oh !
M. Edouard Lockroy. Cela suffisait, en effet, et
cela valait mieux que toutes les révocations et tous
les déplacements du monde.
L'honorable M. Paul Michaut a parlé ensuite de la
presse et des excès de la presse républicaine. Par
égard pour lui, je ne lui citerai pas les articles
de la presse réactionnaire.
Mais je dirai, parce que cela est vrai, que, pendant
tout le temps de la période électorale, pendant
qu'on poursuivait, qu'on saisissait presque
quotidiennement le journal républicain, qu'on le
faisait enlever de toutes les auberges par les
gendarmes, la presse réactionnaire faisait des
articles où elle disait : Qui est-ce qui votera ?
qui est-ce qui conseille de voter pour M. Cosson?
C'est M. de Bismarck. Et elle développait ces idées
dans tous les articles ; elle donnait des extraits
de soi-disant lettres de M. de Bismarck, qui
écrivait à de prétendus agents en France : Poussez
les électeurs à voter pour les 363.
Cela était impuni, messieurs; et pendant que cela
était impuni, on poursuivait le Journal de
Lunéville, qui était coupable... de quoi, messieurs
? D'avoir reproduit un article du journal de notre
éminent collègue M. Emile de Girardin, la France. Il
était poursuivi, mais on n'osait pas faire de
poursuites légales : ce n'est qu'un mois après.
M. Paul Michaut. Parce que les assises n'ouvraient
qu'un mois après !
M. Edouard Lockroy. Oui, mais le procès est venu
juste au moment où l'on partait de l'invalidation de
l'honorable M. Michaut, et peut-être espérait-on
influer sur la Chambre par une condamnation que l'on
n'a pas obtenue. (Rumeurs à droite.)
Il est arrivé, pendant le cours des débats de cette
affaire, un incident assez curieux.
L'avocat du journal républicain a dit ce qu'il était
naturel de dire en pareille circonstance : Pourquoi
ne poursuivez-vous pas les journaux réactionnaires
qui, tous les jours, prêchent le coup d'Etat et
commettent des délits visibles pour tout le monde ?
Savez-vous ce qu'a répondu l'organe du ministère
public ? il a dit : Je ne lis pas ces journaux-la !
M. Paul Michaut. Il s'agissait du Pays et du Figaro.
M. Edouard Lockroy. J'ai parlé de journaux
réactionnaires : je ne pense pas que le Pays et le
Figaro désavouent cette qualification.
Enfin l'avocat a lu un article du Journal de
Lunéville, où l'on faisait parler M. de Bismarck, et
le ministère public a dit : Cet article, je le
désavoue. Il l'a blâmé, mais il ne l'a pas
poursuivi.
Je crois donc que l'honorable M. Paul Michaut a eu
tort de parler de l'inspecteur d'académie et de la
presse.
J'arrive maintenant à l'intérim de la
sous-préfecture.
Eh bien, messieurs, je crois que le fait est un peu
moins innocent qu'on ne nous le disait tout à
l'heure.
En effet, l'honorable M. Paul Michaut, qui a la
mémoire heureuse, ne se souvenait pas de
l'ordonnance de mars 1821. Cette ordonnance dit ceci
: En cas d'absence du sous-préfet, il doit être
remplacé, ou par un fonctionnaire de l'ordre
administratif, ou par un conseiller de préfecture.
Voilà l'ordonnance, voilà la loi ! L'honorable M.
Paul Michaut nous a dit : Il n'y avait dans tout le
département de possible, pour remplir ce poste et
faire cet intérim, que mon frère.
Mais alors, lui répondrai-je, il n'y avait donc pas
de conseiller de préfecture à la préfecture de
Meurthe-et-Moselle ? Il n'y avait donc pas de
fonctionnaire administratif dans le département ?
Car, comment se fait-il donc que M. le préfet de
Meurthe-et-Moselle n'ait trouvé personne autre que
votre frère, dans des circonstances pareilles, pour
lui confier l'intérim de la sous-préfecture ? Et si
encore il ne le lui avait confié qu'une fois, ce ne
serait rien ; mais il le lui a confié deux fois, et
la seconde fois pendant la période électorale.
La première fois, je le veux bien, M. le sous-préfet
est gravement malade ; il va dans les Pyrénées pour
se soigner, et il laisse, illégalement, l'intérim de
la sous préfecture à M. Gabriel Michaut, frère de M.
Paul Michaut, candidat officiel.
Mais la seconde fois, M. le sous-préfet est-il
malade ? non !
M. le sous-préfet se porte très-bien ; il se porte
si bien même qu'il parcourt les 163 communes de
l'arrondissement, faisant, dans chacune de ces
communes, des discours en faveur de l'honorable M.
Paul Michaut. (Rires à gauche.)
Ainsi, l'honorable M. Michaut était recommandé par
son frère qui faisait l'intérim de la
sous-préfecture, et par le sous-préfet qui faisait
des discours.
M. Paul Michaut nous dit : Mais, pendant que mon
frère a rempli cet intérim, il n'a fait que signer,
je crois, que des permis de chasse, que des papiers
insignifiants.
Je réponds que le frère de M. Paul Michaut a
cependant fait une chose : il a interdit à M. Cosson
de présider la distribution des prix de Lunéville.
Un membre à droite. Cette mesure n'était pas du
ressort du sous-préfet ! Donnez la preuve de
l'interdiction qu'aurait prononcée le sous-préfet
intérimaire.
M. Edouard Lockroy. La preuve est au dossier, et je
dis que c'est là un acte administratif qui va un peu
loin.
Un membre à droite. La preuve ! la preuve !
A gauche. N'interrompez pas ! - Laissez parler !
M. Edouard Lockroy Je répète qu'il y a, dans le
dossier, des pièces qui établissent ce que j'avance.
M. le comte de Maillé. Eh bien, lisez ces pièces !
Faites-les connaître !
A gauche : N'interrompez pas !
M. Edouard Lockroy. J'aurais pu souvent interrompre
M. Michaut au cours de sa discussion, mais je m'en
suis bien gardé. Veuillez donc, messieurs, me
laisser aller jusqu'au bout, et, si je me trompe, M.
Michaut voudra bien me rectifier.
Je passe maintenant à un autre point, à la pression
sur les ouvriers de Baccarat.
Ce que l'honorable M. Michaut ne nous a pas dit,
c'est que huit ou dix jours avant le scrutin, des
agents, - et quelques protestations disent des
douaniers, et même dans une commune, je crois, un
gendarme, - allèrent de porte en porte chez tous les
habitants demander de signer une adresse imprimée,
qui est au dossier, dans laquelle on invitait les
électeurs à voter pour M. Paul Michaut. Or, sachez
bien que cette usine de Baccarat qui compte non pas
des centaines, mais des milliers d'ouvriers, - je ne
crois pas me tromper, elle en compte deux à trois
mille,- fait vivre toutes les communes qui
l'environnent ; que par conséquent tous les
habitants de ces communes dépendent plus ou moins de
la cristallerie de Baccarat; que sur un signe de
l'administrateur de Baccarat, qui est tout-puissant
dans sa fabrique, telle ou telle industrie, tel ou
tel établissement peut être mis à l'index, qu'il
peut être interdit
aux ouvriers; de sorte que le fabricant,
l'industriel, le commerçant, en présence d'un
manifeste où on lui dit huit jours avant le vote de
voter et d'engager ses concitoyens à voter pour M.
Paul Michaut, s'il refuse, se trouve dans une
situation inquiétante. Il risque son gagne-pain, la
vie de sa famille et de ses enfants. Voilà ce qui
lui arrive s'il refuse. Et étonnez-vous donc après
cela qu'il mette son nom en bas du manifeste. Il l'y
met, non pas par conviction, mais bien contraint et
forcé. (Très-bien ! très-bien ! à gauche et au
centre.) En voulez-vous la preuve, messieurs? Mais
la preuve, la voici : c'est que dans six communes,
le nombre des électeurs qui ont voté pour
l'honorable M. Michaut est inférieur quelquefois,
dans une commune, de 43 voix au nombre de ceux qui
se sont engagés à faire voter pour lui. Il y a donc
des électeurs qui ont dit aux autres : Votez pour M.
Paul Michaut ! en se réservant à eux, de ne pas
voter ou de voter pour son concurrent.
Voix à droite. C'est qu'ils ont été libres !
M. Edouard Lockroy. Je dis, messieurs, que c'est là
la preuve éclatante et convaincante que leur vote
n'était pas libre. (C'est le contraire ! à droite.)
Comment le serait-il ? Comment ! huit jours à
l'avance, on apporte une adresse aux électeurs; on
leur demande de voter pour M. Paul Michaut qui est
tout-puissant dans le pays, et vous dites qu'ils
sont libres ! Si M. Michaut était à l'avance si
certain de leurs suffrages, si Baccarat formait,
comme il le disait tout à l'heure, une grande
famille, où l'attachement de tous les enfants à leur
père était enraciné dans les coeurs, qu'avait-il
besoin de faire circuler cette adresse, huit jours à
l'avance ? Il n'avait qu'à attendre tranquillement
et paisiblement le verdict du suffrage universel.
(Très-bien ! très-bien ! à gauche.)
Il nous a apporté, il est vrai, aujourd'hui un
nouveau document, où les ouvriers de Baccarat disent
: Nous n'avons pas subi de pression !
C'est d'abord pendant un voyage qu'il a fait, je
crois, à Baccarat, que ce document a été signé et
que M. Michaut l'a trouvé.
M. Paul Michaut. Cela est vrai. J'ai trouvé ce
document à mon retour et j'en ai été très-touché !
M. Edouard Lockroy. J'en suis touché aussi. dans un
autre sens. Il me paraît que ce document ne prouve
pas grand'chose; et, en effet, messieurs,
l'honorable M. Paul Michaut se trouve au milieu de
ses ouvriers et les rassemble pour leur demander,
sans honte, s'ils ont été violentés lors du scrutin.
M. Paul Michaut. Non, monsieur.
M. Edouard Lockroy. Il est assez naturel que ces
ouvriers qui tremblent, je le répète, et pour leur
pain et pour la vie de leur famille, déclarent
qu'ils ont été absolument libres.
(Murmures à droite.)
Un membre à droite. Allons donc!
M. Edouard Lockroy. Le document apporté par
l'honorable M. Michaut ne porte donc pas la
conviction dans mon esprit.
Je viens maintenant à l'intervention des gardes
forestiers.
Eh bien, il y a dans l'arrondissement de Lunéville
60 communes forestières. Quelques jours avant le
vote, un ordre, dont M. Paul Michaut a donné
lecture, qui émanait de M. le ministre des finances,
- et je recommande à nos amis de la commission
d'enquête de vouloir bien s'occuper des ordres de
cette nature qui ont été donnés par l'honorable M.
Caillaux, - un ordre, dis-je, est arrivé à tous les
gardes forestiers de se rendre, le couteau de chasse
au côté. (Exclamations ironiques à droite) et en
grand uniforme dans toutes les sections de vote.
On nous dit : Mais c'est tout naturel; ils venaient
là pour maintenir l'ordre.
Mais d'abord on ne craignait pas que l'ordre fût
troublé, il ne l'a jamais été dans cet
arrondissement. Jamais on n'avait pris une mesure
semblable, jamais on n'avait vu quelque chose de
pareil.
On nous dit : Quelle terreur voulez-vous que cela
répande dans le pays ? Quelle terreur, messieurs ?
je vais vous le dire. Rappelez-vous que les villages
qui avoisinent les forêts vivent de la forêt,
exactement comme les ports de mer vivent de la mer.
A gauche. C'est cela !
M. Edouard Lockroy. Or, qu'est-ce que le garde
forestier ? Eh! messieurs, c'est le grand
dispensateur des richesses de la forêt. Il est
maître dans la commune, craint plus qu'aucun
fonctionnaire, plus que ne peut l'être dans les
communes rurales, ou l'autorité du juge de paix, ou
l'autorité du maire, ou l'autorité du garde
champêtre.
Les droits qu'a le garde forestier, ils sont très
nombreux. Je sais qu'ils varient suivant les
localités ; mais, si vous le désirez, je vais les
énumérer en deux mots. Le garde forestier peut
accorder le droit de pacage des bestiaux dans les
bois...
A droite. Jamais !
M. Martin Nadaud. Et le droit de ramasser le bois
mort ?
M. Edouard Lockroy. Oui, le droit de pacage dans des
cas très-fréquents. Demandez plutôt à tous ceux de
nos amis qui habitent des circonscriptions
forestières, et notamment à celui de nos collègues
qui représente un des arrondissements voisins de
Rambouillet.
Puis, c'est la permission de ramasser le bois mort,
les feuilles mortes, de couper la fougère, la
bruyère, de recueillir les fruits des bois, tels que
les faînes du hêtre, les pommes de pin, etc.
Enfin, c'est le garde forestier qui distribue les
travaux très-nombreux qui se font dans les forêts,
comme l'élagage des arbres le long des routes, la
réparation des chemins défoncés, comme encore les
permissions pour couper et semer des arbres. Leurs
droits sont très-nombreux, et c'est d'eux que dépend
le travail, la fortune de tous les habitants des
communes forestières.
Eh bien, je dis que quand le garde forestier arrive
dans la salle du scrutin, qu'il y arrive en uniforme
et en armes sur l'ordre du ministre des finances,
qu'il s'assied à côté du maire et quelquefois malgré
lui, qu'il surveille les électeurs, qu'il suit les
votes qui sont déposés dans l'urne, je dis qu'il
exerce une pression électorale tout à fait illégale,
tout à fait odieuse et que sa présence seule, armé,
dans la salle du scrutin, au moment au vote et
pendant le dépouillement, constitue une véritable
illégalité. (Très-bien ! très-bien ! - Rumeurs à
droite.)
Ces faits me paraissent suffisants pour vous faire
annuler cette élection.
Je les résume. La pression tout à fait illégale,
exercée par les gardes forestiers en armes dans
toutes les sections de vote ; la pression exercée
sur les ouvriers de Baccarat; l'intérim de la
préfecture fait par le frère du candidat officiel;
la mise en congé illimité d'un inspecteur
d'académie, aimé, estimé de ses chefs et de tous
ceux qui le connaissent; enfin la violence de
langage des journaux réactionnaires.
Vous trouverez, messieurs, je n'en doute pas, que ce
qui caractérise surtout cette élection, c'est la
pression, l'intimidation exercée par le fort sur le
faible, par le puissant sur l'être sans défense.
A droite. Comment le prouvez-vous ?
M. Edouard Lockroy. Et en effet, ce qui se passe
dans les cantons industriels se passe également dans
les cantons forestiers.
Dans les cantons industriels, on dit à l'ouvrier :
Tu voteras pour le candidat officiel ou on te
supprimera ton travail !
Dans les cantons forestiers, on dit à l'électeur :
Tu voteras pour le candidat officiel ou on
t'interdira la forêt !
Voilà, messieurs, ce qui caractérise cette élection,
c'est l'intimidation ; ce qui fait que vous qui avez
à coeur de protéger les faibles, de protéger le
suffrage universel, d'en assurer la sincérité, vous
ne pourrez faire autrement que d'invalider cette
élection, une des plus graves qui vous aient été
soumises jusqu'à présent.
(Très-bien ! très-bien ! et applaudissements à
gauche.)
M. Paul Michaut. Messieurs, je serai court, je vois
que l'heure est avancée. Cependant il est impossible
de ne pas laisser sans réponse un contradicteur
auquel je reconnais une telle supériorité de parole
que si je n'avais pour moi la vérité, je devrais
m'incliner.
Le premier grief est celui-ci : Il y a eu des
déplacements administratifs, M. Michaut en a
expliqué trois. Mais l'inspecteur d'académie ? M.
Michaut, appelé dans la sous-commission, n'a pu
trouver d'autre réponse que de dire que l'inspecteur
a été suspendu pour être entré dans un cabaret, à
l'heure de la messe, avec un instituteur.
Il faut que j'aie été bien impuissant à exprimer ma
pensée pour qu'on ait pu m'attribuer une telle
chose. Il y a cinq députés dans le département de
Meurthe-et-Moselle ; par conséquent, je n'ai qu'un
cinquième de responsabilité de la mesure qui a été
prise à l'égard de cet inspecteur d'académie. J'ai
dit, quand on m'a demandé pourquoi on lui avait
donné un congé : Je n'en sais rien ; mais j'ai
entendu parler de son peu de tact. Un journal de
Nancy lui reprochait, en revenant d'une excursion de
plaisir faite un dimanche au Donon, de s'être
installé avec un instituteur dans un cabaret
vis-à-vis l'église, à l'heure où l'on entrait à la
grand'messe.
M. Bamberger, ironiquement. C'est affreux !
M. Paul Michaut. C'est un manque de tact.
Un membre. S'il avait faim ?
M. Paul Michaut. Je n'ai pas à apporter ici une
appréciation personnelle ; je dis que c'est au moins
un manque de tact.
Un membre à gauche. Ce n'est pas un motif de congé.
M. Paul Michaut. Quels sont les motifs de sa mise en
congé? Je n'en sais rien du tout; et je n'ai pas
entendu parler de l'incident qui précède comme d'un
motif de congé, ce qui eût été absurde, mais comme
d'un manque de tact et de tenue.
En ce qui concerne les journaux, il me paraît mutile
que j'y revienne. Si on lisait les journaux de
droite et les journaux de gauche, on n'en finirait
pas, et cela ne convertirait personne.
J'en arrive à l'adresse imprimée qui a circulé dans
le canton.
C'est à mon retour de Vichy que j'ai trouvé les
comités électoraux conservateurs organisés. Le
comité de Baccarat s'était réuni et avait préparé
une adresse des électeurs de ce canton recommandant
ma candidature aux électeurs des autres cantons. On
m'en parla, et je dis :
« Vous ferez ce que vous voudrez, à une condition :
c'est que ce ne sera pas soumis aux ouvriers; vous
la ferez signer par vos amis; mais je ne veux pas
que la politique entre dans l'usine. »
Par conséquent, cela n'a rien à faire avec la lettre
que je vous ai lue tout à l'heure.
On dit : Mais M. Michaut est tout-puissant dans le
pays et l'opprime par sa situation. Comment ! voilà
un canton qui a 30 communes; il y a des ouvriers à
Baccarat, à Deneuvre et à Bertrichamps; cela fait
trois communes. Il n'y en a pas dans les 27 autres
communes, qui sont agricoles.
Eh bien, mais que voulez-vous que l'influence de la
cristallerie de Baccarat fasse dans ces 27 communes?
Absolument rien du tout. J'ai une situation
personnelle dans le canton, non pas à cause de la
cristallerie, mais parce que je suis du pays, parce
que j'ai été élevé à Baccarat, parce que j'y ai mes
propriétés, parce que j'y ai d'immenses affinités.
L'action de la cristallerie de Baccarat ne comprend
qu'un groupe de trois communes, pas davantage.
On me dit : Il faut qu'il y ait eu bien de la
pression, puisqu'il y a six communes qui présentent
un total de 106 suffrages de moins que de
signatures. Qu'est-ce que cela prouve? C'est que,
dans ces six communes, il y a eu des gens absents,
malades ou qui ont changé d'avis. Et il y en a 1,597
qui ont voté pour moi et qui n'ont pas signé. Cela
fait bien compensation.
Qu'en concluez-vous ? Qu'il y a eu pression ? On
parle, dans le rapport, des agents de M. Michaut.
J'affirme que je n'ai pas eu un seul agent. J'ai eu
des amis, oui, mais des agents, non.
On a parlé des ouvriers trembleurs qui n'osaient pas
me combattre. Ah ! messieurs, vous ne connaissez pas
le gentilhomme verrier ! Lorsqu'il a commencé à
travailler, à douze ans, et qu'il est arrivé à
trente ans. à s'asseoir sur son banc de verrier, en
exerçant le plus noble et le plus difficile des
métiers, il a son indépendance et le sentiment de sa
dignité, je vous l'assure.
Ces populations sont élevées dans l'instruction et
dans l'indépendance. Je les tiens dans ma main, par
l'amour que j'ai pour elles, mais elles me tiennent
dans la leur, car nos sentiments sont communs.
(Très-bien ! très-bien ! à droite.) Si j'avais
demain un successeur qui ne suivit pas la même règle
de conduite libérale, soyez sûrs qu'elles ne se
laisseraient pas opprimer.
Je n'ai pas inventé cette manière d'être, je n'ai
fait que suivre une tradition qui était née avant
moi. Si l'on avait avec ces populations des procédés
despotiques, on se heurterait à une dignité
invincible.
On a parlé des gardes forestiers et de la terreur
qu'ils ont exercée ! En vérité, messieurs, je ne
sais pas quel pays vous habitez, mais je vous assure
que, chez moi, ils n'exercent aucune sorte
d'intimidation.
J'ai dit qu'ils avaient été dans les salles de
scrutin ou aux alentours des salles dans 15 ou 16
communes, je m'arrête aux 11 communes désignées dans
le rapport, et je ne veux ni en ajouter ni en
retrancher, pour qu'on ne m'accuse pas d'introduire
des éléments discutables; eh bien, dans ces 11
communes j'ai eu 666 voix et M. Cosson 1,123. Où
donc est le résultat de la terreur exercée par les
gardes ? Et puis, les attributions des gardes
sont-elles si importantes qu'on vous l'a dit ?
L'administration vend sa coupe. Quelle autorité
a-t-il ? Il laisse ramasser du bois mort, mais des
feuilles, pas, et j'espère bien qu'on n'en délivrera
jamais en France. Il délivre des produits
accessoires, mais seulement quand l'individu
concessionnaire est allé s'inscrire chez le garde
général, et a pris l'engagement de fournir, soit une
somme d'argent soit des journées de travail à raison
de tant du cent de fagots ou de bruyères ; mais le
garde n'a aucune autorité réelle.
Je ne sais pas s'il y a d'autres parties de la
France où les gardes forestiers aient des droits
différents ; je ne le crois pas. J'ai été garde
général, et je vous déclare que tout ce qu'on vous a
dit à cet égard, c'est pure fiction, c'est une
erreur.
Enfin, mon honorable contradicteur a dit et répété
que des gardes étaient entrés et restés dans la
salle de vote contre la volonté des maires. Je
proteste de nouveau contre cette déclaration; nulle
part un garde n'est resté contre la volonté des
maires. On a cité tout à l'heure le village de La
Ronxe ; j'ai là une lettre du maire qui vous
contredit. En voulez-vous d'autres ? Cela n'a eu
lieu nulle part.
Et qui donc a pu être intimidé par un garde qui
arrive avec son ceinturon et son couteau de chasse
qu'il pose sur un banc de l'école et s'assied dans
la salle ? Est-ce là un objet de terreur, une menace
sérieuse ? Mais enfin vous-mêmes vous n'y croyez pas
!
Un membre à gauche. Pourquoi ces gardes sont-ils
venus ?
M. Paul Michaut. Parce qu'ils en ont reçu l'ordre !
A gauche. Ah ! ah !
M. Clémenceau. Et pourquoi en ont-ils reçu l'ordre ?
M. Paul Michaut. Parce qu'ils avaient reçu l'ordre
de se mettre à la disposition des maires.
Voulez-vous lire les lettres des maires ?
Un membre à droite. C'était une mesure générale !
M. Paul Michaut. J'ai lu une pièce pour une des
communes incriminées. Je pourrai citer les autres.
En voici une :
« Les soussignés, membres du scrutin des élections,
le 14 octobre 1877, certifient par le présent que le
brigadier forestier Ehrmann, à Bossupré, commune de
Laneuveville-aux-Bois, s'est présenté par l'ordre de
M. l'inspecteur des forêts à Lunéville, à la salle
de vote de Parroy, à onze heures et demie, en tenue
de sergent fourrier des chasseurs forestiers, muni
de son couteau de chasse, en déclarant à M. le maire
qu'il était envoyé de la part de M. l'inspecteur
pour se mettre à sa disposition pour la police de la
salle de vote en cas de tumulte. M. le maire
l'accepta dans ces conditions.
« Dans l'après-midi, le brigadier Ehrmann s'adressa
de nouveau à M. le maire en lui demandant si sa
présence était nécessaire à la salle de vote
jusqu'au dépouillement du scrutin. M. le maire lui
répondit : Je préfère que vous restiez jusqu'après
le dépouillement du scrutin... »
Un membre à gauche. C'est là ce qui est grave.
M. le président. N'interrompez donc pas! Vous ne
devez pas faire ces réflexions à haute voix.
M. Paul Michaut.et enfin, au moment du
dépouillement, le brigadier fut obligé d'imposer
silence à plusieurs reprises.
« Il en a été de même dans les autres communes. »
Je crois, messieurs, que l'opinion de la Chambre est
faite. (Très-bien ! très-bien ! à droite. - Aux voix
! aux voix !)
M. Edouard Lockroy. Je ne veux répondre qu'un mot,
messieurs, et j'y suis obligé parce que l'honorable
M. Michaut a dit, tout à l'heure, je crois, qu'il
n'avait été exercé aucune pression sur les ouvriers
de la cristallerie de Baccarat alors qu'on leur a
proposé de signer un manifeste qui avait été écrit
d'avance et dont voici le texte :
« Nous ouvriers de la cristallerie de Baccarat, nous
n'avons pas oublié au prix de quels sacrifices, etc.
»
Et l'adresse est signée...
On dit qu'il n'y avait pas d'ouvriers sur cristaux
parmi les signataires. Or, l'adresse est signée :
Martin, surveillant aux cristalleries; Dufour.
M. Paul Michaut. Voulez-vous me permettre? Ce ne
sera pas long.
Des ouvriers ont dit : Nous savons que M. Michaut
tient à ce que nous ne signions pas comme ouvriers;
mais nous sommes propriétaires à Baccarat et nous
demandons à signer en tant que propriétaires. Et il
y en a un très-petit nombre qui ont signé.
M. Edouard Lockroy. Ces ouvriers ont signé en tant
que propriétaires, je le veux bien ; mais enfin ils
ont signé aussi en tant qu'ouvriers. (Aux voix ! aux
voix !)
Un fait encore.
L'honorable M. Paul Michaut a cité tout à l'heure
une lettre du maire de Laronxe. Eh
bien, j'ai entre les mains une lettre du maire de
Laronxe.
M. Paul Michant. Il signera toutes celles que vous
lui présenterez. (Ah ! ah ! à gauche.) Oui, c'est
comme cela.
M. Edouard Lockroy. Eh bien, messieurs, je descends
de cette tribune et je vous laisse juger le
caractère des pièces apportées par l'honorable M.
Michaut.
M. le président. Je consulte la Chambre sur les
conclusions du bureau qui tendent à l'invalidation.
(Deux épreuves successives ont lieu : l'une par
mains levées, l'autre par assis et levé; elles sont
déclarées douteuses par le bureau.) M. le président.
Il va être procédé au scrutin.
(Le scrutin est ouvert et les votes sont
recueillis.)
Pendant le dépouillement, M. le président donne la
parole pour des dépôts de rapports.
[...]
MM. les secrétaires qui viennent de dépouiller le
scrutin sont d'avis qu'il y a lieu à pointage. Il va
y être procédé.
En attendant le résultat de cette opération, je
soumets à la Chambre le projet d'ordre du jour pour
jeudi.
[...]
(La séance reste suspendue jusqu'à sept heures
vingt-cinq minutes.) A ce moment, MM. les
secrétaires apportent à M. le président le résultat
de la vérification du vote sur l'élection de M.
Michaut.
M. le président. Voici les chiffres définitifs du
scrutin :
Nombre des votants. 410
Majorité absolue. 206
Pour l'adoption 217
Contre. 193
La Chambre a adopté les conclusions du bureau et
invalidé l'élection de M. Michaut.
(La séance est levée à sept heures et demie.)
NDLR :
on notera dans ces débats la lettre de soutien de
Hubert Brice, maire de Blâmont, au candidat de
gauche Joseph Cosson, soutenu aussi par
l'intervention du député Jules Viette, lui aussi
maire de Blamont, mais dans le Doubs. |